L'Église dans l'histoire (1) - Avant-propos
L'Église dans l'histoire (1) - Avant-propos
L’Église dans l’histoire est l’adaptation en français de l’ouvrage The Church in History de B.K. Kuiper, ouvrage publié en 1951 par « The National Union of Christian Schools », Grand Rapids, Michigan. Nous avons ajouté à l’original américain un certain nombre de suppléments, signés par le traducteur, ainsi que divers documents chrétiens.
Cet ouvrage, malgré sa simplicité, offre un aperçu complet du cours suivi depuis vingt siècles par l’Église chrétienne. Nous sommes persuadés qu’il peut être extrêmement utile malgré certaines lacunes et imperfections. Ceux qui cherchent à approfondir leur connaissance du sujet devront nécessairement avoir recours à des ouvrages plus spécialisés. À notre avis, ce manuel, destiné à l’origine aux lycéens chrétiens, offre l’avantage exceptionnel de présenter un point de vue réformé qui manque précisément aux manuels d’histoire de l’Église en langue française. Nous pensons également que l’enthousiasme de l’auteur pour les grands mouvements de réveil et de réforme de l’Église sera communicatif, pour le plus grand profit du lecteur.
Qu’est-ce que l’histoire d’une nation, d’une communauté, d’une classe sociale, ou encore l’histoire de telle ou telle religion? Comment interpréter les événements du passé à la lumière à la fois de la connaissance que nous en avons et de nos « engagements » modernes? Ni l’auteur ni nous-mêmes n’avons cherché à répondre de manière méthodique à cette importante question. Nous reconnaissons cependant que toute compréhension de l’histoire de l’Église chrétienne ne saurait se passer de l’étude des événements qui ont précédé sa formation publique. Aussi faudra-t-il remonter jusqu’aux origines de la formation du peuple de l’alliance, dans l’Ancien Testament, et situer l’histoire de l’Église dans le cadre même de l’histoire de la rédemption.
En effet, elle est directement, voire organiquement liée à l’histoire de la révélation de Dieu et à la connaissance de son dessein de salut. Sans celle-ci, on ne saurait comprendre la fondation de l’Église lors de la Pentecôte chrétienne (Ac 2).
Il convient de considérer avant tout la place et le rôle décisifs qu’y tient Jésus-Christ, son divin Fondateur et Chef. C’est en lui que les chrétiens, à titre individuel ou communautaire, ont leur origine. Le mot « chrétien » ne dérive-t-il pas de Christ?
Par conséquent, l’Église n’est pas une génération spontanée, une entité existant indépendamment de celui qui l’a appelée à l’existence et qui lui adresse la suprême vocation de confesser publiquement, et ce, jusqu’à la consommation des siècles, aussi bien son nom que sa puissance rédemptrice. Ce fut d’ailleurs ainsi que les chrétiens comprirent leur exceptionnelle expérience religieuse. Sans lui, leur histoire aurait été un tissu de contradictions, une énigme incompréhensible.
Ce lien de l’Église avec Jésus-Christ la lie également avec l’histoire du peuple dont Jésus-Christ est issu « selon la chair », le peuple juif, la nation élue de l’Ancienne Alliance. Pour les premiers chrétiens, Jésus est le descendant de David (Mt 1.1-17) et, au-delà de David, il appartient à la postérité des grands patriarches Abraham, Isaac, Jacob…
C’est pourquoi l’Église primitive se considéra comme faisant partie du peuple élu, peuple composé désormais de juifs croyants et de convertis d’origine païenne, Abraham étant leur ancêtre commun (Rm 4.11). En outre, les chrétiens de l’Église naissante acceptaient l’Ancien Testament comme leur Bible.
Leur histoire, depuis la première Pentecôte chrétienne, n’est que la dernière phase de la longue histoire que nous nommons « histoire de la rédemption ». Ce sont les premières étapes de celle-ci qui éclaireront leur histoire et la nôtre. Dans le passé, Dieu s’était donné un peuple; à présent, il poursuit son œuvre en rachetant un peuple nouveau, en scellant une Nouvelle Alliance par le sang du Fils. Le Dieu libérateur, qui arracha à la servitude inhumaine de l’ancienne Égypte un peuple réduit en esclavage, est le même Sauveur et Protecteur du peuple nouveau qu’il arrache chaque jour, depuis deux mille ans, au joug dégradant du péché sous les formes les plus diverses : paganisme grossier, religiosité creuse et arrogante, morale hypocrite ou immoralité abjecte… Il les arrache aussi à l’adversaire et à la terreur de la mort.
Mais par-delà l’histoire d’Israël, nous devons porter un regard attentif au récit de la création et à celui de la chute, si nous tenons à saisir toute la portée de la rédemption, et ce, dans la communion du Saint-Esprit. La Genèse, dans l’Ancien Testament, inaugure l’histoire des actions de Dieu. Ce qu’il créa, il le déclara bon; il établit le premier couple comme souverains et administrateurs sur sa bonne création. Mais ceux-ci passèrent outre le commandement de vie qu’ils avaient reçu et transgressèrent l’alliance avec leur Dieu et Seigneur, devenant non seulement responsables de leur propre chute, mais entraînant encore à leur suite leur postérité. C’est ainsi que s’explique la corruption totale dont parlent les Canons de Dordrecht et dont est affligée la nature humaine déchue.
Mais Dieu ne prit pas son parti de la rébellion de ses créatures. S’il ne permit pas aux humains de « jouer à Dieu », il fit cependant preuve à leur égard, et à l’égard de leur descendance, d’une infinie miséricorde. Il annonça le salut, l’écrasement du vieux serpent par la postérité de la femme : Jésus-Christ, le divin Sauveur.
Ainsi, l’histoire rapportée par la Genèse, ainsi que celle de toute la Bible, n’est pas le simple procès-verbal des actes insensés des humains. Elle est au contraire la fidèle transcription des actes rédempteurs de Dieu. Non seulement nous le voyons agir, mais nous sommes encore informés de la manière dont il intervient. Il n’est pas simplement l’auteur du drame, mais encore son acteur principal. En dépit des apparences et des résistances opiniâtres des humains insensés, il opère dans tout événement, grand ou petit, selon son vouloir et son bon plaisir.
À l’heure actuelle, où des hommes irresponsables proclament dans leurs vains discours « la faiblesse de Dieu » et le présentent comme un être impotent, il est d’un impérieux devoir pour nous, Église confessante, de proclamer l’absolue souveraineté de Dieu sur toute la scène de l’histoire, tant « profane » que « religieuse » ou « ecclésiastique ». C’est un article de foi que chaque chrétien déclarera avec joie; son assurance, tant dans la vie que devant la mort, en dépend.
Une question pourra être légitimement posée. Comment distinguer, dans des événements infiniment complexes, la part qui revient à l’intervention divine et celle qui relève des agissements pernicieux du diable ou de la responsabilité humaine? À qui attribuer les causes des égarements, des infidélités, des chutes retentissantes de tant de conducteurs d’Église ou d’institutions ecclésiastiques? Même avec une connaissance précise des faits comme tels, ce n’est que de manière imprécise et obscure que nous pourrons éventuellement démêler l’ensemble et déceler des responsabilités. Nous devrions éviter toute généralisation hâtive et tout jugement intempestif. Une chose doit être claire : la conviction que le Dieu trinitaire de la Bible, Père, Fils et Saint-Esprit, n’est en aucune façon l’auteur du mal. Ce serait un blasphème que de croire cela. Tout en affirmant sa transcendance absolue, la foi chrétienne le sait aussi la seule source de « toute grâce excellente » pour ses créatures.
Celle-ci n’atténue ni n’évacue la responsabilité morale de l’homme, qui n’est pas un jouet sans défense entre les mains d’un potentat céleste capricieux, d’un despote arbitraire… Depuis Adam, son ancêtre, il reste transgresseur de la sainte et salvifique parole divine, à moins que la grâce ne l’atteigne et ne le convertisse.
Or, la grâce l’atteint de manière efficace. Si Dieu tient la rébellion humaine pour une offense intolérable, qu’il doit réprimer avec le poids de sa justice et de sa sainte majesté, il le fait aussi à cause de son amour infini. En dépit du mal accompli par les hommes, il ne les abandonne pas à leur sort. Il cherche à les gagner et il les gagne; à les convertir et il les régénère; à les arracher à la perdition et il leur accorde la vie éternelle… Le Dieu de la Bible n’est pas le dieu faible que se complaisent à imaginer les modernes… Il reste le Dieu invincible.
De telles convictions expliquent la raison pour laquelle le chrétien ne regarde pas l’histoire comme si elle n’était que le développement logique des choses, une évolution plus ou moins normale de l’univers, une ligne droite infinie… Elle n’est pas non plus un manuscrit écrit d’avance, que Dieu signerait comme s’il n’était qu’un automate.
Nous avons expliqué ailleurs, dans Espérer contre toute espérance, que la conception chrétienne de l’histoire n’est pas cyclique, telle que la concevaient les Grecs ou l’Orient spiritualiste et mystique. Elle suit le cours qui l’amènera vers sa fin. Mieux, ce cours la fera parvenir à sa finalité, à l’accomplissement décidé par le Dieu souverain.
C’est pourquoi aucun observateur chrétien des événements du passé ou du présent ne peut être un observateur figé et impuissant de l’escalade du mal. Bien au contraire, il confessera sa foi au Dieu Créateur des cieux et de la terre, au Père tout-puissant.
Puisse l’étude de l’histoire de l’Église nous aider à son tour à saisir la présence de Dieu au cours de celle-ci, ainsi que sa direction et ses interventions salutaires. Puissions-nous nous laisser animer par l’espérance qui nous soutient dans l’accomplissement de notre vocation ici-bas.
Certes, nous n’aurons pas à notre disposition des méthodes et des techniques infaillibles offrant des certitudes absolues. Néanmoins, nous pourrons avancer avec une sereine certitude, même durant ce siècle qui se veut « sécularisé ». L’histoire de l’Église ne se réduit pas à des statistiques sociologiques ni ne se laisse enfermer dans les pronostics pessimistes de journalistes de faits divers sur le sort qui attend l’Église… du 21e siècle. Car l’Esprit et la Parole assemblent chaque jour des membres nouveaux de l’Église, tous ceux que, dès avant la fondation du monde, Dieu avait prédestinés en Christ à devenir par la foi les membres de son peuple racheté.
Pour l’heure, l’Église est un peuple de pèlerins, sans patrie fixe ici-bas. L’Église confessante refuse toute compromission avec l’erreur ou le mal; l’Église militante combat le bon combat, armée de toutes les armes de l’Esprit, jusqu’à ce que le divin Maître la déclare Église triomphante.
Si elle endure la souffrance « à cause de la Parole de Dieu et du témoignage de Jésus » (Ap 1.9), Dieu ne reste pas indifférent devant sa faiblesse. Notre histoire témoigne de sa fidélité. Durant les heures sombres de notre temps, qui témoigne de la misère apparente de l’Église, Dieu prépare un avenir radieux lors de l’avènement de son Christ, notre Époux, où il dissipera toutes les ténèbres. Notre histoire ecclésiastique est le champ de son action, dans lequel il triomphe toujours du mal; il écrase l’adversaire et prépare l’établissement de son règne de paix, de justice et de sainteté. Nous vivons aussi à l’heure où il nous appelle à lui rester fidèles. Du vainqueur, il fera une colonne dans le temple de Dieu. Il écrira sur lui le nom de Dieu. Il vient bientôt; tenons ferme ce que nous avons, afin que personne ne prenne notre couronne (Ap 3.11-12).
Qu’il me soit permis de remercier « The National Union of Christian Schools » d’avoir donné l’autorisation d’adapter en français The Church in History; de même que Carmen mon épouse, Éric mon fils, ainsi que Paulin Bédard pour leurs utiles remarques et leur aide pour la préparation définitive du texte. Je voudrais aussi remercier encore Joann Visser, notre secrétaire américaine, pour sa patience et son dévouement lors de la frappe du manuscrit.