Pénologie biblique
Pénologie biblique
D’une manière générale, les idées sur l’application d’une peine légale s’ordonnent dans l’Ancien Testament (ce qui est confirmé dans le Nouveau Testament) de la façon suivante : la peine constitue une nécessité du fait que le mal est une violation de la Parole de Dieu et qu’il doit être extirpé du milieu de l’humanité. Le caractère dissuasif de la peine est certain, quoiqu’il ne doive apparaître que de manière subsidiaire. Le malfaiteur est puni selon le mal qu’il a accompli, selon le degré de sa méchanceté, d’après ses voies et selon les conséquences de son acte. Il faut noter ici, plus spécialement, l’idée d’équité dans l’application de la justice pénale. Le principe fondamental qui sous-entend la pénologie biblique à la fois civile et éternelle est la justice équitable.
Aucun crime ne doit recevoir plus que la peine qu’il a méritée. D’où la célèbre formule « œil pour œil, dent pour dent ». Aucune sanction ne devra excéder en degré la gravité du délit commis. Il ne faut jamais oublier que, si Dieu pardonne le péché, il en tient compte de manière constante et logique en respectant en même temps sa justice et sa sainteté. L’amour divin consiste précisément en l’application juste et équitable d’une sanction. C’est en cela que l’amour et la justice de Dieu ne se contredisent jamais, mais apparaissent, dans toute la Bible, comme complémentaires. Aussi surprenant que cela puisse résonner à nos oreilles d’Occidentaux habitués à entendre parler presque exclusivement d’un « amour de Dieu » romantisé, les rapports entre Dieu et l’homme sont de nature juridique. Et c’est un tel rapport qui explique et nécessite la mort expiatoire du Christ. Même des théologiens dont nous ne partageons pas toutes les positions, tels que Karl Barth, Emil Brunner ou Richard Niebuhr, ont fortement souligné le caractère fondamental de la doctrine biblique de l’expiation.
Le principe d’équité doit s’appliquer à toute peine prononcée et appliquée par le gouvernement civil. Car Dieu opère au niveau de la rétribution, même sociale. Les peines qu’il prescrit à ce niveau sont conformes à la rétribution, la restitution et la compensation. Aucune peine ne doit aller au-delà ni rester en deçà de la faute commise. En outre, la peine sera certaine. La pitié envers le criminel qui mérite la peine sera exclue, car autrement la justice en souffrirait gravement. L’offenseur ne doit pas, par de faux raisonnements ou par sentimentalité, être soustrait au châtiment qu’il mérite et encore moins recevoir des encouragements ou des louanges justifiant l’acte qu’il a commis. Même l’autel du sanctuaire ne peut lui servir d’abri! (Le cas des homicides involontaires est une exception qui permet à celui qui l’a commis de se réfugier dans des villes expressément désignées à cet effet, jusqu’à ce que le temps de la proscription se soit écoulé).
Même lorsqu’il y a eu sacrifice expiatoire, la peine ne sera pas éliminée. Le fait que Dieu pardonne notre péché n’ôte rien au fait que le pouvoir juridique doit punir le crime ou le délit. La restitution sociale n’est pas incompatible avec le pardon obtenu, et la peine sera obligatoirement appliquée sur tout crime sans exception, inconditionnellement et sans considération pour le rang social ni pour le statut, aussi élevé soit-il, du responsable.
Le caractère équitable de la justice biblique apparaît encore de manière spéciale dans le cas du vol, où l’objet doit être restitué et les extorsions commises réparées. Cette restitution est assortie du paiement d’un intérêt dont le taux monte de manière extraordinaire, c’est-à-dire jusqu’à quatre cents pour cent! Ce qui éclaire parfaitement la décision du péager Zachée, dans l’Évangile selon Luc, de faire amende honorable en rendant le quadruple de ce qu’il avait extorqué jadis à ses victimes… Le cas de Zachée et sa conversion placent, une fois pour toutes, l’homme sur le terrain juridique. Au moment même où le péager découvre la grâce dont il est bénéficiaire, il lui apparaît aussitôt l’autre face de celle-ci : la loi de Dieu. Celle-ci fait en sorte qu’aucune conversion ne peut être interprétée de manière spiritualiste ou sentimentale, comme nous nous la représentons trop souvent. Même la conversion ne peut pas faire l’économie des termes et des conditions exigées et imposées par la loi, même si le converti se découvre l’heureux bénéficiaire de « celui qui a tout restitué à sa place ».
Il nous semble qu’une interprétation théologique de la pénologie biblique ne saurait oublier un seul instant que l’intention première de la peine appliquée par le magistrat, ministre de Dieu, est la sauvegarde même des rapports entre Dieu et l’homme. Sainteté de la personnalité humaine, droits de l’homme ou « vengeance sociale » — si toutefois, sur le terrain biblique on peut parler de vengeance sociale — n’entrent en jeu qu’après la prise en considération de la clarté des rapports entre Dieu et l’homme. Ces rapports ayant été compromis par un crime, à la fois péché et violation du droit civil, l’État punira le coupable. Même si tout péché n’est pas un crime, la juridiction officielle ayant délimité les actes considérés comme criminels, elle aura soin de les sanctionner de manière rétributive.
La force contraignante et l’autorité d’un commandement résident dans la menace pénale qu’elles contiennent. Si le châtiment ne suivait pas la violation de la loi, celle-ci n’aurait aucune force ni valeur. Ce serait simplement une « suggestion » sans force effective. La loi sans la sanction n’est pas la loi. Bien que l’autorité civile existe à cause de la loi, celle-ci devient réelle dans la mesure où l’autorité civile la renforce et l’applique. Si la loi ne reçoit pas sa validité du gouvernement civil, elle en reçoit le pouvoir, puisque le magistrat ne porte pas le glaive en vain.
La loi de l’Ancien Testament contient à la fois des sanctions positives et des sanctions pénales. Non seulement elle ordonne qu’on s’acquitte de ses préceptes, mais elle inflige encore la peine appropriée à telle ou à telle infraction. Car Dieu ne nous donne pas seulement des commandements concernant notre conduite personnelle, mais aussi des commandements concernant le gouvernement civil.
Ces commandements spécifient la fonction de l’autorité civile en cas d’infraction et ils contiennent une double sanction : peine infligée pour maintenir et préserver la justice et l’ordre de l’État et peine éternelle qui assure et préserve la sainteté et la justice de Dieu. D’où les multiples détails dans la liste de peines que contient l’Ancien Testament pour la violation de la loi.
L’Ancien Testament reconnaît implicitement une vie au-delà de la mort, où Dieu en personne se chargera directement du jugement. Bien qu’il impose au gouvernement civil l’application des peines temporelles, l’Ancien Testament laisse clairement entendre que le jugement de Dieu et la rétribution sont aussi réservés après la mort.
Parce que la loi a été doublement violée, vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis du prochain, la peine sera, elle aussi, double : civile et divine. Car la loi exige une double sainteté : individuelle et sociale. Nous maintenons la distinction entre péché et crime. Le pardon divin sera obtenu grâce à l’expiation, et alors le coupable n’encourt plus le jugement de Dieu. Mais une peine civile ne sera pas évitée parce qu’il y a eu le pardon de la part du Dieu de miséricorde.
Cet ordre d’idées bibliques renforce notre conviction que la peine ne saurait être considérée sur la base d’une philosophie pragmatique et utilitaire. Or, il semble qu’actuellement cette philosophie domine toutes les autres considérations à ce sujet, et la pénologie sociale semble en dépendre exclusivement. D’où les métamorphoses des notions juridiques en concepts médicaux que nous signalions dans un autre article1.
Emil Brunner reconnaît avec nous le caractère rétributif et expiatoire de la peine suprême. Nombre de ses réflexions méritent d’être retenues2, mais très curieusement, le théologien s’est permis un procès d’intention envers les partisans de la peine capitale, lesquels, d’après lui, seraient dépourvus d’amour… et pourvus de sentiments et de tendance sadique! Il serait pourtant bien hasardeux de prêter aux adversaires de la peine capitale plus de bonté qu’à ceux qui en sont partisans… À notre avis, l’erreur de Brunner ne réside pas tant dans ce jugement de valeur sur ceux qui ne partagent pas ses convictions que dans la grave dissociation, pour ne pas dire antinomie, qu’il opère entre amour et loi. Cette antinomie courante caractérise d’ailleurs, depuis des années, toute une branche de la théologie moderne.
Deux grandes tendances semblent se dessiner clairement dans le monde juridique moderne : l’une est déontologique, l’autre téléologique. Leurs conceptions de la peine sont opposées. La première s’intéresse à ce qui est droit et juste. La seconde se limite à considérer ce qui est bon. La déontologie cherchera à satisfaire les exigences de la justice; la téléologie tendra, de manière pragmatique, à la réhabilitation du criminel, sans se soucier ni de justice ni de la victime. Les utilitaristes de cette tendance accuseront les tenants de la première de faire de la peine capitale une sorte de règlement de comptes de la collectivité, la fameuse vindicte sociale. Les déontologues, quant à eux, estiment que la peine en soi se justifie sans qu’il faille rechercher une justification subsidiaire, par exemple la rééducation du criminel ou même la protection de la société.
Il n’est pas absolument indispensable d’opter de manière tranchante pour l’une ou l’autre de ces deux conceptions dualistes. On peut reconnaître avec les déontologues le caractère rétributif de la peine, même et surtout capitale, et admettre avec les téléologistes les conséquences latérales d’une peine qui, dans d’autres cas que celui du châtiment suprême, pourra servir d’autres buts : réhabilitation du coupable ou protection sociale. Ceci, toutefois, uniquement de manière indirecte. Bien que nous reconnaissions une certaine complémentarité à ces deux positions, nous insisterons et nous soulignerons l’idée de la rétribution, de l’expiation et de la compensation que toute peine légale doit rechercher. Ce n’est qu’une telle conception qui respectera l’amour chrétien et la loi, à l’opposé du divorce opéré par Emil Brunner dans son célèbre ouvrage consacré à l’éthique chrétienne.
De nombreux commentateurs bibliques estiment que, dans le cas d’un meurtre (prémédité et accompli dans toute la possession de sa conscience et de son intelligence), la peine capitale s’impose, car il n’existe aucun autre moyen de réconciliation entre le meurtrier et sa victime, ici-bas tout au moins…