1 Jean 2 - L'ancien et le nouveau
1 Jean 2 - L'ancien et le nouveau
« Et maintenant, petits enfants, demeurez en lui, afin qu’au moment où il sera manifesté, nous ayons de l’assurance, et qu’à son avènement, nous n’ayons pas honte devant lui. Si vous savez qu’il est juste, reconnaissez que quiconque pratique la justice est né de lui. Voyez, quel amour le Père nous a donné, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu! Et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il ne l’a pas connu. Bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté; mais nous savons que lorsqu’il sera manifesté, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. Quiconque a cette espérance en lui se purifie, comme lui, le Seigneur, est pur. »
1 Jean 2.28 à 3.3
Notre existence ordinaire se déroule naturellement dans une triple dimension du temps : passé, présent et avenir. Il n’en est pas autrement dans l’existence menée par la foi, dont l’espérance signifie la dimension prolongée vers l’avenir. Jusqu’à présent, l’apôtre Jean nous avait parlé du passe et du présent. À partir de maintenant, il oriente la pensée, je devrais dire la foi, vers l’avenir. Or, cet avenir est organiquement, c’est-à-dire indissolublement lié au passé, fondé sur les événements qui s’étaient déroulés antérieurement. Inutile de rappeler, même en les résumant, la liste de ces événements.
Signalons en tout état de cause l’apparition du Christ, sa mission rédemptrice, l’appel que son Évangile adresse aux hommes et aux femmes, de tout âge et à chaque génération, à une existence nouvelle. Depuis sa venue parmi les hommes, on peut et même on doit — c’est là une impérieuse obligation — parler de l’ancien et du nouveau. Le nouveau, dont nos contemporains s’acharnent à découvrir dans chacune de leurs folles équipées, n’est que le prolongement insensé de l’ancien, sans qu’un tel prolongement signale la moindre nouveauté réellement nouvelle ni augure un avenir radicalement transformé. Car les nouveautés dont goulûment, voire désespérément, hommes et femmes de tout siècle sont épris et cherchent à vivre, représentent ce qui est dépassé, caduc, destiné à la perdition et qui ne laissera aucune trace permanente.
Or, déclare saint Jean, sans doute au grand scandale de tous les maniaques de la nouveauté fictive, or, nous marchons vers l’avenir, un avenir chargé d’un bout à l’autre d’un bonheur transformé, ou bien, pour employer un mot biblique plus réaliste, vers la béatitude.
Et voici le principal contenu de cette nouveauté réellement nouvelle : il paraîtra. C’est-à-dire Jésus le Christ, qui avait déjà paru, dont les disciples et apôtres furent les témoins et les lecteurs des pages signées par Jean, le peuple libéré, sa propriété, va paraître de nouveau. Il y a eu, lors du premier Noël, dans une étable et au milieu « du bœuf et de l’âne gris », la naissance d’un petit enfant frêle ayant grandi et vécu dans des circonstances pouvant apitoyer les cœurs les moins sensibles. Mais ce même Jésus-Christ paraîtra en gloire, avec majesté, revêtu de l’autorité suprême, en tant que Maître et Seigneur des hommes et de l’univers.
Ainsi, la foi ne regarde pas uniquement vers le passé, bien qu’elle le doive, aux débuts de la plus grande, de la plus profonde et de la plus merveilleuse aventure spirituelle que l’univers ait jamais connue; même pas pour y puiser les bontés que Dieu y a manifestées. L’intérêt de la foi ne se borne pas non plus à l’heure qui passe, au temps fugitif du moment présent. Elle fixe le regard avec joie, avec l’ardeur de son espérance inaltérée, vers un futur qui s’appelle la parousie, c’est-à-dire l’avènement, la deuxième venue de son Seigneur et de son Dieu.
Cette nouvelle apparition sera différente, parce que revêtue de sa puissance illimitée, mais toujours enveloppée de l’amour avec lequel il avait déjà rendu visite aux humains. Celui qui connut le tourbillon de la croix, qui fut rejeté des hommes et maudit comme le dernier des derniers, viendra, au jour fixé, comme le Christ-Roi, le Chef de son Église; alors cette Église peut, dès à présent, se dire bienheureuse, comblée, et goûter comme un avant-goût la béatitude de l’avenir merveilleux qui lui est réservé.
Pour l’Église chrétienne, l’avenir ne se trouve pas caché derrière une opacité dissimulant une destinée terrifiante, objet d’angoisses et de conjectures, ou encore d’élucubrations utopiques et utopistes. On connaît la liste de ces faits et de ces événements indiscernables, inspirant craintes et appréhensions aux mortels au tournant de chaque nouveau siècle, et contre lesquels ils n’arrivent pas à se défendre faute d’une sereine certitude, d’une connaissance sûre et d’une espérance joyeuse.
Malgré cela, les hommes attendent un avenir leur apportant la libération. Mais ils sursautent et tremblent d’angoisse lorsque l’inattendu vient les surprendre ou les menacer. Cherchez autour de vous, que ce soit dans le domaine de la littérature, de la philosophie, de la politique ou de la technique, un lieu où brille, sereine, l’espérance. Toutes les anticipations chimériques des hommes charrient avec elles des peurs irraisonnées. Il n’en est pas ainsi pour l’Église fidèle. Son avenir est une personne céleste, le Fils de Dieu et le Fils de l’homme, le Christ Sauveur, l’espérance de sa gloire.
Le terme original grec employé pour désigner cet avènement, la parousie, signifie la présence efficace, la venue, l’arrivée; pour le vocabulaire profane qui l’utilisait avant les chrétiens, il décrivait la visite du souverain, marquée par la construction d’édifices, la frappe de monnaies, une datation nouvelle et la rédaction de suppliques où la population exposait ses soucis et faisait part de ses espoirs. C’est donc la visite définitive du Christ-Roi qu’attend l’Église dont l’existence se déroule entre les deux venues, et cette perspective la fait vivre dans le futur autant que dans le passé.
Mais attention, la parousie ne sera pas seulement un moment de bonheur et de félicité pour tous. Si elle est l’avènement du Sauveur, ce Sauveur est également le Juge des hommes et le Souverain qui demandera des comptes. Ses discours dans les Évangiles le laissent clairement entendre. La parousie sera aussi l’heure de la confusion, de la honte et de la terreur, car le Seigneur refusera pour toujours ceux qui, avec une obstination rebelle, l’ont refusé; heure de rétribution pour les agents du mal, pour les fauteurs d’injustices, pour les auteurs de violences et de cruautés, pour ceux qui ont parlé le langage du mensonge et ont profané le saint nom du Seigneur. La parousie sera un moment terrible, d’où l’horreur ne sera pas écartée.
Pourtant, les fidèles du Christ l’attendent la tête haute, le regard droit, avec une parfaite assurance. S’il nous jugera, car à notre tour nous lui rendrons compte de nos œuvres, le moment de notre jugement révélera mieux que jamais de quelle manière et jusqu’à quel point le Sauveur a suppléé à nos manquements, a revêtu notre nudité, a expié nos fautes et purifié nos souillures.
L’heure du jugement sonnera le verdict de notre acquittement. Alors nous proclamerons, en jubilant, ses louanges par des cantiques d’une infinie et irrépressible gratitude.
« Ainsi, dirons-nous, Seigneur et Sauveur, mon péché, si terrible qu’il t’a valu la descente aux enfers, le mal dont je suis coupable et qui est abominable aux yeux de ta sainteté, a été englouti dans l’océan de ta grâce, et à présent je peux évaluer la miséricorde qui entoure ta justice. C’est pourquoi je peux attendre ton jugement avec impatience, pour enfin pouvoir mesurer la profondeur et la hauteur, la largeur et l’infinie richesse de la rédemption dont, avec ton peuple, je suis le bénéficiaire. »
Je retiens aussi cette autre leçon de la parousie. Ce qui compte dans mon existence actuelle, ce ne sont pas mes droits, mais les droits de Dieu. À une période où nos contemporains sont obsédés par un nombre croissant de « droits », si souvent absurdes sinon dangereux, et où les utopies sociales hantent nos contemporains, qui ne calculent ni ne prévoient les catastrophes sociales et économiques qu’une telle mentalité infantile ne manquera pas de provoquer, rappelons-nous impérieusement que, en définitive, ne sont décisifs que les droits du Souverain à qui nous avons l’obligation de tout soumettre.
La parousie est donc pour les fidèles un jour d’assurance. Dieu est juste; il jugera tout et tous avec équité. Aucune créature mortelle et déchue ne pourrait subsister devant sa souveraineté ni se justifier devant sa justice, sa morale et ses lois; l’homme ne peut pas un seul instant lui plaire, car pour cela il faut qu’intervienne un changement total. Nés de Dieu, nous pouvons être certains d’avoir de l’assurance lors de son avènement. La nouveauté véritable est la nouvelle naissance, idée cardinale de cette lettre comme de tout l’Évangile. Mais de quelle nouvelle naissance s’agit-il?
Avec honte et consternation, nous constatons des clichés, des formules stéréotypées et des artifices de langage qui ravalent la nouvelle naissance à une affaire dépendant davantage de la volonté humaine que de la souveraine grâce divine. Comme si cette volonté était souveraine! Comme si l’homme mort dans ses transgressions pouvait, en faisant un petit effort, aider Dieu à le faire naître de nouveau! Cela peut sembler à certains une bonne recette, mais est fort loin d’être en accord avec l’Évangile.
La nouvelle naissance, aussi bien pour saint Jean, pour saint Paul, pour saint Pierre et pour le Christ en personne, est l’affaire de Dieu. Nous naissons de lui, qui nous a engendrés, comme lors de notre naissance physique, non pas à cause de notre propre initiative; on n’a pas pris notre avis pour nous faire venir au monde. Nous n’avons pas participé à la décision, mais nous voilà vivants; nous ne pouvons même pas faire le moindre pas, le plus petit effort à cet égard. Le miracle du passage de la mort à la vie est, à son tour, une œuvre divine.
Nous avons été régénérés. Je ne discuterai pas ici du moment ou de l’occasion de la régénération. Le baptême d’eau en est le signe et le baptême de l’Esprit en est l’agent. Quant au mode, je ne tiens pas trop à m’en embarrasser. Je sais par la foi et à travers l’écoute de l’Évangile que je suis né de nouveau. Par l’Esprit et par la Parole, Dieu a renversé la situation, a fait mourir l’ancien moi et fait paraître l’homme nouveau; il a ressuscité la créature déchue pour en faire une création nouvelle. Dieu est Dieu, dont tout dépend, et vous et moi demeurons ses créatures ne possédant rien en propre.
Enfin ce merveilleux : « Voyez quel amour le Père nous a témoigné, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu, et nous le sommes » (1 Jn 3.1). Quel amour! Ce « quel » nous transmet la vibration de l’âme de l’apôtre Jean. Il traduit un frémissement; il marque combien prodigieux, extraordinaire et magnifique est l’amour de Dieu à notre égard. Le cœur battant, Jean discerne une merveille, et il veut nous associer à sa contemplation. Enfants de Dieu, nous avons un Père!
Dieu est Père de toute éternité. Il est le Père de Jésus-Christ. Si Dieu nous aime de la même manière qu’il aime Jésus-Christ, son Fils, depuis toute l’éternité, cet amour est donc durable, éprouvé, sans ombre et sans taches. Il ne connaît ni éclipses ni fluctuations; il est toujours égal et ne s’épuise jamais.
Par nature, nous n’avons pas droit à cet amour. Il est impossible de le réclamer comme un dû. Mais la décision et l’intervention de Dieu nous l’accordent. S’il ne nous donne pas le nom d’enfants, nous demeurerons des fils prodigues. L’humanité à l’état naturel réclame à cor et à cri son indépendance de la tutelle divine. Méprisant et rejetant le Père, elle choisit une liberté illusoire; seule la grâce de Dieu est capable de recréer l’unité compromise.
Grâce certaine et réelle, grâce réelle et actuelle, parce qu’elle repose sur l’envoi du Fils unique. Il est notre Père parce que Jésus est apparu et vit au milieu de nous.
Un dernier point à soulever : Nous serons semblables à lui. Certes, je ne parlerai pas de notre divinisation, comme le font un certain nombre de théologies et d’églises orientales. Nous ne changerons pas notre nature humaine, mais nous serons des enfants de Dieu, régénérés et vivants par lui et à cause de lui. Nous avons cette espérance en nous. Au sein des épreuves et des souffrances, opprimés dans les griffes du mal, voire de la mort, il est bon de nous souvenir de l’espérance, de l’autre monde, du Seigneur qui vient et qui domine tout ce qui existe. C’est ainsi que nous pourrons persévérer. Car si nous sommes appelés à devenir un jour semblables au Christ, il faut l’imiter dès maintenant, faire comme il aurait fait, nous purifier, agir en obéissant, avec gratitude. Fondés dans ce que Dieu a fait dans le passé, fermes dans le présent, laissons-nous tirer en avant vers l’avenir qui s’appelle espérance. Notre marche quotidienne en sera plus facile.