Matthieu 21 - Ils respecteront mon Fils - Parabole des vignerons
Matthieu 21 - Ils respecteront mon Fils - Parabole des vignerons
« Écoutez une autre parabole. Il y avait un maître de maison qui planta une vigne. Il l’entoura d’une haie, y creusa un pressoir et y bâtit une tour; puis il la loua à des vignerons et partit en voyage. À l’approche des vendanges, il envoya ses serviteurs vers les vignerons, pour recevoir les fruits de la vigne. Les vignerons prirent ces serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre et lapidèrent le troisième. Il envoya encore d’autres serviteurs en plus grand nombre que les premiers; et les vignerons les traitèrent de la même manière. Enfin, il envoya vers eux son fils, en disant : Ils respecteront mon fils. Mais, quand les vignerons virent le fils, ils se dirent entre eux : C’est lui l’héritier; venez, tuons-le, et nous aurons son héritage. Ils le prirent, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. Maintenant, lorsque le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons? Ils lui répondirent : Il fera périr misérablement ces misérables et il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui donneront les fruits en leur saison. »
Matthieu 21.33-41
Par rapport à celle-ci, les autres paraboles semblent prononcées dans des circonstances ne trahissant pas de danger immédiat. Tout autre est le climat qui inspire celle-ci. Je n’insisterai pas sur les détails. Il suffit de nous rappeler que cette parabole s’adressait, en tout premier lieu, à des hommes et surtout à des responsables de la nation dont Jésus était issu. Elle concerne le peuple qui, à juste titre, avait pu se prévaloir dans le passé de ses prérogatives spirituelles et vivre dans la conviction d’être le peuple élu de Dieu. Il est surtout concerné du fait même que Jésus assimile ses contemporains, les dirigeants de son propre peuple, à ces vignerons méchants et criminels.
Nous n’avons par conséquent aucun droit d’atténuer la responsabilité particulière et historique de ce peuple. Aucun sentiment humain et humanitaire ne devrait chercher à dissimuler le rôle négatif et meurtrier joué par les contemporains de Jésus, alors que lui les désigne nommément, eux, les privilégiés de l’alliance. Les vignerons de la parabole ne sont autres que « les siens », vers lesquels il était venu, « et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn 1.11). Bien au contraire, ils le menèrent à la mort, « semblable à l’agneau qu’on mène à la boucherie » (És 53.7).
Ce sont donc les circonstances dramatiques de la dernière semaine de Jésus à Jérusalem qui donnent à la parabole son ton tragique. Les Juifs se sont comportés de manière insensée, non pas envers un messager humain quelconque, mais envers le Fils, l’Héritier. Car si Jésus laissait moins clairement apparaître ailleurs sa filiation divine, il ne laisse ici subsister aucun doute à ce sujet. Il est « le Fils », le Fils de Dieu. Or, rien n’empêchait ses concitoyens de le reconnaître et de l’accueillir comme tel. Il n’est donc pas étonnant que le Maître de la vigne s’attende à un comportement conséquent, qu’il laisse apparaître un espoir, qu’il demeure optimiste, dirions-nous, quant à l’issue de sa dernière démarche : « Enfin, il envoya vers eux son Fils, en disant : ils respecteront mon Fils » (Mt 21.37).
Se serait-il lourdement trompé? Aurait-il naïvement misé sur des sentiments positifs et sur une disposition bienveillante? Nous qui sommes chaque jour témoins de toutes sortes d’horreurs, spectateurs impuissants de tant d’exactions et de tant d’injustices, nous qui connaissons si bien l’état d’esprit de ces cœurs endurcis par la violence jusqu’à l’aveuglement total, nous aurions sans doute pris des précautions! L’expérience acquise le confirme : « Qui a tué tuera! » Oui, les uns et les autres, nous connaissons, à moins d’être des naïfs impénitents, le degré de méchanceté qui peut se nicher dans le cœur des hommes pour ne pas nourrir d’illusions à leur sujet. Ces chefs religieux sont pétris d’une haine aussi meurtrière que les preneurs d’otages, que les bourreaux d’enfants et de vieillards, que les suppôts des États totalitaires ou encore des bandes d’anarchistes qui voudraient tout mettre à feu et à sang… Pourquoi alors le Père envoie-t-il le Fils? La leçon du passé n’était donc pas suffisante? N’aurait-il pas pu se rappeler le comportement déchaîné de ces vignerons tueurs et criminels?
Le Maître de la vigne n’est autre que Dieu, le Dieu qui connaît parfaitement la psychologie de tout homme, sa propre créature; celui dont l’œil vigilant découvre, depuis le meurtre d’Abel, la première victime innocente d’hier, les mains maculées de sang des hommes d’aujourd’hui. Et pourtant, il choisit d’envoyer le Fils. Il l’a envoyé aux Juifs d’il y a deux mille ans, mais il l’a aussi envoyé pour moi et pour vous qui, deux mille ans après, avons fait preuve d’un comportement similaire. Car la haine et la violence, les meurtriers et leurs victimes ne s’expliquent pas autrement que par cette révolte ourdie et déchaînée contre lui.
Et c’est dans cette vie humaine entachée de sang et agitée de passions que Jésus, le Fils, entre en scène. Il y entre pour y apporter la liberté; liberté par rapport au passé, liberté pour choisir la justice et pour décider en faveur de l’amour. Notez bien qu’il s’agit tout d’abord de la justice et de l’amour de Dieu. Car contrairement à ce que nous nous imaginons trop souvent, ce n’est pas pratiqués uniquement au niveau horizontal que l’amour et la justice pourront établir la paix et la réconciliation parmi les hommes.
Vous vous doutez sans doute que nous ne faisons pas la moindre allusion, dans cette histoire, à un conflit d’ordre socio-économique dressant les nantis contre les ouvriers et opposant le propriétaire capitaliste au prolétaire exploité. Les Juifs d’il y a deux mille ans, comme les malfaiteurs de notre époque, comme chacun d’entre nous, honnêtes gens, nous nous dressons tout d’abord contre Dieu, le Dieu propriétaire, mais qui est aussi et surtout le Père, qui ne cesse de nous solliciter pour lui. Preuve en soit les prophètes et autres messagers qu’il a envoyés au cours des âges. Preuve en soit la venue ici-bas de son Fils unique.
Or, il l’a envoyé en dépit du passé, conscient de l’issue apparemment fatale que lui réservait l’accomplissement de sa mission. Jésus est venu proclamer la liberté, avec le pouvoir de mettre fin aux hostilités et, avec l’autorité qui est la sienne, briser la puissance du mal et anéantir le péché.
Quelle parabole essentielle que celle des vignerons, et combien chargée d’espérance! Jésus est là, au milieu de ses traîtres et de ses bourreaux et, même à cet instant, il leur parle encore de l’offre gratuite du Père, juste avant son arrestation. Tandis que l’ombre de la croix plane déjà sur lui, il adresse l’appel ultime, l’exhortation au repentir et à se tourner vers Dieu avant l’heure cruciale. Jésus parle encore de cette manière à chacun d’entre nous et nous conseille instamment de mettre fin à une conduite irresponsable. Dieu a des revendications à nous présenter, et le voilà pourtant qu’il nous demande d’un ton pressant et pathétique de nous mettre en règle avec lui. Rien n’est irrémédiable. Nous pouvons nous placer sous le signe de la réconciliation et saisir la main tendue de Dieu, espérer et respirer dans une vigne restituée au Maître.
Or, nous avons pris la mauvaise habitude de faire du moment présent la réalité omniprésente et ultime. Le Fils de Dieu, Jésus, par sa présence au milieu même de nos déchaînements, de nos hurlements hostiles et de nos actes sanguinaires, proclame la victoire de Dieu, l’offre capable de mettre fin à toute hostilité, lorsque nous l’acceptons dans la repentance et la foi, au sein d’une révolte qui éclipse toutes les autres et les rend insignifiantes. Au moment même où nous prenons la décision de commettre le déicide, Jésus ne cesse de s’offrir. Il est l’unique qui peut s’offrir en remplacement de tous les autres. Aucun homme ne peut prendre sa place; personne ne peut se substituer à autrui dans ce domaine. Il n’y a que le Fils unique qui, Otage et Victime, annonce l’offre ultime de la grâce. Notre rejet de cette offre, notre obstination à ne pas tenir compte ni de sa présence ni de ses droits, révèle la nature de notre mal et dévoile l’abîme de notre révolte, c’est-à-dire l’offense et la transgression. Nous imaginerions-nous meilleurs que ces chefs juifs de l’époque de Jésus?
Nous faisons partie, nous aussi, de cette cohorte qui l’arrête et qui le cloue sur la croix. Et dans quel but, je vous le demande? Pour quels avantages? Avec quelles illusions? Serait-ce pour nous approprier la vigne du Seigneur? N’est-elle pas déjà confiée à nos soins? Nous avons reçu le droit d’y travailler et l’autorisation de jouir de ses récoltes. C’est Dieu lui-même qui nous avait placés au milieu d’un jardin appelé Eden, et nous voilà barricadés, bafouant son honneur et assassinant même son Envoyé… Dès le jardin d’Eden, nous avions déjà voulu usurper la place du Maître, nous défaire de lui, jouer au petit dieu… Oublierions-nous que Dieu aura le dernier mot? Rappelez-vous l’exemple d’Israël. « Il fera périr misérablement ces misérables et il louera la vigne à d’autres vignerons qui lui donneront les fruits en leur saison » (Mt 21.41). « Le Royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné à une nation qui en produira les fruits » (Mt 21.43). Quand Dieu prononce la dernière sentence, elle est irrévocable. Au-delà de sa patience, déjà longue et magnanime, il ne tolère plus les oppositions ni les alibis.
Dieu est Dieu. Il peut reprendre la vigne à chaque instant. Je me garderai bien de vous dire que Dieu vous aimera toujours, quoi que vous fassiez, quelle que soit votre décision à son égard. Je me garderai de discourir sur un amour de Dieu qui ferait de lui votre obligé, car Dieu n’aime pas à la manière d’un vieillard impotent et gâteux, sans lucidité ni discernement. Il a des droits et il les fait prévaloir. À moins de la foi et de la repentance, vous n’aurez pas de part à sa vigne.
Pour l’heure, son offre reste valable. Le Fils, qui est toujours parmi nous, la réitère. Il n’est pas seulement venu avertir; il est venu s’offrir. Sur la croix, il a payé le prix de notre rébellion et de nos crimes. Autour de la croix se sont accumulées toutes nos fautes et toutes nos misères. Mais c’est là que la grâce a surabondé. Aussi, écoutons une des phrases les plus rassurantes et les plus émouvantes de l’apôtre Paul : « Lorsque nous étions encore pécheurs, Christ est mort pour nous » (Rm 5.8).