La liturgie comme culte raisonnable rendu à Dieu
La liturgie comme culte raisonnable rendu à Dieu
Le diagnostic du mal chrétien moderne est à coup sûr celui de l’absence du sacré. C’est ainsi que, trop souvent, des fidèles se rendant à l’Église pour élever leurs esprits vers Dieu et pour y être nourris et abreuvés, en sortent plus altérés et affaiblis qu’ils ne l’étaient avant de s’y rendre! Il est à craindre que cette indigence caractérise la majorité des Églises, qu’elles soient conservatrices, soi-disant progressistes ou tout à fait radicales. Nous pourrons trouver une explication à l’apathie et à l’asthénie des chrétiens en faisant l’analyse des cultes célébrés.
Beaucoup de chrétiens cherchent avant tout une communion de nature horizontaliste et même parfois des sensations fortes à la manière de certains groupes ou mouvements. Si jadis l’adoration de Dieu restait l’objectif principal du culte chrétien, actuellement le but poursuivi — et avec quelle fièvre! — est en premier lieu l’autoaccomplissement et l’autobonheur!
Une fois de plus, les « besoins » de Dieu sont supplantés par ceux de l’homme… Le discours chrétien a été souvent appauvri par un moralisme à courte vue où il s’est égaré dans les méandres d’une actualité parfois fort intéressante, il est vrai, mais qui n’est pas quand même l’Évangile qui, lui, reste toujours actuel. Aussi, le peuple chrétien n’entend pas toujours et partout du haut de la chaire la proclamation de la Parole révélée, mais les opinions du pasteur. Et le discours chrétien s’inspire si fréquemment, hélas!, des slogans du jour et se nourrit si souvent des clinquantes idéologies à la mode…
L’acte d’adoration a dégénéré en une sorte de rite cultuel moderne. La gloire de Dieu n’y trouve aucune place. Les intérêts, préoccupations, aspirations, détresses et angoisses de l’homme sont le seul canevas sur lequel on brode (ou plutôt on s’imagine broder) le thème de l’amour, mais d’un amour aussi éloigné du modèle chrétien que le sont les causes et les raisons des égarements et des effrois de nos contemporains. Alors, les thèmes bibliques de la rédemption et du jugement sont escamotés par l’esprit du temps, cette modernité omnivore qui finit par étouffer et par éteindre le Saint-Esprit de Dieu. Les fidèles qui assistent au culte n’ont presque plus la possibilité d’y participer activement dans et par leur foi engagée.
Certes, l’érudition et parfois même la profondeur ne manquent pas aux prédicateurs de notre époque, mais il est à craindre qu’ils aient cessé d’être des prophètes de Dieu et des hérauts de l’Évangile. L’Église semble devenue une sorte de dispensaire chargé de distribuer des succédanés de nourriture spirituelle. Ces succédanés sont même souvent, hélas!, anti-spirituels. Il ne serait pas faux d’affirmer que beaucoup de prédicateurs et de chrétiens se rendent à l’Église pour y recevoir la gloire et l’approbation et non pas pour y louer Dieu et rendre témoignage à ses œuvres.
La théologie syncrétiste, amalgame de foi chrétienne et d’idéologies culturelles, a accouché d’un christianisme culturiste exclusivement centré sur l’homme. Elle propose avant tout des objectifs sociaux, un idéal de fraternité, de paix, d’égalitarisme, etc. On en connaît les leitmotive.
La rédemption par l’œuvre du Christ, sa mort sur la croix, sa résurrection d’entre les morts pour le pardon des péchés et la justification aux yeux de Dieu sont des thèmes inconnus, rangés dans les archives et remplacés par les appels à l’engagement social, à la lutte des classes et en faveur de ce qu’on appelle étrangement, depuis quelque temps, la justice sociale.
Les théologies dites « de la libération » sont une autre religion folklorique qui prolifère ces dernières décennies. Mais il y a un profond fossé entre la rédemption par la foi en Jésus-Christ et les « libérations » ici et maintenant, par n’importe quel moyen, prôné par nos « révolutionnaires chrétiens » et aboutissant inévitablement à de nouveaux esclavages.
Qu’on ne s’y trompe pas, cet amalgame de christianisme avec des éléments d’une culture foncièrement anti-chrétienne ne fait pas de nos Églises des Églises présentes au monde; il ne fait que les dissoudre, les diluer, les anéantir et disperser leur poussière aux quatre vents de notre univers athée.
Nous ne voulons pourtant pas plaider pour la tendance qui se veut conservatrice à tout prix. Il y a des conservatismes archaïques qui cherchent à faire revivre les formes et les traditions d’il y a trente, cinquante ans, ou plus, sans chercher pour autant les racines d’une tradition chrétienne solide, nourrie par la Bible et inspirée par l’Esprit, qui est la matrice qui fait naître le présent et qui reste la seule garantie pour l’avenir.
Il existe, hélas!, des conservatismes lamentables auxquels on serait parfois tenté de préférer le dynamisme anarchique de chrétiens aux élans plus généreux sinon plus fiables. L’obsession de ce qui se pratiquait il y a un certain nombre de décennies est le signe que l’imagination créatrice de nouvelles formes de travail et de témoignage fait carrément défaut. Et à défaut de celle-ci, certains se rabattent sur le terrain de l’émotivisme et du sentimentalisme religieux, qu’ils cultivent soigneusement et qu’ils arrosent copieusement. Sur ce sol, l’amalgame est aussi flagrant, bien qu’à l’insu de nos frères conservateurs. Car eux aussi ont succombé à l’esprit du temps, avec la différence que le temps dans lequel ils s’obstinent à vivre est celui d’une époque révolue que l’on ne peut pas faire revivre artificiellement.
En outre, l’isolement par rapport à la société moderne, une préoccupation frileuse et quasi excessive de survie, le rejet de ce monde, monde de péché et de souffrance, ne fait plus d’eux les ambassadeurs attitrés du Royaume de Dieu, de ce Dieu qui reste, contre vents et tempêtes, le seul Maître de l’univers.
L’esprit de ghetto existe, nous le rencontrons dans nombre d’Églises chrétiennes. L’Esprit y est asphyxié faute d’ouverture et Dieu est réduit aux dimensions d’un Dieu tribal ou de classe, sans parenté avec le Créateur et le Rédempteur révélé. Pour ces Églises, le monde n’est pas le théâtre de la rédemption, ainsi que l’affirmait Jean Calvin, mais la seule chose qui compte pour elles est l’homme intérieur et intériorisé.
Quel sens convient-il de donner à notre acte d’adoration pour guérir le mal chrétien? Comment faire retentir encore le Te Deum laudamus?
Le renouveau du culte liturgique visera d’abord une plus grande participation des fidèles au culte d’adoration. Il sera en mesure de les équiper et de les envoyer dans leur champ de mission, dans leur vie ordinaire de chaque jour. Son point culminant consistera dans la prière de reconsécration et dans l’offrande de leur personne, afin que Dieu soit loué et que les hommes puissent être secourus. Si l’objet principal du culte doit rester le culte de louange, le culte liturgique renouvelé n’oubliera pas le service de Dieu dans le monde dont il est le propriétaire. Il approfondira toute la signification et toute la valeur de la prière, celle de la louange comme celle de la consécration et de l’intercession. Nous n’aborderons pas tous les détails d’un culte ainsi renouvelé. Signalons-en cependant quelques écueils.
L’intérêt d’un culte est essentiellement théologique et non pas esthétique. La note dominante du culte ne sera jamais l’art ou l’intérêt artistique, mais l’explication de la vérité révélée. Il existe certes une place pour le symbolisme dans le culte chrétien, car même Calvin, qui souhaitait des Églises simples, ne les a jamais voulues laides ni inconfortables. Néanmoins, une préoccupation excessive du symbolisme amoindrirait dangereusement la portée de ce qui reste central dans le culte chrétien : l’explication de la Parole.
Le formalisme est un autre point qu’il convient de signaler. Il est vrai que le culte chrétien doit être célébré à l’intérieur de certaines formes. « Tout doit se faire dans l’ordre », exhortait l’apôtre Paul (1 Co 14.40). Mais il mettait aussi en garde contre le danger de lier la liberté de l’Esprit. S’il est nécessaire de canaliser tout élément charismatique, au sens originel du terme, il ne faut jamais l’étouffer. Ceci s’applique à la prière spontanée. La valeur des prières liturgiques est grande, mais celles-ci ne doivent jamais empêcher le prédicateur d’adresser ses requêtes à Dieu prononcées de l’abondance de son cœur. (Nous avons renoncé d’aborder ici la question de l’hymnologie et de la place de la musique dans le culte. Le sujet est vaste. Peut-être y reviendrons-nous une autre fois).
Reste un dernier écueil à signaler, celui de l’introversion. Le culte devra centrer notre attention autour de la rédemption et de la réconciliation opérées par Dieu au moyen de Jésus-Christ en faveur des fidèles élus. Prenons toutefois garde à ne pas faire de ces œuvres de Dieu un paravent se dressant devant nos yeux et nous empêchant de voir le champ de mission qui nous est confié par Dieu. Méfions-nous aussi d’imiter servilement les pratiques liturgiques de telle ou telle Église sous prétexte qu’elle possède une richesse et une variété liturgique et cultuelle enviables. Rappelons-nous constamment que le culte chrétien sera toujours renouvelé par l’Esprit de Dieu ou… il ne sera pas! La pléthore iconographique des uns ou les pompes fastueuses et surannées des autres, dénuées de véritables fondements bibliques, ne serviront pas à celui qui veut aller à la source de tout renouveau. D’ailleurs, le terme même de liturgie prend dans les Églises de la Réforme un sens différent de celui qu’il possède dans d’autres Églises, par exemple l’Église romaine.
Pour les Églises réformées, liturgie signifie le service rendu à Dieu par la proclamation et les actions de grâce à cause du salut acquis. Dans l’Église romaine, la liturgie est le culte sacramentel qui, en partie au moins, revêt un caractère expiatoire, œuvre éminemment humaine. Le point culminant (quoique certaines interprétations récentes rejoignent par moments les positions réformées) consiste à offrir le corps du Christ au Père dans le sacrifice eucharistique de la messe. Or, pour le culte réformé, la liturgie est le témoignage rendu à l’œuvre accomplie totalement et parfaitement par le sacrifice de la croix, aussi bien par la prédication que par l’administration des sacrements.
Reconnaissons pour conclure qu’il n’existe aucune formule de liturgie sacro-sainte, permanente et normative jusqu’à la fin des siècles. De même qu’il existe une diversité de dons de l’Esprit, de même il peut exister une variété de formes liturgiques s’adaptant à la sensibilité des uns ou témoignant du tempérament des autres. Il n’existe pas de prescription biblique ni de justification théologique absolue pour telle ou telle forme.
On ne réintroduira pas le sacré dans les Églises par la création artificielle de liturgies ou en affinant esthétiquement des formes déjà existantes, mais lorsque l’Église cherchera à obéir à son Dieu et lui donnera gloire en toutes choses. Le sacré sera présent dans l’Église lorsque celle-ci, armée de toutes les armes de l’Esprit, s’opposera avec courage à tous les courants culturels anti-chrétiens, à la dégradante vague d’immoralité qui submerge notre société, à l’apathie en face du pouvoir asservissant de Mammon, à la course des nations vers un suicide collectif à travers une science et une technique dévoyées.
L’Église authentique ne cherche jamais à se refaire une beauté pour plaire, mais à servir son Seigneur et Maître en renonçant à elle-même et en se chargeant de sa croix. C’est alors que Dieu lui envoie son Esprit. Ce dont l’Église a le plus urgemment besoin ce n’est pas de la cérémonie la plus belle, mais de zèle pour la justice, d’enthousiasme pour le Royaume, de foi, d’espérance et d’amour en tout ce qu’elle fait dans la soumission à son Dieu. Les signes de renouveau ainsi acquis dans la vie pratique se développeront et atteindront le domaine de son culte liturgique, et alors elle sera en mesure de chanter le soli Deo gloria, à Dieu seul la gloire!