Les jeux de hasard
Les jeux de hasard
Les jeux de hasard se trouvent parmi les vices de notre époque pratiqués à grande échelle, et nos pays occidentaux (mais seraient-ils seulement le misérable apanage de ceux-là?) sont en train de devenir des cavernes sordides où se déroulent ces aberrantes activités, depuis ceux qui ont lieu dans de « prestigieux » casinos jusqu’à ceux patronnés, dans certains pays, par l’État lui-même. Vice qui à sa façon est l’un des signes les plus clairs de la déchéance à laquelle est vouée une société prospère et inique, à moins qu’elle ne se ressaisisse et ne revienne sur soi.
Des loteries sont organisées un peu partout, et dans la rue on ne peut plus faire dix mètres sans entendre le sempiternel refrain « tentez votre chance! » des vendeurs de billets de la loterie nationale, sans parler des formes plus sophistiquées et des multiples astuces que les États modernes, toujours à court d’argent, mais fort bien pourvus de malice, ont mises au point pour se procurer des sous sans trop regarder aux moyens… Et peut-être aussi afin que les citoyens, surtout ceux des classes populaires, vivotent et végètent dans l’illusion, toujours et à nouveau entretenue, de la fortune à portée de main, ce qui est le plus sûr moyen de fuir la réalité, donc de refuser tout effort soutenu et de laisser les problèmes sans solution.
Les tombolas dites humanitaires viendront jusqu’à votre porte, solliciter votre bon cœur; si vous refusez d’acheter le billet proposé, vous serez considéré comme une âme dépourvue de compassion et d’entrailles.
Les jeux de hasard se multiplient plus rapidement que la population du globe. Source interminable de corruption, ils sont directement responsables de toutes sortes de crimes. Dans certains endroits, ils sont devenus le monopole de forces occultes, de gangs criminels organisés sous le nez même d’une police impuissante, et parfois complice.
L’appât illusoire de la fortune tient captifs des hommes qui, dans certains cas, iront jusqu’à priver leur famille du pain quotidien afin de pouvoir acheter leur drogue hebdomadaire sous forme d’un billet de loterie ou de celle d’un pari dans les courses de chevaux… Et tel est le secret non du bonheur, mais de la servitude. Jeter les dés, tenir les cartes, faire tourner la roulette… quelle monstrueuse organisation autour de cet immense mensonge, de cette tromperie effrontée!
Comment expliquer cette folle manie? Pourquoi a-t-elle atteint de telles proportions? La réponse est simple : un état d’esprit et toute une culture qui ne croit plus en Dieu, ne peut se manifester que comme le Grand Jeu, et l’homme qui en fait partie que comme le grand joueur. L’homme qui a perdu sa foi en Dieu placera toute sa confiance en la chance. Ayant cessé de penser que seul Dieu est souverain sur toutes choses et que par sa providence et son pouvoir il régit l’ensemble et les moindres mécanismes de la vie, l’homme déchu se laissera guider par la fatalité. Sa vie entière ne sera ressentie que comme un jeu de hasard, son existence et son histoire comme une simple affaire de chance!
Même si tous nos contemporains ne sont pas des joueurs invétérés, dans leur majorité ils ont adopté une philosophie fataliste qui dicte leur conduite morale. Dès lors, faut-il s’étonner qu’ils soient tellement anxieux et déboussolés? Devant tout événement ou accident, l’homme moderne ne fera que hocher la tête : « Cela devait arriver », ou « je ne pouvais faire autrement », ou bien, plus naïf, il se munira d’amulettes de pacotille pour se protéger… Bonhomme et bon enfant malgré tout, il vous souhaitera du fond de son cœur : « bonne chance! »
L’idée fixe de tous et de chacun est : « Ai-je ou n’ai-je pas de la chance? Si elle est contre moi, je n’y puis rien; en revanche, si elle me sourit, je gagnerai sur toute la ligne… »
Cette philosophie absurde n’est pas nouvelle. Il y a plusieurs siècles, observant ses contemporains, un sage inspiré analysait les événements du jour, les faits divers, et aboutissait à la conclusion qu’il annonce dans la phrase suivante : « Vanité des vanités, tout est vanité. » C’est là le résumé de sa constatation et le fruit de sa réflexion. Il avait fait une foule d’observations sur la conduite quotidienne des humains qu’il côtoyait. La phrase que nous venons d’entendre en est la quintessence. Elle résume en effet parfaitement l’histoire insensée des hommes. L’auteur les a consignées dans cet étrange livre biblique qui porte le titre « d’Ecclésiaste ».
Faut-il en conclure qu’il considérait l’homme comme un pauvre pion sur l’échiquier universel, victime des temps, proie de circonstances adverses, pion irresponsable de la chance? Non, car à ses yeux, de même que dans l’enseignement que nous trouvons dans chacune des parties de la Bible, si l’on emprunte les voies tortueuses du fatalisme, on ne peut qu’aboutir dans l’impasse d’une tragédie sans rémission. Là où Dieu est absent, il n’y a que les ténèbres du fatalisme ou les mirages de la chance. Le monde, affirme-t-il, est plein de vanité et rempli de vexations. Il avait appris une bonne leçon auprès de l’auteur du Psaume 31, dans lequel il avait pu lire et méditer cette phrase extraordinaire : « Mes destinées sont dans ta main » (Ps 31.16). La main de Dieu. L’Ecclésiaste conclut alors son livre de méditation par cette phrase bien connue : « Crains Dieu et observe ses commandements. C’est là tout l’homme. Car Dieu fera passer toute œuvre en jugement, au sujet de tout ce qui est caché, soit bien, soit mal » (Ec 12.13-14).
Sans foi ni Dieu, l’homme s’estime le jouet d’une destinée aveugle. Il pense qu’une impitoyable fatalité le tourmente et l’écrase à chaque pas parce qu’il ignore qu’il ne dépend que de Dieu. En définitive, Dieu porte son jugement sur le mal et, malgré les apparences, il bénit le bien. Certes, c’est une bénédiction à long terme, laquelle par moment nous fait languir d’impatience. Son pouvoir peut pourtant transformer même les effets du mal en bien pour quiconque l’accepte comme Dieu et Soutien. Même le mal le plus abominable ne reste jamais en dehors de son contrôle, de telle sorte qu’il finira par servir à ses desseins bienveillants. Notre auteur avait déjà perçu ces premiers rayons de la révélation divine.
À présent, nous sommes les bénéficiaires d’une révélation claire et amplement suffisante, et grâce à elle nous pouvons tourner le dos à tout fatalisme, à toute destinée inexorable.
La croix du Calvaire a fait lever sur nous le soleil de sa grâce et, depuis, le regard favorable de Dieu se pose sur chacun de nos visages. Nous ne sommes pas les jouets de la fatalité ou de la « chance ». Le mal a été terrassé. Voilà la seule grande nouvelle qui vaille la peine d’être proclamée sans relâche. Là, plus qu’ailleurs, Dieu a démontré puissamment que ses bras entourent sa création et que lui seul préside à toutes nos destinées. Il a payé un prix exorbitant pour prouver son amour envers nous. Autrement, aurait-il abandonné son Fils? Sacrifié son unique? Jésus-Christ serait-il pour nous le Seigneur et le Sauveur s’il n’avait été qu’une victime sans défense, écrasée et broyée par les mâchoires du mal, écrasée sous les griffes de la mort toute puissante?
Nous ne pouvons vivre notre vie en connaissant ce qui s’est produit à la croix et l’organiser quand même autour de la chance et des jeux de hasard, ou bien en échafaudant des hypothèses d’une philosophie bien fataliste. La mort du Christ ne fut pas un accident, une fin tragique et absurde. Elle fut l’acte délibéré de Dieu par lequel il vint nous arracher à toutes nos illusions et nous affranchir d’une destinée absurde. Aucun événement ici-bas ne doit être considéré comme un fait aveugle, comme un non-sens. Seuls des hommes aveugles et conducteurs d’aveugles en présence du Dieu omnipotent ne peuvent s’en apercevoir.
Il y a deux mille ans, le jour de la crucifixion de Jésus, quelques soldats romains, ses bourreaux, jetèrent le sort sur les vêtements du supplicié. Quel acte blasphémateur que celui-ci, suivant l’infâme condamnation du Juste! Tandis que Dieu déployait sa providence sur l’instrument du supplice où expirait le Sauveur, et à l’heure même où celui-ci dévitalisait la mort et sonnait l’instant décisif de toute l’histoire, quelques pitoyables légionnaires d’une armée d’occupation, la soldatesque romaine, réunis au pied de la croix jetaient les dés pour désigner celui qui garderait la tunique sans couture du Seigneur. Un jeu de hasard, une loterie de plus à l’endroit le moins indiqué du monde, face à la torture que subissait, dans cet enfer de souffrance, le Fils de Dieu, le Libérateur des hommes.
Faut-il les blâmer? Dans un monde où la croix est devenue le point central de toute son histoire, qu’on l’admette ou non, qu’on le veuille ou pas, nous persistons à jeter encore les dés. Pourtant, nous sommes moins ignorants que ces soldats romains. Consciemment ou inconsciemment, nous continuons à placer notre foi en la chance et le hasard. Peut-être même la croix ou le crucifix nous servent-ils de porte-bonheur et d’amulette… Regardez tous ces cercueils qui descendent sous terre et qui les portent! Seraient-ils des signes de l’invincibilité de la croix où le Seigneur ressuscité est sorti vainqueur? J’en doute.
Cela pourrait être une superstition du même type que celle des soldats tortionnaires qui tirèrent au sort la tunique du Christ. Ils croyaient au « sort », à la chance, ils avaient une conception fataliste de la vie et des événements. Mais, vingt siècles après eux, nous attendons toujours les avatars d’une destinée impersonnelle, peut-être même nous attendons-nous, consciemment ou inconsciemment, à être broyés par une fatalité cruelle.
Pensez seulement à ce que de nos jours on appelle « la possibilité d’un accident global ». Certains en attendent peut-être même quelques bénéfices; ceux qui, élites ou hommes forts, survivraient après le cataclysme. Si un tel cataclysme se produisait, sachons qu’il ne sera pas le fait d’un hasard aveugle, mais l’acte de jugement de celui qui porte dans ses mains nos destinées et celles de son univers. Même si l’homme était l’instrument d’un tel événement, il serait, sachons-le, permis par Dieu pour détruire une humanité devenue tellement perverse « que son iniquité est montée jusqu’au ciel », comme au temps de Noé. Mais, comme en ces temps reculés de l’histoire, et bien davantage encore à cause de la mort et de la résurrection de son Fils, Dieu suit attentivement tout ce qui se passe sur terre. Rien ne lui échappe.
La foi chrétienne s’oppose de toutes ses forces à toute forme de fatalisme. Dieu nous a donné sa Parole et il a scellé sa faveur par le sang de Jésus-Christ. Avec nous, il ne joue pas au hasard. Prenons-le au mot et suivons la route de la croix, qui trace clairement notre route. Car notre destinée personnelle se trouve entre ses mains pour le temps et pour l’éternité.