Les éléments du culte réformé
Les éléments du culte réformé
Après ce rappel historique sur l’origine du culte réformé1 d’après le modèle calvinien, terminons par la considération des divers éléments qui forment l’unité du culte biblique et réformé.
Dans l’ensemble, la liturgie réformée est composée d’éléments « fixes », par exemple la liturgie de la Cène et du Baptême et, bien entendu, le texte de la confession de la foi (Symbole des apôtres et Symbole de Nicée-Constantinople), et d’éléments « spontanés », étant donné que les besoins sont changeants suivant les époques et les lieux.
Nous rappelions dans un paragraphe précédent combien, dans la pensée chrétienne, le culte adressé à Dieu est essentiellement un culte d’adoration spirituelle. Il ne consiste pas en actes extérieurs, mais découle du fond du cœur régénéré de l’homme croyant. Néanmoins, à cause de la réalité du péché et de l’« imbécillité » de l’homme (dans le sens originel de faiblesse, pour reprendre l’expression de Calvin), le chrétien le plus spirituel ne saurait célébrer un culte en esprit dépourvu du secours et des moyens extérieurs.
C’est pourquoi Dieu avait donné la loi à son peuple Israël afin que celle-ci, tel un pédagogue, puisse l’amener vers le Christ2. Même si l’ère nouvelle de la Nouvelle Alliance reçoit le don de l’Esprit, elle a quand même besoin d’aides extérieures qui seront de type différent de celles en vigueur dans l’Ancienne Alliance. Ces aides permettent d’élever son cœur vers Dieu et de croître dans la grâce, et les dix commandements resteront valables pour le peuple de la Nouvelle Alliance.
Calvin et ses successeurs savent toutefois qu’il n’y a rien de sacro-saint dans une forme liturgique donnée. Car ce qui est bon pour tel pays et à une telle époque ne l’est pas forcément à une autre période de l’histoire ni pour un pays différent. La théologie réformée ne s’accommode donc pas des formes de liturgie fixes et rigides3.
Le service liturgique commencera par le rappel de la puissance redoutable et de la majesté du Dieu Créateur. Ce n’est que lorsque l’adorateur est imprégné de ce sentiment de respect et qu’il éprouve une sainte crainte et un saint tremblement qu’il peut espérer les bienfaits de l’amour du Dieu Rédempteur. Ces bienfaits lui viennent par le canal de la Parole et des sacrements. Le culte peut aussi commencer par un texte autre que celui du Psaume 124, par exemple une invitation à l’adoration suivie par le répons de l’assemblée ou par une prière d’adoration.
Ensuite viendra la confession des péchés, ce qui, aux yeux de Calvin, reste essentiel. Le fidèle sait qu’il ne peut pas pénétrer dans les parvis du Seigneur sans reconnaître qu’il se trouve en présence de la sainteté divine et du Dieu vivant (Ps 24.4; És 6.5), car il est pécheur et « chaque jour et de plusieurs manières » il transgresse sa loi.
Nous nous trouvons ici à mille lieues de cette espèce de « christification » du fidèle qui serait, selon le signataire d’un article du journal La voix protestante, le propre des Églises orthodoxes orientales. En tout cas, en matière d’amalgame théologique, le protestantisme réformé français aura dépassé la mesure. Il n’a ni conscience ni souvenir de l’énorme erreur théologique sous-jacente à cette christification-divinisation de l’homme, dont aussi bien Luther que Calvin auraient été horrifiés.
La confession des péchés peut être faite par l’assemblée à l’unisson. Le texte de la prière pourra varier d’un dimanche à l’autre. Deux prières, confession et demande de délivrance du péché, pourront former une seule requête. Celle-ci pourra s’exprimer par le chant d’un cantique suivi de la déclaration du pardon (et non pas de l’absolution) pour celui qui, dans la foi, s’est humilié et repenti. Cette déclaration aussi pourra être variée en utilisant divers textes bibliques.
Dieu répond à cette prière et à la foi de son peuple par sa Parole, par la lecture de la Bible et la prédication. Nous avons suffisamment souligné le rôle central de celle-ci pour que nous nous y arrêtions à nouveau. La pratique réformée, et sans doute aussi luthérienne, reprennent celles de l’Ancien et du Nouveau Testament.
L’architecture des Églises réformées symbolise cette pratique, puisqu’elles ont placé depuis toujours la chair au centre de l’édifice face à l’assemblée cultuelle. Bien que les prières et les louanges tiennent une grande place dans le culte réformé, la chose la plus importante reste toujours l’écoute de la Parole de Dieu, qui s’adresse à son peuple pour lui faire comprendre qu’il désire lui parler et qu’il veut répondre à ceux qui l’adorent.
C’est la raison pour laquelle la lecture de longues péricopes des Écritures occupait une grande partie du culte, d’autant plus qu’à l’époque de Calvin, nombre de fidèles étaient analphabètes et c’était là, par conséquent, l’unique moyen de leur faire connaître le contenu des Écritures. À notre époque, où presque chaque fidèle possède sa Bible individuelle, il n’est pas indispensable de se livrer à la lecture de longs passages bibliques lors du culte.
Mais la simple lecture de la Bible ne suffit pas pour nourrir et pour édifier les fidèles. Il faut encore l’expliquer dans le sermon afin de pouvoir appliquer son enseignement dans la vie de l’Église et des fidèles. Cette exposition s’appelle homélie du fait que nombre de réformateurs prêchaient sur un passage plutôt long de la Bible (péricope). Plus tard, on parla de sermon, qui développait un thème unique. Mais quelle que fût la forme de la prédication, elle demeura toujours au centre du culte.
Lorsqu’elle est fidèlement exposée, elle est la Parole même de Dieu adressée à l’homme dans sa situation concrète. À travers elle, Dieu appelle clairement l’homme à la foi et à la repentance. En un sens, c’est la prédication, ou proclamation, qui constitue le point culminant de tout culte biblique et réformé.
L’autre composante du culte, les sacrements et leur signification, ne peut être traité ici, mais le sera dans d’autres articles. Le sens et la liturgie réformée des sacrements seront donnés dans des articles présentant des liturgies spécifiques.
Parmi les autres moments liturgiques qui se trouvent inclus dans cette deuxième composante, mentionnons très particulièrement celui de l’offrande. En effet, l’offrande revêt, elle aussi, un caractère cultuel, et ce, à part entière, car elle est un acte d’adoration. Elle ne doit pas être l’occasion de faire le bilan financier de la paroisse ni d’adresser des appels désespérés de fonds ni l’heure des lamentations sur la maladie chronique des trésoreries ecclésiastiques. Peut-être l’un des remèdes consisterait, soit dit en passant, à ne pas dilapider des dons péniblement recueillis, pour des engagements et des œuvres qui n’ont de chrétien que le nom, et encore pas toujours… Nous ferons grâce au lecteur de leur nomenclature; mais que de sommes gaspillées pour des objectifs qui n’ont aucune parenté avec le sens de l’offrande cultuelle! C’est l’Éternel qui pose la question : « Pourquoi dépensez-vous l’argent pour ce qui ne nourrit pas? » Les spoliateurs des offrandes chrétiennes sont sans doute amnésiques… Mais ils rendront compte de chaque « sou » dépensé pour autre chose que pour le service chrétien et à la gloire de Dieu.
L’offrande se fera après la prédication comme signe que le message et l’appel de Dieu ont été entendus par l’Église attentive et obéissante. La prière prononcée par le pasteur avant l’offrande permettra au fidèle de considérer son geste comme faisant partie du sacrifice demandé par le Seigneur; sacrifice joyeux et volontaire au Dieu de miséricorde. On peut se fonder sur 2 Corinthiens 9.7 et 12.14 pour rappeler la nature et l’intention de l’offrande chrétienne.
Si la liberté de varier les éléments non fixes du culte existe, il faut prendre garde de ne pas les remplacer par d’autres qui ne signifient pas la même chose. Des altérations telles que la substitution de la confession des péchés par les béatitudes, si ce n’est encore par des élucubrations au sujet de l’homme (même si on appelle cet homme Jésus) et qu’on affuble du nom de « confession », ne sont pas autre chose que l’exaltation de l’homme unidimensionnel. Même la prière improvisée, et surtout pas ce qui tendrait à atténuer la gravité du péché ou qui parlerait de toute autre chose, ne doit pas remplacer la confession des péchés.
Le respect des textes bibliques aussi bien que ceux de la confession de la foi est un autre point qui appelle à la vigilance. Nul n’est autorisé à corriger tout seul le message chrétien sous prétexte de le rendre intelligible à ses auditeurs. L’Église s’attachera donc aux seules confessions chrétiennes universellement admises. Une règle réformée veut que, s’agissant des textes « symboliques », les gens vivant à une époque donnée devraient saisir d’abord l’intention des premiers auteurs (par exemple, la descente aux enfers et la résurrection de la chair du Symbole des apôtres), et qu’ensuite, même lorsqu’il y a lieu de rédiger une nouvelle confession, on invoque plutôt qu’on ne révoque les anciennes confessions de la foi chrétienne.
Toute modification des textes liturgiques devra se faire en observant des règles générales. On veillera à ne pas amputer un élément constitutif de la liturgie sous prétexte d’innovation ou d’inactualité. Il convient également de ne pas y ajouter des éléments disparates. « La liturgie a son plan, c’est une architecture et non un fleuve », écrit un spécialiste.
Un dernier mot quant aux temps ecclésiastiques. Depuis toujours, les Églises issues de la Réforme, à l’instar de l’Église ancienne, ont observé l’année ecclésiastique divisée en trois cycles liturgiques : (1) Noël, comprenant l’avent, Noël et l’Épiphanie; (2) Pâques, comprenant le carême (du latin quadragésime, 40 jours de pénitence avant Pâques, c’est-à-dire 34, car il y a 6 dimanches qui doivent être toujours des jours de joie), les Rameaux, Jeudi saint, Vendredi saint, Pâques et l’Ascension; (3) la Pentecôte, appelée aussi temps de l’Église.
Dieu, dans sa prescience et dans la grâce souveraine de son élection, a appelé l’Église à lui par son Fils, afin qu’elle soit la première à confesser à genoux que Jésus-Christ seul est Seigneur. C’est à cette seule condition qu’elle aura adoré Dieu en Esprit et en vérité, ce qui est, d’après l’admirable expression de Calvin, le but même de notre existence.
Puissent nos cultes, réformés par l’Esprit et par la Parole, devenir de véritables Te Deum laudamus et nos Églises retentir du soli Deo gloria.
Notes
1. Voir notre article intitulé L’origine du culte réformé.
2. Voir Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, 2.7.1.
3. Voir Institution, 4.10.31.