Les dons de l'Esprit - La glossolalie
Les dons de l'Esprit - La glossolalie
- Un phénomène extrachrétien
- Une glossolalie biblique?
- L’histoire de l’Église
- La période moderne
- Les passages bibliques
- « Glossa » dans le Nouveau Testament
- Le don permanent de l’Esprit et de ses fruits
La glossolalie est, on le sait, considérée chez les pentecôtistes comme le don par excellence du Saint-Esprit. Don permanent aussi et facteur décisif des réveils spirituels ayant surgi au cours de l’histoire de l’Église.
Présentons pour commencer une vue d’ensemble. À notre avis, la « preuve historique » comme telle ne suffira pas pour confirmer la validité d’un charisme. On ne peut pas davantage affirmer que son absence ait privé l’Église d’un charisme vital pour son existence et pour son progrès. L’histoire n’exerce pas de fonction normative sur l’expérience chrétienne. Elle se contente de conserver la mémoire des faits passés, qu’il s’agisse de faits légitimes ou de ceux étant à mille lieues de l’être. L’histoire comme telle ne peut pas nous servir de guide. La source principale et normative de notre information, ainsi que le principe régulateur de notre vie et de notre conduite se trouvent en l’Écriture; c’est elle qui impose son autorité à l’histoire. Il n’en demeure pas moins qu’une connaissance historique nous permettra de saisir, à titre quasiment exclusif, les modalités d’action du mouvement qui croit pratiquer tous les charismes de l’Esprit.
1. Un phénomène extrachrétien⤒🔗
La glossolalie n’est pas une pratique constatée exclusivement dans des cercles chrétiens. Des systèmes religieux non chrétiens l’ont aussi connue et pratiquée. La différence entre cette dernière et celle que nous rapporte le Nouveau Testament est essentielle, à tel point qu’elles n’ont rien en commun. La source de la véritable glossolalie chrétienne est le Saint-Esprit et, pour cette raison, elle n’est pas différente des autres charismes. La glossolalie d’origine non chrétienne, pour sa part, devra être attribuée à l’esprit du mal étant d’inspiration et de contenu diaboliques.
En dehors de la glossolalie chrétienne, celles dont l’histoire a conservé la mémoire sont les suivantes : le rapport de Mennamon (Byblos, 1100 avant notre ère); les dialogues de Platon; les écrits de Virgile, surtout l’Énéide; la Pythonisse de Delphes.
Parmi les religions à mystères grecques, les plus connues sont : le culte d’Osiris, emprunté à l’Égypte; le Mithra perse; les mystères d’Éleusis; les mystères dionysiens et orphiques; ceux de Thrace, de Macédoine et de Grèce. Toutefois, on ne peut avec certitude soutenir qu’elles connurent effectivement des cas concrets de glossolalie. Si on tient compte de l’élément extatique, lequel y occupe une grande place, il est légitime de penser qu’il y a probablement eu des cas de glossolalie ou, en tout cas, une sorte de parler en langues imprécis. Dans l’ensemble de leurs rites, croyances et pratiques, ces systèmes étaient bâtis sur la conviction que l’initié était possédé par l’esprit : le « mustos », en grec l’initié, s’identifiait avec l’esprit. On trouve plus souvent le terme glossolalie dans le grec plus récent que dans le grec classique, ce qui laisse supposer que sa pratique devint courante avec l’apparition de ces religions plus ou moins contemporaines du Christ et de l’ère apostolique.
Une citation d’un auteur ancien, Lucien de Samosate (120-198 après J.-C.), décrit un cas caractéristique de glossolalie chez les adeptes de Junon de Hiérapolis, la déesse syrienne. Des cas identiques étaient constatés dans la divination mantique de la Phrygie delphique, ainsi que chez les Sybilles. Dans certains milieux de l’islam moderne, ou dans certaines de ses sectes, on a également constaté le phénomène du parler extatique. C’est notamment le cas chez des « derviches » de la Perse (l’actuel Iran), dont les trémoussements et l’écume sortant de leur bouche sont d’ordinaire accompagnés par la répétition irrationnelle du nom d’Allah dans un discours totalement inintelligible. Ces mystiques de l’islam se trouvent pratiquement en état d’inconscience pendant leur extase, ce qui ne les empêche pas de se mettre à… prêcher.
On rapporte que chez les Esquimaux du Groenland le service religieux est présidé par « l’angakok », ou le médecin-prêtre. Pendant le service, on cherche à entrer en rapport direct avec le « nether ». On frappe du tambour, on chante et on danse, et la nudité des hommes et des femmes y semble être une coutume bien établie.
Des cas de glossolalie sont rapportés autant par des auteurs chrétiens que non chrétiens. L’unique point commun entre les deux réside en ce qui se déroule au cours du culte, durant lequel l’adepte ou le fidèle s’imagine être saisi par la divinité. Lors de son expérience extatique, le fidèle, sans exception, a sa conscience et ses facultés mentales en état de veilleuse et parle une langue nécessitant l’interprétation.
2. Une glossolalie biblique?←⤒🔗
Certains discours prophétiques pourraient être assimilés au parler en langues. Ce fut le cas d’Eldad et de Médad, prophétisant lorsque l’Esprit s’empara de leur personne (Nb 11.26-29).
Balaam, contre son gré, reçut l’Esprit et dut prononcer un discours en faveur d’Israël. Ayant également eu la vision de Dieu, il tomba en transe devant lui (Nb 23 et 24).
« Les fils des prophètes » prophétisaient en se faisant accompagner par la musique. À une certaine occasion, Saül, le premier souverain israélite, se joignit aux prophètes. Le texte biblique rapporte qu’il devint presque un homme nouveau (1 S 10.1-3).
Sur le sommet du Carmel, les prophètes de Baal invoquèrent leurs idoles par des oraisons extatiques et des incantations païennes. Ils allèrent jusqu’à pratiquer même des incisions sur leurs corps en débitant des discours inintelligibles (1 R 18.26-29).
Les textes de l’Ancien Testament laissent clairement entendre que la glossolalie ne fit jamais partie du culte d’Israël. On a un peu hâtivement conclu de certains passages faisant état d’un langage extatique que celui-ci était apparenté aux glossolalies actuelles. Nous nous pencherons surtout sur les passages du Nouveau Testament, car l’Ancien Testament n’offre pas suffisamment de matière permettant un examen plus approfondi.
3. L’histoire de l’Église←⤒🔗
Qu’en est-il de la glossolalie au cours de l’histoire de l’Église? À ses débuts, l’Église fut aux prises avec des persécutions violentes et elle se préoccupa naturellement en tout premier lieu de la défense de sa foi. De nombreux martyrs chrétiens vécurent et témoignèrent durant cette période critique. Or, si le parler en langues n’avait pas disparu avec la fin de l’ère apostolique, nous en aurions certainement entendu parler par la suite.
Il existe suffisamment d’indices pour penser que durant l’ère des Pères apostoliques, à la fin du 1er siècle et au début du 2e, le parler en langues ne se pratiquait pas ou plus. Dans son Dialogue avec le Juif Tryphon, Justin Martyr parle du don de la prophétie comme étant de nature permanente. Plus loin, il admet la possibilité de voir les dons spectaculaires de l’Esprit se manifester encore. On serait tenté de conclure que la glossolalie, ainsi que d’autres charismes, devait encore exister à l’époque de Justin. Selon Oscar Cullmann, l’affirmation selon laquelle Justin aurait laissé entendre que la glossolalie subsistait en son temps ne peut se fonder historiquement.
Néanmoins, les dons existant durant cette période sont les mêmes que ceux accordés à l’ancien Israël. Justin précise la nature des dons en citant le don de prophétie chez Salomon, l’esprit de sagesse chez Daniel, l’intelligence de Moïse, l’esprit de puissance et de piété d’Élie, l’esprit de crainte de la foi d’Ésaïe, l’esprit de connaissance, etc. Mais on ne peut assimiler ces dons, propres à l’Ancien Testament, à celui du parler en langues de la première lettre aux Corinthiens.
Irénée, évêque de Lyon en Gaule, est l’un des premiers Pères orthodoxes. Dans son ouvrage intitulé Contre les hérétiques, il cite et commente le passage de 1 Corinthiens 12.2-6. Il appelle « parfaits » ceux qui reçoivent l’Esprit de Dieu et parlent dans toutes les langues, comme l’apôtre Paul.
« De la même façon nous entendons que beaucoup de frères dans l’Église possèdent des dons prophétiques et, par l’Esprit de Dieu, parlent toutes sortes de langues et mettent au grand jour le profit obtenu des choses cachées aux yeux des hommes, en déclarant les mystères de Dieu. »
Notons cependant qu’Irénée n’affirme pas qu’il ait personnellement parlé en langues. Ensuite, le « nous entendons » laisse nettement l’impression qu’il tient son information de seconde main. Peut-être aussi la description qu’il fait de ceux qui possèdent « le don » est une allusion aux montanistes, dont l’influence à l’époque était grande sur l’ensemble de l’Église.
On sait que Tertullien, le père de la théologie latine, fut durant un certain temps un ardent adepte du mouvement montaniste. Dans son traité intitulé De Animo, il affirme qu’il connaît l’existence des dons spirituels. « Nous aussi, nous avons mérité l’acquisition des dons prophétiques… » Ensuite, il cite le cas d’une femme ayant reçu le don de la révélation, des visions extatiques, le parler avec des anges et avec Dieu, le don de la guérison ainsi que la compréhension du cœur (discernement des esprits?). En tant que montaniste, on pouvait s’attendre à ce qu’il crût aux dons spirituels extraordinaires, et notamment à la glossolalie. Cependant, Tertullien n’affirme pas qu’il ait personnellement parlé en langues, même si cela est probable. Mais nous ne saurions l’affirmer avec certitude, car il n’en dit rien. Selon saint Augustin, Tertullien aurait abandonné le montanisme vers la fin de sa vie pour réintégrer l’Église orthodoxe. Le célèbre théologien fut-il déçu par les excès pratiqués par ces sectaires? On peut le conjecturer.
Origène, sans doute le plus grand théologien des trois premiers siècles, et assurément l’un des plus grands de toute l’histoire de l’Église, en dépit de certains aspects peu orthodoxes de sa théologie qui furent condamnés avec raison, entreprit de réfuter de manière magistrale la critique violente et perfide de Celse, un auteur païen du 2e siècle, contre le christianisme. Entre autres accusations, Celse faisait état « de discours étranges et fanatiques, inintelligibles, qu’aucune personne sensée ne saurait comprendre ». Celse qualifiait de paroles inintelligibles les discours prophétiques de l’Ancien Testament. Pour les réfuter, Origène écrit que, dans la mesure de ses capacités, il a donné des explications et des commentaires sur les livres d’Ésaïe, d’Ézéchiel et certains des douze petits prophètes, qu’il a expliqué littéralement et en détail ce que Celse appelait « fanatique » et « inintelligible ».
Ailleurs, il parle de la continuité de certains signes du Nouveau Testament. Il reconnaît que le Saint-Esprit a accordé des signes extraordinaires de sa présence au commencement du ministère du Christ et qu’après son ascension il en a donné d’autres encore, lesquels, depuis ce temps-là, se font plus sporadiques. Cependant, ces signes ne concernent pas la glossolalie, parce que le Christ et les apôtres n’ont pas parlé en langues. Durant l’ère des Pères ecclésiastiques, qui suit immédiatement celle des Pères apostoliques, trois références au parler en langues sont faites explicitement.
Selon une légende, Pachonius, fondateur d’un ordre monastique en Égypte, aurait communiqué avec des anges, lesquels lui auraient dicté le mode de vie ascétique qu’il fallait adopter. Selon l’historien américain d’origine allemande Philip Schaff, la tradition lui attribue toutes sortes de miracles, y compris celui du parler en langues ainsi que la domination sur la nature; il aurait marché sur des serpents et des scorpions et il aurait même traversé le Nil d’un bout à l’autre à dos de crocodile… Dans ce contexte, il est tout aussi difficile de prouver que Pachonius eut effectivement parlé en langues que d’accorder crédit aux légendes qui le présentent marchant sur des reptiles venimeux ou se servant de crocodiles comme moyen de locomotion, si d’un confort excessif au moins peu onéreux… De tels récits et légendes sont aussi étrangers à l’esprit qu’à la lettre de l’Écriture et ne présentent bien évidemment pas la moindre parenté avec les miracles évangéliques.
Jean Chrysostome, le grand orateur chrétien du 4e siècle, parle des dons dans un commentaire consacré à 1 Corinthiens 12.1-2. À ses yeux, ce passage demeure passablement obscur. Mais l’obscurité est causée par l’ignorance des faits rapportés et du fait que ces dons extraordinaires ne sont plus accordés à l’Église. Cette déclaration ne laisse subsister aucun doute. Au temps de Chrysostome, on ne s’attendait plus à la manifestation de dons charismatiques extraordinaires. La glossolalie avait cessé d’être pratiquée depuis longtemps.
Augustin, dont l’ascendant théologique et spirituel persista jusqu’à l’époque de Thomas d’Aquin, affirme dans son conflit avec les donatistes que le Saint-Esprit a été accordé ordinairement, et surtout en vue de la pratique de l’amour, avec abondance, sans être accompagné du parler en langues. L’importance plutôt provisoire de la glossolalie est soulignée dans son commentaire sur la première lettre de Jean. Dans les premiers temps de l’Église, le Saint-Esprit fut accordé à ceux qui crurent. Ceux-ci parlèrent en des langues qui leur étaient étrangères, selon que l’Esprit leur en donnait la possibilité. Ce furent là des signes adaptés aux temps. Il convenait de prouver par le signe que l’Évangile était transmis dans toutes les langues. Mais une fois qu’il eut authentifié la proclamation, il disparut.
Durant la période qui suivit l’ère apostolique et jusqu’au début du Moyen Âge, nous ne trouvons que trois références, d’ailleurs plus ou moins claires, à la glossolalie.
Il nous semble que celle-ci, pratiquée chez les montanistes, adeptes d’une pneumatologie extrêmement subjectiviste, n’avait aucun parallèle avec celle du Nouveau Testament. Le parler en langues avait été définitivement abandonné dans l’Église des premiers siècles.
Certains Pères apostoliques avaient adressé leurs lettres à partir de villes où le parler en langues avait été pratiqué. Ils n’en font pourtant pas mention, même pas la moindre allusion. Or, ils vivaient dans des contrées importantes de l’Empire romain. Si la glossolalie y avait été aussi répandue qu’on l’affirme, ils n’auraient certainement pas manqué de la mentionner, car ils ont écrit au sujet de tous les points principaux de la foi; mais ils ont passé sous silence celui-ci… Ils ont cherché plutôt à démontrer la supériorité de la foi et à mettre en évidence les traits saillants de celle-ci. À leurs yeux, le parler en langues ne faisait pas partie de ces faits saillants de l’expérience et de la doctrine chrétiennes. Un tel silence de leur part ne devrait pas rester… sous silence.
Certains pentecôtistes cherchent à inféoder à leur école jusqu’à… Martin Luther. Le réformateur allemand aurait, lui aussi, parlé en langues… Sur quoi se fondent-ils pour s’avancer ainsi? Certes, Luther parlait aussi bien l’allemand que le latin, le grec que l’hébreu! C’est une phrase d’Eric Sauer qui semble leur fournir un argument aussi invraisemblable. Celui-ci écrit quelque part : « Le Dr Martin Luther était un évangéliste parlant en langues et les interprétant aussi, et doué de tous les charismes de l’Esprit. » Mais de là à faire du grand réformateur polyglotte un glossolale et un protopentecôtiste, il y a loin.
Plus charismatiques, hélas au sens péjoratif du terme, furent certainement les camisards cévenols. Leurs expériences extatiques ne furent pas rares. Illumination et discours prophétiques accompagnés de transes étalèrent au grand jour un mysticisme irrationnel. Même si on peut leur vouer admiration et respect pour leur héroïsme dans leur résistance à l’oppression religieuse, nous ne devrions pas sacrifier pour autant la vérité biblique à notre admiration et sympathie envers certains de nos ancêtres spirituels.
Cependant, il est notoire que, depuis la fin de l’ère apostolique jusqu’à nos jours, aucune des grandes figures de l’Église, des Pères ecclésiastiques aux grands réformateurs, n’a prétendu parler en langue. Ceci contredit l’affirmation de John Wesley, selon laquelle l’Église n’aurait pas parlé en langues à cause de sa paganisation! Si tel avait été le cas, Augustin, Jérôme, Thomas d’Aquin, Bernard de Clairvaux, Luther, Calvin, Kuyper ou Bavinck, pour ne mentionner qu’eux parmi les géants de l’histoire de l’Église, devraient se compter parmi les païens ou parmi les branches mortes de l’Église. Un autre argument contredira encore les prétentions des partisans modernes de la glossolalie : Qui déterminera la nature des langues et qui peut être autorisé à y apporter l’interprétation fidèle? Nous y reviendrons plus loin.
4. La période moderne←⤒🔗
L’histoire moderne de la glossolalie est liée au mouvement pentecôtiste. L’ancêtre immédiat en est un certain Edward Irving (1792-1834) qui soutint le premier que tous les dons de l’Esprit, sans exception, étaient de nature permanente et accordés durant toute l’existence historique de l’Église, par conséquent aussi la glossolalie. Fondateur à Londres de l’Église irvingienne apostolique (protopentecôtiste), il pensa qu’il fallait rétablir tous les dons, y compris celui de l’apostolat. La glossolalie y occupa une place de choix. Si le mouvement ne fit pas long feu, en revanche les mouvements dits de sainteté en Amérique du Nord (tous d’obédience méthodiste) surgirent un peu partout et donnèrent naissance aux Églises et aux pratiques pentecôtistes.
Les débuts les plus immédiats de la pratique pentecôtiste de la glossolalie se situent autour des premières années de notre siècle. Il prend naissance sur le sol américain. La grande dépression résultant de la guerre de Sécession explique en partie le climat psychologique dans lequel le pentecôtisme a trouvé un sol favorable à son éclosion.
La révolution industrielle, avec son cortège d’effets corrupteurs et d’inextricables problèmes sociaux, ne pouvait que favoriser tout mouvement spiritualiste se réclamant de valeurs autres que matérielles et matérialistes. Les circonstances socio-économiques, avec leurs résultats moraux, exigeaient une forte riposte spirituelle. Le mouvement de sainteté est issu de cette situation de dépression morale et spirituelle autant que des circonstances socio-économiques. Le méthodisme, lui aussi, à ses origines plaçait l’accent sur la perfection chrétienne, qu’il fallait atteindre dès ici-bas (la deuxième bénédiction). Ce furent les conducteurs spirituels issus du méthodisme et des mouvements de sainteté qui, devenus pentecôtistes, se mirent à répandre les nouvelles idées avec un zèle inaccoutumé, s’attirant la sympathie accrue des représentants des Églises traditionnelles, voire de théologiens considérés comme orthodoxes.
Une telle tolérance doctrinale ne pouvait que favoriser l’essor du mouvement. Malheureusement, celui-ci insista sur le « n’interdisez pas » paulinien au lieu de mettre l’accent sur le « ne cherchez pas » (les dons spirituels les plus spectaculaires). On déclara dogmatiquement que le don des langues était toujours en vigueur, en se référant autant à l’Ancien qu’au Nouveau Testament et en s’appuyant sur l’idée de « la deuxième pluie » et des « deux saisons » dont il est question dans Osée 6.3 et Joël 2.23. Selon les pentecôtistes, ces passages auraient un caractère incontestablement prophétique encore inaccompli et il fallait s’attendre, encore et toujours, à l’accomplissement de la promesse spirituelle.
Ainsi, la « première pluie » se référerait à la première Pentecôte rapportée dans le livre des Actes. La seconde aurait commencé avec le début de notre siècle, coïncidant, bien évidemment, avec les débuts du mouvement pentecôtiste. D’abondantes rosées et autres pluies spirituelles seraient déversées actuellement sur les chrétiens. Si au départ cette interprétation ne trouva aucun écho en dehors des cercles pentecôtistes, actuellement, elle jouit d’une grande faveur dans bien des milieux, aussi bien protestants que catholiques romains.
La date de cette généralisation se situe autour des années 1955-1960, lorsqu’un certain Van Nuyssen aurait donné le signal de la tombée de « la seconde pluie », qu’il identifiait avec la glossolalie. Au début des années 1960, le recteur épiscopalien de Saint-Marc, Dennis Bennett, lors d’une prédication retentissante, annonça avoir eu le privilège de parler en langues et d’avoir effectivement pratiqué la glossolalie. Si sa déclaration créa un choc dans sa propre confession, la branche américaine de l’Église anglicane, elle fut en revanche accueillie très favorablement dans d’autres milieux ecclésiastiques.
Le mouvement pentecôtiste, s’appuyant fortement sur la glossolalie, représente indéniablement de nos jours une force spirituelle et ecclésiastique considérable. La question est de savoir quelle réponse théologique il faut lui donner, car, à notre avis, ce courant ne contribue ni à l’intelligence des langues parlées ni même à celle de la nature d’une authentique expérience chrétienne. C’est sur la base même de la doctrine biblique de l’œuvre et des opérations de l’Esprit du Christ que les prétentions pentecôtistes reçoivent leur démenti le plus vigoureux et le plus catégorique.
5. Les passages bibliques←⤒🔗
La place que la glossolalie occupe dans le pentecôtisme est plus qu’excessive, elle est abusive. L’ensemble du message du Nouveau Testament et même les passages bibliques appelés à légitimer cette position le démontrent sans équivoque.
Nous avons constaté que la glossolalie n’est pas un élément parmi d’autres du système et de l’expérience pentecôtiste. Elle est, à l’intérieur de celui-ci, le signe même du baptême de l’Esprit, un nouveau sacrement, le moyen par excellence, presque exclusif, de vivre sa piété. Elle semble même avoir supplanté l’espérance chrétienne, puisque c’est la glossolalie et non le retour du Seigneur qui fait l’objet de l’ardent désir et le sujet d’invocation des membres de l’Église pentecôtiste.
On est en droit de se demander si on peut vraiment affirmer que la glossolalie dont il est question sur les pages du Nouveau Testament est la même que celle qui est pratiquée dans les Églises pentecôtistes. Il existe à ce sujet deux niveaux d’incertitude.
Tout d’abord, il est loin d’être établi que le parler en langues d’Actes 2 fut le même que celui de 1 Corinthiens 12. Dans la première instance, il est question de parler en langues étrangères. Dans la deuxième, il s’agit de parler en langues, sans autre précision. Dans Actes 2, la foule qui entoure les disciples comprend sans peine le parler des apôtres. À Corinthe, il est clair que personne d’autre que celui qui parlait dans une langue inconnue n’était en mesure de la comprendre. Aussi fallait-il avoir recours au service d’un interprète accrédité… Ces deux phénomènes ne sont donc pas identiques.
La deuxième incertitude survient lorsqu’on examine la nature même du parler en langues. Non seulement il n’existe pas d’unanimité au sujet de ce qui s’est véritablement produit dans le Nouveau Testament, mais encore au sujet de ce qui se passe actuellement dans les assemblées pentecôtistes. Selon les uns, il s’agirait du parler en langues étrangères (nous n’insisterons pas ici sur les fraudes pratiquées avec une déconcertante légèreté). D’autres soutiendront qu’il s’agit d’un langage extatique exprimant des émotions et des concepts qui transcendent le langage courant et qui, par conséquent, ne serait pas possible d’interpréter; ce parler en langues suivrait un modèle établi de langue, mais les cordes vocales seraient contrôlées non par le cerveau et la raison humaine, mais par l’Esprit Saint…
Comment établir avec certitude l’identité d’une telle langue? Notons une fois de plus qu’il n’existe point d’accord parmi les spécialistes du Nouveau Testament partisans de la glossolalie sur la nature de la langue parlée. Il est en tout cas étrange que le parler en langues puisse être considéré comme le signe initial du baptême de l’Esprit. Mais comment peut-on savoir que l’on parle en langues si on ignore jusqu’à la véritable nature du parler en langues?
La glossolalie du Nouveau Testament est-elle le parler en langues de l’époque ou bien un discours extatique? Ou encore l’un et l’autre simultanément? Qu’en est-il de la glossolalie moderne? S’agit-il d’une langue étrangère ou d’un discours extatique? Y a-t-il un rapport entre les deux? Cherchons à cerner cette correspondance pour mieux saisir la signification du phénomène moderne.
Une tendance libérale et rationaliste soutient que la glossolalie biblique n’a rien d’extatique ni même la moindre parenté avec le parler en langues étrangères. Il s’agirait, tout simplement, du discours de la prédication ou encore de la lecture de péricopes de l’Ancien Testament présentés comme une langue hors du commun… Cela aurait été le cas notamment dans le premier discours de Jésus dans la synagogue de Nazareth (Luc 4). Nous ne tiendrons pas compte de cette interprétation-là. Elle est une tentative naturaliste, une de plus, cherchant à répudier tout phénomène spirituel et surnaturel.
D’autres admettent que la glossolalie du Nouveau Testament relève du discours extatique et non du parler en langues étrangères. Mais cette interprétation nous semble également anti-surnaturelle. D’après celle-ci, le phénomène biblique s’explique à condition de le couper de sa source surnaturelle, qui est le Saint-Esprit. Mais une telle approche réduit la glossolalie à l’expression d’émotions humaines débridées. De nouveau, l’argument d’Actes 2 prend ici tout son poids, car si cela avait été le cas, comment la foule aurait-elle pu comprendre les apôtres?
Selon William Barclay, auteur britannique libéral, l’auteur du livre des Actes aurait simplement confondu le parler en langues avec le parler en une langue étrangère. Nous nous trouvons ici en présence de la mise en question même de l’inspiration des Écritures. Nous ne retiendrions donc pas davantage cette herméneutique boiteuse.
Selon une autre opinion, les disciples auraient parlé les langues… des contrées mentionnées, ce qui expliquerait que les Juifs de la Diaspora et tous les prosélytes les eurent comprises! Dans ce cas, le phénomène biblique cesse d’être glossolalie pour ne devenir qu’un miracle… de l’ouïe. Et si les disciples n’ont parlé qu’une langue extatique, alors le miracle devient double, à la fois celui du parler et celui de l’ouïr! Mais comment concilier cette explication avec la déclaration explicite selon laquelle les disciples parlèrent en d’autres langues avant l’arrivée des multitudes, et l’équation « langues » avec dialectes locaux pris pour des langues étrangères?
Une autre idée, largement admise, veut que tous les cas de glossolalie biblique fussent le parler en langues étrangères. L’idée est partagée aussi bien par les partisans de la glossolalie que par ses adversaires. De cette manière, on cherche à éviter l’accusation selon laquelle les pentecôtistes seraient coupables de « psittacisme » (répétition de mots ou de phrases, à la manière des perroquets). L’idée la plus répandue, à la fois parmi les partisans et les adversaires de la glossolalie, veut que celle-ci soit un parler en langues étrangères… qui serait également extatique. Le livre des Actes ferait état de la première; la première aux Corinthiens témoignerait de la seconde.
6. « Glossa » dans le Nouveau Testament←⤒🔗
« Glôssa », en grec, constitue le mot clé pour notre étude. Il est toujours traduit par « langue ». Si on pouvait en déterminer le sens et l’usage, on aboutirait à une conclusion et à une évaluation satisfaisantes du sujet. Dans le Nouveau Testament, le mot revient près de cinquante fois : quinze fois pour désigner directement le membre physique, l’organe du discours; une fois comme langue du corps de l’état intermédiaire, entre la mort et la résurrection; une seule fois, il illustre le contraste entre une action morte et le contenu d’un discours. Dans l’Apocalypse, il décrit sept fois des peuples, des nations, des multitudes et des groupes ethniques. Près de vingt-cinq fois, il décrit le phénomène appelé glossolalie. Ainsi, dans le Nouveau Testament, il recouvre cinq ou six fois des idées diverses. Une seule fois, dans Actes 2, il apparaît au sens figuré. Tous les autres emplois ont trait à la fonction naturelle du parler et en tant qu’organe de cette faculté, comme du contenu et du résultat de ce parler.
Le terme « glôssa » n’est pas un modèle rigide pour décrire la glossolalie. Il apparaît dans neuf constructions de phrases différentes telles que « nouvelles langues » (une fois), « autres langues » (une fois), « langues différentes », un nom pluriel avec l’article défini (une fois) ou sans l’article défini (deux fois). Il revient parfois avec le genre (types de langues ou diversité de langues). Plus fréquemment, il est au datif avec le verbe « laléô », « je parle ». On le trouve encore avec le datif singulier accompagné du même verbe, une fois avec celui de prier, une autre fois avec le verbe avoir.
Selon les définitions lexicales, « glôssa » désigne l’organe de la parole, une langue donnée en tant qu’un ensemble de sons intelligibles prononcés lors d’une extase spirituelle. Certaines définitions précisent qu’il s’agit d’une langue parlée par divers peuples, un langage se distinguant de celui d’un autre peuple. « Glôssa » se classe encore des trois manières suivantes : littéralement comme organe du discours; langue étrangère, dans ce cas il est synonyme de tribu, de peuple ou de nation; langue de personne en extase.
Selon Moulton et Milligan, spécialistes au siècle dernier du grec du Nouveau Testament, se basant sur l’étude des papyrus grecs, on peut encore désigner par « glôssa » le langage idiomatique, c’est-à-dire la façon spéciale de parler dans telle ou telle région d’un même pays, genre de dialecte.
Il nous semble évident à présent que le sens du terme biblique sera déterminé par son usage ordinaire dans la langue courante, en l’occurrence dans le grec « koinè ».
Même si les définitions lexicographiques peuvent être utiles, il faut nous attacher à l’usage particulier que les auteurs du Nouveau Testament en ont fait. Selon cet usage, lorsqu’il est employé en liaison avec la glossolalie, « glôssa » se réfère à la fois à une langue étrangère et à un discours extatique. Le choix même du terme est d’une grande importance. Nous avons vu qu’il désignait l’organe, le membre du corps physique produisant des sons audibles formant les diverses langues ou familles de langues humaines. Même dans Luc 16 (relatif au parler dans le corps intermédiaire), il est question de « glôssa » en tant que membre du corps physique. Il peut également désigner un groupe ethnique, parce que les peuples et les nations se distinguent par leurs langues respectives. Pourtant, dans plusieurs cas de parler en langues cités dans le livre des Actes, il n’est pas exclusivement question de langues étrangères.
C’est une règle générale de l’herméneutique (interprétation) qui veut que les passages obscurs soient expliqués à la lumière des passages plus clairs. Le fait même que « glôssa » revienne partout pour désigner l’organe de la parole, le contenu et les groupes dénotés par des langues connues nous apprend qu’il est le facteur déterminant quand il s’agit du parler en langues. Dans Marc 16.9-20, il est prédit qu’on parlera dans des langues nouvelles. Le choix de l’adjectif « kainai » (nouvelles au pluriel) dans ce texte au lieu de « neis » (pluriel également) est significatif.
Dans le vocabulaire biblique, « kainos » est toujours en rapport non avec ce qui est récent ou contemporain, mais avec ce qui est neuf en qualité. Est « kainos » ce qui l’est dans son essence. L’évangéliste aurait pu annoncer le parler en langues étrangères comme une langue « néa » au lieu d’employer le « kainai ». « Kainos » se réfère à la langue étrangère (nouvelle?) qu’allait parler désormais le prédicateur de l’Évangile, langue qui existait déjà antérieurement. Cet argument peut paraître compliqué, mais le choix du terme « kainos » fait pencher la balance de ce côté-ci.
En outre, le fait que le jour de Pentecôte les disciples parlèrent en langues étrangères connues conforte notre position. De quelles langues s’agit-il? Étaient-elles des langues étrangères ou inconnues? La multitude assemblée s’étonnait de ce que les disciples parlaient dans leurs propres langues pour annoncer les œuvres grandioses de Dieu. Nous en concluons qu’il s’agissait de langues étrangères. Lesquelles? Luc nous en donne une liste. Pourquoi est-elle aussi précise? L’auteur cherche de toute évidence à rendre clair le fait que les disciples avaient vraiment parlé en langues et en dialectes étrangers et non pas simplement proféré les sons incohérents d’une langue extatique.
Un autre cas de glossolalie se trouve chez Corneille (Ac 10). Ici encore, nous avons la preuve de l’acceptation du Christ par la foi et de la réception du Saint-Esprit. Il y est question d’une langue étrangère. Luc se sert du même terme que dans Actes 2 pour décrire le phénomène.
On a l’impression d’assister au même phénomène. Autrement, comment les témoins auraient-ils pu comprendre Corneille et sa maison magnifier Dieu s’ils n’avaient pas saisi le sens de cette langue? Nous pensons que le parler en langues avait comme but et comme contenu la louange de Dieu.
Rapportant la chose plus tard devant l’Église de Jérusalem, Pierre dira que les païens, eux aussi, avaient reçu le don. « Le Saint-Esprit survint sur eux de la même manière qu’il l’avait fait sur nous » (Ac 15.8). Ceci rappelle tout à fait l’expérience de la Pentecôte. L’identité de l’expérience s’étend non seulement à la réception de l’Esprit, mais encore à la nature même du parler en langues.
Le troisième cas de glossolalie dans le livre des Actes a trait aux disciples du Baptiste (Ac. 19). Ces derniers, à leur tour, ont parlé en langues et ont prophétisé. Les mêmes termes revenant ici, il est logique de conclure qu’il s’y était produit le même phénomène. Si la prophétie faisait partie de ce phénomène, Paul aurait dû comprendre qu’ils avaient parlé en langues.
Examinons à présent le passage incriminé de 1 Corinthiens 12. En abordant la question des dons, Paul introduit son sujet par le célèbre « nul ne peut dire Jésus est Seigneur si ce n’est par l’Esprit » (1 Co 12.3). Serait-ce possible que certains Corinthiens, dans une tentative pour parler en une langue nouvelle, fussent parvenus à prononcer les syllabes formant le terme « anathème » lié au nom de Jésus? Voici une hypothèse qui explique cette éventualité.
Entre le grec « anathéma » et « maranatha », il existe une similarité de sons frappante. Un Grec aurait-il voulu simuler la phrase araméenne « maranatha » et l’aurait-il prononcée « natharma », appelant ainsi Jésus « anathème » par inadvertance, au lieu d’invoquer son avènement par le « maranatha »? Une autre possibilité serait la suivante : « Jésus est anathème » (« anathéma ») au lieu de « anathèma » désignant l’offrande votive. Quel que fût le cas, la personne cherchait à former des syllabes dans une langue connue et non dans une langue inconnue. Ce qu’il dit est familier au vocabulaire d’une langue intelligible.
Le don des langues est désigné par le « génè glôssôn » (1 Co 12.10), c’est-à-dire le type, l’espèce ou encore la diversité de la langue. Dans le Nouveau Testament, le « génos » se réfère à une famille, à la progéniture, à la race, à la nation, à l’espèce, à la sorte, à la classe. Il y a plusieurs sortes de voix, mais toutes sont des voix! Il existe des familles de langues, slave, sémite, scandinave, etc., mais toutes sont des langues… Toutes ont en commun un vocabulaire défini et une construction grammaticale. Paul n’aurait pas assimilé des langues connues avec des langues inconnues ou avec des discours extatiques, les plaçant dans la même classification. Elles ne sont pas reliées entre elles.
Liée au don des langues se trouve l’interprétation. Dans certains cas, il peut simplement s’agir de passages de l’Ancien Testament ou de la transition d’une langue connue à une autre langue (Jn 1.39; Hé 4.23). Dans les deux cas, c’est une tentative de rendre clair, à l’aide d’une explication ou d’une traduction, ce qui a été dit dans une langue connue. Ces emplois doivent régir le sens du don de l’interprétation, indispensable pour rendre clair ce qui a été dit. À cause de la célèbre introduction de 1 Corinthiens 13, « si je parle en langues… », certains interprètes se sont permis de diviser les langues en deux catégories : l’une humaine et l’autre angélique ou céleste. L’idée est à vrai dire séduisante, mais on ne peut pas la confirmer par ce que l’apôtre écrit textuellement, car il ne dit pas qu’il ait effectivement parlé en une langue céleste. Le fait que le terme « langue » ne soit employé qu’une seule fois pour désigner celle des hommes et celle des anges prouve que, dans son esprit, l’une et l’autre ne sont pas des catégories différentes. Il s’agit d’une langue pouvant être comprise par tout auditeur.
Faut-il oublier que chaque fois que dans les récits bibliques les hommes et les anges parlent, il y est invariablement question d’une langue intelligible à l’auditeur? La phrase « personne ne comprend » de 1 Corinthiens 14.2 doit être comprise comme une confirmation catégorique. Cela signifie que même si les représentants de toutes les langues connues avaient été présents à une de ces séances de glossolalie, personne n’aurait été en mesure de comprendre ce qui y était dit…
Pour être logiques, les partisans de la glossolalie moderne devraient se souvenir que chaque occurrence du parler en langues devrait se faire sous la forme d’un langage inconnu ou d’une langue étrangère. Autrement, ils font preuve d’inconsistance et fournissent des arguments contre leurs propres positions. Le passage laisse clairement entendre que ceux qui sont présents dans l’assemblée ne comprennent pas celui qui prononce un tel discours. Ainsi, le don d’interprétation devient-il indispensable. Dans son argumentation, l’apôtre fait allusion au livre du prophète Ésaïe (És 28.11-12). Il s’agit d’une prophétie écrite lors de l’invasion des Assyriens. Le peuple désigne Juda et ceux d’autres langues, les Assyriens. Le parler en langues allait devenir le signe pour Juda. Mais le signe ne fut pas délivré. Si l’apôtre pensait au parler en une langue inconnue, il n’aurait pas utilisé le même mot deux fois, dans deux versets, en tenant plus particulièrement compte que « glôssa » était admis dans son premier usage.
Luc rédigea son livre après la rédaction de la lettre de Paul. Par conséquent, il devait connaître déjà la pensée de l’apôtre, dont il fut le compagnon de longue date. Or, il a recours à « glôssa » et à « laléô » pour décrire le phénomène de parler en langues à Jérusalem, en Césarée et à Éphèse, ainsi que le fait Paul dans sa lettre. Puisque les langues étrangères sont le phénomène rapporté dans Actes, il s’agit nécessairement, là aussi, de langues étrangères. Si ce n’avait pas été le cas, pourquoi Luc aurait-il eu recours à un autre vocabulaire pour souligner les différences? Théophile, le destinataire de son livre, avait besoin d’une explication, mais pas les Corinthiens.
Selon Charles Hodge, si le sens de « glôssa » et « glôssais » est historiquement et philologiquement déterminé par le livre des Actes et l’Évangile selon Marc, il doit l’être aussi par la lettre aux Corinthiens. Le parler en langues étrangères, qu’on pouvait apprendre, n’en était pas moins le fait d’un miracle divin, tandis qu’un jargon formé par des phrases indistinctes, voire irrationnelles, aurait pu être employé aussi bien par des chrétiens que par des non-chrétiens. Il n’existe pas de critère objectif pour évaluer un tel parler. Il est donc logique de penser que Dieu accomplit un miracle que les hommes ne peuvent pas doubler par simulation.
Toute communication entre Dieu, les anges et les hommes est invariablement faite à partir d’une langue intelligible. À Babel, Dieu mit la confusion dans le discours jusque-là commun des habitants de Shinéar. Cette confusion n’aboutit pas en une langue formée par des sons indistincts et incohérents, mais en la création de langues grâce à un miracle négatif, le contraire du miracle positif que fut la proclamation de l’Évangile à Pentecôte.
Durant l’histoire de l’Église, aucun don spirituel n’a occasionné autant de débats ni suscité autant de controverses que celui du parler en langues. Le mouvement moderne de glossolalie prétend que celui-ci possède la même importance que les autres charismes et que, par conséquent, elle est un don permanent. Cette affirmation dogmatique ignore ou feint d’ignorer que la clôture du canon a scellé une fois pour toutes la révélation.
Le mouvement pentecôtiste apparaît à l’heure actuelle comme l’un des plus grands facteurs d’un œcuménisme confus. Il est certainement composé d’un amalgame de romantisme religieux et de protestantisme subjectiviste et anthropocentrique. Fondé sur les idées arminiennes, il se présente comme l’adversaire même des thèses bibliques et réformées. Il avantage dangereusement des sources de révélation étrangères à l’Écriture (vision, rêves, guérison, langues). Mouvement exclusivement empirique, il récuse toute formulation théologique de la foi. Il nie, quoique de manière implicite, l’autorité de l’Écriture, seul critère de toute expérience et de toute théologie. L’expérience lui fournit un terrain propice à échafauder ses erreurs fatales : celle de la confusion quant à la nature propre de l’expérience et celle de la conclusion qu’elle tire de l’explication doctrinale de celle-ci. Sans l’aune de la saine doctrine, il est fort possible qu’une expérience admise comme d’origine spirituelle ne soit que d’inspiration diabolique. Nous conclurons ce chapitre par quelques remarques générales.
7. Le don permanent de l’Esprit et de ses fruits←⤒🔗
Selon R. Gaffin, les lettres pastorales (1 Timothée, 2 Timothée, Tite) fournissent une ample provision pour le modèle du gouvernement de l’Église et offrent les principes de la vie chrétienne. Entre elles et les premières lettres apostoliques, il existe à la fois une continuité et une discontinuité. Les directives sont données principalement pour le gouvernement de l’Église et la fonction des ministères, et elles déterminent les dons qui devraient être permanents. Ici, il n’est pas question du parler en langues. Désormais, il n’y a que l’Esprit et la Parole, et l’Esprit œuvre de manière à illuminer et à convaincre les hommes.
La tradition apostolique demeure le seul fondement de l’Église. Si nous reconnaissons l’autorité apostolique de Paul, nous reconnaîtrons avec lui que, durant une brève période, la glossolalie constitua, elle aussi, l’un des dons de l’Esprit. Paul a aussi parlé en langues et il n’en a pas interdit l’usage. Cependant, il n’y accorde pas d’importance décisive pour la bonne marche de la foi. Il s’élève contre les abus dans ce domaine comme il réprouve les abus relatifs à la Cène.
Le christianisme apostolique fut marqué par une activité spirituelle exceptionnelle. Paul aperçut néanmoins les dangers d’un spiritualisme coupé de la parole et, finalement, risquant de rompre les amarres avec l’Esprit. Il insiste sur le fait que, parmi les dons de l’Esprit, il y a celui du gouvernement de l’Église, et parmi ses fruits, il mentionne la joie, l’amour, la patience, la paix, la bonté, la fidélité, le contrôle de soi, etc. (Ga 5.22). C’est l’existence chrétienne tout entière qui sera spirituelle, ce qui est le don même du Saint-Esprit. Aussi parle-t-il des fruits que produit celui-ci et non des vertus cardinales. L’Esprit Saint donne une puissante expression à la vie dans la foi.
La théologie de l’Esprit fait intégralement partie de notre conception de la vie en Christ. Elle est un don de Dieu. En une époque où on parle avec une déconcertante pléthore du parler en langues comme charisme, il est urgent de comprendre que le don par excellence accordé par Dieu en Christ c’est notre existence entièrement régénérée. C’est là d’ailleurs le sens initial et le plus riche du mot charisme. L’Évangile nous parle d’un charisme permanent et non d’un don occasionnel; de la source de la vie nouvelle transformée et non d’une confusion; d’un facteur d’unité et non de division; du principe d’intégration au corps du Christ et non de la fragmentation charnelle de celui-ci.