Nous croyons - Le Tout-Puissant
Nous croyons - Le Tout-Puissant
« Les cieux célèbrent tes merveilles, ô Éternel! Et ta fidélité dans l’assemblée des saints. Car qui, dans le ciel, peut se comparer à l’Éternel? Qui est semblable à toi parmi les fils de Dieu? Dieu est terrible dans la grande assemblée des saints, il est redoutable pour tous ceux qui l’entourent. Éternel, Dieu des armées! Qui est comme toi puissant, ô Éternel? Ta fidélité t’environne. »
Psaume 89.6-9
Dieu s’était révélé comme le Tout-Puissant à Abraham. « Je suis El-Shaddai, le Dieu tout-puissant. Marche devant ma face et sois intègre » (Gn 17.1). Il lui avait promis sa protection.
Dans les cultes primitifs, on cherchait cette protection « per fas et nefas » (pour le meilleur ou pour le pire), au besoin par le crime. Avec les prophètes d’Israël, elle devient morale et justicière. Dans le Nouveau Testament, elle est paternelle et rédemptrice. Mais le principe demeure invariablement le même.
« Tout-Puissant ne signifie pas que Dieu va faire que le carré soit rond ou que le coupable soit innocent, mais exprime simplement la certitude que Dieu peut faire tout le nécessaire pour le bien de ses adorateurs, en sorte qu’ici les enfants de Dieu peuvent compter sur leur Père céleste absolument en tout.
Cette affirmation de la toute-puissance de Dieu a été niée par ceux qui tiennent pour irréconciliables la bonté de Dieu et sa toute-puissance en face du problème de la douleur et du mal. Devant les cataclysmes naturels, les guerres et certains drames intimes, ils disent : Si Dieu a permis cela alors qu’il pouvait l’empêcher, il n’est pas le Dieu bon. Or, comme le Dieu de Jésus-Christ est le Dieu bon, il y a donc des choses qu’il ne peut empêcher… Il n’est donc pas tout-puissant. Parlant ainsi, ces chrétiens pensent sauver la bonté divine d’une impasse. J’honore leurs intentions et je reconnais la distinction de leur travail, mais j’estime qu’en proclamant l’impotence de Dieu, ils ne sauvent rien du tout; ils retirent surtout à ceux qui souffrent le seul appui où ils peuvent trouver espérance et courage.
Chaque jour nous révèle notre ignorance des choses de la nature qui nous touche et des choses de l’âme qui nous appartient; et nous prétendrions connaître assez Dieu en lui-même, ses raisons, ses ressources, et même l’immense entreprise de vie dans laquelle il est engagé dans l’univers, pour lui dicter ce qu’il doit faire s’il veut être bon et l’accuser d’impuissance lorsqu’il n’intervient pas là où nous pensons qu’il aurait dû intervenir?
Voyez : de tous les crimes que le soleil a éclairés sur notre globe, il n’en est point qu’à vue humaine la bonté de Dieu aurait dû empêcher comme celui qui a tué l’innocent du Calvaire, crucifié le Saint.
L’accuserons-nous d’injustice, ou, pour sauver sa justice, dirons-nous qu’à cette heure-là il était impotent? Mais votre conversion même, votre joie du salut, vous obligent de confesser qu’en n’empêchant pas que Jésus fût cloué sur la croix, en souffrant avec son Fils la journée ténébreuse du Vendredi Saint, en le laissant crier à la face du monde : “Eli, Eli, lamma sabachtani?…” Dieu a montré sa toute-puissance et usé victorieusement du moyen qui était à la portée de son amour pour vaincre l’adversaire des âmes et attirer l’homme libre jusqu’à lui. Voilà pourquoi les générations chrétiennes qui ont connu les persécutions les plus dures, celles qui ont vécu des heures sanglantes où toute justice leur était refusée sur la terre, associés par leur martyre à la grande œuvre de rédemption dans l’humanité, sont aussi les générations qui ont proclamé avec le plus de ferveur le pouvoir souverain du Père céleste, dépouiller, traquer, perdre et brûler, et jeter à la voirie, pour que preuve fut faite qu’aucune puissance terrestre ou infernale ne peut prévaloir contre l’Église de Jésus-Christ.
Plutôt que de faire un trou au symbole, reconnaissons humblement qu’il n’est pas d’entreprise plus dangereuse que de vouloir disculper Dieu en le limitant, et redisons avec l’homme de douleur et ses témoins-martyrs de tous les siècles : Je crois au Père tout-puissant.1 »
Dieu est souverain. La plus fondamentale de toutes les convictions chrétiennes est que Dieu existe en tant que celui qui exerce un contrôle souverain absolu sur les choses visibles et invisibles. Aussi bien sur le macrocosme que sur le microcosme. Il en étend l’effet sur toutes les formes et les magnitudes. La prédestination divine, la préservation divine, le gouvernement divin opèrent au niveau à la fois de la physique et de la microbiologie.
Nous avons le droit de penser que le moindre virus est placé sous gouvernement divin. Il n’existe pas sans qu’il en ait la connaissance. Il n’existe pas indépendamment de Dieu. Son origine, ses mutations, son développement sont soumis à la souveraineté divine. Je me rends compte que c’est là un grand problème pour le chrétien, qui fait partie du formidable problème de la théodicée, c’est-à-dire de l’entreprise chrétienne consistant à justifier les actes de Dieu.
Notons cependant que cela ne constitue pas un simple problème. C’est également une source de grand réconfort et un motif d’encouragement; ici, nous parlons d’une souveraineté qui est intensément et directement personnelle.
Il s’agit de la souveraineté divine, de celui dont nous avons reconnu la paternité, non de celle d’un système céleste impersonnel et anonyme. Elle s’exerce par le Christ, l’Agneau de Dieu. Nous la comprendrons de manière christocentrique. Les maux innommables, sous toutes leurs formes, qui frappent les humains, devront être vus par rapport au Christ et non pas sous l’angle d’une souveraineté impersonnelle.
Il est également évident que l’exercice de cette souveraineté demeure en rapport étroit avec notre prière d’intercession.
Car nous confessons que rien sur terre n’existe indépendamment de Dieu. Toutes les mutations, même virales, sont contrôlées par lui.
Une autre perspective ouverte par l’affirmation de la souveraineté divine est celle de sa colère.
La toute-puissance de notre Dieu suppose en même temps qu’elle étaie un ordre moral objectif. Les impératifs catégoriques ou les commandements divins ne sont pas des choses purement utilitaires. Ce ne sont pas les faits d’un pur mécanisme de défense sociale, ou les conséquences d’un environnement embryonnaire, ni les clauses de conventions humaines. Il existe dans notre univers un ordre moral objectif, celui du bien et du mal, du droit et du mensonge. Cet univers moral n’est pas le produit d’une imagination vagabonde ou d’un cerveau malade. Il existe en dehors du moi subjectif. Il se trouve même imbriqué dans l’univers, enraciné en Dieu, en sa personne comme en la suprême réalité.
Il s’ensuit que l’ordre moral de Dieu cautionne tout ce qui est considéré comme saint et sacré, comme la vie, la vérité, le mariage, qui sont en intime relation avec cet ordre moral se posant en dehors même de la création physique et directement liés à la personne de Dieu. Le transgresser c’est passer outre le commandement personnel de Dieu. C’est par ce commandement-là que nous devenons des êtres responsables, et non pas en vertu d’une autonomie; c’est grâce au divin vis-à-vis et c’est également grâce à ce même commandement que se tissent les liens solides, profonds, vitaux de notre existence tout entière entre la nature de notre vie conjugale et la fidélité et l’existence trinitaire du Dieu vivant. La résurrection et le tombeau vide sont les confirmations suprêmes de notre revendication comme quoi nous vivons et nous évoluons, que nous le voulions ou non, que nous le sachions ou que l’ignorions, dans un univers d’ordre moral totalement objectif. Dès lors, rien ne peut dans notre existence ici-bas être considéré comme absurde. L’ordre objectif qui proteste contre la crucifixion du vendredi ressuscite au matin de Pâques le Fils de Dieu.
Lorsque nous nous abandonnons dans l’immoralité, nous faisons de la vie une chose illégale, nous falsifions la vérité, nous transgressons les normes de la sexualité, nous nous plaçons en conflit avec cet univers moral personnel. Mais à cause de lui, de Jésus-Christ, Dieu réagit intensément contre toute manifestation du mal. Il avait rendu sa colère manifeste, redoutable, lors de la chute; déjà en cette première occasion, il donnait sa réponse au défi insensé du couple humain. Il avait réagi en excluant de manière irrévocable le transgresseur. L’homme ne pouvait plus retourner en arrière, grimper les murs de l’Eden, retrouver son existence paradisiaque originelle.
Cette réaction divine irrésistible se produisit de nouveau à Sodome et à Gomorrhe. Dans ces deux capitales de l’iniquité antique, la vie individuelle aussi bien que la vie sociale était devenue un défi colossal et intolérable contre l’ordre moral et saint de Dieu. Aussi Dieu réagit-il d’une manière intensément personnelle.
La même situation se renouvela à l’heure la plus sombre, la plus décisive aussi de l’histoire, lors de la crucifixion du Christ. La croix du Christ n’était pas seulement la grande révélation de l’amour de Dieu pour le monde, mais également celle du jugement qu’il portait sur le péché humain. Durant ces six inoubliables heures qui marquèrent définitivement le cadran de l’histoire universelle, Dieu condamna le péché dans la chair même de son Fils unique.
L’un des points les plus saisissants à cet égard, auquel nous accordons rarement une attention suffisante, est le fait que pour le Nouveau Testament la croix est non seulement l’œuvre du Christ, mais aussi celle du Père. Elle nous place en face de l’extraordinaire spectacle de Dieu qui traite son propre Fils unique avec une redoutable et irrésistible colère.
Mais il y manifeste également sa miséricorde. C’est ainsi qu’elle est merveilleusement définie :
« Comme il approchait de la ville, Jésus en la voyant, pleura sur elle, et dit : Si tu connaissais, toi aussi, en ce jour, ce qui te donnerait la paix! Mais maintenant c’est caché à tes yeux. Il viendra sur toi des jours où tes ennemis t’environneront de palissades, t’encercleront et te presseront, toi et tes enfants au milieu de toi, et ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas connu le temps où tu as été visité » (Lc 19.41-44).
Bien que Dieu traite avec justice et colère, il le fait en termes de rectitude morale personnelle; cela ne lui fait pas plaisir. Il regarde tous les tourbillons et égarements que nous créons avec une totale miséricorde. Même les victimes de leurs propres agissements en sont enveloppées.
La foi en la toute-puissance de Dieu ne nous évite pas les points d’interrogation qui surgissent à chaque pas. Elle ne nous épargne pas des questions angoissantes devant la souffrance, la misère et la mort. Mais pour la foi, la tristesse, les larmes et le cri de douleur ne sont pas des mots définitifs, des réalités absolues. Une joie sereine et profonde règne aussi dans l’intimité de l’être où Dieu tient sa permanence.
Nous savons qu’à travers ce qui est inexplicable et incontrôlable, malgré les forces du mal, notre péché qui s’obstine et la mort même, Dieu, le Père tout-puissant, poursuit son œuvre des origines. Il a dressé une croix, instrument par excellence du mal, du péché et de la mort, pour mieux écraser et anéantir l’Adversaire qui s’oppose à lui et qui cherche notre ruine. Désormais, une seule question devrait importer; non pas seulement ce que Dieu a fait autrefois, mais aussi ce qu’il fait maintenant.
Que demande-t-il de moi? Puis-je redevenir son image? Porter l’empreinte de son être? Évoluer exclusivement dans le domaine de son amour? Dieu nous convie à nous conformer librement à son dessein. De toute manière, il restera le Maître de la situation, que nous l’admettions ou non. Ce n’est pas pour rien qu’il s’appelle « le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles ». En dépit de nos démissions, de nos réticences et de notre opiniâtre opposition, il s’occupera de nous comme il l’entend. Ce serait une peine inéluctable que de ne pas tenir compte de lui.
Ainsi la confession de la foi de l’Église est un appel et une exhortation à nous joindre personnellement au symbole de l’Église universelle et à dire avec tous les croyants : « Nous croyons en Dieu, le Père tout-puissant. »
Note
1. A. Westphal.