1 Jean 1 - Dieu est lumière
1 Jean 1 - Dieu est lumière
« Voici le message que nous avons entendu de lui et que nous vous annonçons : Dieu est lumière, il n’y a pas en lui de ténèbres. Si nous disons que nous sommes en communion avec lui, et que nous marchions dans les ténèbres, nous mentons et nous ne pratiquons pas la vérité. Mais si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres, et le sang de Jésus son Fils nous purifie de tout péché. Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de toute injustice. Si nous disons que nous n’avons pas péché, nous le faisons menteur, et sa parole n’est pas en nous. »
1 Jean 1.5-10
Jésus avait déclaré que Dieu est Esprit (Jn 4.24). Dans sa première lettre, Jean écrira que Dieu est amour (1 Jn 4.8). Ici même, il déclare que « Dieu est lumière, il n’y a pas en lui de ténèbres » (1 Jn 1.5). Dieu est lumière. Rien de plus simple ni de plus clair que ces paroles.
Mais que signifie l’affirmation que Dieu est lumière? Les explications données ont été nombreuses. Il est, d’après des commentateurs, « esprit pur et intelligence parfaite »; « le souverain bien sans aucun mélange de mal ou d’imperfection »; « inaccessible, infini, omniprésent, inchangeable »; « plénitude de son essence divine »; « la sainteté et la pureté essentielles à la nature de Dieu »; « l’existence divine semblable au soleil glorieux et pur ».
Chacune de ces explications est belle et certainement correcte. Si on nous demandait de nous imaginer Dieu et de le décrire, nous dirions probablement les mêmes choses. En effet, si Dieu est Dieu, rien n’est trop grand ni trop élevé pour le décrire. En lui habitent les valeurs suprêmes, et nous nous le représentons comme spirituel, intelligent, parfait, pur, sage et bon. Est-ce tout? Le sens de « Dieu est lumière » s’épuise-t-il par ces expressions?
Une remarque de tout premier ordre s’impose à ce point. Il nous est interdit de nous imaginer Dieu, car l’imaginer suppose déjà tenter un mouvement ascendant vers lui, chercher à le découvrir et à le dévoiler par nous-mêmes. Bref, l’homme tentant d’atteindre l’infini…
Telle n’est pas la direction que prend saint Jean. Il nous parle d’un message reçu; d’une nouvelle qu’il a entendue avec ses condisciples, ceux qui furent, avec lui, les témoins de la première heure. Ils ne se sont pas mis en quête de l’être transcendant; ils ont simplement reçu celui qui s’est révélé à eux. Ils ne se sont pas imaginé l’éternel, mais l’ont vu, touché, entendu… Il s’est manifesté concrètement à eux au cours de leur histoire humaine. À présent, ils transmettent une vérité qui ne vient pas d’eux-mêmes. Ils interprètent un fait dont ils ne sont pas les initiateurs. Ils tiennent ce message de Jésus-Christ lui-même, dont l’enseignement, la vie, l’œuvre et toute la personne forment cette Bonne Nouvelle que Jean transmet à l’Église. En un mot, il ne s’agit pas ici d’une pensée qui part de leurs propres réflexions ni d’un mouvement lancé à la conquête de Dieu, mais de la révélation de celui-ci, à laquelle il rend témoignage.
Permettez-moi une digression qui à première vue pourrait ne pas vous intéresser et que vous considérerez peut-être sans importance pour vous. J’espère prouver sa nécessité pour bien comprendre la nature de la révélation de Dieu et pour en parler correctement.
Depuis un certain temps, il est courant de ne parler que de « Dieu en soi ». Ceux qui sont quelque peu familiers avec la philosophie moderne se rappelleront qu’Emmanuel Kant, le célèbre philosophe allemand du 18e siècle, parlait du « nouménal » et du « phénoménal ». Le « nouménal », et ici je suis obligé de simplifier à l’extrême, nous reste inconnu et inaccessible. Nous ne connaissons ni ne pouvons nous rendre compte que de ce qui est « phénoménal », c’est-à-dire ce qui relève du domaine de l’observation et de l’expérience.
C’est à peu près la même réflexion qu’ont faite depuis le début du 20e siècle certains théologiens qui ont refusé de parler de « Dieu en soi ». Ils ne prêcheront donc que le « Dieu pour nous ». Au premier abord, cela peut nous sembler séduisant, mais ce n’est pas du tout conforme à ce que la Bible nous révèle de l’être de Dieu. Comme si saint Jean, parlant de Dieu qui est lumière, ne s’intéressait pas à Dieu en soi. Certains affirment que nous ne pouvons connaître que celui qui en Jésus-Christ, c’est-à-dire exclusivement dans sa révélation historique, dans une ligne horizontale, nous est connu. Au-delà de cette ligne, Dieu nous resterait totalement inconnu.
Or, il n’y a pas de Dieu « pour soi », pas plus qu’il n’existe d’art pour l’art! Ce serait là une vue bien courte, courte en tout cas d’après les mesures bibliques. Dieu, a-t-on dit, ne veut pas vivre à l’écart du monde, enveloppé dans un souverain dédain pour nos rêves et pour nos peines… Et on ajoute avec une conviction qui semble découler de la vraisemblance qu’il n’y a qu’un Dieu, le Dieu « pour nous », qui rompt les barrières de son isolement pour faire irruption dans l’histoire et dans la vie des hommes.
Vous avez noté le terme « isolement ». En somme, avant de se mettre en rapport avec les hommes, Dieu aurait été isolé et en manque de communion… Lui, qui est Trinité, existant dans la communion éternelle qui caractérise les relations des trois personnes divines entre elles! Cela sous-entendrait qu’il est malheureux sans nous, que c’est grâce à nous qu’il devient Dieu… et que nous faisons même son bonheur!
Il ne serait donc plus un Dieu ayant tout pleinement en lui, n’ayant nul besoin ni de nous ni de l’univers, totalement autosuffisant dans la plénitude de la déité. Croire le contraire c’est contredire le témoignage que la Bible rend à sa révélation. Or, Dieu nous parle autant de sa révélation à nous que de son être en soi. Soit dit en passant, la Bible n’a jamais fréquenté nos philosophes existentialistes, ceux de la rive gauche ou d’ailleurs!
Une conséquence plus fâcheuse encore, découlant de cette théologie, n’a pas tardé à apparaître. Ceux d’entre vous qui ont suivi l’actualité théologique des trente ou quarante dernières années, vous vous souviendrez sans doute de la blasphématoire théologie dite « de la mort de Dieu ». Comment a-t-on pu en arriver là? Simplement par le fait que Dieu n’était pas supposé de se révéler ailleurs que dans la ligne horizontale de l’histoire humaine, et exclusivement à ce niveau-là puisque n’ayant pas d’être en soi, mais existant seulement « en relation »; dès lors, il était inévitable non pas de remonter plus haut sur cette ligne, mais hélas! de la descendre toujours plus bas… Jusqu’à aboutir à la constatation de sa mort par nos nécrothéologiens modernes…
Ne me reprochez pas, amis lecteurs et lectrices, de vous entretenir de subtilités théologiques. Car voyez où certaines de ces subtilités peuvent nous mener si nous n’y prenons pas garde. Si Dieu n’est que « pour nous », c’est-à-dire exclusivement un Dieu en relation avec l’homme, il finira par tomber entre les mains de ses interprètes modernes, décidés à lui réserver le sort qui leur plaît. Ce dont ils ne se sont d’ailleurs pas privés, puisqu’ils n’ont même pas hésité à nous faire part de son décès! Clarifier ces idées est essentiel pour croire que Dieu est lumière, car si nous nous mettons à suivre les interprétations modernes concernant sa personne, nous finirons par faire de lui un Dieu des ténèbres, enfui dans la mort.
Est-ce ce Dieu-là que Jean, les apôtres, puis l’Église universelle dans sa foi évangélique et catholique, ont prêché durant deux mille ans? Non, mille fois non.
Mais reprenons encore le fil de la pensée tracée par saint Jean : Dieu est lumière. Lumière qui éclaire et répand ses rayons, elle s’étend et gagne les espaces envahis par les ténèbres et les chasse. « La lumière véritable brille », écrira l’apôtre plus loin (1 Jn 2.8). Le Dieu en soi désire aussi se manifester aux hommes. Dieu s’autorévèle. Car la particularité de la lumière est d’être visible et aperçue. Cela vous semblera sans doute un truisme… En Dieu, il n’y a rien de secret et de dissimulé. Il guide, il oriente et il éclaire le chemin. Dieu s’autorévèle, mais nous révèle aussi à nous-mêmes; il éclaire tout ce qui est caché en nous, que nous dissimulons, que nous refoulons avec obstination.
Le « nouménal » dont parlait Kant, devient ainsi « phénoménal », c’est-à-dire se manifeste, apparaît, se révèle. Il devient illumination et éclairage, irradiation et incandescence, phare et fanal parce qu’il a décidé non de gagner en notre compagnie un peu de félicité, mais afin que nous gagnions la béatitude éternelle qu’il nous offre. C’est parce qu’il est Dieu en soi qu’il peut aussi devenir Dieu pour nous et avec nous, c’est-à-dire Emmanuel. Il existait dans son éternité avant de s’incarner en son Fils à Bethléem, et à cause de ses décrets éternels, il a décidé d’agir au cours de notre temps, à notre égard, pour notre salut.
Ce qui est certain, absolument certain pour la Bible et pour saint Jean, c’est que l’homme en soi n’existe pas; c’est là une pure illusion. L’homme ne peut pas se couper de Dieu, même s’il lui tourne le dos. La lumière luit jusqu’au cœur des ténèbres les plus opaques. Et si l’homme rebelle s’entête à choisir les ténèbres pour domicile et pour parure, ces ténèbres témoigneront encore, malgré elles, de la lumière qui luit, du Dieu de toute lumière. L’homme se voulant souverain, indépendant et livré au désir de sa puissance ou noyé dans le désarroi, n’est pas l’homme en soi. Il s’imagine qu’il est libre, et un jour il découvre que rien dans sa vie ne tient. C’est cette fausse autonomie que saint Jean appelle « les ténèbres ».
Notre texte le montre clairement : L’homme ne peut vivre pour Dieu tant qu’il se fait des illusions sur sa propre personne. Si nous disons que nous n’avons pas de péché… nous nous trompons, nous nous séduisons nous-mêmes, dit l’apôtre. La lumière de Dieu met au grand jour notre véritable état. En se révélant à nous, Dieu nous révèle aussi à nos propres yeux. Ce n’est que dans sa lumière que nous verrons notre lumière.
Hors de Dieu, nous ne savons pas qui nous sommes, c’est-à-dire ignorants et amnésiques; refoulant sa vérité et repoussant sa personne. Il est notre absolu dont dépend et dépendra notre temporalité, notre fragilité, notre mortalité. Ferons-nous le point pour savoir qui nous sommes? Il nous faudrait passer par un examen sérieux pour être dégrisés de nos illusions, pour défaire le personnage composé que nous nous sommes fabriqué, pour briser l’échelle de nos raisonnements et de nos justifications, cherchant à expliquer nos défaillances. N’enjolivons pas notre histoire. Renonçons à la naïve indulgence que nous avons pour nous-mêmes. Laissons-nous éclairer par la lumière et cessons de jouer la comédie.
Car, écrit saint Jean, « nous mentons »; nous faussons la vérité. Les illusions que nous avons sur nous-mêmes se placent entre nous et Dieu. Elles nous égarent. Or, cette illusion n’est pas uniquement fatale pour nous-mêmes, mais touche aussi Dieu personnellement, elle heurte et blesse son honneur. Nous le faisons menteur. Nos illusions lui font dire le contraire de ce qu’il révèle sur lui-même et à notre sujet. Nous mettons en doute sa véracité. Or, l’apôtre condamne cette illusion. Non, nous ne sommes pas sans péché.
Le péché! Voilà le grand mot lâché, qui rencontre tant de désapprobation. Car celui qui s’admet pécheur est censé d’être quelqu’un qui se complaît dans la morosité et la morbidité. Alors on critique une telle dépréciation de soi et on la repousse avec la dernière énergie. À l’heure où il s’agit avant tout d’affirmer la dignité humaine et de s’unir pour bâtir un monde meilleur, pourquoi persister en des notions aussi négatives et désagréables, tel le péché, si dénigrantes pour notre noble humanité? Car comme chacun sait, s’admettre pécheur enlève le courage, brise la confiance en soi, paralyse tout élan et toute action pour bâtir une meilleure société.
Saint Jean parle un autre langage : « Le sang de Jésus son Fils nous purifie de tout péché » (1 Jn 1.7). La foi de l’Église universelle, à la suite des apôtres, déclare que la mort de Jésus-Christ fut une mort expiatoire. Saint Jean n’attribue pas une vertu à la seule venue du Fils de Dieu; car l’incarnation visait un but suprême : celui de la rédemption par son sang, répandu pour la rémission de nos péchés. On peut ne pas admettre cela et vouloir interpréter le christianisme selon des critères modernes. Mais on ne pourra nier que l’enseignement de tout le Nouveau Testament, qui reprend d’ailleurs celui de l’Ancien Testament, est que Jésus-Christ, le Fils de Dieu, est venu pour sauver les pécheurs et, pour cela, il devait offrir sa divine personne en sacrifice expiatoire. Nous qui vous l’annonçons, nous n’avons rien inventé; nous tenons fermement à la succession apostolique dans la doctrine chrétienne. La mort rédemptrice du Christ est une partie intégrante de l’ensemble de son ministère.
La vie est venue et la lumière avec elle. Le soir de son arrestation au jardin de Gethsémané, le Christ disait à ceux qui, armés de torches et d’épées, cherchaient à l’arrêter : « C’est ici votre heure et le pouvoir des ténèbres » (Lc 22.53). Jésus gravit le Calvaire et se laissa clouer sur la croix parce qu’il connaissait la gravité de nos péchés. Il y assuma notre châtiment; il fut notre rançon, l’homme de douleur, rejeté et réprouvé. Maintenant, nous savons que « le sang de Jésus son Fils nous purifie de tout péché ». « Sans effusion de sang, il n’y a pas de pardon », écrit de son côté l’auteur de la lettre aux Hébreux (Hé 9.22). Il l’a fait une fois pour toutes; nous n’avons pas à compléter son expiation, pas même à l’actualiser symboliquement ou rituellement. Nous n’avons qu’à nous l’approprier par la foi.
Nous ne parlons pas du péché par amour du péché; nous en parlons afin de transmettre le message de notre salut, l’annonce de la Bonne Nouvelle de la rédemption acquise, de la réconciliation réalisée avec Dieu le Père, de notre définitif rapprochement avec Dieu, notre vie et notre Sauveur. Désormais, « si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les pardonner » (1 Jn 1.9). Mais il nous faut les confesser. Il ne suffit pas d’une vague reconnaissance de fautes ou la constatation de quelques défaillances; surtout pas de nos naïves comparaisons : Nul n’est parfait; pourquoi le serais-je, moi?
Dieu demande que, devant lui, nous prenions tout d’abord conscience de notre véritable état de péché et que nous le lui confessions. Il ne nous pardonnera pas si nous ne confessons pas notre péché. Nous pouvons le faire dans le secret de notre cœur et l’intimité de notre chambre, mais aussi, lorsqu’il est particulièrement grave et cause un scandale public, devant l’assemblée des frères, la communauté des fidèles, pécheurs, mais pardonnés. Nous le faisons sincèrement et réellement lors du culte, lorsque l’admirable prière liturgique confesse nos péchés.
Mais l’essentiel est de le faire et non la manière de le faire. Nous devons confesser nos fautes. Car la fidélité de Dieu est telle et sa justice si réelle qu’il veut nous pardonner à cause du Christ dont le sang nous purifie de tout péché. Dieu n’est pas inexorable. Sans doute, nombre de nos angoisses de modernes, de nos maladies mentales, de nos paranoïas et autres névroses sont dus à des péchés réprimés que nous refusons d’avouer, de faire venir à la surface. Nous préférons les dissimuler et souffrir seuls, torturés par des souvenirs pénibles, plutôt que nous exposer à la lumière de Dieu, le seul qui guérit, purifie et restaure.
Or, Dieu est accessible. Il nous aime. Il a décidé d’être notre Dieu, d’agir en notre faveur, d’être Emmanuel, Dieu avec nous. Son pardon nous atteint et nous transforme. Il efface nos fautes, et ainsi nous le trouvons ou le retrouvons. Simultanément, nous nous trouvons aussi en communion les uns avec les autres. Voici la véritable solidarité entre humains. Au pied de la croix, confessant nos fautes, assurés du pardon, heureux de la réconciliation avec Dieu et avec les hommes…
Ce n’est qu’en écoutant et en croyant à cette Parole que les hommes, les nations, les peuples, les races et les cultures retrouveront une harmonie véritable et durable; qu’aucune tribu n’en anéantira une autre; qu’aucune race n’asservira une autre race; qu’aucun peuple ne commettra le génocide d’un autre peuple; qu’aucune nation ne fera plus son autogénocide ou ne pratiquera d’abominables purifications ethniques. Est-ce un rêve? Non, plutôt une ferme conviction et aussi une prière fervente. Prenons saint Jean au mot : Si nous confessons nos fautes, Dieu nous pardonne et alors nous sommes tous dans la véritable communion les uns avec les autres. La communion fraternelle est aussi une grâce, comme son pardon.