Jésus élevé à la droite de Dieu Message de l’Ascension
Jésus élevé à la droite de Dieu Message de l’Ascension
Le jour de l’ascension devrait être la plus grande de toutes les fêtes chrétiennes. Pourtant, elle est l’une de celles dont la signification est la moins comprise. Il nous faut donc chercher à bien saisir le sens de l’ascension dans le dessein de salut de Dieu et pour cela ne pas nous référer seulement aux deux brèves mentions du fait (Lc 24.50-53; Ac 1.9-11), mais en saisir encore les conséquences telles qu’elles se dégagent de l’ensemble du témoignage apostolique.
Lorsque la chrétienté commémore l’ascension, elle fête l’entrée de Jésus dans son règne, le couronnement de son Roi. L’élévation de Jésus dans la gloire est le sceau mis par Dieu sur son œuvre rédemptrice, la réponse divine à l’abaissement volontaire du Fils unique, la proclamation de sa victoire sur toutes les puissances adverses : Christus Victor et Imperator.
Mais il y a plus encore. Le Fils, qui en ce jour retourne « dans le sein du Père » (selon l’expression johannique, Jn 1.18, voir aussi Jn 17.1-5), n’y retourne pas seul : il y retourne en tant que Dieu fait homme; en Jésus de Nazareth, c’est toute l’humanité qu’il a rachetée qui est promise à la gloire divine, introduite par lui au cœur de la Trinité, réintégrée dans sa vocation primitive de Fils de Dieu (Gn 1.27; Ép 4.8-10; Rm 8.15-17; Ga 4.6-7; Hé 2.12-13; Jn 17.22-23). L’ascension contient dès lors pour l’Église de Jésus-Christ la plus glorieuse des promesses : l’élévation de Jésus constitue les prémices de sa propre élévation à la gloire et au règne (1 Co 15.20). Elle se sait déjà, dans la foi, associée à ce règne, quoique combattant encore, pour un temps, les combats de la terre (Ap 1.6).
L’Évangile de l’ascension (Lc 24.50-53) marque nettement le changement de relation qui s’est opéré depuis la résurrection entre le Maître et les disciples. Au moment où Jésus quitte ses disciples et est élevé au ciel, il est dit que ceux-ci « l’adorent ». Désormais, il n’est plus simplement un Maître bien-aimé, auquel il était permis à l’occasion d’adresser des remontrances (Mc 8.32). Il est le Seigneur, celui auquel on doit obéissance et foi comme à Dieu lui-même. La profession de foi de Thomas au lendemain de la résurrection : « Mon Seigneur et mon Dieu! » (Jn 20.28) est désormais la profession de foi de toute l’Église.
Car il faut être bien au clair sur ce point : c’est la foi en la divinité de Jésus-Christ qui fonde l’Église; hors de cette foi, il n’y a pas d’Église chrétienne. Le moment décisif de la foi est celui où nous reconnaissons l’autorité souveraine de Jésus-Christ sur nos vies comme étant identique à celle de Dieu et qu’en lui se trouvent le salut et la source de la vie.
L’élévation de Jésus-Christ « à la droite de Dieu » est la manifestation concrète de cette souveraineté. D’où l’importance primordiale attachée à ce terme; il revient une quinzaine de fois dans le Nouveau Testament (Ps 110.1; Mt 22.44; 26.64; Mc 12.36; 14.62; 16.19; Lc 20.42; 22.69; Ac 2.34; Rm 8.34; Ép 1.20; Col 3.1; Hé 1.3; 8.1; 10.12; 12.2; 1 Pi 3.22). Il faut donc prendre la peine d’en serrer de près le sens.
Dire que Dieu « agit par sa droite », c’est dire qu’il agit par sa puissance (par la force de son bras). Être élevé « à sa droite », c’est être investi de sa puissance, recevoir ses pleins pouvoirs, partager son trône; et c’est bien dans ce sens que le Nouveau Testament interprète l’élévation du Christ; l’image spatiale n’est qu’une figure exprimant le fait que Jésus est investi d’une fonction royale, revêtu de toutes les prérogatives de Dieu. L’expression est tirée du Psaume 110.1 : « Oracle de l’Éternel à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied. »
Jésus cite ce psaume et l’interprète dans un sens messianique (Mc 12.35-36 et parallèle). L’apôtre Pierre, au jour de la Pentecôte, le cite à son tour en même temps que le Psaume 16, les appliquant tous deux à Jésus. David savait, dit-il, que Dieu lui avait promis de faire asseoir un de ses descendants sur son trône, c’est la résurrection du Christ qu’il a prévue et annoncée. L’apôtre ajoute qu’élevé à la droite de Dieu, Jésus a reçu du Père le Saint-Esprit et l’a répandu. Il y a donc double témoignage : celui de l’Écriture et celui de l’Esprit. Et Pierre de conclure : « Que toute la maison d’Israël sache donc avec certitude que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié » (Ac 2.36).
Le titre de Seigneur (Kyrios) est réservé à la divinité. L’antiquité l’appliquait par flatterie aux souverains politiques. Mais pour Israël, aucune équivoque n’était possible : confesser que Jésus est Seigneur, Christos Kyrios, c’est confesser sa divinité; c’est déclarer qu’il exerce l’autorité même de Dieu.
À qui ou à quoi s’étend cette juridiction du Christ? Tout d’abord à l’Église dont il est le Sauveur. L’Église est le nouvel Israël dont Jésus est le Roi. En lui s’accomplissent toutes les promesses messianiques; l’Église est le lieu où sa seigneurie est reconnue et confessée. Mais dès les plus anciennes prophéties, cette seigneurie de l’Oint de Dieu a été étendue dans le monde entier : « Ton Rédempteur est le Saint d’Israël; il se nomme le Dieu de toute la terre » (És 54.5). Ses attributs sont les attributs mêmes de Dieu : « On l’appellera Admirable, Conseiller, Dieu puissant, Père éternel, Prince de la paix » (És 9.5). Le Nouveau Testament proclame à son tour la souveraineté de Jésus-Christ sur l’ensemble de l’univers créé : tout pouvoir lui a été donné dans le ciel et sur la terre (Mt 28.18; voir Ph 2.9-11).
Nous touchons ici un des plus profonds mystères de la foi : le salut opéré par Jésus-Christ sur la croix n’intéresse pas seulement l’humanité. Il a une portée cosmique. C’est toute la création qui, en sa personne, a été condamnée et rachetée. Sa résurrection est les prémices de la nouvelle création de Dieu qui sera révélée à la fin des temps.
Le Nouveau Testament nous dit à plusieurs reprises qu’il a vaincu « les dominations et les puissances ». Il est difficile de préciser avec certitude la signification exacte de chacun de ses termes : « les autorités, les dominations, les puissances » (Ép 1.21; 3.10; 6.12; Col 1.16; 2.15). Il s’agit certainement de puissances angéliques (qui peuvent être bonnes ou démoniaques), ces puissances intermédiaires qui peuplent l’univers et qui interviennent dans les affaires des hommes. Derrière les forces humaines dressées contre Jésus de Nazareth pour le faire mourir se cachaient toutes les puissances ennemies de Dieu, engagées dans un combat mortel. C’est à l’instigation de ces puissances que Jésus a été cloué sur la croix; mais il a triomphé d’elles, il les a confondues; c’est pourquoi désormais elles lui sont assujetties. « Il a dépouillé les principautés et les pouvoirs, et les a publiquement livrées en spectacle, en triomphant d’eux par la croix » (Col 2.15).
Il se peut que l’apôtre Paul ait considéré les autorités terrestres comme des instruments de ces puissances maléfiques et que, dès lors, les autorités humaines qui ont condamné Jésus soient implicitement visées, elles aussi, dans ce passage. Ce qui est certain, c’est que pour l’Église apostolique toute autorité émane de Dieu, que ce soit celle des hommes ou celle des anges. Et toutes ces autorités sont désormais, par la volonté du Père, soumises au Fils qui les a vaincues. « Jésus-Christ qui, monté au ciel, est à la droite de Dieu et à qui les anges, les pouvoirs et les puissances ont été soumis » (1 Pi 3.22). Dieu, dit l’épître aux Éphésiens, a déployé sa puissance dans le Christ.
« Il l’a mise en action dans le Christ, en le ressuscitant d’entre les morts et en le faisant asseoir à sa droite dans les lieux célestes, au-dessus de toute principauté, autorité, puissance, souveraineté, au-dessus de tout nom qui peut se nommer, non seulement dans le siècle présent, mais encore dans le siècle à venir. Il a tout mis sous ses pieds et l’a donné pour chef suprême à l’Église, qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous » (Ép 1.20-23).
Il est essentiel de bien saisir ce caractère total de l’œuvre rédemptrice de Christ. L’on a trop souvent réduit l’Évangile à un message de salut individuel. Le dessein de salut de Dieu, tel que la Bible nous le révèle, a une tout autre envergure. La fin ultime de l’histoire c’est la nouvelle création, une création remplie de toute la plénitude de Dieu. Et l’agent de cette nouvelle création, c’est le Fils bien-aimé, « image du Dieu invisible » (Col 1.15), en qui l’amour du Père s’incarne pour venir racheter et libérer un monde perdu. Le premier homme a mystérieusement entraîné dans sa chute la création tout entière : ce n’est pas seulement l’humanité, c’est le monde créé qui est sous le signe de la mort.
Jésus-Christ, venant vivre dans ce monde de mort une vie de parfaite obéissance, subit volontairement en sa personne cette mort du monde et en annula l’effet. Car Dieu, en le ressuscitant des morts, fit de lui les prémices de sa nouvelle création (Col 1.18; 1 Co 15.20-23; 15.35-49; Rm 5.12-17). Qu’est-ce que les prémices? Ce sont les premières gerbes de la moisson tout entière. En Jésus-Christ, c’est la grande moisson du monde qui est offerte et consacrée au Dieu vivant. C’est en vue de cette réconciliation finale, de cette nouvelle création en Christ, que le monde a été fait.
Jésus est le Fils prédestiné dès avant la fondation du monde à prendre sur lui la condamnation de ce monde et à appeler à l’existence la nouvelle création (1 Co 15.45). Dieu n’a permis à l’humanité de courir la terrible et mortelle aventure de la liberté que parce que le Fils bien-aimé devait un jour, par le libre don de lui-même, l’arracher à l’esclavage de la mort et l’amener à la liberté vraie. « Il nous a délivrés du pouvoir des ténèbres et nous a transportés dans le royaume de son Fils bien-aimé » (Col 1.12). Ainsi, depuis le commencement, Dieu est avec nous en son Fils, œuvrant notre rédemption, réconciliant le monde avec lui-même (2 Co 5.19; Rm 5.8-10; Col 1.20).
La gloire suréminente du Fils, son élévation au trône de Dieu au jour de l’ascension est en rapport direct avec son sacrifice :
« Il s’est humilié lui-même en devenant obéissant jusqu’à la mort, la mort sur la croix. C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2.8-11).
L’élévation du Fils n’est pas tant la « récompense » de son abaissement volontaire que la manifestation de sa filiation authentique, telle qu’il l’a révélée dans et par son abaissement; car c’est dans et par cet abaissement que Jésus nous révèle l’être de Dieu et la véritable nature du royaume qu’il est venu fonder. Dieu est amour. L’incarnation est le grand mystère de l’amour. C’est pourquoi l’élévation sur la croix et l’élévation dans la gloire sont l’expression d’une seule et même réalité et comme les deux moments d’un même accomplissement : « Quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12.32; voir 3.13-15).
Il semble bien que, dans la pensée johannique, cette « élévation » soit à la fois l’élévation sur la croix au jour du Vendredi saint et l’élévation dans la gloire au jour de l’ascension. Jésus glorifie son Père par sa mort et son Père le glorifie à son tour en le ressuscitant des morts et en l’élevant à sa droite (Jn 12.27-28; 17.1-5).
L’épître aux Hébreux exprime les mêmes réalités en d’autres termes lorsqu’elle nous montre la dignité du Fils surpassant celle des anges; car les anges ne sont que des serviteurs (Hé 1.7,14) et ils se prosternent devant le Fils unique (Hé 1.6; Lc 2.13-14). En lui s’accomplissent les promesses messianiques des psaumes :
« Ton trône, ô Dieu, est éternel, et le sceptre de ton règne est un sceptre d’équité. Tu as aimé la justice et tu as haï l’iniquité; c’est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu t’a oint avec une huile d’allégresse, de préférence à tes compagnons » (Hé 1.8-9; voir Ps 45.7-8; Ps 102.26-28; Ps 110).
Ici encore, la royauté du Fils est mise en rapport direct avec son obéissance (Hé 2.5-18). L’offrande qu’il a faite à son Père, c’est celle de sa vie :
« Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps. Tu n’as agréé ni holocaustes ni sacrifices pour le péché. Alors j’ai dit : Voici, je viens — dans le rouleau du livre, il est écrit à mon sujet — pour faire, ô Dieu, ta volonté » (Hé 10.5-7; voir Ps 40.7-9).
C’est en prenant un corps, en « apprenant l’obéissance par ce qu’il a souffert » que le Fils a glorifié le Père et qu’il a été « élevé à la perfection » (Hé 5.8-9). Il est dès lors à la fois le Roi et le Prêtre de la Nouvelle Alliance qu’il a scellée de son sang (Hé 1.1-4; 5.7-10; 8.1-12; 10.12-13).
Dans l’Ancienne Alliance, l’accès du lieu très saint était fermé aux fidèles; un voile le séparait du lieu saint; seul le grand-prêtre y entrait une fois l’an pour offrir le sacrifice d’expiation (Ex 26.31-35; Lv 16). L’Évangile nous montre le voile du temple se déchirant au moment où Jésus meurt (Mc 15.38). Au jour de l’ascension, Jésus entre dans le sanctuaire céleste dont le temple n’était que l’image terrestre et transitoire; et non seulement il y entre, mais il en ouvre l’accès. Il est devenu par son expiation volontaire notre Intercesseur tout-puissant devant le trône de Dieu (Hé 8.1).
Le rôle d’intercesseur du Christ est un aspect essentiel de sa fonction de Prêtre Roi. Son incarnation a fait de lui le frère de ceux pour qui il intercède.
« Nous n’avons pas un souverain sacrificateur incapable de compatir à nos faiblesses; mais il a été tenté comme nous à tous égards, sans commettre de péché. Approchons-nous donc avec assurance du trône de la grâce » (Hé 4.15-16).
Jésus seul a le pouvoir de tout comprendre, ayant tout traversé; il a le pouvoir de lever toutes les condamnations, ayant tout expié. C’est l’assurance victorieuse dont vit le chrétien : « Qui accusera les élus de Dieu? », s’écrie saint Paul. « Dieu est celui qui justifie. Qui les condamnera? Jésus-Christ est celui qui est mort; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu et il intercède pour nous! » (Rm 8.33-34). Ainsi, la sécurité du croyant réside tout entière dans le fait qu’il y a un Seigneur et Sauveur qui est son répondant devant Dieu.
Ce répondant sera son Juge au dernier jour. Le message de l’ascension se termine sur l’annonce du retour de Jésus-Christ. « Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, reviendra de la même manière dont vous l’avez vu aller au ciel » (Ac 1.11). La souveraineté de Jésus-Christ, aujourd’hui cachée aux yeux du monde et connue de l’Église seule, éclatera un jour à tous les yeux; ce sera l’heure des luttes finales, du jugement dernier (Ap 1.4-7).
Qu’il suffise de souligner ici que le Juge souverain du monde, par un mystère de la grâce divine, est celui-là même qui a donné sa vie pour le sauver et l’a pris en charge devant son Père.
L’Église militante qui a combattu et souffert pour son Seigneur sur la terre sera associée au jugement et au règne; ainsi se réalisera pour elle, au dernier jour, la grande promesse de l’ascension (Lc 22.28-30; 1 Th 2.11-12; Ap 14.1-5; 19.6-8; 20.1-6).