La prédication réformée au seizième siècle
La prédication réformée au seizième siècle
- L’arrière-plan de la prédication réformée
- La prédication des premiers réformateurs
- L’influence des réformés
- L’impact de la prédication réformée
La Réforme protestante du 16e siècle et la prédication de l’Évangile sont intimement liées et interdépendantes. On peut même affirmer que la Réforme fut réellement le résultat du travail des prédicateurs. Son expansion à partir de centres tels que Wittenberg, Zurich et Genève fut principalement l’œuvre de ceux qui proclamèrent la foi réformée.
Les écrits d’hommes comme Luther, Zwingli et Calvin exercèrent une très grande influence. Mais étant donné le niveau insuffisant de l’instruction, dans la plupart des régions, ce furent les voix proclamant la Parole vivante de Dieu qui produisirent la plus grande influence et qui marquèrent le plus profondément les esprits. Ayant pris au sérieux l’ordre du Christ d’aller dans le monde entier proclamer l’Évangile, et s’appuyant totalement sur la présence du Saint-Esprit, les réformateurs allèrent partout afin d’apporter la Bonne Nouvelle à tous les hommes.
1. L’arrière-plan de la prédication réformée⤒🔗
L’une des principales raisons pouvant expliquer l’importance accordée à la prédication au moment de la Réforme se trouve dans les méthodes et les coutumes des prédicateurs catholiques romains. Le clergé séculier, comme les prêtres de paroisse, les archidiacres aussi bien que les évêques ne prêchaient que très rarement. Trop souvent, durant les 15e et 16e siècles, les bénéfices (ou charges) ecclésiastiques majeurs se trouvaient entre les mains des familles nobles qui passaient la plus grande partie de leur temps à la Cour, ou dans les universités, laissant le travail paroissial — voire épiscopal — à des vicaires pauvrement payés qui n’avaient aucune formation pour exercer un tel ministère. Même s’ils cherchaient à s’acquitter consciencieusement de leurs devoirs, la prédication n’occupait pas la place prioritaire dans leurs fonctions : les sacrements en étaient l’essentiel. Bien entendu, il existait divers groupes de prêcheurs, tels les prédicateurs itinérants, mais leur prédication n’avait quasiment plus aucun rapport avec le Nouveau Testament. En réalité, l’Évangile ne jouissait pas de toute la considération nécessaire de la part de ces prédicateurs.
Que prêchaient-ils donc? En examinant les choses de près, on découvre assez vite que le thème principal du sermon (particulièrement de la part des vendeurs d’indulgences, comme Tetzel) n’était rien d’autre que la tradition ecclésiastique, la vente des reliques des saints et des indulgences « qui servaient à abréger la durée du séjour dans le purgatoire ». Un autre type de prédication était celui qui faisait appel à la repentance à cause des péchés. À cet égard, Vincent Ferrer, à la fin du 14e siècle, fut très influent. À tel point que non seulement il convertit des masses « chrétiennes », mais encore des juifs et des musulmans. Néanmoins, si les vies étaient moralement améliorées, on ne savait plus rien, ou presque, sur le pardon et la grâce de Dieu manifestée en Jésus-Christ. La prédication de Ferrer donna naissance au groupe connu sous le nom des flagellants. Ceux-ci allaient d’un lieu à l’autre se frappant et se flagellant mutuellement comme signe de pénitence, avec la conviction que cette souffrance physique leur procurerait la vie éternelle.
Nombre de frères prêcheurs, au lieu de dénoncer le péché et d’annoncer la grâce de Dieu, passaient leur temps à inventer des légendes concernant la vie des saints, ainsi que toutes sortes de fables et de mythes. Ils cherchaient aussi à montrer leurs subtiles connaissances par la quadruple interprétation des Écritures : littérale, allégorique, analogique et typologique. N’offrant aucune explication ni application des Écritures, ils ne réussissaient qu’à accroître la confusion chez leurs auditeurs.
Néanmoins, on rencontre très tôt une prédication évangélique extraecclésiastique. Depuis le milieu du 12e siècle, divers groupes, dont certains très bibliques (d’autres pas du tout) prêchaient un peu partout en Europe. L’un des premiers est celui des vaudois, descendants des « pauvres de Lyon » organisés par Pierre Valdo. Un peu plus tard, vers la fin du 14e siècle, le nationalisme bohémien s’opposa à la domination germanique et, grâce à un mariage princier, il fut influencé par un groupe « hérétique » anglais organisé par John Wycliff. Professeur à Oxford, celui-ci avait rejeté presque toute la théologie romaine à cause de ses études de la Bible. Lorsque ses disciples eurent traduit une grande partie de la Bible en anglais, il commença à envoyer des prédicateurs pour expliquer et proclamer la Parole dans le pays tout entier. En partant de l’autorité unique et définitive des Écritures de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament, ces prédicateurs, connus sous le nom de lollards, exercèrent une profonde influence et posèrent les fondements de la Réforme protestante. Vers la fin du 15e siècle, un autre prédicateur de très grande importance, Savonarole, apparut à Florence pour troubler par ses justes et sévères dénonciations la famille régnante des Médicis, riche et toute-puissante. Mais lui aussi semble avoir suivi le modèle médiéval qui dénonçait la hiérarchie ecclésiastique, sans pour autant placer l’accent sur la grâce qui pardonne.
Comme il fallait s’y attendre, ces prédicateurs extraecclésiastiques ne reçurent pas l’approbation de l’Église romaine. Ils rejetaient une grande partie de la théologie sacramentaliste et attaquèrent très souvent la papauté elle-même, la déclarant institution de l’Anti-Christ. Une persécution s’en suivit. Les vaudois furent chassés de France vers les vallées italiennes des Alpes, tandis que les lollards furent obligés de mener une vie clandestine afin d’échapper aux bûchers allumés par l’Église qui fit ainsi périr un grand nombre d’entre eux. Les hussites réussirent à se maintenir par la force des armes, mais leur chef, Jean Huss, mourut à Constance en 1415, brûlé sur un bûcher; Savonarole connaîtra le même sort quelques années plus tard.
Les autorités ecclésiastiques n’eurent pas beaucoup de succès dans leur lutte pour arrêter la prédication considérée comme hérétique ou anti-ecclésiastique. La prédication clandestine se poursuivit jusqu’au 16e siècle chez les hussites; alors les vaudois et les lollards rejoignirent les rangs de la Réforme.
L’accent majeur de ces prédicateurs illégaux était placé sur la Bible et sur son enseignement. Sans être d’une très grande profondeur, ils cherchaient néanmoins à amener les gens à la connaissance de ce que l’Écriture avait à leur dire. Ils avaient totalement abandonné la quadruple interprétation de la Bible, ils insistaient sur la compréhension littérale des mots et ce qu’ils signifiaient. Ils furent grandement aidés en cela par l’avènement de la Renaissance au cours des 14e et 15e siècles. Les savants de la Renaissance, qui s’étaient intéressés aux écrits classiques, avaient établi le principe selon lequel ces œuvres devaient être lues à la lumière de ce qu’elles disaient dans leur contexte historique propre.
Cette méthode fut bientôt appliquée à l’étude de la Bible, ce qui amena le rejet de l’approche médiévale des Écritures; cette méthode devint le fondement de la prédication. Même avec cette prédication, la connaissance des Écritures n’était pas très étendue, spécialement parmi les classes populaires. Avant l’invention de l’imprimerie, au milieu du 15e siècle, les Bibles étaient rares et extrêmement coûteuses parce que reproduites à la main. Ce ne fut qu’après l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, avec des lettres mobiles, que les Bibles devinrent accessibles aux classes supérieures et moyennes n’appartenant pas forcément à un niveau académique élevé. Un autre obstacle à la connaissance de la Bible était le fait que la plupart des gens étaient illettrés et n’avaient pas de la Bible une connaissance de première main. Ils dépendaient entièrement des autres. Ils étaient à la merci de ceux qui réclamaient le droit de lire et d’expliquer la Parole de Dieu, que ce fût le savant, le prédicateur qui trompait ses frères, le sermonneur improvisé ou encore l’hérétique clandestin. Cet état de fait commença à changer graduellement à partir de 1470, et un jour nouveau se leva pour le peuple de l’Église.
Bien que le niveau de l’instruction commença à s’élever avec les réformateurs, particulièrement durant les premiers temps du mouvement, une tâche capitale leur apparut nécessaire, car ils se trouvèrent dans une situation négative : ceux à qui ils voulaient communiquer l’Évangile ne connaissaient presque rien des Écritures et ne pouvaient rien apprendre par eux-mêmes. Par conséquent, l’œuvre des réformateurs fut une œuvre d’éducation. Ils devaient amener le peuple à la connaissance de l’Évangile, telle qu’elle se trouve dans la Bible. Ils cherchèrent donc à réaliser ceci au moyen de la Parole proclamée, le sermon. Pour cette raison, le sermon devint la clé du mouvement tout entier, et c’est en vertu de leur capacité de prédicateurs qu’ils furent capables de mener à bien le puissant mouvement connu sous le nom de Réforme de l’Église. Ils ne pensaient certes pas que leur parole accomplissait cette œuvre, mais ils étaient convaincus que leur proclamation de la Parole de Dieu était l’instrument de l’Esprit pour amener les élus à la connaissance de la vérité et à l’obéissance à la loi de Dieu.
2. La prédication des premiers réformateurs←⤒🔗
Bien que la majorité des gens à qui les réformateurs prêchèrent durant les premiers jours de la Réforme furent des illettrés bibliques, il y avait cependant des personnes qui avaient une certaine connaissance de la Parole de Dieu. L’amélioration de l’éducation du peuple à cause de l’impression des Écritures provoqua la formation de groupes clandestins dont le but était l’étude de la Bible. De tels groupes existèrent en France, en Angleterre, en Écosse, en Allemagne et aux Pays-Bas. Très souvent, ces groupes s’assemblaient autour d’une ou deux personnes qui savaient lire et qui s’efforçaient d’expliquer l’enseignement biblique à tous ceux qui acceptaient la proclamation de l’Évangile. La nouvelle prédication n’était pas comme les discours oratoires des scolastiques ni les récits des histoires de saints racontés par les frères prêcheurs. Cette prédication cherchait à expliquer et à appliquer l’enseignement biblique dans la vie des auditeurs.
Si nous considérons les réformateurs, qu’il s’agisse de Luther, de Calvin, de Théodore de Bèze, de Knox, de Cranmer, etc., nous les trouvons chacun avec sa méthode personnelle de prédication, du fait qu’ils étaient appelés à prêcher dans des circonstances différentes à des auditoires très variés. Ce qui veut dire qu’ils durent adapter leur méthode de prédication à leurs situations respectives. En outre, chacun traitait la prédication selon sa propre personnalité. La prédication de Luther est assez différente de celle de Calvin, et Knox prêche autrement que Cranmer. Pourtant, ils ont tous insisté sur l’importance de la prédication et sur la nécessité de la rendre dynamique et pratique. Ils ne se sont pas contentés de donner des cours théologiques (ce qui est trop souvent le cas actuellement). Pour s’en rendre compte, il n’y a qu’à penser au cas de Calvin qui, à côté de ses nombreux devoirs et de ses importantes responsabilités, prêcha presque chaque jour jusqu’à ce que le conseil de Genève le lui interdise, ou, plus tard, jusqu’à ce que, pour raison de santé, il ne put plus le faire. Il prononça deux cents sermons en semaine sur le livre du Deutéronome, durant un peu plus d’un an; d’autres, tels que Zwingli, Jud et Bullinger, étaient aussi fort zélés dans ce ministère.
Bien que les réformateurs aient eu un style différent dans leurs prédications, ils possédaient tous un certain nombre de traits communs. D’abord celui de considérer la prédication comme l’exposition et l’explication de la Parole de Dieu. L’exposition-exégèse de la Bible était indispensable à leur prédication, car ils étaient tous fermement persuadés que la Bible était l’autorité souveraine en matière de vie et de foi. Cette certitude les conduisit à chercher ce que la Bible avait à dire sans allégoriser ni spiritualiser son enseignement. Cela les amena à insister sur la doctrine, ce qui donna souvent lieu à une prédication de controverse ou de polémique qui attaquait les enseignements de l’Église romaine ou ceux des sociniens. Simultanément, ils étaient soucieux de rendre leur prédication pratique en vue de l’instruction du peuple chrétien. Parfois, les membres des assemblées n’appréciaient pas ce qu’ils venaient d’entendre et allaient jusqu’à causer des troubles au cours de la prédication. Plus d’une fois, Calvin fut interpellé par le conseil de Genève à cause de l’application de son texte aux situations du moment. Knox fut accusé à plusieurs reprises de trahison à cause de ses applications hardies des Écritures à la situation de son temps, particulièrement au cas de la reine Marie d’Écosse et de ses courtisans.
Lorsque nous nous tournons vers la prédication de chacun des réformateurs, nous voyons que Luther commença par prêcher d’une façon typiquement médiévale. Influencé par l’enseignement et par l’exemple des frères de l’ordre des Augustins dont il avait été membre, il continua la tradition dans laquelle il avait été enseigné. Mais en approfondissant sa compréhension du message biblique, il chercha à se servir de plus en plus d’une méthode qui fut avant tout celle d’un commentateur des Écritures, soulignant sans cesse la doctrine de la justification par la foi seule, qu’il considérait comme le cœur et le noyau de tout l’Évangile. En même temps, il croyait fermement que le Saint-Esprit ferait de sa prédication un discours efficace pour le cœur de ses auditeurs.
Ulrich Zwingli, que nous devons considérer comme le premier des prédicateurs de la Réforme, a exercé une influence par ses sermons, dont malheureusement rien n’a été préservé. La plupart de ceux-ci sont contenus dans des notes prises par Leo Jud qui, jointes à d’autres déclarations, nous donnent une idée des principes qui caractérisaient sa prédication. Toutes les questions doctrinales et ecclésiastiques devaient être traitées sur le fondement des Écritures. Un gouvernement chrétien avait le droit et le devoir de renforcer les principes bibliques et de faire respecter les lois. Après son débat avec un représentant de l’Église romaine au sujet de l’intercession des saints, il se déclara d’accord avec le bourgmestre de la ville de Zurich; à partir de ce moment-là, toutes les prédications devaient se fonder exclusivement sur l’Écriture et ne plus considérer la philosophie de Scot Erigène ou de Thomas d’Aquin et de leurs semblables. Il souligna la doctrine de la souveraineté de Dieu sur l’Église et l’État. Zwingli chercha fréquemment à diriger la pensée religieuse de Zurich à partir de la chaire, aussi bien en ce qui concerne les affaires religieuses que celles relevant du domaine politique. Il insistait sur le modèle néotestamentaire du culte; il plaçait le sermon au centre de celui-ci.
Lorsque nous examinons un exemple de sa prédication, tel que le sermon sur « la clarté et la certitude de la Parole de Dieu », nous voyons qu’il ne commence pas avec un texte, mais plutôt dans le style médiéval du « prothéma », c’est-à-dire qu’il part de l’homme créé à l’image de Dieu. Ainsi, la prédication n’était pas une simple discussion académique. Grâce à l’opération de l’Esprit, elle produisait des effets pratiques. Dans ce sermon, il faisait douze applications. Ainsi, la doctrine de la souveraineté de Dieu devenait quelque chose de très réel pour les citoyens de Zurich.
Après sa mort survenue lors de la bataille de Cappel (1531), la direction de la réforme à Zurich fut confiée à Heinrich Bullinger. Celui-ci ne fut pas un prédicateur dynamique comme Zwingli; il était plus « systématique ». Comme son prédécesseur, il choisissait d’ordinaire pour prêcher un thème plutôt qu’un texte. Mais il allait toujours vers l’Écriture pour prouver son enseignement. Entre 1549 et 1551, il prêcha une série de sermons intitulés les Décades dans lesquels il exposait ce qu’était réellement une théologie systématique. Bullinger prêchait en allemand, mais il fut très vite traduit en français et en anglais. Quoique Bullinger soit peu original, on trouve cependant chez lui des discours soignés et l’exposition fidèle des doctrines bibliques. Ses sermons sont mieux et plus efficacement arrangés que ceux de Zwingli, mais ils sont longs et verbeux : parfois, il prêchait pendant deux heures (il s’en excusait d’ailleurs).
Lorsque nous examinons la prédication de Calvin, nous nous trouvons dans un environnement tout autre. Apparemment, sa première prédication fut prononcée dans les environs de Bourges, alors qu’il était étudiant dans cette ville et se trouvait sous l’influence de l’humaniste Andréas Alciat. Lorsqu’il s’établit à Genève en 1536, il fut désigné pour y enseigner la doctrine, mais bientôt le conseil l’autorisa aussi à prêcher, ce qu’il fit pour une brève période avant d’être forcé, avec Guillaume Farel, à quitter la ville. Après son retour, il se consacra à nouveau à sa tâche principale de prédicateur. Il n’écrivait pas ses sermons. Ragenais, un réfugié français prit des notes (avec une sorte de sténographie de son invention) qu’il publia sans aucune révision! Ses sermons furent très appréciés durant sa vie et la plupart d’entre eux furent traduits dans d’autres langues. Ainsi, avant même la traduction de l’Institution en anglais, Calvin était connu en Angleterre dès 1540 par ses sermons.
En 1603, il y avait 48 volumes reliés des transcriptions de ses sermons dans la bibliothèque de Genève, mais en 1805 il en manquait déjà neuf et le reste fut vendu au poids à des bouquinistes parce qu’ils y occupaient trop de place! Environ mille de ses sermons ont été conservés sous forme de manuscrits, mais la plupart sont perdus à jamais…
Calvin considérait la prédication comme sa principale occupation dans l’Église. Il insista avec force sur le fait que le prédicateur doit avoir une vocation de la part de Dieu pour cet office, et en l’accomplissant il doit être intègre et avoir une conscience pure. Ce qui veut dire que le prédicateur doit se préparer diligemment pour exercer son office, car, par la prédication, Dieu est au milieu de son peuple, et elle est l’unique voie par laquelle Dieu se fait entendre aux hommes. Aussi le prédicateur n’exposera pas ses idées, mais proclamera clairement tout le conseil de Dieu, dont la grâce souveraine manifestée en Jésus-Christ constitue le noyau. Ce faisant, les prédicateurs doivent appliquer leur message directement. Celui-ci sera rendu efficace par l’opération du Saint-Esprit. Fondé sur cette idée de la nature de la prédication, comment Calvin a-t-il accompli son office dans l’Église de Genève?
Pour répondre à cette question, nous devons nous rendre compte qu’il tenait avant tout le prédicateur pour « l’expositeur » de la Parole. Pour plus d’efficacité, il prit l’habitude de prêcher sans coupures dans le texte, à travers tout un livre de la Bible; dans chaque sermon, il prenait une section d’un livre. Ainsi que nous l’avons mentionné, il ne rédigeait pas ses sermons, mais il passait un temps considérable à les préparer; il s’arrêtait plusieurs fois sur le passage qu’il avait choisi de commenter. Pendant sa prédication, il expliquait l’enseignement contenu dans chaque verset ou groupe de versets, soulignant les applications à mesure qu’il avançait. Il avait adopté la forme de l’homélie tout en cherchant à rendre son exposition très pratique et applicable à la vie quotidienne de ses auditeurs, car, pour lui, son exposition biblique faisait partie du soin pastoral que Christ prenait de son Église. Il était convaincu que le prédicateur devait connaître les besoins du peuple des fidèles afin que son sermon s’applique à la situation du moment.
L’habitude de Calvin de faire des homélies comme modèle ordinaire de prédication avait de grands avantages pour l’enseignement, mais n’était pas dépourvue pourtant d’inconvénients. Une sorte d’uniformité d’approche peut à la longue devenir ennuyeuse. Comme on l’a déjà remarqué, il laissait peu de place à l’éloquence et à la rhétorique. Bien que Calvin ne désapprouvât point l’éloquence et la rhétorique, il semble les avoir tenues comme des procédés dangereux si on en dépendait trop pour toucher le cœur de l’auditeur. Du côté positif, l’homélie le rendait capable de donner une exposition contenue d’un livre biblique, de sorte que ses auditeurs pouvaient acquérir une connaissance de toute la Bible.
On peut remarquer à travers ses sermons la clarté de sa prédication et une approche toujours unie à un sujet principal. Bien qu’ayant écrit nombre de commentaires sur les livres de la Bible, il n’était jamais sec dans ses explications et les applications qu’il en faisait les rendaient très vivantes. On peut également noter que rarement, si ce n’est jamais, il eut recours à des illustrations non bibliques. Malgré cela, avec son style châtié et élégant, il pouvait exercer une profonde influence sur ses auditeurs. La plupart de ceux qui devinrent plus tard prédicateurs eux-mêmes se trouvaient dans les assemblées où Calvin prêchait, influence qui se prolongea par ses sermons publiés en diverses langues durant sa vie. Ainsi, il exerça une profonde influence sur ses contemporains et ses successeurs dans les chaires des Églises réformées, aussi bien en Europe que dans les parties les plus reculées du monde.
Parmi ceux qui furent le plus fortement influencés par Calvin se trouve Pierre Viret qui se rendait parfois de Lausanne à Genève pour prêcher lorsque Calvin en était empêché par la maladie dans les dernières années de sa vie. La forme de ses sermons ressemblait et différait en même temps de celle de Calvin en ce que, d’une part, il se servait de l’homélie avec une exégèse soigneuse du texte, allant d’un verset à un autre, et, d’autre part, il recourait à la méthode médiévale du « prothéma » qui avait peu de rapport avec le texte, tandis que Calvin ignorait ce procédé et se lançait immédiatement dans l’explication du texte biblique. Bien que de nombreux prédicateurs-réformateurs suivirent l’exemple de Viret en apportant de légères modifications à la méthode calvinienne, la technique de Calvin prévalut cependant comme modèle fondamental et elle fut généralement suivie.
3. L’influence des réformés←⤒🔗
Le fait que Jean Calvin et, à un moindre degré, H. Bullinger aient exercé jusqu’à la fin du 16e siècle une profonde influence sur la prédication réformée ne devrait pas nous surprendre. Les Décades de Bullinger furent continuellement traduites en plusieurs langues. Mais les écrits et les sermons de Calvin connurent une plus grande notoriété et ils furent largement répandus. Avant 1620, on recense 74 éditions de l’Institution en neuf langues et quatorze résumés; avant 1625, il y eut 435 éditions de l’ensemble de ses œuvres. Ces textes importants avaient exercé une telle influence que l’aumônier de Charles Ier d’Angleterre considérait l’Institution comme le système de théologie le plus parfait. Même l’évêque arminien Laud pensait qu’elle était excellente, bien que non destinée à ceux qui manquaient de maturité spirituelle. En outre, à partir de 1578, les étudiants de Cambridge devaient subir un examen d’après le contenu de l’Institution et du Catéchisme de Genève. Dans d’autres pays tels que la France, les Pays-Bas, la Hongrie et même les pays d’obédience luthérienne, les œuvres de Calvin étaient également connues et étudiées. Il ne sera pourtant pas aisé de déterminer exactement l’influence qu’il exerça sur la prédication de son temps, car peu de sermons de Calvin nous sont parvenus. Il n’en reste aucun de Farel et très peu de Théodore de Bèze.
D’autres prédicateurs français et suisses semblent avoir suivi l’exemple de Calvin, et ne rédigèrent pas leurs sermons. Nous devons par conséquent chercher dans d’autres directions pour obtenir des informations au sujet de leur influence. L’une d’entre elles nous conduit vers les ouvrages destinés à enseigner l’art de la prédication. Le plus ancien nous vient des mains d’Andréas Gerardus Huperius, de l’Université de Marburg, qui, au milieu de 1540, établit un plan pour la composition des sermons. Bien que luthérien, il eut une influence considérable sur la prédication à travers toute l’Europe du fait même que son livre pouvait se lire en latin et aussi à cause de ses nombreuses traductions qui le mettaient à la portée de ceux qui cherchaient à devenir des prédicateurs efficaces. Selon cet auteur, l’intention de la prédication est de rendre les hommes sages à salut (2 Tm 3.15) et de contribuer à leur croissance dans la foi au moyen d’un enseignement profitable, facile à comprendre et indispensable à leur développement chrétien. Malheureusement, il utilisa une forme scolastique quasi aristotélicienne dans la préparation du plan de ses sermons.
Lambert Danau traita aussi de la préparation du sermon de son Methodus de Tractandae sacrae scripturae (1579). Il insista sur l’emploi de la logique aristotélicienne pour l’exégèse et l’explication des Écritures, comme si cette logique avait été divinement désignée à cet effet. En cela, il trouva l’appui de Théodore de Bèze, de Jérôme Zanchi et de Philippe Melanchthon selon lequel on doit se former en philosophie pour être à même de comprendre correctement les saintes Écritures. Chaque sermon doit contenir un locus rhétorique par lequel le texte sera lié à son contexte, un locus dialectique qui avance l’argument et un locus théologique comportant des subdivisions. Bien que L. Danau chercha à suivre l’exemple de l’exégèse de Calvin, il s’engagea tellement dans des distinctions philosophiques que ceux qui adoptèrent sa méthode devinrent des prédicateurs secs et inintéressants. En cherchant à réfuter les attaques philosophiques contre les positions théologiques réformées, ils perdirent trop souvent le contact avec leurs auditeurs.
En examinant la prédication réformée dans divers pays, nous découvrons que l’influence de Calvin fut grande sur la première génération malgré certaines différences la distinguant du réformateur de Genève. Nous trouvons déjà des éléments de la prédication réformée chez l’Écossais John Knox dans les années 1550 à 1560. Malheureusement, nous ne possédons que trois de ses sermons; l’un prêché avant sa rencontre avec Calvin, les deux autres après avoir passé un certain nombre d’années à Genève.
Son premier sermon est celui qu’il prononça quand il fut invité à devenir ministre de la Parole dans l’Église protestante de Saint-Andrew’s à Édimbourg en Écosse. Il prit comme texte biblique Daniel 2 et 7 qu’il appliqua à la situation contemporaine dans l’Église romaine, exposition que Calvin aurait certainement trouvée contestable. Le second sermon fut écrit à la suite de l’invitation qui lui fut adressée à revenir en Écosse après son retour à Genève en 1556. Il y traite de la première tentation du Christ. Ce sermon est préparé avec une très grande logique. Il y explique ce que le mot tentation veut dire et comment il est employé dans la Bible, la façon dont Christ fut tenté, le moment de la tentation, de quelle manière Jésus fut mis à l’épreuve, pourquoi il dut souffrir la tentation et quels en furent les bénéfices pour nous. L’influence de Calvin est ici bien claire. Dans ces deux sermons, l’accent est placé sur l’autorité de la Bible. Le troisième sermon est une homélie sur les mauvais princes (És 25.13-21). Il chercha à démontrer qu’il n’était pas enclin à la trahison. De même, il souligna la place et le rôle de la justification par la foi. Le second sermon est de loin le mieux organisé.
Nous savons aussi qu’il avait adopté la pratique de prêcher à travers tout un livre de la Bible, autre trait qui rappelle la prédication de Calvin. Mais, en même temps, il prêcha avec une plus grande vigueur que le prédicateur de Genève et se servit des événements, tant historiques que contemporains, pour illustrer son exposition ainsi que la manière d’en tirer les applications. James Melville parle de la vigueur de sa prédication et de « l’impact » produit sur l’auditoire. John Knox était tellement actif pendant sa prédication qu’il frappait sur le pupitre. Un jour, des pièces de celui-ci se détachèrent, ce qui troubla Melville au point que ce dernier fut presque incapable de continuer à prendre des notes. Or, à cette époque, John Knox était âgé de plus de 60 ans; c’était donc un vieillard pour cette époque.
La Réforme écossaise donna un nombre considérable de grands prédicateurs qui égalèrent J. Knox dans sa vigueur et son application hardie de la Parole de Dieu. John Craig, qui fut son collègue à Saint-Gilles à Édimbourg, était aussi évangélique que courageux dans sa condamnation du péché. Il fut attaqué parce qu’il décrivait ouvertement du haut de la chaire le comportement des particuliers, de sorte que l’assemblée pouvait reconnaître les coupables. « Que les hommes soient confus d’avoir offensé Dieu publiquement et alors les prédicateurs s’abstiendront de donner des descriptions trop précises », répondit-il à certaines remarques. Le successeur de Knox à Saint-Gilles fut John Lawson, plus « doux » que le grand réformateur écossais, mais qui fut chassé à cause de son opposition à l’épiscopat. Selon James Melville, c’était un homme d’un savoir exceptionnel, zélé et éloquent, versant facilement des larmes. Il y en eut d’autres tels Robert Rollock, Robert Bruce, John Welch et John Davidson. Calvinistes convaincus, ces hommes ont prêché avec tellement de vigueur que nombre d’entre eux ont dû s’exiler à cause de leur opposition au gouvernement du roi Jacques VI. Ils suivaient d’ordinaire la méthode de l’homélie, bien que parfois ils traitaient aussi d’autres sujets tels les sacrements. Dans tous les cas, ils étaient très clairs dans leur exposition de l’Écriture et l’appliquaient concrètement à leurs auditoires.
Lorsque nous nous tournons vers la prédication des réformateurs anglais, nous découvrons l’influence qu’ils subirent de l’extérieur. Dans les premiers temps du mouvement, un certain nombre de protestants anglais, par exemple John Hooper, plus tard évêque de Gloucester et de Worcester, durent fuir le pays à cause de l’opposition de Henri VIII au protestantisme réformé. Ils s’en allèrent à Zurich où ils subirent l’influence de Bullinger qu’ils regardaient comme leur père dans la foi. Plus tard, durant le règne d’Édouard VI (1546-1553), lorsque la persécution sur le continent devint de plus en plus violente, des théologiens protestants de tout premier ordre, tels Martin Bucer et Pierre Martyr Vermiglio, vinrent en Angleterre où ils furent placés à des postes académiques à Oxford et à Cambridge pour y enseigner la théologie et où le nombre des étudiants croissait sans cesse.
Durant cette même période, la pensée de Calvin commença à influencer la prédication, surtout au cours du règne de Marie Tudor qui tenta de rétablir le culte romain. Calvin exerça la plus grande influence sur les réfugiés anglais (près de deux cents), parmi lesquels Christopher Goodman, Miles Coverdale et Thomas Lever, qui s’installèrent à Genève sur le conseil de John Knox. Lorsqu’ils rentrèrent au pays, ils amenèrent avec eux les idées et les pratiques qu’ils avaient observées. Bien qu’il y eût d’autres influences sur la prédication anglaise, en général elles étaient toutes de nature réformée.
Au début de la Réforme en Angleterre, la prédication fut assurée par des disciples de Wycliff. Cependant, quelques membres du clergé influencés par la Renaissance, tel John Colet, doyen de la cathédrale Saint-Paul à Londres, avaient commencé à accorder plus d’attention à cette affaire. Sous l’influence des écrits de Luther et de l’enseignement de certains réfugiés dans les années 1540, tels John Bradford et Hugh Latimer qui exposèrent les doctrines de la grâce et de la justification par la foi seule, la prédication réformée devint même courante sous Édouard VI. Un livre d’homélies avait été préparé en 1547 avec Thomas Cranmer, archevêque de Cantorbéry, pour aider les prédicateurs à exposer la nouvelle doctrine. Les ministres du culte devaient les lire à leurs communautés. Le 22 octobre 1548, Calvin écrivit au Protecteur Somerset, l’oncle du jeune roi, lui disant expressément « que cet instrument puissant de la prédication soit développé de plus en plus ».
Mais il fallut beaucoup de temps pour former des prédicateurs et, lorsque Édouard VI mourut en 1553, peu de gens étaient préparés en vue de cette tâche. Avec l’avènement de Marie la Romaine, plusieurs de ceux qui avaient été formés pour ce ministère s’enfuirent vers le continent, tandis que d’autres, tels que Cranmer, Latimer, Hooper ou Ridley, moururent sur les bûchers à cause de leur attachement à la doctrine réformée. À la mort de Marie et lors de l’accession au trône d’Élisabeth en 1558, un autre changement survint. Bien qu’apparemment dépourvue de conviction religieuse, Élisabeth comprit qu’il était nécessaire de soutenir la cause protestante. Aussitôt qu’elle fut montée sur le trône, la grande majorité des exilés anglais regagna le pays et la prédication protestante recommença avec une vigueur considérable.
Cependant, la reine Élisabeth avait peur que la prédication dévie de son objet et ne devienne de nature politique ou même trop radicalement religieuse. Elle chercha donc, pour une brève période, à faire obstruction, mais ses ordonnances restrictives furent levées en mars 1559 et, peu après, un nouveau livre d’homélies vit le jour. Élisabeth aima mieux cela plutôt que de laisser dire aux prédicateurs ce qu’ils voulaient. Mais elle ne pouvait pas arrêter les réfugiés ayant entendu Calvin et subi son influence, celle de l’Institution chrétienne et de ses sermons. À ce moment-là, une division apparut parmi les forces protestantes anglaises. Non seulement la reine chercha à limiter la prédication en favorisant la lecture des livres d’homélies, mais elle ordonna la révision du Livre de prières datant du règne d’Édouard VI et choisi comme seule règle et modèle pour le culte public. Certains prédicateurs, spécialement ceux qui rentraient de Genève, s’opposèrent à ces idées, tandis que d’autres acceptèrent de se soumettre à l’ordre royal. Il en résulta un conflit et certains des réfugiés de Genève furent forcés de quitter les chaires. Ceci marqua le début de ce qu’on appelle le puritanisme.
Il ne faut pourtant pas penser qu’il n’y eut que les puritains qui subirent l’influence de Calvin. Nombre de ceux qui accédèrent à des positions élevées dans l’Église d’Angleterre étaient fermement attachés à l’enseignement réformé calviniste. L’évêque Grindal de Londres, plus tard archevêque de Cantorbéry, l’évêque Jewel de Salisbury, Sandys, qui devint archevêque de York et d’autres encore acceptèrent la théologie de Calvin, bien que n’ayant pas nécessairement suivi son exemple dans la forme de la prédication, à travers tout un livre biblique. En 1577, deux publications d’une grande importance apparurent. L’une était la première édition complète des Décades de Bullinger en anglais et l’autre la traduction en anglais de la Pratique de la prédication de Hyperius. Ces deux livres ont exercé une très profonde influence sur le modèle des sermons dans l’Église d’Angleterre qui prenaient ainsi une forme beaucoup plus scolastique. Mais certains dans la hiérarchie anglicane, tel l’archevêque Whitgift qui succéda à Grindal, pensèrent que la lecture de l’Écriture était suffisante et égale à la prédication dans son sens habituel, ce qui amena à nouveau une controverse et un conflit considérable avec les puritains à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église nationale.
Largement influencés par l’exemple genevois, les puritains insistèrent sur l’importance de la prédication qu’ils plaçaient au-dessus de la liturgie et des sacrements. Dans leurs exhortations au Parlement en 1572, l’une de leurs exigences principales était qu’il devait y avoir davantage de prédications dans l’Église et lorsque leur demande ne fut pas entendue par la reine et ses conseillers, ils commencèrent par tenir des assemblées officieuses où étaient expliquées les « prophéties » des Écritures. Élisabeth s’y opposa et lorsque l’archevêque Grindal refusa de les supprimer, il fut séquestré et disgracié. Whitgift le remplaça et la prédication continua. Dans plusieurs Églises locales de l’Église anglicane, des prédicateurs étaient souvent désignés comme lecteurs pour exposer le contenu de l’Écriture, tandis que dans les Églises qui se séparaient de l’Église officielle la prédication était au centre du culte. Les prédicateurs puritains des deux Églises étaient tous de forte conviction calviniste, ardemment évangéliques et hautement pratiques dans leur application de l’enseignement biblique à la vie de tous les jours.
Dans les premiers temps, ceux qui étaient à l’extérieur de l’Église officielle cherchaient à s’aider et à se former, mais à la fin du siècle, deux collèges furent ouverts (l’Emmanuel et le Sydney Sussex à l’Université de Cambridge, respectivement en 1584 et 1596) pour préparer des prédicateurs, et de ce milieu sortit le meilleur guide de la prédication intitulé L’art de prophétiser de William Perkins. Les principaux points développés dans cet ouvrage étaient les suivants : lire le texte distinctement, donner le sens et la signification du texte, assembler certains points de doctrine à partir du texte, appliquer les doctrines à la vie et aux manières des hommes du peuple ayant un langage simple. Selon Richard Rogers, l’intention de la prédication était d’amener les pécheurs à la foi, de donner l’assurance au converti et de l’aider à croître dans la grâce. Telle était la prédication réformée en Angleterre au 16e siècle.
De l’autre côté de la mer, sur le continent, la prédication réformée néerlandaise se poursuivit à partir de 1540. Malheureusement, là aussi nous n’avons pratiquement pas d’exemple de prédications d’hommes tels que Guy de Brès, Peter Dathenus, Hermanus Moded, Stephanus Sylvius et bien d’autres.
Certains, dont Guy de Brès, avaient fait un séjour en Angleterre; d’autres avaient étudié à Heidelberg, Zurich ou Genève; ils retournèrent plus tard dans leur pays où ils exercèrent un ministère clandestin, mais très efficace, en gagnant des personnes à la foi réformée. Bien qu’au début les luthériens et les anabaptistes dominaient la prédication protestante, dans les années 1540, la foi réformée calviniste prit le dessus. En dépit de ce succès, le gouverneur envoyé par Philippe II d’Espagne aux Pays-Bas s’opposa violemment au protestantisme et interdit tous les cultes à l’intérieur des villes et des bourgs. Ainsi, les prédicateurs s’en allèrent dans les villages et à la campagne.
D’ordinaire, les sermons étaient longs, entrecoupés du chant des psaumes et ils pouvaient durer toute une journée. Presque toujours, les sermons étaient fortement polémiques, attaquant les catholiques romains et les anabaptistes, mais simultanément l’appel à la réforme selon les lignes bibliques était toujours présent et accompagné d’une forte insistance sur la grâce de Dieu en Christ et la justification par la foi sans les œuvres.
En juillet 1566, une plaquette fut publiée contre de tels cultes, mais elle fut largement ignorée et n’eut guère d’effets. Ce ne fut qu’avec l’avènement du Duc d’Albe comme gouverneur des Pays-Bas que des méthodes violentes furent utilisées contre les protestants. Cependant, l’année 1572 vit un changement dans la situation des Pays-Bas : Guillaume, Prince d’Orange, réussit à libérer plusieurs villes. Des Églises réformées furent aussitôt dressées dans les régions urbaines et la demande de prédicateurs ne fit que croître. Bien qu’il y en eût, tous n’étaient pas suffisamment préparés pour la prédication. La première décision qui fut prise dans les régions contrôlées par les protestants fut de satisfaire à cette demande avec l’établissement de la Haute École de Leyde par le prince d’Orange en 1575.
D’autres suivirent et les assemblées ecclésiastiques insistèrent fortement sur la nécessité de la prédication. Le Synode d’Emden demanda à tous les ministres de prêcher devant les synodes régionaux afin de montrer leur capacité de s’acquitter de leur devoir. Trois ans plus tard, le Synode de Dordrecht insista sur le fait qu’il fallait prêcher de façon continue sur tous les versets à travers les livres de la Bible et que personne ne devait suivre l’année ecclésiastique romaine. À partir de ce moment, l’influence de la formation académique se fit sentir dans la prédication néerlandaise qui était doctrinale, polémique et pratique.
En d’autres parties de l’Europe (en France, en Suisse, en Hongrie et en Pologne), il y eut des prédicateurs réformés, mais, malheureusement, nous n’avons que très peu d’exemples de leurs sermons. On aurait voulu avoir des spécimens des sermons français ou suisses, mais il semble que ce ne fut qu’à partir du 17e siècle que les sermons furent rédigés. Il semblerait que l’approche générale dans ces pays ait suivi celle de Calvin, c’est-à-dire une exégèse-homélie. Les passages bibliques étaient expliqués verset après verset; l’application pratique était donnée au fur et à mesure. Cette façon de faire explique peut-être l’absence de sermons écrits jusqu’à l’arrivée des ouvrages de Daneau et Hyperius et jusqu’à ce qu’ils furent mieux connus par les prédicateurs réformés.
4. L’impact de la prédication réformée←⤒🔗
Le survol de la prédication réformée et de ses effets nous permet de noter le premier trait qui en ressort et qui la caractérise profondément : la clarté. Bullinger, Calvin, Viret et d’autres soulignèrent ce point. L’obscurcissement de la vérité par des arguments scolastiques, les étrangetés, les bizarreries et les allégories… furent rejetés avec vigueur; le prédicateur avait le devoir de proclamer la Parole de Dieu dans un langage clair et de placer ses idées au niveau de ses auditeurs. La prédication devait donc être concrète, car le croyant ordinaire, sans formation universitaire, n’était pas capable de comprendre les abstractions, surtout lorsqu’il s’agissait de les appliquer à la vie de chaque jour. Cette prédication touchait le cœur des gens et ceux-ci venaient l’écouter. Les réformateurs avaient donc l’occasion de présenter l’Évangile. Au lieu de traiter des problèmes philosophiques, politiques et sociaux, ils mettaient l’accent sur la nécessité d’ouvrir la Parole de Dieu et de l’exposer afin que les hommes connaissent ce que Dieu avait à leur dire. Malgré les objections de certains qui disaient que la prédication n’était pas en réalité la Parole de Dieu, les prédicateurs réformés ont vraiment tenu à ce que la prédication soit fidèle aux Écritures et qu’elle soit la Parole effective de Dieu qui entre dans les cœurs des hommes par l’efficace de l’Esprit Saint.
Le contenu de leur message était un thème en trois points. Premièrement, l’homme pécheur est sans force ni espoir pour répondre aux exigences de Dieu et pour être accepté par lui. En langage théologique, cela signifie la corruption totale de l’homme. Deuxièmement, l’accent sur la grâce souveraine de Dieu qui était à l’origine et qui est le fondement de l’œuvre rédemptrice du Christ qui a payé pour les péchés des hommes de façon suffisante, mais, pour Calvin, de manière efficace seulement pour les élus (Ép 1.4 et Rm 8.29-30). Enfin, troisièmement, la justification par la foi seule, offerte librement par l’Évangile à tous ceux qui croient. Comme chez Luther, la justification est la pierre d’angle de la prédication et le fondement de l’appel adressé aux hommes et aux femmes de son époque.
Les prédicateurs ne se contentèrent donc pas de prêcher l’Évangile et de laisser les chrétiens seuls, au début de leur nouvelle vie, car ils savaient y vivre en chrétiens, ce qui signifie qu’ils devaient connaître toutes les implications et les conséquences de leur foi, alimentée par une parfaite connaissance de la Bible. La prédication n’était pas seulement un moyen pour atteindre l’incroyant et lui offrir le salut en Christ, mais également le moyen de former et d’éduquer les croyants pour qu’ils puissent vivre selon les exigences de la Parole de Dieu dans la société. Les prédicateurs appelaient ceux-ci à prendre part à la vie de la société afin de l’influencer et de la changer, en la façonnant selon la volonté du Seigneur et Roi. Cela pouvait aller jusqu’à une action politique et sociale. À cette fin, les prédicateurs étaient très pratiques dans l’application des Écritures à la situation contemporaine.
Ce n’est pas un hasard si John Knox fut appelé devant la reine Marie d’Écosse pour répondre de ce qu’il avait prononcé en chaire. Lorsqu’elle exigea qu’il lui parle en privé, s’il avait quelque chose à lui reprocher, il répondit qu’il était appelé à un ministère public et non à fréquenter les palais et prêter l’oreille aux rumeurs qui y circulaient. Si elle voulait savoir ce qu’il disait de sa conduite, elle n’avait qu’à venir l’écouter à la cathédrale St Giles. À la suite d’autres réformateurs, il trouvait des applications directes de son texte, ce qui ne le rendait pas très populaire, mais dans son cas personne ne pouvait se tromper sur ce qu’il cherchait à dire!
Les prédicateurs exercèrent ainsi une puissante influence sur leurs auditoires en matière de vie et de conduite chrétienne pratique. En même temps, il y avait des arguments polémiques dans leurs sermons. Afin d’empêcher leur troupeau de s’égarer, ils avertissaient constamment comme de bons pasteurs et dénonçaient les erreurs des romains, des arminiens ou des anabaptistes. Ils ne le firent pas uniquement pour dénoncer, mais ils exposèrent aussi les arguments bibliques contre de telles positions théologiques, en avertissant leurs auditeurs de manière positive des conséquences temporelles et éternelles découlant des doctrines erronées. D’habitude, ils n’accordaient pas trop de temps à une prédication négative. Leurs déclarations polémiques apparaissaient au cours de leurs discours, sur tel ou tel passage de la Bible, ou dans l’exposé d’une certaine doctrine. Ils purent ainsi mettre en garde les fidèles contre ce qu’ils considéraient être l’enseignement erroné de leur époque.
Les prédicateurs réformés plaçaient constamment l’accent sur le fait qu’ils étaient totalement dépendants de l’œuvre du Saint-Esprit. Selon Calvin, on ne peut comprendre la vérité de Dieu que si celui-ci ouvre les yeux et les oreilles, pour voir et pour entendre. Quand on lit leurs sermons et leurs commentaires sur la manière de prêcher, on constate que c’est un thème central, fréquemment répété. La prédication ne peut être efficace qu’à condition de se trouver en conjonction avec l’opération efficace de l’Esprit Saint. Celui-ci ouvre les cœurs des auditeurs et les rend capables d’apprécier par la foi ce qui est enseigné par l’Écriture.
Quel fut l’effet d’une telle prédication? En examinant l’histoire des Églises réformées au 16e siècle, on ne peut manquer d’être impressionné par son efficacité.
Vers 1600, la foi réformée, devenue officielle, était une force théologique en Europe, et bientôt elle se répandit dans le Nouveau Monde. Dominante en Suisse, en Angleterre, en Écosse, aux Pays-Bas et dans une grande partie de l’Allemagne, elle a tenu aussi un rôle considérable dans la vie religieuse en France, en Hongrie et même à travers la Transylvanie. Pourtant, elle ne reçut pas le soutien des princes, qui s’y opposèrent souvent farouchement. La puissance et l’efficacité de la prédication réformée s’expliquent par le fait que les prédicateurs parlaient et proclamaient les « oracles de Dieu ».