Cet article sur Apocalypse 20.1-6 a pour sujet le millénium qui, selon l'amillénarisme, n'est pas un règne terrestre du Christ, mais décrit le règne avec le Christ au ciel des croyants qui sont morts.

Source: L’amillénarisme (AH). 9 pages. Traduit par Paulin Bédard

L’interprétation d’Apocalypse 20.1-6

« Puis je vis descendre du ciel un ange qui tenait la clef de l’abîme et une grande chaîne à la main. Il saisit le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et Satan, et il le lia pour mille ans. Il le jeta dans l’abîme, qu’il ferma et scella au-dessus de lui, afin qu’il ne séduise plus les nations, jusqu’à ce que les mille ans soient accomplis. Après cela, il faut qu’il soit délié pour un peu de temps. Je vis des trônes. À ceux qui s’y assirent fut donné le pouvoir de juger. Et je vis les âmes de ceux qui étaient morts sous la hache à cause du témoignage de Jésus et de la parole de Dieu, et de ceux qui ne s’étaient pas prosternés devant la bête ni devant son image et qui n’avaient pas reçu la marque sur le front ni sur la main. Ils revinrent à la vie, et ils régnèrent avec Christ, pendant mille ans. Les autres morts ne revinrent pas à la vie jusqu’à ce que les mille ans soient accomplis. C’est la première résurrection. Heureux et saints ceux qui ont part à la première résurrection! La seconde mort n’a pas de pouvoir sur eux, mais ils seront sacrificateurs de Dieu et du Christ, et ils régneront avec lui pendant les mille ans. »

Apocalypse 20.1-6

Ma discussion de la compréhension amillénariste du millénium comprend les sujets suivants : l’interprétation du livre de l’Apocalypse1, l’interprétation d’Apocalypse 20.1-6 (dans cet article), un regard sur deux passages de l’Ancien Testament généralement considérés comme prédisant un royaume millénaire terrestre2, une brève esquisse de l’eschatologie amillénariste et une déclaration résumant certaines des implications de l’eschatologie amillénariste3.

L’interprétation d’Apocalypse 20.1-6

Après avoir vu l’interprétation de l’ensemble du livre de l’Apocalypse, nous sommes maintenant prêts à procéder à l’interprétation d’Apocalypse 20.1-6, le seul passage de la Bible qui parle explicitement d’un règne de mille ans. Notons d’abord que le passage se divise manifestement en deux parties : les versets 1 à 3, qui décrivent l’enchaînement de Satan, et les versets 4 à 6, qui décrivent le règne de mille ans des âmes avec le Christ.

L’interprétation prémillénariste de ces versets les considère comme décrivant un règne millénaire du Christ sur la terre qui se produira après sa seconde venue. Il est vrai que la seconde venue du Christ a été évoquée dans le chapitre précédent (voir Ap 19.11-16). Si l’on considère Apocalypse 20 comme décrivant ce qui suit chronologiquement la description faite au chapitre 19, on pourrait effectivement conclure que le millénium d’Apocalypse 20.1-6 viendra après le retour du Christ.

Toutefois, comme nous l’avons indiqué dans l’article précédent4, les chapitres 20 à 22 constituent la dernière des sept sections du livre de l’Apocalypse et ne décrivent donc pas ce qui suit le retour du Christ. Au contraire, Apocalypse 20.1 nous ramène une fois de plus au début de l’ère du Nouveau Testament.

L’interprétation correcte de ces versets ressort clairement non seulement de ce qui a été développé précédemment, mais aussi du fait que ce chapitre décrit la défaite et la condamnation finale de Satan. Il est certain que la défaite de Satan a commencé avec la première venue du Christ, comme cela a déjà été clairement expliqué au chapitre 12.7-9. Le fait que le règne millénaire décrit aux versets 4 à 6 précède la seconde venue du Christ est évident si l’on considère que le jugement dernier, décrit aux versets 11 à 15 de ce chapitre, est décrit comme venant après le règne de mille ans. Non seulement dans le livre de l’Apocalypse, mais ailleurs dans le Nouveau Testament, le jugement dernier est associé à la seconde venue du Christ (voir Ap 22.12 et les passages suivants : Mt 16.27; 25.31-32; Jude 1.14-15; et surtout 2 Th 1.7-10). Dans ces conditions, il est évident que le règne de mille ans d’Apocalypse 20.4-6 doit se produire avant et non après la seconde venue du Christ.

Examinons maintenant de près Apocalypse 20.1-6. Nous commençons par les versets 1-3 :

« Puis je vis descendre du ciel un ange qui tenait la clef de l’abîme et une grande chaîne à la main. Il saisit le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et Satan, et il le lia pour mille ans. Il le jeta dans l’abîme, qu’il ferma et scella au-dessus de lui, afin qu’il ne séduise plus les nations, jusqu’à ce que les mille ans soient accomplis. Après cela, il faut qu’il soit délié pour un peu de temps. »

Dans ces versets, nous avons une description de l’enchaînement de Satan. Le dragon, ici clairement identifié comme étant « le diable et Satan », est décrit comme étant lié pendant mille ans et ensuite jeté dans un endroit appelé « l’abîme ». Le but de cet enchaînement est « afin qu’il ne séduisplus les nations, jusqu’à ce que les mille ans soient accomplis ».

Le livre de l’Apocalypse est rempli de chiffres symboliques. Il est évident que le nombre « mille » qui est utilisé ici ne doit pas être interprété dans un sens littéral. Puisque le nombre dix signifie la complétude, et que mille est dix à la troisième puissance, nous pouvons considérer l’expression « mille ans » comme représentant une période complète, une très longue période de durée indéterminée. En accord avec ce qui a été dit dans l’article précédent sur la structure du livre et à la lumière des versets 7 à 15 de ce même chapitre (qui décrivent « le peu de temps » de Satan, la bataille finale et le jugement dernier), nous pouvons conclure que cette période de mille ans s’étend de la première venue du Christ à la veille de sa seconde venue.

Puisque « l’étang de feu » mentionné aux versets 10, 14 et 15 est manifestement une description du lieu du châtiment final, « l’abîme » mentionné aux versets 1 et 3 ne doit pas être le lieu du châtiment final. Le mot abîme doit plutôt être considéré comme une description figurative de la manière dont les activités de Satan seront freinées pendant la période de mille ans.

Que signifie, alors, que Satan soit lié? À l’époque de l’Ancien Testament, du moins à l’ère post-abrahamique, toutes les nations du monde, à l’exception d’Israël, étaient, pour ainsi dire, sous la domination de Satan. À cette époque, le peuple d’Israël était le bénéficiaire de la révélation spéciale de Dieu, de sorte qu’il connaissait la vérité de Dieu sur lui-même, sur son état de pécheur et sur la manière dont il pouvait obtenir le pardon et le salut. Pendant cette même période, cependant, les autres nations du monde ne connaissaient pas cette vérité, ils étaient donc dans l’ignorance et l’erreur (voir Ac 17.30), à l’exception de personnes, de familles ou de villes occasionnelles qui sont entrées en contact avec la révélation spéciale de Dieu. On pourrait dire que, pendant cette période, ces nations ont été séduites par Satan, comme nos premiers parents l’avaient été lorsqu’ils ont péché dans le jardin d’Éden.

Cependant, juste avant son ascension, le Christ a donné à ses disciples l’ordre d’accomplir la grande mission : « Allez, faites de toutes les nations des disciples » (Mt 28.19). À ce stade, on peut très bien imaginer que les disciples se sont posé une question troublante : Comment pouvons-nous faire cela si Satan continue à séduire les nations comme il l’a fait dans le passé? Dans Apocalypse 20.1-3, Jean donne une réponse rassurante à cette question. Paraphrasée, sa réponse ressemble à ceci : « Pendant l’ère évangélique qui vient d’être inaugurée, Satan ne pourra pas continuer à séduire les nations comme il l’a fait dans le passé, car il a été lié. Pendant toute cette période, donc, vous, les disciples du Christ, pourrez prêcher l’Évangile et faire des disciples de toutes les nations. »

Cela ne signifie pas que Satan ne peut faire aucun mal tant qu’il est lié. Cela signifie seulement ce que Jean dit ici : Tant que Satan est lié, il ne peut pas séduire les nations de manière à les empêcher d’apprendre la vérité de Dieu. Plus loin dans le chapitre, il nous est dit que, lorsque les mille ans seront écoulés, Satan sera libéré de sa prison et sortira pour séduire les nations du monde afin de les rassembler pour combattre et, si possible, détruire le peuple de Dieu (versets 7-9). Toutefois, cela, il ne peut le faire tant qu’il est lié. Nous concluons donc que le fait que Satan soit lié pendant l’ère de l’Évangile signifie que, premièrement, il ne peut pas empêcher la propagation de l’Évangile et que, deuxièmement, il ne peut pas rassembler tous les ennemis du Christ pour attaquer l’Église.

Y a-t-il une indication dans le Nouveau Testament affirmant que Satan a été lié lors de la première venue du Christ? En effet, il y en a une. Lorsque les pharisiens ont accusé Jésus de chasser les démons par le pouvoir de Satan, Jésus a répondu : « Comment quelqu’un peut-il entrer dans la maison d’un homme fort et piller ses biens sans avoir auparavant lié cet homme fort? » (Mt 12.29). Il est intéressant de noter que le mot utilisé par Matthieu pour décrire le fait de lier l’homme fort est le même que celui utilisé dans Apocalypse 20 pour décrire l’action de lier Satan. On pourrait dire que Jésus a lié le diable lorsqu’il a triomphé de lui dans le désert, refusant de céder à ses tentations. Le fait que Jésus ait chassé des démons, comme il nous l’enseigne dans ce passage, était la preuve de ce triomphe. On pourrait rétorquer que l’enchaînement de Satan mentionné ici est rapporté en relation avec l’action de chasser des démons plutôt qu’en relation avec la prédication de l’Évangile. Je répondrai toutefois que le fait de chasser les démons est une preuve de la présence du royaume de Dieu (Mt 12.28) et que c’est précisément parce que le royaume de Dieu est venu que l’Évangile peut maintenant être prêché à toutes les nations (voir Mt 13.24-30, 47-50).

Lorsque les soixante-dix sont revenus de leur mission de prédication, ils ont dit à Jésus : « Seigneur, les démons même nous sont soumis en ton nom. » Jésus leur répondit : « Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair » (Lc 10.17-18). Il va sans dire que ces paroles ne doivent pas être interprétées littéralement. Elles doivent plutôt être comprises comme signifiant que Jésus a vu dans les œuvres que ses disciples accomplissaient une indication que le royaume de Satan venait d’être frappé d’un coup écrasant, et qu’en fait, un certain enchaînement de Satan, une certaine restriction de son pouvoir, venait d’avoir lieu. Dans ce cas, la chute ou la limitation de Satan est directement associée à l’activité missionnaire des disciples de Jésus.

Jean 12.31-32 est un autre passage qui établit un lien entre la restriction des activités de Satan et l’action missionnaire du Christ :

« Maintenant c’est le jugement de ce monde; maintenant le prince de ce monde sera jeté dehors. Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi. »

Il est intéressant de noter que le verbe traduit ici par « jeté » (ekballo) est dérivé de la même racine que le mot utilisé dans Apocalypse 20.3 : « Il le jeta [ballo] dans l’abîme », c’est-à-dire l’ange jeta Satan dans l’abîme. Il est encore plus important d’observer que le fait que Satan soit « chassé » ou « rejeté » est ici associé au fait que non seulement les Juifs mais aussi les hommes de toutes les nationalités seront attirés vers le Christ alors qu’il est suspendu sur la croix.

Nous voyons donc que l’enchaînement de Satan décrit dans Apocalypse 20.1-3 signifie que, tout au long de l’ère de l’Évangile dans lequel nous vivons maintenant, l’influence de Satan, bien que n’étant certainement pas annihilée, est tellement réduite qu’il ne peut pas empêcher la propagation de l’Évangile aux nations du monde. En raison de la limitation de Satan au cours du présent siècle, les nations ne peuvent pas conquérir l’Église, mais l’Église conquiert les nations5.

Nous passons maintenant aux versets 4-6, le passage qui traite du règne de mille ans.

« Je vis des trônes. À ceux qui s’y assirent fut donné le pouvoir de juger. Et je vis les âmes de ceux qui étaient morts sous la hache à cause du témoignage de Jésus et de la parole de Dieu, et de ceux qui ne s’étaient pas prosternés devant la bête ni devant son image et qui n’avaient pas reçu la marque sur le front ni sur la main. Ils revinrent à la vie, et ils régnèrent avec Christ, pendant mille ans. Les autres morts ne revinrent pas à la vie jusqu’à ce que les mille ans soient accomplis. C’est la première résurrection. Heureux et saints ceux qui ont part à la première résurrection! La seconde mort n’a pas de pouvoir sur eux, mais ils seront sacrificateurs de Dieu et du Christ, et ils régneront avec lui pendant les mille ans. »

Nous avons noté précédemment que les versets 1-3 parlent d’une période de « mille ans ». Nous observons maintenant que les versets 4-6 font également référence à une période de mille ans. Bien qu’il soit possible de comprendre les « mille ans » des versets 4-6 comme décrivant une période de temps différente des « mille ans » des versets 1-3, il n’y a pas de raison convaincante de le faire. Nous pouvons donc supposer sans risque que les versets 1-3 et 4-6 parlent de la même période de « mille ans ». Cette période, comme nous l’avons vu, s’étend sur toute la dispensation du Nouveau Testament, depuis la première venue du Christ jusqu’à la veille de sa seconde venue.

Regardons maintenant de plus près le verset 4 : « Je vis des trônes. À ceux qui s’y assirent fut donné le pouvoir de juger. » La première question que nous devons nous poser ici est la suivante : Où sont ces trônes? Leon Morris fait remarquer que, dans le livre de l’Apocalypse, le mot « trône » est utilisé quarante-sept fois et que tous ces trônes sauf trois (Ap 2.13; 13.2; 16.10) semblent être dans le ciel6. Si nous ajoutons à cette considération le fait que Jean voit « les âmes de ceux qui étaient morts sous la hache », ceci confirme la conclusion selon laquelle le lieu de la vision de Jean s’est maintenant déplacé vers le ciel. Nous pouvons donc dire que, si la période de mille ans décrite dans ces six versets est la même dans les deux sections, les versets 1-3 décrivent ce qui se passe sur la terre pendant cette période, et les versets 4-6 décrivent ce qui se passe au ciel.

Jean voit ceux qui ont reçu l’autorité de juger (littéralement, ceux à qui le jugement a été donné) comme étant assis sur des trônes. Le livre de l’Apocalypse est très préoccupé par les questions de justice, en particulier en faveur des chrétiens persécutés. Il est donc très significatif que, dans la vision de Jean, ceux qui sont assis sur des trônes aient reçu l’autorité de juger. Le fait que Jean les décrive comme « assis sur des trônes » est une manière concrète d’exprimer la pensée qu’ils règnent avec le Christ (voir la dernière partie du v. 4). Apparemment, ce règne inclut l’autorité de porter des jugements. On ne nous dit pas si cela signifie simplement être d’accord avec les jugements rendus par le Christ et en être reconnaissant, ou si cela signifie que ceux qui sont assis sur les trônes ont la possibilité de prononcer leurs propres jugements sur les questions terrestres. Quoi qu’il en soit, le fait de régner avec le Christ tel que décrit ici inclut apparemment une certaine participation à l’activité de jugement du Christ (voir Dn 7.22).

Nous demandons ensuite : Qui est assis sur ces trônes? La réponse est donnée dans la suite du verset : « Et je vis les âmes de ceux qui étaient morts sous la hache à cause du témoignage de Jésus et de la parole de Dieu. » Puisque Jean nous dit qu’il a vu « les âmes de ceux qui étaient morts sous la hache », il est tout à fait clair qu’il ne parle pas de personnes qui vivent encore sur la terre. Parfois, il est vrai, le mot rendu ici par « âmes », psuchai, peut être utilisé pour décrire des personnes qui vivent encore sur la terre, par exemple dans Actes 2.41 : « Et ce jour-là, furent ajoutées environ trois mille âmes. » Toutefois, dans Apocalypse 20.4, ce sens du mot psuchai ne marche pas. On ne peut pas traduire tas psuchas ton pepelekismenon par « les gens de ceux qui étaient morts sous la hache », ou par « les hommes de ceux qui étaient morts sous la hache ». Ici, le mot psuchai doit désigner les âmes des personnes décédées. Ce texte est, en fait, une sorte de parallèle à un passage antérieur dans Apocalypse 6.9 : « Quand il ouvrit le cinquième sceau, je vis sous l’autel les âmes de ceux qui avaient été égorgés à cause de la parole de Dieu et du témoignage rendu. »

Si l’on demande comment Jean a pu voir les âmes de ceux qui étaient morts, la réponse est que Jean a vu tout cela dans une vision. On pourrait tout aussi bien demander comment Jean a pu voir un ange saisir le diable et le lier pour mille ans.

Jean voit les âmes de ceux qui avaient été décapités à cause de leur témoignage envers Jésus et à cause de la parole de Dieu. En d’autres termes, il voit les âmes des martyrs, des croyants qui avaient subi une mort martyre à cause de leur fidélité au Christ. Lorsque Jean a écrit l’Apocalypse, de nombreux chrétiens étaient martyrisés pour leur foi. Il va sans dire que la vision rapportée ici pouvait procurer un grand réconfort aux parents et amis de ces martyrs : Jean voit leurs âmes comme étant maintenant assises sur des trônes dans le ciel, prenant part à l’œuvre de jugement.

« Ils ne s’étaient pas prosternés devant la bête ni devant son image et n’avaient pas reçu la marque sur le front ni sur la main. » Certaines traductions rendent ces mots comme s’il s’agissait d’une description supplémentaire des martyrs dont il est question dans la clause précédente. Il y a cependant une autre possibilité proposée par la traduction suivante : « et ceux qui n’adorèrent pas la bête ni son image, et qui ne reçurent pas la marque sur leur front et sur leur main. » Plus tôt dans le livre, les opposants incrédules au Christ et à son royaume étaient décrits comme ceux qui adorent la bête ou son image et qui reçoivent la marque de la bête sur leur front ou sur leur main (voir Ap 13.8, 15-17; 14.9-11). À l’inverse, les croyants qui sont restés fidèles à leur Seigneur sont décrits comme ceux qui ont vaincu la bête (Ap 15.2) ou qui n’ont pas adoré la bête ou son image (Ap 13.15). J’en déduis donc que, dans la clause que nous examinons maintenant, Jean décrit un groupe plus large que les seuls martyrs. Par « ceux qui ne s’étaient pas prosternés devant la bête ni devant son image et qui n’avaient pas reçu la marque », Jean entend tous les chrétiens qui sont restés fidèles au Christ et qui ont résisté aux pouvoirs antichrétiens; ce sont tous les chrétiens, en d’autres termes, qui sont restés fidèles jusqu’à la fin. Ceux qui sont morts en martyrs constituent une partie de ce groupe, mais pas le groupe entier. (Bien que Jean ne parle pas ici spécifiquement « d’âmes », nous pouvons supposer sans risque qu’il parle encore des âmes des croyants qui sont morts, puisqu’il a commencé par parler des âmes des martyrs qui avaient été tués.)

Suivent maintenant les mots les plus controversés de ce passage : « Ils revinrent à la vie et ils régnèrent avec Christ pendant mille ans. » Les interprètes prémillénaristes, qu’ils soient dispensationalistes ou non dispensationalistes, comprennent ces mots comme faisant référence à une résurrection littérale d’entre les morts, et trouvent donc dans ce passage la preuve d’un règne de mille ans du Christ sur terre, après sa seconde venue. Est-ce là l’interprétation correcte de ce passage?

Il faut admettre que le mot grec rendu par « revinrent à la vie »ezesan, peut faire référence à une résurrection physique (voir, par exemple, Mt 9.18; Rm 14.9; 2 Co 13.4; Ap 2.8). La question est toutefois de savoir si c’est ce que le mot signifie ici.

Le fait que Jean parle ici d’une sorte de résurrection ressort de la deuxième phrase du verset 5 : « C’est la première résurrection », des mots qui font évidemment référence à la vie et au règne avec le Christ du verset 4. Toutefois, cette « première résurrection » est-elle une résurrection physique, une résurrection du corps d’entre les morts? Il est évident que non, puisque la résurrection du corps d’entre les morts est mentionnée plus loin dans le chapitre comme quelque chose de distinct de ce qui est décrit ici (voir v. 11-13). Ce n’est que si l’on croit en deux résurrections corporelles — celle des croyants au début du millénium et celle des incroyants après le millénium — que l’on pourra comprendre l’ezesan du verset 4 comme faisant référence à une résurrection corporelle. Puisque le reste des Écritures enseigne clairement une seule résurrection corporelle qui inclura à la fois les croyants et les incroyants (voir Jn 5.28-29; Ac 24.15), ce qui est décrit dans la dernière clause du verset 4 doit être autre chose que la résurrection physique ou corporelle qui est encore à venir.

Que signifie donc l’expression « ils revinrent à la vie et ils régnèrent avec Christ pendant mille ans »? L’indice a déjà été donné au verset 4a. Jean y dit : « Je vis des trônes. À ceux qui s’y assirent fut donné le pouvoir de juger. » Le reste du verset indique clairement que ceux qui étaient assis sur les trônes étaient les âmes de personnes qui étaient mortes — des martyrs pour la foi et d’autres chrétiens qui étaient restés fidèles au Christ jusqu’à la fin de leur vie. C’est ce groupe que Jean considère comme « vivant et régnant avec le Christ ». Bien que ces croyants soient morts, Jean les considère comme vivants, non pas au sens corporel, mais au sens où ils jouissent de la vie au ciel en communion avec le Christ. Cette vie est une vie de grand bonheur (voir les paroles de Paul dans Ph 1.23 et 2 Co 5.8). C’est une vie durant laquelle ils sont assis sur des trônes, partageant le règne du Christ sur toutes choses, partageant même son activité de juge! Ce règne céleste est l’accomplissement d’une promesse rapportée plus tôt dans le livre : « Le vainqueur, je le ferai asseoir avec moi sur mon trône, comme moi j’ai vaincu et me suis assis avec mon Père sur son trône » (Ap 3.21).

Nous pouvons apprécier la signification de cette vision si nous nous rappelons qu’à l’époque de Jean, l’Église était durement opprimée et fréquemment persécutée. Ce devait être un grand réconfort pour ces croyants de savoir que, bien que beaucoup de leurs coreligionnaires soient morts, certains ayant même été cruellement exécutés en tant que martyrs, ces coreligionnaires décédés étaient en fait vivants au ciel dans leurs âmes, vivant et régnant avec le Christ. Cette vie et ce règne avec le Christ, selon Jean, se poursuivront pendant les mille ans — c’est-à-dire pendant toute l’ère de l’Évangile, jusqu’à ce que le Christ revienne pour relever de la tombe les corps de ces croyants.

Rien n’indique dans ces versets que Jean décrit un règne millénaire terrestre. La scène, comme nous l’avons vu, se déroule au ciel. Rien n’est dit dans les versets 4 à 6 sur la terre, sur la Palestine comme centre de ce règne ou sur les Juifs7. Le règne de mille ans d’Apocalypse 20.4 est un règne des âmes des croyants qui sont morts et qui règnent avec le Christ au ciel. Ce règne n’est pas quelque chose qu’il faut attendre dans le futur; il est en cours maintenant, et le sera jusqu’au retour du Christ. C’est pourquoi le terme de millénarisme réalisé est une description appropriée de l’opinion défendue ici, si l’on se souvient que le millénium en question n’est pas terrestre mais céleste.

La phrase suivante, au verset 5a, est de nature parenthétique, et est donc correctement mise entre parenthèses dans notre version : « Les autres morts ne revinrent pas à la vie jusqu’à ce que les mille ans soient accomplis. » J’ai déjà donné la raison pour laquelle je ne crois pas que ces mots décrivent une résurrection corporelle qui doit avoir lieu après le millénium. Le mot ezesan (« ont vécu » ou « revinrent à la vie ») tel qu’il est utilisé dans cette phrase doit signifier la même chose que dans la phrase précédente. Jean parle ici des morts non croyants, « les autres morts », par opposition aux morts croyants qu’il vient de décrire. Quand il dit que le reste des morts n’ont pas vécu ou ne sont pas revenus à la vie, il veut dire exactement le contraire de ce qu’il vient de dire à propos des morts croyants. Les morts incrédules, dit-il, n’ont pas vécu ou régné avec le Christ pendant cette période de mille ans. Alors que les croyants après la mort jouissent d’un nouveau genre de vie au ciel avec le Christ, dans lequel ils participent au règne du Christ, les incroyants après la mort ne participent ni à cette vie ni à ce règne.

Le fait que cela soit vrai pendant toute la période de mille ans est indiqué par les mots « jusqu’à ce que les mille ans soient accomplis ». Le mot grec traduit ici par « jusqu’à », achri, signifie que ce qui est dit ici est vrai pendant toute la durée des mille ans. L’utilisation du mot jusqu’à n’implique pas que ces morts incrédules vivront et régneront avec le Christ après la fin de cette période. Si tel était le cas, nous aurions attendu une déclaration claire à cet effet. (Pour un exemple de ce genre de déclaration, voir Apocalypse 20.3.) Au contraire, ce qui arrive aux morts incrédules après la fin des mille ans s’appelle au verset 6 « la seconde mort ». Lorsqu’il est dit au verset 6 que « la seconde mort » n’a aucun pouvoir sur les morts croyants, il est sous-entendu que « la seconde mort » a un pouvoir sur les morts non croyants. Que signifie « la seconde mort »? Le verset 14 l’explique : « C’est la seconde mort, l’étang de feu. » La seconde mort signifie donc le châtiment éternel après la résurrection du corps. En ce qui concerne les morts incrédules, il y aura donc un changement après la fin des mille ans, ce ne sera toutefois pas un changement pour le meilleur, mais pour le pire.

Jean poursuit en disant : « C’est la première résurrection. » Ces mots décrivent ce qui est arrivé aux morts croyants dont Jean parlait à la fin du verset 4, avant la déclaration entre parenthèses dont nous venons de parler. À la lumière de ce qui a été dit ci-dessus, nous devons comprendre ces mots comme décrivant non pas une résurrection corporelle, mais plutôt la transition de la mort physique à la vie au ciel avec le Christ. Cette transition s’appelle ici « résurrection » — une utilisation inhabituelle du mot, certes, mais parfaitement compréhensible au vu du contexte précédent. L’expression « la première résurrection » implique qu’il y aura effectivement une « seconde résurrection » pour ces morts croyants, la résurrection du corps qui aura lieu lorsque le Christ reviendra à la fin de la période de mille ans.

Jean dit maintenant, au verset 6 : « Heureux et saints ceux qui ont part à la première résurrection. » Les mots suivants donnent la raison de cette bénédiction : « La seconde mort n’a pas de pouvoir sur eux. » La seconde mort, comme nous l’avons vu, signifie le châtiment éternel. Ces paroles sur la seconde mort impliquent que « la première résurrection » dont Jean vient de parler n’est pas une résurrection corporelle. Car si les croyants devaient être considérés comme ayant été ressuscités physiquement, avec des corps glorifiés, ils jouiraient déjà de la pleine et totale félicité de la vie à venir, et il ne serait pas nécessaire de dire que la seconde mort n’a aucun pouvoir sur eux.

« Mais ils seront sacrificateurs de Dieu et du Christ, et ils régneront avec lui pendant mille ans » (v. 6b). Pendant toute cette période de mille ans, les morts croyants adoreront donc Dieu et le Christ comme des sacrificateurs et régneront avec le Christ comme des rois. Bien que Jean ne pense ici qu’à la période de mille ans qui s’étend jusqu’au retour du Christ, les derniers chapitres du livre de l’Apocalypse indiquent qu’après le retour du Christ et après la résurrection du corps, ces morts croyants pourront adorer Dieu, servir Dieu et régner avec le Christ d’une manière encore plus riche que ce qu’ils font actuellement. Ils adoreront et serviront alors Dieu pendant toute l’éternité dans une perfection sans péché avec des corps glorifiés sur la nouvelle terre.

Telle est donc l’interprétation amillénariste d’Apocalypse 20.1-6. Ainsi compris, le passage ne parle pas d’un règne terrestre du Christ sur un royaume essentiellement juif. Il décrit plutôt le règne avec le Christ au ciel des âmes des croyants qui sont morts. Ils règnent pendant la période entre leur mort et la seconde venue du Christ.

Notes

1. Voir mon article intitulé L’interprétation du livre de l’Apocalypse.

4. Voir mon article intitulé L’interprétation du livre de l’Apocalypse.

5. Pour une exposition plus approfondie de ces versets, voir William Hendriksen, More Than Conquerors (Grand Rapids : Baker Book House, 1939), p. 221-29; traduit en français : Plus que vainqueurs (Éditions Grâce et Vérité, 2010).

6. Leon Morris, The Revelation of St. John [L’Apocalypse de saint Jean] (Grand Rapids, Michigan : William B. Eerdmans, 1969), p. 236.

7. En fait, même si l’on interprète ezesan comme signifiant une résurrection corporelle, le verset ne décrit toujours pas le millénium terrestre auquel les prémillénaristes adhèrent généralement. En effet, selon l’interprétation prémillénariste courante d’Apocalypse 20.4, seuls les croyants ressuscités sont censés régner avec le Christ; rien n’est dit dans ce passage à propos d’un règne du Christ sur des personnes qui ne sont pas mortes mais qui vivent encore. Le millénium des prémillénaristes, cependant, est principalement un règne du Christ sur les personnes qui sont encore en vie lorsque le Christ viendra et sur leurs descendants!