Marc 4 - La tempête apaisée - Quel est celui-ci?
Marc 4 - La tempête apaisée - Quel est celui-ci?
« Ce même jour sur le soir, Jésus leur dit : Passons sur l’autre rive. Après avoir renvoyé la foule, ils l’emmenèrent dans la barque où il se trouvait, et il y avait aussi d’autres barques avec lui. Il s’éleva une forte bourrasque, et les vagues se jetaient dans la barque au point qu’elle se remplissait déjà. Et lui, il dormait à la poupe sur le coussin. Ils le réveillèrent et lui dirent : Maître, tu ne te soucies pas de ce que nous périssons? Il se réveilla, menaça le vent et dit à la mer : Silence, tais-toi. Le vent cessa et un grand calme se fit. Puis il leur dit : Pourquoi avez-vous tellement peur? Comment n’avez-vous pas de foi? Ils furent saisis d’une grande crainte et se dirent les uns aux autres : Quel est donc celui-ci, car même le vent et la mer lui obéissent? »
Marc 4.35-41
Voir aussi Matthieu 8.23-27 et Luc 8.22-25
Car il ne me paraît pas toujours évident que nous croyions en ce Jésus-là. Nous avons été souvent tentés de faire de la foi une affaire purement intérieure et subjective, l’accumulation de nos impressions, la culture de nos sentiments, l’approfondissement de notre moi, le témoignage de ce que nous ressentons ou éprouvons. Une telle foi serait-elle différente de celle des sectes du passé ou d’aujourd’hui? Des néo-platoniciens aux bogomiles, en passant par les cathares et autres schismatiques, bien des hommes et des femmes ont placé la foi au niveau du sujet qui ressent, éprouve et finalement ne fait que tourner autour de lui-même. Avons-nous vraiment saisi la foi en celui qui, au plus fort de la tempête, demeure le Maître incontesté et incontestable? L’Évangile attire notre attention vers lui; et s’il le fait, n’est-ce pas précisément dans notre propre intérêt? Disons-le sans tarder : cette page de l’histoire biblique raconte notre propre histoire.
Nous voyons émerger chaque jour de l’abîme des choses effrayantes. Les démons ont pris des formes nouvelles, mais ils ne manquent jamais de laisser leurs empreintes hideuses dans les existences individuelles et collectives. Et nous ne parvenons pas à comprendre pourquoi. Comment se fait-il que de tels monstres puissent lever leur tête repoussante dans notre monde moderne? Pourtant, ils sont là, et leur vue comme leur souvenir nous glacent de terreur. Fascisme noir durant la première moitié du 20e siècle, fascisme rouge ou rose dans tel ou tel pays encore aujourd’hui; anarchies et révolutions violentes, guerres civiles ouvertes ou larvées; armes et armées d’une puissance jamais encore atteinte, autodestruction par des drogues chez les uns (et elles sont multiples!), escalade de la pornographie ailleurs, nous voyons chaque jour les contours fantastiques de ces monstres « aux dents de fer », pour reprendre l’expression biblique.
Comment ces pouvoirs infernaux ont-ils pu accéder à des positions-clés? L’un d’entre eux, selon le prophète Daniel (Dn 7), est même innommable. Il ne peut être nommé ni qualifié, tant il dépasse en perversion et en horreur tout ce que nous pourrions imaginer et concevoir. Oui, la tempête nous la vivons, aussi rude que celle de la mer de Galilée, aussi violente que celles qui ont secoué les civilisations au cours de l’histoire pour les ruiner et les balayer.
Remarquez que ces monstres surgissent du fond de cette humanité à laquelle Jésus-Christ semblait ne pas appartenir. Et pourtant, un jour où Jésus se trouvait au fond d’une petite barque, il apaisa l’orage qui menaçait d’engloutir les passagers. De son côté, l’évangéliste Jean, dans sa vision de l’île de Patmos, rassure les croyants (lisez le chapitre 4 du livre de l’Apocalypse qui décrit Dieu assis sur le trône et dominant le chaos). Marc et Jean décrivent l’intensité du drame humain comme l’ont fait avant eux les prophètes Ézéchiel et Daniel avec un langage symbolique qui n’a pourtant rien d’irréel. Les uns et les autres, prophètes de l’Ancien Testament et disciples du Nouveau, nous rassurent au lieu de nous jeter dans le trouble, ainsi que nous l’aurions fait nous-mêmes et comme le font les spécialistes de l’actualité. Dieu est assis sur son trône, au centre de la création; son Esprit permet aux hommes et aux choses d’exister. Le trône de Dieu brille par-delà le désordre. L’océan en furie s’étend sous nos regards, mais Dieu renversera sans fautes les puissants et les orgueilleux pour perpétuer son règne (Ps 9).
Quant à nous, toujours lents à comprendre cette leçon pourtant si élémentaire, nous nous interrogeons avec impatience : « Mais quand donc cela va-t-il s’arrêter? » L’Évangile, lui, nous fait entendre le chœur des anges qui l’exaltent : « Saint, saint, saint est l’Éternel des armées. » Son regard parcourt l’univers. Seigneur tout-puissant, il était, il est, il vient.
Oui, mon ami, ces pages ont été écrites pour vous et pour moi. Écrites pour affirmer que la tempête, devenue un terrible cauchemar, prendra fin. Levez les yeux, la mer déchaînée ne s’agitera plus, et si les monstres grondent encore menaçants, le trône de Dieu reste établi sur toute la création. L’Ancien des jours surveille aussi bien les moinillons qui voltigent près de nous que les galaxies inexplorées. Le jour vient où la mer ne connaîtra plus de tempête. Elle sera lisse comme du verre et limpide comme du cristal, et l’arc-en-ciel, signe et sacrement éternel de l’alliance de Dieu, apparaîtra. Voici venir le temps où le loup et l’agneau paîtront ensemble, l’ère où la nature sera enfin en harmonie avec les hommes.
Pourquoi sommes-nous si lents à comprendre ce message rassurant? Pourquoi persistons-nous dans nos mauvaises habitudes, égrenant nos chapelets de lamentations, seulement attentifs à tout ce qui est sinistre et effrayant? Pourquoi fermons-nous si facilement notre cœur à l’espérance? Quels piètres témoins de Dieu nous faisons en ces temps troublés!
Quand les esprits les plus lucides sombrent dans un pessimisme morbide et qu’une humanité en désespoir cherche à bâtir une société sans Dieu et sans Christ, nous-mêmes oublions trop souvent que Christ reste Seigneur cosmique. Nous devenons alors prophètes de malheur, avec un discours qui ne cesse de dénoncer le mal sans être en mesure d’annoncer aussi la Bonne Nouvelle qui, finalement, reste la nouvelle indispensable et essentielle dont le monde a besoin. Les écrits lançant anathème sur anathème prolifèrent un peu partout, mais où sont donc les certitudes sur la victoire finale de Dieu, l’annonce prophétique que la tempête ne peut plus durer longtemps?
Pensons-nous que ce récit de la tempête apaisée a été rédigé pour émerveiller les enfants de l’école biblique, mais que nous autres adultes nous pouvons nous dispenser de son message? Sommes-nous tellement étriqués dans notre conception du salut que nous limitions Jésus à être uniquement le Sauveur de nos âmes et le laissons de côté en tant que Seigneur cosmique? À force de dénoncer le mal, aurions-nous oublié que celui qui est avec nous dans la barque est non seulement le pilote de nos vies, mais également l’intelligence qui a formé l’univers, le cerveau ordinateur qui le règle, le conserve et le fait tourner?
Quel est le rapport immédiat entre ma vie quotidienne et ce Jésus de Nazareth, Seigneur de l’univers? Il y en a plus d’un, même au plus fort de la tempête.
Il ne s’agit pas de sombrer dans une euphorie naïve et nous imaginer qu’il suffit de nous envelopper de badges chrétiens pour affirmer notre foi au Seigneur victorieux. Quel est le lien qui existe, jeune ami, étudiant ou lycéen, entre le Christ cosmique et votre cours de biologie ou de physique? Quelle est la relation entre votre méditation matinale et la classe de psychologie et de philosophie? Ou bien entre vous, homme adulte, et vos affaires? Entre vous, Madame, et vos soucis quotidiens? Eh bien, c’est de savoir, tout simplement, que tout se tient en Jésus-Christ.
Le miracle dont nous avons entendu le récit n’est pas simple source de consolation, mais la dynamique qui doit motiver notre action. Lorsqu’il y a deux mille ans, Jésus a apaisé la violente tempête sur le lac de Tibériade, il s’est montré comme l’Alpha et l’Oméga de toute réalité créée, de tout ce qui existe. C’est pourquoi nous pouvons fonctionner comme les agents de sa victoire, appeler la justice là où il faut la pratiquer, établir des structures légales bonnes pour les hommes partout où elles sont nécessaires. Ne disons pas : « Changeons les cœurs, les structures changeront d’elles-mêmes », mais « ora et labora », c’est-à-dire prions et travaillons en même temps.
Pourquoi les chrétiens laisseraient-ils d’office le soin de s’occuper des affaires du monde aux non-chrétiens? Ils ont tout pleinement en Christ et c’est là un motif suffisant pour se mettre à l’œuvre. Christ nous fait connaître Dieu, mais il nous fait aussi vivre de Dieu.
À l’heure où tant de problèmes se posent, où notre cœur s’alourdit de toutes les agressions de l’athéisme ou des fausses religions, nous savons que l’œuvre de Christ ici-bas n’est pas statique. À cause de lui, nous pouvons porter un regard original sur tous les hommes et sur tous les événements. Christ nous entraîne à une réelle prise en charge et il opère une recréation. C’est à cause de lui que nous éprouvons cet étrange et presque intolérable sentiment de rupture face au mal qu’il y a en l’homme et au mal qu’il y a sur la terre. Nous ne condamnons pas seulement les infinies misères qui naissent de l’oppression et de l’injustice parce qu’elles sont le mal, mais encore parce qu’elles appartiennent au monde ancien, au monde révolu, et qu’elles sont la négation du monde nouveau inauguré par le Sauveur. Si nous devons travailler — et ce ne sera jamais assez — à rendre plus humain le sort des hommes, à favoriser leur promotion spirituelle, sociale et culturelle, ce n’est pas seulement parce que notre conscience d’hommes nous l’impose. Nous luttons en tant que chrétiens contre les survivances étouffantes du monde d’avant Jésus-Christ, d’avant la tempête apaisée, d’avant sa croix et son tombeau vide. Chaque progrès est un signe sur la route qui nous annonce les nouveaux cieux et la nouvelle terre.
Le Christ a dit : « Celui qui croit en moi fera, lui aussi, les œuvres que moi je fais, et il en fera de plus grandes parce que je m’en vais vers le Père » (Jn 14.12).
« Quel est celui-ci? » (Mc 4.41). D’une manière qui dépasse notre intelligence, le Fils de Dieu a payé le prix du mal pour ouvrir la voie à la réconciliation qui seule peut calmer nos esprits. La crucifixion, la mort et l’ensevelissement le jour du Vendredi saint ne sont pas ceux de n’importe qui, mais la passion et la mort du Fils de Dieu. La croix n’est pas un épisode tragique semblable à d’autres. Elle témoigne de la plénitude de l’amour de Dieu dans l’immensité du prix consenti et aussi, paradoxalement, montre son pouvoir de nous racheter. Le Seigneur cosmique n’est autre que le Sauveur crucifié.
Comment ne pas répéter avec l’apôtre Paul : « Nous prêchons Christ crucifié » (1 Co 1.23). Sa croix est à la fois le point culminant de la révélation et l’instrument par lequel Dieu nous arrache à l’orage. Elle restera debout jusqu’à la fin, au cœur de chaque tempête. Car elle reste au cœur même de Dieu qui règne assis sur le trône.