Le but de la première prédication des apôtres
Le but de la première prédication des apôtres
- Introduction
- L’ordre donné aux apôtres
- La première prédication de Pierre
- Le discours dans le temple
- Le salut et l’Église
- Les apôtres devant le Sanhédrin
- Résumé et conclusion
1. Introduction⤒🔗
Pourquoi prêcher l’Évangile? On prétend souvent de nos jours que l’Évangile est « la réponse » aux besoins des hommes et que cela constitue une raison suffisante pour l’annoncer. Le message évangélique actuel pourrait se résumer ainsi : « Christ est la réponse à vos besoins! », attitude inspirée sans doute par l’épître de Paul aux Romains, considérée comme un traité d’évangélisation (voir Rm 1.16). L’Évangile est donc utile pour répondre à un besoin humain, celui du salut. Les chapitres 1 à 3 nous démontrent la profondeur de ce besoin, en établissant que tout homme est pécheur. À partir de Romains 3.21, la réponse divine à ce problème humain est énoncée : la justification par la foi. Les chapitres 5 à 15 s’occupent des conséquences pratiques, vécues, de notre justification.
Rendons-nous compte toutefois que l’épître aux Romains fut adressée à une Église. Elle ne constitue pas par elle-même une prédication de l’Évangile, mais plutôt une explication théologique de l’Évangile qui a des conséquences vis-à-vis de certaines questions fréquemment discutées parmi les chrétiens et par les fidèles dans leurs relations avec les non-croyants.
Voilà pourquoi je me tourne vers le livre des Actes pour apprendre la raison de la prédication apostolique. Nous distinguerons ici :
- Le but général de la proclamation apostolique, à dégager du récit du livre ainsi que de Luc 24.44-49.
- Le but particulier de chaque discours, tel le sermon de Pierre dans Actes 2.14-36, qui est à dégager du contexte narratif de chaque discours, mais aussi du contenu même du discours.
2. L’ordre donné aux apôtres←⤒🔗
« Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, et qu’il ressusciterait des morts le troisième jour et qu’en son nom seraient annoncés à toutes les nations la repentance et le pardon des péchés à partir de Jérusalem, vous êtes témoins de ces choses » (Lc 24.46-47).
Ainsi, le Christ ressuscité donna cet ordre à ses disciples. Notons que la prédication aussi bien que les souffrances et la résurrection de Christ sont prédites dans l’Ancien Testament. C’est donc pour accomplir les prophéties vétéro-testamentaires que les apôtres abordèrent leur œuvre d’évangélisation. Dès le début de son œuvre, Luc indique que tout ce qu’il allait écrire — naissance, vie, mort, résurrection et prédication de Jésus-Christ — constituait un accomplissement.
« Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous, […] il m’a paru bon à moi aussi, après m’être soigneusement informé de tout, à partir des origines, d’en écrire […] un récit ordonné… » (Lc 1.1-3).
Paul lui aussi, quand il veut défendre sa prédication devant Hérode Agrippa II, fait appel à l’Ancien Testament :
« Je n’ai rien dit d’autre que ce que les prophètes et Moïse ont prédit; que le Christ devait souffrir, que lui, le premier ressuscité des morts, allait annoncer la lumière au peuple juif, aussi bien qu’aux gentils. […] Crois-tu aux prophètes, roi Agrippa? Je sais que tu y crois! » (Ac 26.22-27).
Récemment, W. G. Marx1 a émis l’hypothèse que ce roi Agrippa est en effet le « Théophile » auquel le livre Luc-Actes fut dédié. Si c’est le cas, on comprendra davantage l’importance de l’idée de prédication-accomplissement que je viens de souligner ici.
Or, l’Ancien Testament constitue une expression du conseil de Dieu. En suivant son enseignement, on accomplit la volonté de Dieu. Voilà donc déjà un but général de la proclamation apostolique : faire ce que Dieu veut. À l’époque des apôtres, Israël attendait un accomplissement bien précis du conseil de Dieu : une restauration du pouvoir politique d’Israël, signalant la fin de ce qu’on appelait « le règne de Satan »2, « l’âge de la colère »3 ou « les temps des gentils » (Lc 21.24). Qu’est devenue cette attente, selon le récit de Luc? Certes, les Israélites pieux, parmi lesquels Jésus fit son entrée dans le monde, la partageaient (Marie, Lc 1.51-55; Za 1.67-75); la prédication de Jean-Baptiste en était imprégnée4, et Jésus lui-même y faisait allusion (Lc 4.19; 11.21, 22, 28-30). On ne doit donc pas s’étonner de lire que les disciples, juste avant l’ascension de Jésus, lui posèrent la question suivante : « Est-ce bien le moment où tu vas restaurer le royaume d’Israël? » (Ac 1.6).
Jésus ne nia pas dans sa réponse qu’il le ferait un jour, mais il affirma que seul le Père connaissait le jour de la restauration (Ac 1.7). Ainsi, la question brûlante concernant la restauration nationale d’Israël fut remise au second plan. L’attention des apôtres reposera désormais sur d’autres accomplissements de l’Écriture : sur la mort et la résurrection de Jésus et sur la proclamation de la bonne nouvelle à toute créature. Les apôtres sont les témoins de « ces choses », envers Israël et envers toutes les nations. Dieu leur donnera la puissance pour accomplir cette mission, en leur envoyant le Saint-Esprit (Lc 24.48; Ac 1.8). Dans cette optique, la puissance céleste doit remplacer le pouvoir terrestre!
3. La première prédication de Pierre←⤒🔗
Dès que les disciples eurent reçu cette puissance d’en haut, ils furent obligés de l’expliquer à la foule. Le Saint-Esprit les fit parler en d’autres langues, mais plusieurs de leurs coreligionnaires ne virent en cela que de l’ivresse. Alors Pierre expliqua ce qui arrivait à la multitude. Le but particulier de cette première prédication de l’Évangile fut donc de disculper les apôtres, mais, ce faisant, Pierre visait aussi et surtout l’accomplissement de ce qui devenait le but général de toute la prédication apostolique : annoncer la mort et la résurrection de Jésus, comme l’accomplissement de l’Écriture, et y rendre témoignage. Le besoin des auditeurs n’est pas le tout premier but.
Ce n’est qu’après le discours qu’ils expriment la question angoissée : « Que devons-nous faire? » et que Pierre y répond (Ac 2.37). D’où vient leur angoisse? De la conscience de leur culpabilité pour la mort du Messie! (Ac 2.36). Soudain, ils se savaient théomachoi (rebelles) contre Dieu. Donc ils avaient un besoin : celui de changer de côté et d’être pardonnés. Mais de quelle manière? Ils font appel à Pierre qui leur dit de se repentir, d’être baptisés au nom de Jésus-Christ et d’être ainsi sauvés « de cette génération perverse », car la promesse des prophètes est pour eux, pour leurs enfants et pour tous ceux, proches ou lointains, qu’il plaît au Seigneur d’inviter; s’ils suivaient ces conseils, ils seraient donc ajoutés à la communauté chrétienne (Ac 2.41-47).
Ainsi, ce peuple qui attendait si ardemment le salut par une restauration politique est condamné par la condamnation que Jésus a prononcée. L’individu est sauvé en quittant cette collectivité — au moins mentalement5 — à travers sa repentance et en se joignant à une autre communauté qui est l’Église.
Résumons : Pierre prit la parole dans le but de justifier les apôtres de l’accusation d’ivresse. De là, il glisse facilement à la justification de tout ce que Dieu fait, en Jésus-Christ, y compris le don du Saint-Esprit, en citant les textes probants de l’Ancien Testament et en y ajoutant son propre témoignage concernant la résurrection de Jésus. Il accomplit ainsi une grande partie de ce qui devait devenir le but général de la proclamation apostolique : s’acquitter de l’ordre, de la tâche reçue de la part du Seigneur. Le besoin de la foule n’est pas encore dans son optique; il considère juste leur culpabilité. Il ne fait pas « appel » à ses auditeurs. Ce sont eux qui font appel à lui, le prédicateur! « Que devons-nous faire? » C’est alors que Pierre s’adresse à la multitude et, considérant les besoins de celle-ci, il s’acquitte du reste de l’ordre de Jésus, en leur annonçant le pardon de leurs péchés. Pierre ne suscite pas dès le début l’occasion de sa prédication; l’occasion lui est donnée et il en profite!
4. Le discours dans le temple←⤒🔗
La prédication de Pierre au chapitre suivant poursuit le même but que celle du chapitre 2 : à savoir l’explication d’un phénomène particulier. Cette fois-ci, il s’agit d’une guérison au lieu du miracle du parler en d’autres langues, et l’explication met l’accent sur la puissance salvatrice du nom de Jésus — au lieu du don du Saint-Esprit — comme preuve de la résurrection (Ac 3.16; voir aussi 2.33). Une autre différence consiste en ce que Pierre, ayant accusé ses auditeurs d’être la cause de la mort de Jésus, intègre dans son discours sa réponse aux questions qu’ils devaient poser en conséquence : « Vous êtes coupables d’un péché, certes, mais vous l’avez commis par ignorance et Dieu a utilisé votre acte pour accomplir la parole de ses prophètes; tout n’est pas perdu, vous ne vous êtes pas irrévocablement engagés contre Jésus; repentez-vous donc, afin que vos péchés soient pardonnés et pour que Dieu restaure Israël, et même l’univers tout entier, en vous redonnant ce Jésus. Il est le prophète prédit par Moïse en Deutéronome 18.15-18 et tout Israélite qui ne l’écoute pas sera retranché de son peuple » (voir Ac 3.19-23).
On constate qu’un accent plus important est placé sur la collectivité. La restauration d’Israël n’est plus reléguée à l’arrière-plan. Tandis qu’au chapitre 2 c’était l’individu qui devait s’approprier le salut en quittant la nation condamnée, ici la collectivité elle-même peut être sauvée si ses membres acceptent Jésus. Le ton doctrinal du discours ressemble beaucoup à celui du judaïsme contemporain et à la tradition sotériologique vétéro-testamentaire. La question capitale pour le bas judaïsme fut en effet « Quand et comment Dieu accomplira-t-il ses promesses pour la restauration? »6 Pierre donne la réponse à cette question. Notons toutefois que cette restauration n’est pas assurée pour cette génération-là. Elle dépend de son attitude envers Jésus. Notons aussi que l’idée de la restauration n’est pas limitée à Israël, mais comprend « toutes choses » (Ac 3.21). La promesse faite à Abraham comprend la bénédiction de tous les peuples (Ac 3.25 et 2.39).
Comment expliquer l’accent nouveau sur la nation d’Israël? Il n’existe pas d’incompatibilité entre les chapitres 2 et 3. Le chapitre 2 contient une promesse : le salut pour l’individu, « vous recevrez le don… la promesse est à vous ». Le chapitre 3 contient une fin proposée aux auditeurs : le salut collectif « pour qu’arrivent des temps de rafraîchissement » (Ac 3.20). Cette nouvelle emphase ne rend donc pas nulle la parole de Jésus selon laquelle les disciples ne sauront pas quand aura lieu la restauration (Ac 1.7). Toutefois, elle n’arrivera qu’après que les Juifs auront cru en Jésus. Quant à l’appel, Pierre ose l’intégrer cette fois-ci dans son sermon.
Depuis l’expérience du chapitre 2, il sait déjà que la foule, ayant ressenti sa culpabilité à cause de la mort de Jésus, lui demandera ce qu’elle doit faire. L’expérience du chapitre 2 explique aussi son offre de salut à tout le peuple. Après la conversion de trois mille personnes en une seule journée, la conversion de la nation entière n’est plus impensable7. Ainsi on voit que ce discours n’est point « complètement indépendant de la situation historique où se situe le livre des Actes » et que les liens entre le discours et le récit historique ne se limitent nullement à de simples allusions « artificielles » comme l’a prétendu Étienne Trocmé8.
5. Le salut et l’Église←⤒🔗
E. P. Sanders attirait récemment l’attention des spécialistes du Nouveau Testament et du judaïsme contemporain sur la relation entre le salut et la collectivité9. Il a émis une idée frappante (« covenant nomism ») selon laquelle dans le bas judaïsme on était sauvé non par les œuvres comme telles, mais par son appartenance à une communauté de salut (Israël). L’importance des œuvres dans le schéma judaïque serait plutôt négative; si l’individu désobéit à la loi, il risque de se faire retrancher de la communauté salvatrice. On est tenté de dégager le même modèle sotériologique dans ce discours de Pierre : la communauté de salut c’est l’Église englobant un Israël repentant; désobéir à la loi équivaut à l’incrédulité à l’égard de Jésus. Toutefois, la chose est plus compliquée que cela10.
Dans l’optique du judaïsme contemporain, Israël n’était pas sauvé : il attendait le salut, la restauration. La question du salut collectif dépassait la simple question du salut individuel, dans le contexte du peuple d’Israël. La question du salut individuel et de la nation préoccupait énormément les Juifs. Quant à Pierre, il ne voit plus de salut — soit pour l’individu, soit pour la nation — hors de Jésus; ce qu’il va bientôt affirmer avec beaucoup de courage devant les chefs de son peuple (Ac 4.11). Ou bien la plus grande partie d’Israël croira en Jésus (ce qu’il souhaite ardemment) et dans ce cas la possibilité d’un accomplissement des promesses nationales s’ouvre devant eux et ce seront les individus ne l’acceptant pas qui seront condamnés, retranchés d’Israël (Ac 3); ou bien Israël ne se repent pas et l’individu doit absolument se sauver de cette génération perverse par la repentance et le baptême au nom de Jésus (Ac 2).
L’appartenance à l’Église constituait-elle la voie du salut, selon Pierre et selon l’auteur des Actes? Certes, l’Église a sa place dans leur sotériologie, mais comme but et non comme moyen de salut. C’est ce qu’on constate en examinant le texte du chapitre 2.
Le programme de Pierre (verset 38) :
- Repentez-vous – Ordre
- soyez baptisés, chacun de vous au nom de Jésus-Christ – Ordre
- pour le pardon de vos péchés – But
- et vous recevrez le don du Saint-Esprit – But
L’accomplissement selon Luc (versets 41 et 42) :
- Ceux qui acceptèrent sa parole – Obéissance à l’ordre
- furent baptisés – Obéissance à l’ordre
- et environ trois mille personnes furent ajoutées à la communauté des disciples ce jour-là, – Réalisation du but
- et ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières – Réalisation du but
Cette structure nous révèle que l’appartenance à l’Église équivaut à la réception du Saint-Esprit. Au fond, le Saint-Esprit n’est pas un esprit qui flotte vaguement dans l’air, mais c’est un Esprit qui habite un corps (l’Église) comme nous le voyons dans Éphésiens 4.3. Selon Paul, les croyants ont été tous baptisés dans un seul Esprit pour former un seul corps (1 Co 12.13). Or, Jésus avait promis ce baptême dans le Saint-Esprit avant de partir (Ac 1.5) et l’on en voit l’accomplissement dans les événements du chapitre 2 : le don su Saint-Esprit et la formation de l’Église. La vie du Saint-Esprit c’est la vie de l’Église. Mais tout cela, dans le schéma de Pierre et des Actes, est la réalisation d’un but. Ainsi, Luc résume-t-il son récit du jour de la Pentecôte : « Le Seigneur ajoutait chaque jour à l’Église ceux qui étaient en train d’être sauvés. »11
Appliquons cela à ce qui concerne le but de la prédication apostolique. Nous voyons que c’est trop simple de dire que les apôtres ne cherchaient qu’à répondre au besoin humain. Ils visaient aussi et surtout à répondre au « besoin » du Seigneur de posséder un peuple à lui : l’Église. En se convertissant, les auditeurs de la prédication furent ajoutés au Seigneur (Ac 5.14 et 18.10). Le Seigneur s’identifie totalement avec son Église. Leurs actes sont son acte (Ac 1.1); leur souffrance, c’est sa souffrance (Ac 9.5).
6. Les apôtres devant le Sanhédrin←⤒🔗
Le Sanhédrin, cour et conseil supérieur des Juifs, s’intéressait à tout ce qui se passait dans le Temple. Et voici que les apôtres y prêchaient sans l’autorisation du Sanhédrin! Les sadducéens, parti majoritaire du Sanhédrin, niaient la doctrine de la résurrection, et voici les apôtres qui l’affirment! Le Sanhédrin venait de condamner Jésus à mort, et voici les apôtres qui le proclament vivant, ressuscité, exemple probant de cette doctrine de la résurrection! Que faire? On arrêta les apôtres pour les faire comparaître devant le Sanhédrin en vue d’une enquête. Le Sanhédrin posa aux apôtres une question vague, à dessein : « Par quel pouvoir, ou au nom de qui avez-vous fait cela? » (Ac 4.7). Ainsi désirent-ils à la fois les accuser de sorcellerie12 et souligner leur incompétence personnelle13 pour faire des discours religieux.
La réponse de Pierre tranche avec cette question vague : il pose alors la question du miracle. L’infirme a été guéri « au nom de ce Jésus que vous avez crucifié et que Dieu a ressuscité ». C’est ainsi qu’il pose lui aussi la question de sa compétence pour faire des discours religieux, car il en fait à nouveau, tout en accusant carrément le Sanhédrin d’avoir mis à mort le Messie14. Ce Messie, ce Jésus, dont le nom même signifie le salut, est la seule source de salut (« soteria ») pour la nation, « nous » (v. 12), et la seule source de guérison (« soteria », même mot en grec) pour les individus, tel l’infirme qui venait d’être guéri dans le Temple.
Quel fut donc le but de ce discours de Pierre? Notons qu’il n’adresse aucun « appel » à ses auditeurs. Il est difficile de dire que son but fut de répondre à leurs « besoins », de leur apporter le salut à titre individuel. Tout ce à quoi il vise, c’est de constater des faits, y compris le fait que Jésus est la seule source de salut.
Devons-nous lui reprocher de ne pas profiter de cette occasion pour faire un appel? Il prononça son discours « rempli du Saint-Esprit » (v. 8). N’osa-t-il pas inviter les chefs de la nation à se repentir et à croire en Jésus-Christ? Tout son discours fut inspiré d’un courage qui frappa profondément ses auditeurs (v. 13). Avouons-le, les besoins humains ne motivaient pas prioritairement les premières prédications de l’Évangile. Ce qui comptait avant tout était de dire la vérité sur Jésus.
Le Sanhédrin fut étonné du discours de Pierre. Cette cour avait espéré intimider les apôtres par son accusation. Frustrée, elle décida de les faire taire par une simple injonction. La réponse des apôtres souligna alors l’intention de leur prédication. « Jugez s’il est juste devant Dieu d’obéir à vous autres plutôt qu’à Dieu. Car nous ne pouvons taire ce que nous avons vu et entendu » (Ac 4.19).
De retour devant l’Église, les apôtres racontèrent ce qui s’était passé. La prière des disciples qui suivra démontre que toute l’Église partagea le même but que les apôtres quant à la prédication : il s’agit d’annoncer la Parole de Dieu et de glorifier le nom de Jésus (Ac 4.29).
Jusqu’ici, les apôtres avaient toujours deux buts pour chaque discours évangélique : but général d’obéir à l’ordre du Seigneur et but particulier de répondre aux questions, soit de la foule, soit du Sanhédrin. Désormais, un seul but suffit, celui de s’acquitter de la tâche qui leur a été confiée (Ac 4.33). Dieu appuyait la jeune Église par des miracles en enlevant tout obstacle interne à la communion fraternelle (Ac 5.1-11), en attirant l’attention publique sur les apôtres et sur leur message (Ac. 5.12-16) et en les délivrant même de la prison quand ils y furent jetés à cause de la parole — ce qui n’empêche pas le Sanhédrin de les arrêter une deuxième fois pour avoir désobéi à l’injonction de la cour.
Les apôtres répétèrent devant le Sanhédrin que l’on doit obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, que le Sanhédrin avait crucifié Jésus, mais que Dieu l’a exalté au-dessus de tout, qu’il est la source de la repentance et du pardon des péchés pour Israël (Ac 5.29-32). L’accent reste toujours placé sur la nécessité d’annoncer la vérité sur Jésus, sur le thème de l’annulation par Dieu du jugement des sadducéens à l’encontre de Jésus et sur le salut collectif d’Israël. À cause de cela, les juges voulaient mettre à mort les apôtres,15 mais Gamaliel le leur déconseilla. En conséquence, les apôtres furent fouettés et ensuite relâchés.
C’était la première fois que ceux-ci souffraient physiquement à cause de leur fidélité à Jésus. Typiquement, leur réaction ne fut pas de changer d’idée, mais tout simplement de se réjouir d’avoir été trouvés dignes de souffrir pour le nom de Jésus. Le devoir d’obéir à l’ordre de Dieu devient pour eux non seulement leur unique but en ce qui concerne la prédication, mais aussi l’unique but en toutes choses. Ils appellent cela « obéir à Dieu », responsabilité qui devance tout autre devoir, y compris celui d’obéir aux autorités humaines.
Après la désignation des sept, on voit Étienne se consacrer à la même tâche (Ac 6.8-14). Après la mort de celui-ci, beaucoup de disciples furent dispersés à cause de la persécution qui sévit. Ils en profitèrent pour répandre l’Évangile. Très vite, Philippe, puis Pierre, enfin Paul et d’autres, entreprirent des « missions » afin d’évangéliser. Tout cela comme réponse à cette prière de donner « à tous tes serviteurs d’annoncer ta Parole avec assurance » (Ac 4.29).
7. Résumé et conclusion←⤒🔗
Nous avons constaté que selon le livre des Actes, le but général de la première prédication de l’Évangile fut pour les apôtres de s’acquitter de l’ordre reçu de la part du Christ ressuscité, afin d’accomplir les prophéties de l’Ancien Testament, de faire donc la volonté de Dieu, de lui obéir. Les apôtres devaient prêcher la repentance et le pardon des péchés, par le nom de Jésus, à Israël, mais aussi à toutes les nations. Il s’agissait de dire la vérité sur Jésus. Voilà le sens du terme « témoignage » dans leur vocabulaire. C’est une activité centrée sur la vérité, plutôt que sur les auditeurs.
Quant aux buts particuliers, nous en avons dégagé deux : expliquer les manifestations de la puissance divine, et se défendre et défendre leur message devant les autorités. Quant à la relation entre le but général et les buts particuliers, on constate que les apôtres ne perdaient jamais de vue le but général. Il semble qu’au début ils ne parlaient que quand l’occasion le permettait. Plus tard, quand le Sanhédrin leur interdit de prêcher, ils osent le faire sans but particulier, « pour obéir à Dieu » et pour « dire les choses qu’ils ont vues et entendues », conduits seulement par leur but général. Tout cela fut une réponse divine à la prière fervente de l’Église tout entière.
En ce qui concerne l’espérance d’Israël, les apôtres n’abandonnèrent pas la possibilité de sa restauration attendue, mais ils durent reléguer cela au second plan. Ils ne savaient pas quand Dieu accomplirait cette promesse. Ce qui était certain, c’est qu’Israël devait accepter Jésus comme son Messie, condition préalable pour toute restauration. Parfois, c’est Israël ou plutôt « cette génération » qui est accusée et condamnée pour avoir crucifié le Christ. Dans ce cas-là, l’individu doit se séparer de cette génération perverse. Parfois, la possibilité est offerte à Israël de se préparer à la restauration par la repentance et la foi en Jésus. Dans ce cas-là, ce serait l’individu refusant d’entendre Jésus qui serait condamné, retranché de son peuple. En tout cas, il n’y a pas de salut hors de Jésus, soit pour la nation, soit pour l’individu. Nous avons aussi noté que la restauration n’est pas limitée à Israël. Elle comporte la bénédiction de toutes les nations de la terre.
Dans leurs discours, les apôtres n’ont guère fait « d’appel » dans le style de certains de nos évangélistes modernes. Au début, c’étaient les auditeurs qui faisaient appel à eux. Devant le Sanhédrin, groupe directement coupable de la condamnation de Jésus, les apôtres n’ont pas fait d’appel. Pour revenir à notre première question, celle du besoin humain comme raison d’évangélisation, on constate que les apôtres étaient sensibles à ce besoin, mais que cela ne remplissait pas toute leur vision. Certes, ils désiraient convertir des gens, mais dans l’optique du livre des Actes et du Nouveau Testament, le salut des âmes a son propre but : ajouter des âmes au Seigneur. Les exigences divines dépassent les exigences humaines, Dieu désire posséder un peuple à lui.
Il se peut que certains disent « avons-nous le droit d’appliquer cela tel quel à notre situation actuelle, à la fin du vingtième siècle? »16 Certaines de nos constatations ne s’appliquent pas directement à nous parce que notre situation n’est pas la leur. Nous ne sommes pas, comme eux, les premiers à prêcher l’Évangile. Nous n’avons plus l’appui des miracles. Nous ne sommes pas confrontés aux premiers responsables de la mort de Jésus. Toutefois, l’essentiel reste : l’ordre de Jésus, la promesse du pardon des péchés, la nécessité de dire la vérité sur Jésus selon nos connaissances, et surtout le désir du Seigneur d’appeler un peuple pour lui-même, à sa gloire.
Notes
1. « A New Theophilus », The Evangelical Quarterly, 52, p. 17-26.
2. Par exemple à Qumran, Règle de la Communauté, 2, 19.
3 .Par exemple à Qumran, Document de Damas, 1, 5.
4. Voir mon article, « Jesus and the Exilic Soteriology », Studia Biblica, 1978, Sheffield, 1980.
5. Pour l’idée de se distancer mentalement d’une collectivité coupable pour échapper au jugement, voir Josué 2.11-14; Ézéchiel 9.4-6.
6. Par exemple : Lévitique 26.39-42; Ézéchiel 20.33-40; Daniel; dans les livres apocryphes : Tobie 13.5; dans les livres pseudépigraphes : Jubilés 23.17-21; Test. Jud. 23; Test. Naph. 8.
7. La population de Jérusalem (hors les pèlerins) était de vingt-cinq à trente mille habitants (J. Jeremias, Jerusalem in the Time of Jesus, Fortress Press, Philadelphia, 1969, p. 84).
8. Le Livre des Actes et l’histoire, PUF, Paris, 1957, p. 207-209.
9. Paul and Palestinian Judaism, SCM, Londres, 1977.
10. J’ai énoncé encore des réserves à l’égard de la thèse de Sanders dans mon essai : « Qumran Light on Pauline soteriology », Pauline Studies in Honor of F. F. Bruce, Exeter, 1980.
11. « Sôzomenous », participe présent : au fur et à mesure qu’ils se sauvaient. L’expression n’indique nullement que leur entrée dans l’Église constituerait une condition de leur salut.
12. Ils ne disent pas « ce miracle », mais « ceci ». C. Woodsworth, The New Testament: The Acts of the Apostles, 5e édition, Londres, 1867, p. 55.
13. Le « vous » est emphatique, par mépris, F. F. Bruce, The Acts of the Apostles, 2e édition, The Tyndale Press, Londres, 1952, p. 120.
14. Actes 4.10 « vous », ce qui signifie dans ce discours les juges, tandis que « nous » indique soit les apôtres (v. 9), soit le peuple juif (v. 12).
15. Chose difficile à accomplir légalement, paraît-il, sans l’autorisation des Romains, sauf en cas de menace faite au temple. F. F. Bruce, « The Trial of Jesus in the Fourth Gospel », Gospel Perspectives, ed. R. T. France et David Wenham, JSOT, Sheffield, 1980.
16. Une autre objection pourrait traiter de la question de la fidélité historique du livre des Actes. Voici une question très débattue (voir Ward Gasque, « La valeur historique des Actes des apôtres », Hokhma 3 et 6). Ici, j’ai essayé de démontrer que le récit de Luc, y compris les discours dans leurs contextes, est conséquent, donc digne de foi.