Une Église universelle
Une Église universelle
Le mot œcuménique est si bien entré dans les mœurs ecclésiastiques qu’il n’est pas nécessaire d’en expliquer le sens. Nous savons qu’il désigne la nature universelle de l’Église de Jésus-Christ. Mais il ne suffit pas de connaître le sens littéral du terme; il faut surtout en examiner le fondement biblique pour répondre aux besoins de l’heure et favoriser, là où il est possible, le rapprochement entre chrétiens et entre confessions ecclésiastiques.
Ceci ne nous invite nullement à abandonner nos convictions profondes ni à trahir la vérité qui nous sauve. Mais le terme œcuménique nous rappelle opportunément que l’Église locale et même les Églises de notre confession ne sont pas la seule réalité de l’Église de Jésus-Christ.
L’Église de Jésus-Christ a des frontières qui dépassent celles que nous lui assignons par nos préférences ou, souvent aussi, par nos fantaisies. L’Écriture traite souvent discrètement, parfois plus directement, de la nature universelle de l’Église. La lettre de Paul aux Éphésiens en est la meilleure illustration (Ép 1.22-23; 2.13-15; 4.1-3,15-16). L’apôtre énumère ici tous les facteurs et tous les éléments qui forment cette Église universelle. Y prédominent l’amour mutuel entre ses membres, le désir de croître ensemble, l’effort de rester unis. Nous remarquons que saint Paul n’y fait aucune mention d’une confession particulière.
Jésus en personne révèle un ardent désir pour l’unité de son Église. Dans sa prière dite sacerdotale (Jn 17), il demande à son Père : « Comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous » (Jn 17.21). Cette prière montre aussi que le Christ envisage la nécessité de cette unité parce qu’elle s’oppose à la méchanceté présente dans le monde. La véritable séparation doit exister entre l’Église et le monde et non pas entre diverses Églises. Le modèle et le fondement de l’unité se trouvent en celle qui existe entre le Père et le Fils. Remarquons que le Seigneur ne fait pas d’allusion à l’unité de la Trinité, mais simplement à celle entre le Père lui-même et notre Médiateur et souverain Prêtre.
Dans cette prière, un motif particulier va encore apparaître : « Afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17.21). Le succès de l’Évangile dépend donc étroitement de l’unité de l’Église, car s’apercevant de l’unité des chrétiens, le monde s’apercevra aussi que Jésus est le Sauveur envoyé par Dieu. Pourtant, cette prière sacerdotale du Seigneur Jésus laisse déjà entrevoir une menace sur l’unité de son peuple (Jn 17.23).
Nous savons donc que l’unité de l’Église doit servir à l’évangélisation du monde. L’amour sera la preuve par excellence du christianisme. Que demander de plus comme motivation pour une action œcuménique et pour l’unité des chrétiens? Mais voilà que le scandale de la désunion compromet sérieusement toute action missionnaire. Il favorise le très mauvais témoignage des chrétiens. Si c’est ça votre christianisme, entendons-nous dire, alors, je n’en veux pas! Bien sûr, dans un jugement si sévère il n’y a pas que des sentiments nobles et idéalistes. Il y a aussi, je le crains, beaucoup de mauvaise foi. Pourtant, ce jugement contient une parcelle de vérité très pénible à accepter. De toute manière, le message de l’Église est contredit tout d’abord par elle-même.
L’une des pires conséquences de la désunion est d’introduire au sein des Églises toutes sortes d’antithèses qui engendrent des conflits aussi violents, si ce n’est plus, que ceux du monde. Sur ce point, nous autres chrétiens, nous ressemblons à une armée vulnérable parce que soumise à différents commandements. N’eût été le miracle de la grâce, je crains que nous eussions non seulement perdu toutes les batailles, mais encore disparu de la face de la terre!
Je voudrais mentionner encore l’une des plus grandes faiblesses de l’Église, engendrée par sa désunion : l’absence de la clé du Royaume; c’est-à-dire de l’exercice d’une saine discipline ecclésiastique. Lorsque par motif de fidélité biblique telle Église croit devoir prendre des sanctions envers l’un de ses membres, pécheur non repenti, le membre en question — et de nos jours on ne peut pas les classer aisément — peut facilement s’adresser à une autre Église, laquelle, sous prétexte d’esprit d’accueil et d’ouverture, n’hésitera pas à l’accepter comme membre à part entière sans aucune condition. Sous prétexte que Jésus a accueilli de grands pécheurs, et il l’a certainement fait, des ministres du culte, plus démagogues que véritables pasteurs établis par le grand Berger, se moquent éperdument de la Parole et de la discipline que le Seigneur de l’Église a imposées. C’est ainsi que, tant de nos Églises ne sont rien d’autre que de véritables auberges espagnoles, où chacun peut trouver ce qu’il souhaite, sauf la bonne et saine nourriture de l’Esprit. Il semble plus aisé de nos jours de changer d’Église que d’association sportive! Toutefois, l’abus de la discipline n’est pas la solution de rechange.
Quant à nous, cherchons, voulez-vous, les fondements bibliques de l’unité chrétienne. Je dis bien les fondements bibliques et non un opportunisme sociopolitique ou même psychologique qui réunirait les Églises de manière tout artificielle.
« Je suis le chemin, la vérité et la vie », a dit Jésus-Christ (Jn 14.6). « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples; vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres » (Jn 8.31-32).
La vérité, sa vérité en tant qu’essence même de sa personne divine et du Royaume des cieux, nous affranchira, à condition que nous nous associions à elle; à condition que nous nous engagions à suivre Jésus-Christ. Ne nous étonnons pas de sa prière : « Sanctifie-les par la vérité : ta parole est la vérité » (Jn 17.17). L’unité de l’Église se fondera sur l’unité qui contient et prononce l’Évangile.
Certes, aucune Église particulière n’a le monopole. Aucune ne vit totalement cette vérité. Aussi, chacun doit la chercher sans répit.
L’unité dans la foi exige un certain accord autour des grands points fondamentaux de la révélation chrétienne, avec une absolue loyauté dans la pensée et sous la claire direction de l’Esprit.
Elle suppose une certaine tolérance en ce qui concerne les sujets secondaires ou périphériques à la foi. Une certaine divergence de vues subsistera toujours sur un certain nombre de problèmes. Aucun théologien, aussi qualifié soit-il, n’a reçu le don parfait d’annoncer toute la vérité. Il a plu à Dieu de ne pas accorder à un seul homme ou même à une seule génération la plénitude de sa révélation. Ce qui explique que des divergences existent et que la tolérance demeure l’une des vertus chrétiennes les plus essentielles.
Mais la tolérance n’est pas encore l’unité. Il nous faut, malgré le langage multiforme des chrétiens, parvenir au maximum de consensus. Je crois que celui-ci est possible à condition que, sans compromis ni opportunisme, l’Église et les Églises confessent leur foi autour des grands points qui, depuis le début, ont fait l’accord et l’unanimité des chrétiens. Je songe par exemple aux grandes confessions de foi de l’Église universelle comme le Symbole des apôtres, le Symbole de Nicée-Constantinople et celui d’Athanase. Ils expriment toute notre foi biblique, même s’ils ne disent pas tout. De nos jours, certains chrétiens ne voient pas la nécessité de rédiger des confessions de foi. D’après eux, la Bible comme telle suffit. Bien entendu, la Bible est la seule règle infaillible, suffisante et nécessaire pour la foi et pour toute Église. J’estime pourtant que malgré sa clarté, l’Écriture nous autorise à exprimer par nos propres mots et selon les besoins de l’heure certains points de la doctrine chrétienne, et de les souligner plus que d’autres. Il faut que la foi devienne aussi l’expression de nos lèvres. C’est à partir de ce point-là que peuvent apparaître des différences et même des divergences. Les conflits d’interprétation semblent, hélas!, inévitables; mais qu’on me permette de ne pas en parler ici, cela nous mènerait trop loin.
Je voudrais simplement ajouter qu’aujourd’hui il ne suffit pas de répéter les premiers credos même s’ils sont excellents. Il ne faut pas révoquer aujourd’hui les anciennes confessions de foi, mais les invoquer pour en élaborer de nouvelles, aussi fidèles dans l’esprit que dans la lettre.
Je crains que ce consensus et cet accord universel ne soient pas pour demain! Car chaque fois qu’on arrivera à un accord celui-ci sera accompagné du risque de voir surgir un certain désaccord. C’est la raison pour laquelle de nombreux chrétiens refusent de s’engager dans une action œcuménique, tandis que d’autres n’ont pas toujours des arguments bibliques de poids.
J’espère qu’il est à présent bien clair que nous sommes tous invités à rechercher une Église qui vit l’unité évangélique. Il n’est pas question de tomber dans un activisme fiévreux ni de chercher à n’importe quel prix cette unité. Mais que la tâche à assumer, tâche éminemment missionnaire, nous incite et encourage à chercher avec réalisme et dans la loyauté l’unité que le Seigneur attend de nous.
Permettez-moi, en terminant, d’ajouter ceci : avoir un esprit œcuménique ce n’est pas nécessairement mettre sur pied des structures. Parfois, l’ouverture d’esprit et l’accueil fraternel à l’égard des chrétiens d’autres Églises sont d’excellentes preuves d’unité, de même que la collaboration dans l’évangélisation et une action caritative menée ensemble…
Pour cela, nous aurons à prier fidèlement, et nous aurons besoin de nous réformer constamment, par la Parole et par l’Esprit.