Le Dieu vivant
Le Dieu vivant
- Connaître Dieu
- Qui est le Seigneur?
- Vivre en la présence de Dieu
- L’expérience du Dieu vivant chez Calvin
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Textes symboliques réformés
a. La Confession de foi des Pays-Bas
b. La Confession de foi écossaise
c. La Confession de foi de Westminster
1. Connaître Dieu⤒🔗
« Seigneur », écrivait saint Augustin, « tu nous as créés pour toi, et nous n’avons point de repos jusqu’à ce que nous le trouvions en toi. »
Le Catéchisme de Heidelberg, lui, débute par cette question et cette réponse :
« Quelle est ton unique consolation tant dans la vie que dans la mort? C’est que, soit dans la vie, soit dans la mort, j’appartiens corps et âme non pas à moi-même, mais à Jésus-Christ mon fidèle Sauveur… »
Il n’est pas naturel à l’esprit de l’homme, déchu et égaré, de croire et d’admettre l’existence d’un Dieu vivant et personnel. Une telle idée de Dieu révélée dans l’Écriture sainte, Créateur des choses visibles et invisibles, Père de notre Seigneur Jésus-Christ, est soit sujet d’un grand et grave malentendu, soit complètement faussée. Pour certains, Dieu n’est que la projection des simples sentiments humains ou bien le simple reflet de l’environnement social et culturel.
Dans l’antiquité grecque, les stoïciens se le représentaient comme l’être suprême impassible, indifférent aux affaires humaines. D’autres se sont représenté Dieu comme le Juge sévère et implacable. Des modernes pourraient avoir tendance à l’imaginer comme le Dieu ordinateur céleste! À moins qu’ils n’en aient décrété la mort!
« Dieu est mort et c’est nous qui l’avons tué. » Ce fut, on se souvient, le décret de Friedrich Nietzsche. Pourtant, ceci n’était pas un cri de jubilation, mais celui d’un long déchirement, l’expression d’une détresse infinie. L’homme s’acharne à éliminer Dieu de sa vie et de son univers, à se débarrasser de sa tutelle et à se détourner de ce qui lui semble puérilité de jadis. Il veut faire preuve de maturité et d’indépendance. Seul il saura forger son avenir. Mais quelle lutte bien épuisante pour les forces de l’homme prétendu adulte! Dans les profondeurs de son être, tentations et drames continuent à le ravager. Le péché en général et l’idolâtrie en particulier sont des signes de son intime défaite. L’homme se débarrasse de Dieu, mais il consulte le marc du café, lit les rubriques astrologiques, s’adonne à la magie, s’enivre de drogue. « Ils m’ont abandonné… pour creuser des citernes crevassées », dit Dieu dans le livre du prophète Jérémie (Jr 2.1-13).
Dieu cependant demeure l’éternel tourment des hommes, ainsi que le nommait un ancien prédicateur français. Comment est-ce possible de parler de lui? Or, seul Dieu parle bien de Dieu : Seigneur, « ta Parole est une lumière sur mon sentier », priait le psalmiste (Ps 119.105).
La pulsion essentielle de la foi chrétienne consiste en la connaissance de Dieu. Le connaître c’est la vie, vie éternelle dès ici et maintenant. En rencontrant Dieu, nous possédons également la clé de la vérité qui nous concerne. C’est dans sa lumière que nous voyons notre lumière. Le plus simple des croyants qui connaît Dieu devient plus sage que le plus instruit des hommes.
Connaître Dieu, c’est nous connaître nous-mêmes, de même que l’univers dans lequel nous sommes placés. Sans sa connaissance primordiale, tout autre savoir sera faux et trompeur. La crainte du Seigneur, c’est-à-dire la connaissance du cœur, est le commencement de toute sagesse et de toute science.
Le thème de la connaissance de Dieu a été discuté et interprété de diverses et multiples manières par de nombreux penseurs chrétiens. Pour nous, il s’agit d’une connaissance qui est du cœur, le cœur comme centre et moteur religieux de notre personne, d’où sont issus, d’après le livre des Proverbes, tous les chemins de la vie.
Comment connaître Dieu et comment rendre compte de cette connaissance? La pensée théologique prodigieuse et solidement biblique de Calvin nous offrira d’une part une théorie de la connaissance (épistémologie) sûre, d’autre part adressera un message dont l’actualité reste permanente. Sa théologie reste au service de l’Église. Saurons-nous bénéficier de son labeur scientifique et de son humble soumission à la Parole, dont il a cherché à parler correctement, afin que par son témoignage il n’obscurcisse aucune ombre ni ne lui apporte la moindre atteinte? Jusqu’à la fin, il resta, et ce au prix de durs combats, le témoin de la gloire transcendante de Dieu.
Pour Calvin, toute connaissance acquise, si elle est véritable, consiste en deux parties : la connaissance de Dieu et son corollaire la connaissance de nous-mêmes. C’est une connaissance qui dérive de Dieu et qui aboutit à lui. C’est l’unique fondement de l’existence, de l’homme, de son foyer, de sa société, de sa culture, de toutes ses activités. Par connaissance de Dieu, nous n’entendons pas celle que Dieu possède de lui-même, mais celle que nous recevons grâce à sa révélation. Par sa Parole et à travers ses œuvres, il révèle ce qui est essentiel à sa relation avec l’homme et avec le monde, l’un comme l’autre étant sa création. Il nous enjoint d’embrasser cette connaissance de tout notre cœur, de toute notre âme, avec toute notre force, de toute la pensée. Aussi est-elle plus qu’un objet de perception intellectuelle. Une simple perception intellectuelle ne suffirait pas pour l’acquérir. Jésus-Christ reprochait précisément aux docteurs de la loi d’Israël de se contenter d’une connaissance où le cœur faisait défaut; aussi, en définitive, ils lui restèrent étrangers. Quoiqu’experts en matière doctrinale, ils étaient incapables d’entrer dans une relation personnelle et vivante avec Dieu. Une telle connaissance est donc autre qu’un sentiment mystique ou une expérience provoquée par l’émotion. Une compréhension de cette nature chercherait à la rigueur un message qui inspire, néanmoins n’aboutira pas à Dieu, pas plus qu’elle ne satisfera le cœur.
De même, l’activité de la volonté ne suffit pas pour le connaître. L’Écriture qui nous parle de Dieu n’est pas un manuel de morale; la foi chrétienne n’est nullement l’impératif catégorique à la Emmanuel Kant. Si tel avait été le cas, la prédication chrétienne serait un projet d’action utilitaire; la vie chrétienne, un déploiement d’activité parmi de multiples activités.
2. Qui est le Seigneur?←⤒🔗
Qui est Dieu? Cherchons à rendre ce vocable clair, autant que cela se peut. La question avait été posée à Moïse et Aaron, avec impudence, il est vrai, il y a plus de trois mille ans par le Pharaon d’Égypte. Question exprimée par le sarcasme d’un potentat imbu de sa puissance; blasphème suprême!
Voici cependant, à une autre occasion, la réponse du prophète Élie : « Si l’Éternel est Dieu, suivez-le, sinon suivez Baal » (1 R 18.21). Qui est Dieu? Il est le Seigneur vivant.
Ésaïe a consacré l’une des pages les plus brillantes de son œuvre écrite à la description des idoles, afin de les ridiculiser (És 40.18-23,25-28). L’Éternel, Yahvé, est le seul Dieu. Hors lui, il n’y en a pas d’autres. Tout ce qui existe dépend de lui.
Mais il est également un Dieu miséricordieux, le Père tout-puissant qui pardonne les offenses. Il demeure fidèle à son alliance. Grâce à sa fidélité, l’Église existe et progresse. La bonté est une de ses caractéristiques (Ps 100.5; 94.1-2,15). Ces deux caractéristiques suggèrent la richesse de la nature de Dieu. Rien n’est plus important que de comprendre cet aspect de Dieu. Car l’homme croyant se sait en présence de Dieu, qui est le Dieu personnel et plein de bonté. Dans sa bonté, il nous adresse la parole. À notre tour, nous pouvons lui répondre. Bien que notre discours à son sujet soit imparfait, néanmoins il est possible. La Parole que Dieu a prononcée est perceptible et clairement intelligible dans l’Écriture; son Fils l’a rendue vivante.
Nous est également révélée sa nature, en le Fils. En Christ, le Fils éternel habite corporellement toute la plénitude de la divinité. Le Christ est le seul Médiateur de la révélation, dans la création et dans la rédemption, le commencement et la fin de notre foi. Dieu est au commencement de notre foi, lui qui a décidé et a prédéterminé notre salut. La doctrine de la prédestination fait partie intégrante de la compréhension du salut.
3. Vivre en la présence de Dieu←⤒🔗
Vivre en la présence de Dieu, tel est le centre et le cœur de la foi biblique et réformée. La connaissance de Dieu n’est pas simple prise de conscience intellectuelle; elle est une connaissance du cœur, celle de toute notre personnalité, comme aussi la conviction de sa présence dans notre vie. Notre relation personnelle avec Dieu constitue le cœur de notre foi et sa confession publique. Elle est ainsi une connaissance beaucoup plus que théologique, philosophique ou scientifique. Elle suppose et elle affirme la rencontre de la créature avec son Créateur. Notre relation avec Dieu prime toute autre relation. Elle établit et règle toutes les autres.
Deux faits prédominent tout ceci : d’une part la réalité sensible de Dieu, d’autre part nos rapports avec lui. Les témoins de Dieu et des hommes de l’Écriture offrent l’exemple saisissant de cette conviction et de l’expérience extraordinaire de leur relation avec le Dieu révélé, connu, adoré, confessé. D’Abraham à Jacob : « Voici, l’Éternel est ici et je ne le savais pas » (Gn 28.16).
De Moïse à Élie : « Je suis celui qui suis » (Ex 3.14). Élie nous offre encore une illustration des plus remarquables de cette relation « religieuse » de l’homme avec Dieu. Voici sa déclaration de combat : « L’Éternel, le Dieu d’Israël est vivant devant qui je vis » (1 R 17.1 et 18.15). Cette phrase résume et explicite l’essence de la religion biblique : réalité de Dieu d’une part, présence de l’homme devant lui d’autre part. Pour le prophète, dans sa situation historique concrète, il était absolument indispensable de se rendre compte de ces deux aspects étroitement liés de la vérité. Sans quoi il n’aurait pas pu, lui seul, dépourvu de tout appui humain, rencontrer le roi Achab, faire face à Jézabel, l’abominable reine païenne, affronter la haine violente des 450 prêtres et prophètes de Baal, dénoncer l’idolâtrie, s’opposer à l’hostilité de la populace, subir la persécution des officiels. Le prophète se savait simplement, mais sûrement, en la présence de Dieu, du Dieu vivant, devant qui toutes les nations de la terre sont comme une goutte d’eau (És 40.15). C’est une telle conviction qui permit à cet homme solitaire de s’armer de courage et d’accomplir, avec une admirable fidélité, son ministère prophétique.
D’autres prophètes ont connu des expériences analogues et témoignèrent de la présence de Dieu à leurs côtés. Ésaïe a vu le Seigneur dans son Temple. Il fut saisi de frayeur, mais aussitôt rassuré, fut investi d’une mission (És 6). Michée affirma qu’il était rempli de la puissance avec l’Esprit du Seigneur et avec justice pour dénoncer les forfaits d’Israël (Mi 3.8). Jérémie fut appelé à se placer au-dessus des nations et des royaumes pour arracher et pour détruire, pour bâtir et pour planter (Jr 1.10). Il sera jeté dans la citerne, risée de tous, subira d’innommables affronts, mais ne bronchera pas, lui, l’hypersensible, frêle créature. Dieu l’a rendu semblable à une cité fortifiée, à un pilier de fer, comme des murailles de bronze contre tout un peuple. Il sera combattu, mais nul ne prévaudra contre lui. La présence et la protection constantes de Dieu lui seront assurées. Sa divine Parole adressée sera comme un feu qui dévore, servira de marteau qui brise et réduit les rochers en poussière (Jr 23.29). Songeons aussi à l’admirable Psaume 23 : « Le Seigneur est mon Berger; je ne crains aucun mal. »
Dans leur situation historique, il leur était absolument indispensable à ces oracles de Dieu de se rendre compte des aspects étroitement liés de la vérité. Autrement, comment auraient-ils pu résister, dénoncer le mal et l’idolâtrie, faire face à l’adversaire, parfois les faire trembler, affronter l’hostilité, subir l’oppression? Ils se savaient en la présence de Dieu, du Dieu vivant.
Certes, ce furent là des présences que le regard nu n’a pu apercevoir, les mains toucher et les doigts palper! Mais le jour viendra lorsque cette présence sera pleinement manifestée et clairement aperçue au milieu des hommes. Le Christ a été appelé Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous. Celui qui l’a vu a vu Dieu le Père (Jn 14.9).
Avant son ascension, il a promis : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28.20). Les témoins et les disciples affirmeront : « Nous l’avons vu et touché » (1 Jn 1.1-3). Car Dieu est Emmanuel, Dieu avec nous. Celui qui l’aura vu aura vu Dieu, le Père.
La foi chrétienne qui anime l’Église, peuple de Dieu, s’est rendu compte de la vérité et de la véracité de cette présence. L’Église n’est-elle pas le Temple de Dieu, habitée par l’Esprit? L’Église chrétienne a pu se rendre compte de la vérité et de la fermeté de cette promesse. Le Saint-Esprit est la présence de Dieu en son sein. Elle est le Temple de Dieu, le Tabernacle où il séjourne.
Ainsi, le peuple de Dieu de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance a eu une nette conscience de la présence divine d’une manière aussi dramatique qu’aiguë, comme Élie, comme Jérémie, comme Ésaïe. Le degré d’intensité a pu varier de l’un à l’autre, mais l’expérience fut identique.
Songeons à l’admirable expression latine de Martin Luther, qui témoigne de cette présence divine. Luther a parlé du coram Deo vivere, c’est-à-dire « vivre en la présence de Dieu ». Le réformateur allemand savait que dans son combat spirituel (Anfechtung), il se tenait aussi sûrement devant Dieu que face à des adversaires humains. Tel Jacob, le patriarche de l’Ancien Testament, au torrent du Jabbok, il devait lutter avec Dieu, pour lui arracher la victoire, même lorsque les apparences pouvaient démentir cette présence.
À son tour, Jean Calvin fut le grand témoin du coram Deo. Cette conviction de la présence de Dieu dans sa vie et dans la vie des hommes saute dans chacun des écrits du réformateur français. Elle devient indispensable pour comprendre son projet ecclésiastique et sa théologie biblique. Elle explique la cosmoscopie de ce chrétien et homme d’Église exceptionnel. On a dit à juste titre que Calvin fut le théologien par excellence du Saint-Esprit. Il a vécu, a médité, a écrit et a travaillé en la présence de Dieu. L’exemple de la doctrine particulièrement calviniste de l’union du chrétien avec le Christ est l’exemple d’une des grandes affirmations de sa pensée. Elle découle simplement de cette conviction dont nous venons de parler. Toute l’existence du chrétien est vécue en la présence, devant la face du Seigneur.
En réalité, le coram Deo et le soli Deo gloria sont une et même clé pour nous ouvrir l’accès au vaste édifice théologique et nous permettre de saisir la construction théologique magistrale de Calvin. Servons-nous-en donc pour comprendre cet édifice théologique calvinien. Elle rend son message intelligible. Sa théologie n’a voulu être autre chose que l’explication de cette grande vérité salvatrice.
Le coram Deo de Luther, le soli Deo gloria de Calvin, sont justement les clés indispensables pour pénétrer dans l’édifice majestueux du message de la Réforme. Dans les doctrines bibliques qui portent la marque indélébile de l’explication fidèle et loyale de Calvin, telle la doctrine de la providence, celle de l’image de Dieu en l’homme, de la création, de la vocation que Dieu adresse à l’homme, du salut et de l’élection, de la sanctification et du combat spirituel, de la prière, dans la souffrance, de la méditation de la Parole et la participation aux sacrements, un leitmotiv constant revient : on est placé sous le regard de Dieu, l’on vit par la foi en sa présence.
Dans les confessions de foi, la conviction de l’Église, Dieu apparaît comme le Seigneur suprême, contrairement aux dieux païens, aux idoles misérables, à ses succédanés.
Le coram Deo vivere a une triple implication :
1. La vie possède un sens. Ce sens dérive de Dieu. Alors, on peut la risquer pour Dieu, se savoir entièrement entre les mains de Dieu. Où trouver le sens? C’est la question qui hante nos contemporains. La réponse satisfaisante se trouve dans le divin « Je suis le Seigneur ton Dieu ».
2. En acceptant cette affirmation, notre existence retrouvera le sens. Notre combat d’aujourd’hui est entre la foi en Dieu, le Seigneur, et les faux dieux qui pullulent autour de nous. Nous occupons une position unique dans l’univers, créés par Dieu à peine inférieur aux anges (Ps 8).
3. Notre responsabilité est mise en évidence. Dieu attend notre réponse. Nous sommes des répondants. La responsabilité s’inscrit sur chacune des pages de l’Écriture (2 Co 5.10; 1 Co 9.16).
Plus qu’ailleurs nous comprenons sur ce point que la foi chrétienne n’est pas débat d’idées, spéculation aride sur tel ou tel point de théologie, mais réponse joyeuse et reconnaissante offerte à celui qui est Père, Fils et Saint-Esprit, révélé comme notre Dieu et notre Créateur, comme notre Rédempteur et « l’unique Consolateur, tant dans la vie que dans la mort ».
4. L’expérience du Dieu vivant chez Calvin←⤒🔗
Dans La pensée de la Réforme, Henry Strohl écrivait :
« Différente dans l’expression, l’affirmation de l’emprise de Dieu se retrouve chez tous les réformateurs. […] Calvin, dans l’un des rares passages où il se livre (préface du Commentaire des Psaumes), déclare qu’il a subi sa conversion. “Conversio subita” se traduit probablement par conversion subie, plutôt que conversion subite, car Calvin interprète lui-même ce terme en disant que “Dieu a dompté et rangé mon cœur à docilité”, ou que “Dieu par sa providence secrète me fit finalement tourner bride d’un autre côté”. Si, à la différence de Luther, toujours prêt à raconter ses expériences à ses commensaux, Calvin a été si réservé, la description si riche de la vie intérieure qu’il a donnée tout au long de l’Institution, nous laisse tout de même pénétrer dans l’intimité d’une âme qui ne pouvait décrire que ce qu’à la suite des grands inspirés elle avait vécu elle-même. Calvin insiste sur le témoignage intérieur du Saint-Esprit qui accompagne et rend vivantes et actuelles les paroles bibliques. C’est pour lui la preuve la plus décisive de l’inspiration des livres saints. C’est aussi l’indice de l’expérience personnelle d’une action de Dieu conforme à celle dont les prophètes, les psalmistes et les apôtres sont témoins. »
Il est extrêmement significatif que le thème de l’élection, exposé comme une vérité élémentaire dans l’édition de l’Institution de 1539, soit devenu pour Calvin, plus encore que pour Luther, un élément intouchable de sa doctrine; qu’il ait accumulé au cours de nouvelles éditions de son œuvre… et qu’il ait pu traiter d’aboiements de chiens les réserves de contradicteurs qui ne comprenaient pas cette intransigeance et épluchaient ses arguments. Cette doctrine a donc des racines profondes dans l’expérience personnelle de Calvin. Elle n’est que l’expression théologique de la conviction enracinée en lui que c’est uniquement par la grâce de Dieu qu’il était tout ce qu’il était devenu. C’est parce que cette doctrine, sous des aspects quelque peu rébarbatifs, exprimait quelque chose de vivant, que Calvin a pu entraîner tous les pasteurs de Genève à s’engager à la professer. Il les a amenés à se rendre compte qu’à l’origine de leur vocation chrétienne et pastorale, il n’y avait pas eu leur choix, mais un appel de Dieu. Il a consolidé leur vocation, leur a donné le « don de la persévérance », en leur communiquant sa conviction que leur foi ne reposait pas sur le fondement fragile d’une décision humaine, mais sur le roc d’un décret divin.
Cette conviction de l’initiative de Dieu dans la naissance et l’affermissement de leur vocation n’a pas amené une dévalorisation de l’homme. Tout au contraire, elle a renforcé toutes les énergies, en donnant à l’élu le sentiment d’une mission que Dieu lui confie et qui doit être accomplie avec fidélité. C’est le secret de l’activisme déclenché par les réformateurs, de la joie qui animait leur message et du courage indomptable dont ils ont fait preuve. Luther a dit des sentiments dans lesquels il est allé à Worms et y a tenu tête aux plus grandes puissances de l’époque : « J’étais intrépide, je ne craignais rien. Dieu seul peut vous exalter à ce point. »
Calvin aurait pu le répéter tout au long de son dur combat à Genève. Sûr de faire l’œuvre de Dieu, il disait qu’il ne faut jamais être plus courageux que quand tout semble désespéré, parce que la victoire ne dépend pas des hommes, mais de celui qui les a jetés dans la bataille… Pouvait-il avoir une preuve plus manifeste que Dieu avait à nouveau « choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes, celles qui ne sont rien, pour réduire à néant celles qui sont » (1 Co 1.27)? Quel encouragement à persévérer! L’ambassadeur d’Angleterre devait écrire, après avoir entendu en Écosse John Knox, que sa voix faisait plus d’impressions que la sonnerie de 500 trompettes et le roulement de mille tambours. Ce dynamisme n’était pas celui d’un simple mortel. Knox était le premier à le savoir et à le dire. Ces hommes n’ont jamais cessé d’admettre d’être indignes de celui qui, seul, les avait rendus si forts. Dieu ne les avait pourtant pas ramassés dans le ruisseau. Comme Paul, ils avaient cherché Dieu, mais c’est parler dans leur esprit que de varier à leur sujet la parole de Pascal : « Tu ne me chercherais pas, si tu n’avais été trouvé, choisi, élu. »
Nous ne songeons pas à contester que l’emprise directe de Dieu n’ait pas aussi été éprouvée par bien des âmes mystiques de l’époque, qui sont restées dans le sein de l’Église traditionnelle. Mais l’enseignement de l’Église et des écoles n’incitait pas à porter l’attention sur elle. L’accent mis, conformément à la tradition dominicaine, sur l’obligation primordiale de soumission au magistère et à l’autorité de l’Église pouvait faire croire que c’était l’acceptation de la mainmise de l’Église qui importait. D’autre part, l’accent mis, à la suite de la prédication franciscaine, sur la nécessité de se convertir, avait tourné l’attention si exclusivement sur « la part de l’homme » dans son salut, que le croyant pouvait se demander (avec certains docteurs) pourquoi la « part de Dieu » était indispensable. Ainsi, pensée et piété gravitaient autour de l’ecclésiologie et de l’anthropologie, et n’avaient plus leur pivot dans la théologie et la christologie. L’homme pouvait se sentir abandonné, d’une part, dans la mesure où l’institution lui apparaissait inefficace, en manifestant son caractère trop humain, d’autre part, dans la mesure où il reconnaissait l’insuffisance de ses efforts et le caractère douteux des « indulgences » qui devaient suppléer à leurs déficits.
Aussi, ce fut un fait bouleversant, exaltant, quand la Réforme détourna vigoureusement l’attention des institutions et des œuvres humaines, et mit au centre de son témoignage l’entrée du Dieu vivant dans la vie des individus et de la société. À la présence réelle sur l’autel, affirmée par le dogme, mais devenue théorique, insaisissable, se substituait la certitude d’une présence effective de Dieu, quand des hommes qui avaient entendu Dieu leur parler se faisaient les messagers de sa Parole, et que les fidèles, saisis à leur tour, entonnaient d’un plein cœur le soli Deo gloria.
5. Textes symboliques réformés←⤒🔗
a. La Confession de foi des Pays-Bas←↰⤒🔗
1. « Nous croyons tous de cœur, et confessons de bouche, qu’il y a une seule et simple essence spirituelle, que nous appelons Dieu, éternel, incompréhensible, invisible, immuable, infini, lequel est tout-puissant, tout sage, juste et bon, et source abondante de tous biens. »
8. « Suivant cette vérité et cette Parole de Dieu, nous croyons en un seul Dieu, qui est une seule essence, en laquelle il y a trois personnes réelles et vraies et éternellement distinguées selon leurs propriétés incommunicables, à savoir le Père étant cause, origine et commencement de toutes choses tant visibles qu’invisibles, le Fils, qui est la Parole, la sagesse et l’image du Père; le Saint-Esprit étant la vertu et la puissance éternelle procédant du Père et du Fils. Cependant, une telle distinction n’implique pas que Dieu soit divisé en trois, étant donné que l’Écriture nous enseigne que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont chacun sa subsistance distincte par ses propriétés, de sorte que toutefois ces trois personnes ne sont qu’un seul Dieu. Il est donc manifeste que le Père n’est point le Fils, et que le Fils n’est point le Père, et de même que le Saint-Esprit n’est ni le Père ni le Fils. Cependant ces personnes ainsi distinctes ne sont ni divisées, ni confondues, ni mêlées. Car le Père n’a point pris chair ni le Saint-Esprit, mais seulement le Fils, le Père n’a jamais été sans son Fils, ni sans son Saint-Esprit, parce que tous trois sont d’éternité égale en une même essence. Il n’y a ni premier, ni dernier, car tous trois sont un en vérité et en puissance, en bonté et en miséricorde. »
9. « Nous connaissons toutes ces choses tant par les témoignages de la sainte Écriture que par les effets, et principalement par ceux que nous sentons en nous-mêmes. Les témoignages des Écritures saintes qui nous enseignent à croire en cette sainte Trinité sont écrits en plusieurs passages de l’Ancien Testament, dont nous n’en citerons que quelques-uns [suivent citations]. Tous ces passages nous enseignent pleinement au sujet des trois personnes en une seule essence divine. Cette doctrine dépasse l’entendement humain, cependant nous la croyons maintenant par la Parole, en attendant d’en avoir la pleine connaissance et jouissance au ciel. Or, il faut aussi noter les offices et les effets particuliers des trois personnes envers nous. Le Père est appelé notre Créateur par sa vertu; le Fils est notre Sauveur et Rédempteur, par son sang; le Saint-Esprit est notre Sanctificateur, par sa demeure en nos cœurs. Cette doctrine de la sainte Trinité a toujours été maintenue en la vraie Église depuis les temps des apôtres jusqu’à présent contre les juifs, les musulmans et contre les faux chrétiens et les hérétiques tels que Marcion, Manès, Praxéas, Sabellius, Samosatus, Arius, et autres semblables, lesquels avec raison ont été condamnés par les saints Pères. Ainsi nous recevons volontiers en cette matière les trois symboles, celui des apôtres, celui de Nicée et celui d’Athanase, et de même ce qui en a été déterminé par les anciens conformément à ceux-ci. »
b. La Confession de foi écossaise←↰⤒🔗
1. « Nous confessons et reconnaissons le Dieu seul et unique, le seul auquel nous devions nous tenir, le seul que nous devions servir et honorer, le seul en lequel nous placions notre confiance. Il est éternel, infini, incommensurable, inconcevable, tout-puissant, invisible, un dans son essence, différencié en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Par lui, nous le confessons et croyons, sont créées toutes choses dans le ciel et sur la terre, les visibles et les invisibles. Il les conserve et par son insondable providence, les gouverne et les dirige vers le but que sa sagesse, sa bonté et sa justice éternelles leur ont fixé pour que soit manifestée sa propre gloire. »
c.La Confession de foi de Westminster←↰⤒🔗
II/1. « Il n’est qu’un seul, vivant et vrai Dieu, infini en son être et en sa perfection, très pur esprit, invisible, incorporel, indivisible, impassible, immuable, immense, éternel, incompréhensible, tout-puissant, très sage, très saint, très libre, absolu. Il fait concourir toutes choses au conseil de sa propre volonté immuable et juste, pour sa propre gloire. Il est amour, grâce, miséricorde et patience. Il abonde en bonté et en vérité. Il pardonne l’iniquité, la transgression et le péché. Il récompense ceux qui le cherchent assidûment. Il est aussi très juste et terrible en ses jugements. Il hait le péché et n’innocente d’aucune manière le coupable. »
II/2. « Dieu possède en lui-même et par lui-même toute vie, gloire, bonté et bonheur. Il se suffit parfaitement à lui-même et n’a besoin d’aucune des créatures qu’il a faites. Il ne tire d’elles aucune gloire, mais il manifeste seulement sa propre gloire en, par, vers et sur elles. Il est l’unique origine de tout être. Tout est de lui, par lui et pour lui. Il détient l’autorité souveraine sur toutes choses et accomplit par elles, pour elles et en elles tout ce qui lui plaît. Tout est évident et clair à ses yeux. Sa connaissance est infinie, infaillible, et ne doit rien à ses créatures; aussi pour lui rien n’est-il contingent ou incertain. Toutes ses pensées, toutes ses œuvres et tous ses commandements sont très saints. Les anges et les hommes ainsi que toute autre créature lui doivent adoration, service et obéissance en tout ce qu’il lui plaît d’exiger. »
II/3. « Dans l’unité divine, il est trois personnes d’une seule et même substance, puissance et éternité : Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit. Le Père n’est engendré par personne et ne procède de personne. Le Fils est éternellement engendré du Père. Le Saint-Esprit procède éternellement du Père et du Fils. »