Apprendre du meilleur - Le système adhésif du gecko
Apprendre du meilleur - Le système adhésif du gecko
Nous pourrions croire que notre technologie est de toute première classe. Notre société s’adapte sans problème à des machines de plus en plus sophistiquées, qu’il s’agisse d’ordinateurs, de satellites ou d’autres types d’appareils de précision. Chaque réalisation sert de tremplin à de nouvelles utilisations de la technologie et à de nouvelles inventions. Malheureusement, trop souvent nous nous enorgueillissons de nos connaissances au lieu de rendre grâces pour toute cette inspiration.
Pourtant, le fait est que tous nos appareils et toutes nos habiletés sont loin d’être comparables aux dons raffinés, détaillés et remplis de délicatesse qui ont été accordés aux diverses créatures. Tout comme les lis des champs qui, sans tisser de fines étoffes, sont pourtant vêtus bien plus magnifiquement que l’homme dans ses plus beaux habits, de toutes petites créatures possèdent des habiletés technologiques qui dépassent de très loin même nos plus grands accomplissements.
Certains scientifiques parlent de complexité irréductible ou de conception intelligente. Ces organismes en sont la démonstration. Cependant, tout comme l’homme sage qui avait pris le temps de considérer les façons d’agir des fourmis, nous nous sentons enrichis et remplis d’émerveillement lorsque nous considérons les résultats de la recherche moderne sur les merveilles de la création.
À l’envers
Apparemment, ce serait Aristote, philosophe de la Grèce antique et naturaliste, qui le premier se serait posé des questions sur l’habileté des geckos à se déplacer rapidement sans aucun problème sur des murs tout à fait verticaux ou sur des plafonds lisses. Depuis ce temps, les gens n’ont jamais cessé de se poser les mêmes questions sur ces talents spectaculaires, mais ce n’est que récemment que les scientifiques ont commencé à trouver des réponses.
Les geckos sont de petits lézards nocturnes qui vivent dans toutes les régions chaudes du monde, y compris dans la région méditerranéenne. L’espèce la plus populaire en recherche est le gecko tokay (Gecko gecko), qui peut atteindre 35 centimètres de longueur et peser jusqu’à 100 grammes. C’est une créature plutôt costaude pour pouvoir rester suspendue à l’envers sur une surface lisse. L’armée américaine et d’autres groupes intéressés par l’exploitation d’un adhésif aussi stupéfiant ont investi largement dans la recherche à ce sujet.
Les scientifiques intéressés ont premièrement cherché à éliminer tous les processus que le gecko serait susceptible d’utiliser, mais qu’il n’utilise pas. Pour ce faire, ils ont commencé par examiner la plante des pieds du gecko. Si le gecko utilisait un type de colle quelconque, il y aurait des glandes pour sécréter la substance. Cependant, il n’y a pas de glandes et le gecko ne laisse aucune trace de résidu après son passage.
Ce que l’on retrouve sur les coussinets de ses pieds, ce sont environ un demi-million de poils très minces et très courts arrangés selon des motifs distincts. Chacun de ces poils, qu’on appelle setae, se subdivise à son tour en environ 1000 filaments submicroscopiques appelés spatulae. Généralement en biologie, le terme spatulé réfère à une forme qui ressemble à une cuillère, mais aplatie à l’extrémité.
On a présumé pendant longtemps que les extrémités spatulées fonctionnaient comme des ventouses. Néanmoins, le fait que les pieds des geckos fonctionnent même dans un vacuum élimine complètement cette possibilité. De plus, leurs pieds adhèrent à la surface même lorsque l’air est chargé d’électricité. Par conséquent, ce n’est pas non plus l’attraction électrostatique (comme lorsqu’un ballon tient dans nos cheveux après avoir été frotté sur une surface dure) qui permet aux geckos de se déplacer ainsi comme par « magie ».
De toute évidence, ces explications ne sont pas les bonnes; un processus beaucoup plus subtil et sophistiqué doit donc rendre compte du phénomène. Au cours des dernières années, une équipe de chercheurs américains a découvert que le principe qui régit le fonctionnement du pied du gecko est le même phénomène obscur qui permet d’expliquer pourquoi l’eau reste ensemble comme liquide plutôt que de se disperser sous forme de gaz.
C’est Johannes Diderik van der Waals (1837-1923) qui a découvert que même les molécules qui n’ont pas le potentiel d’établir des liens chimiques entre elles sont en fait faiblement attirées les unes par les autres si les molécules sont poussées suffisamment près les unes des autres. Ce qui semble se produire chez le gecko, c’est un échange de charges électriques entre les molécules individuelles des spatulae et celles de la surface des matériaux. Un faible lien électrique se forme qui, lorsqu’il est multiplié par le nombre de spatulae par pied, agit comme une colle électrique puissante. Les molécules du pied et de la surface du matériau sont en réalité reliées ensemble dans une structure composite.
Une telle force de van der Waals explique très bien comment le gecko peut coller à une surface, mais ces animaux ne restent pas accrochés en permanence à un seul endroit. Pour pouvoir marcher ou courir, il faut qu’ils puissent se détacher. Apparemment, l’animal bouge tout simplement son pied de manière à décoller les setae de la surface. Pour faire adhérer les setae, l’animal pousse son pied vers l’arrière et pour les décoller, il le tire vers l’avant.
Le physicien néerlandais van der Waals a reçu le prix Nobel de 1910 pour sa découverte. Reste à voir quelle récompense sera attribuée aux chercheurs modernes qui espèrent pouvoir tirer profit d’une telle connaissance en vue de produire un adhésif puissant.
Les personnes impliquées dans ces recherches admettent que nous n’avons pas en ce moment l’expertise ou le savoir-faire nécessaires à l’élaboration de structures aussi raffinées que le pied du gecko. Une équipe anglaise de l’Université de Manchester a produit un morceau « d’adhésif gecko synthétique » de la taille d’un timbre-poste. Cette « invention » est recouverte de millions de « poils » en polymères plastiques et ça fonctionne! Le produit est tellement efficace qu’il pourrait permettre de suspendre une personne par une seule main au plafond.
Néanmoins, bien que les applications de ce concept soient « pratiquement sans limites », le produit actuel présente de nets désavantages. Alors que le produit réel fonctionne pendant toute la vie du gecko, l’adhésif synthétique est demeuré collant pendant tout au plus sept ou huit applications. De plus, la version artificielle est incroyablement coûteuse. Un morceau d’un mètre carré de cet adhésif coûterait des dizaines de milliers de dollars à produire. Il n’est donc pas surprenant que la recherche se poursuive avec frénésie en ce qui touche à ce projet.
Même le gouvernement canadien a sauté dans l’arène en accordant une subvention de 200 000 $ répartie sur cinq ans à un zoologiste de l’Université de Calgary. À notre époque de réductions dans les dépenses gouvernementales, c’est beaucoup d’argent pour un projet de recherche. Le gouvernement canadien doit s’attendre à ce que cet investissement entraîne des retombées économiques intéressantes! En attendant, tous ceux et celles qui sont impliqués s’entendent pour dire que c’est dans l’étude des créatures vivantes que nous devons chercher de nouvelles idées et trouver notre source d’inspiration.