Luc 24 - Retour à Emmaüs
Luc 24 - Retour à Emmaüs
« Alors Jésus leur dit : Hommes sans intelligence, et dont le cœur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes! »
Luc 24.25
L’ombre de la croix hantait le chemin du retour. Ils étaient partis de leur village pour se jeter avec lui dans la grande aventure. Ils s’étaient mêlés aux événements et ils avaient vécu à fond l’expérience de « ces jours-ci ». Mais voici que la crise et son développement tragique les ont terrassés. Il ne leur reste plus qu’à rentrer chez eux… Que pourraient-ils faire après l’effondrement de tous leurs espoirs? Que ce sabbat interminable prenne donc fin! Comment ce jour de repos devenu si légaliste pourrait-il apaiser leurs esprits?
De tristes pensées devaient les agiter tous les deux; des pensées qui, comme leur conversation, devaient tourner autour de cette crucifixion. Il leur aurait fallu des nerfs d’acier pour « tenir le coup », pour ne pas céder à la panique. Comment empêcher, en ce jour de sabbat, que le vacarme de la veille, les imprécations de la populace ou les rires cruels devant la croix ne bourdonnent encore à leurs oreilles? La soif de l’agonisant, les quelques paroles qu’il avait prononcées avant de succomber pourraient-elles disparaître à jamais de leur mémoire? Aussi, dès que cela leur fut possible, le premier jour de la semaine, ils se mirent en route pour rentrer chez eux, loin du théâtre des événements, loin de l’endroit de cette mise à mort inoubliable.
« Ils s’entretenaient de tout ce qui s’était passé », nous dit l’Évangile (Lc 23.14). Ils raisonnaient sans doute sur l’abîme existant entre leurs espoirs et le néant où ils avaient sombré, entre leur foi dans le « Royaume » et la présente défaite. Ne l’avaient-ils pas vu expirer de leurs propres yeux?
Sur la route d’Emmaüs, surgissent les unes après les autres des images de cauchemar. Ils raisonnaient! Sans doute Dieu existait-il, mais à quoi bon? Bien sûr qu’il ne les avait pas trompés. Il avait été la cristallisation de leurs rêves séculaires et leur attente avait semblé, un bref instant, toucher sa fin. Mais à présent, le voilà bien mort et enseveli.
Eux, pendant ces heures terrifiantes, avaient connu l’enfer. L’enfer du découragement et du désespoir. À présent, ils discutaient entre eux, peut-être aussi de quelques formalités à accomplir, de funérailles plus décentes à célébrer, de ces gestes familiers accomplis à l’occasion d’autres deuils et pour d’autres morts… Peut-être discutaient-ils aussi de l’ancien rythme de vie qu’il leur faudrait reprendre dès qu’ils mettraient à nouveau les pieds dans leur petite maison. Pour braver les coups durs, la sagesse terre-à-terre finit par se faire une raison; il va falloir travailler, car la vie continue, et même lorsqu’on est ébranlé profondément, on finit par se résigner.
La plupart d’entre nous avons connu, un jour ou l’autre, cette route d’Emmaüs menant vers des positions de repli. On gémit en marchant, tête basse, ayant hâte d’arriver, envahis par le doute. Nous croyons que Dieu existe, bien sûr, mais qu’il n’intervient pas, qu’il ne répond plus. Voilà ce qui est le plus insupportable. Rentrons donc nous cacher à Emmaüs. Le bien, le vrai, le beau sont morts et l’amour et l’honneur sont bafoués. La véritable tentation est là : douter que Dieu puisse faire quelque chose. Aussi se contente-t-on de quelques maigres compensations. Ce peut être l’alcool ou la course aux spectacles, ou encore les paquets de cigarettes que l’on fume inlassablement, parfois une liaison sans lendemain.
Ah! si tu déchirais les linceuls qui t’enveloppent. Si tu pouvais rouler la pierre, la lourde pierre qui a scellé ton tombeau.
Et bien, c’est exactement cela qui s’est produit! Pendant qu’avec Cléopas vous gémissiez et que la gorge serrée et le cœur gonflé de tristesse vous rentriez à Emmaüs comme des ombres, évitant d’attirer l’attention, le voilà qu’il se présente au beau milieu de vos soupirs et de votre compréhensible amertume. Vous ne vous attendiez pas à cette rencontre! Peut-être le cherchiez-vous ailleurs, ou même pas du tout. Tandis qu’il se tenait auprès de vous, il y avait un voile sur vos yeux qui vous empêchait de le reconnaître. Vous vous étiez mépris sur ses desseins, mais maintenant il est là, cheminant à vos côtés.
Les clous de vendredi dernier et la lourde pierre fermant le sépulcre ne pouvaient le retenir. Le Ressuscité est apparu et il s’est mis à expliquer le sens des événements. Il le fait à partir de l’Écriture. Il n’explique pas forcément le sens de tous les événements, mais il parle de la nécessité de sa mission et de son œuvre d’amour qui triomphe et qui triomphera.
Curieuse manière de se révéler que celle-ci, n’est-il pas vrai? Pourtant, l’Église qui adore le Ressuscité a discerné depuis toujours dans cette Écriture « le moyen de grâce » qui véhicule cette Parole. Peut-être l’avez-vous rejetée comme une chose encombrante ou comme un livre démodé. Mais après avoir raisonné et conversé avec animation entre vous, c’est lui en personne qui vient vous expliquer le grand « pourquoi ».
Frères et sœurs, le pont est jeté d’une façon inespérée sur le fossé qui sépare la route d’Emmaüs du Calvaire du Vendredi saint. Les vieilles pages, même jaunies et poussiéreuses, de votre Bible clament qu’on ne peut pas se perdre dans les ténèbres du désespoir et sombrer loin de lui. La délivrance est à portée de main. Le monde et votre propre vie sont définitivement arrachés à la perdition parce que Christ est réellement ressuscité!