L'homme en question (2)
L'homme en question (2)
Aujourd’hui, plus que jamais, la question « qu’est-ce que l’homme? » se trouve au centre de toutes les préoccupations.
D’innombrables études ont été consacrées à ce sujet. Mais l’énigme a-t-elle été éclairée? Pourquoi donc l’homme est-il devenu un problème à ses propres yeux? Apparemment, il ne devrait pas y avoir un sujet aussi bien connu. L’homme est l’objet de ses propres expériences quotidiennes. Sa nature est observable dans les relations individuelles et sociales. Nous pourrions donc nous étonner de rencontrer tant de conceptions diverses et divergentes à son sujet. L’Homme cet inconnu, était le titre d’un ouvrage bien connu, publié en 1935, du savant français, Alexis Carrel (Carrel, étudiait l’homme sous un angle particulier).
C’est vers Herman Dooyeweerd, philosophe néerlandais à la pensée puissante et originale, que nous allons nous tourner aujourd’hui. Dooyeweerd a su aborder le vrai problème et pourra nous aider à y voir clair. Dans son petit ouvrage Crépuscule de la pensée occidentale, il nous dit comment, pendant des périodes décisives de son histoire, l’homme s’intéresse d’une manière très particulière au monde extérieur et tente une nouvelle compréhension de son univers extérieur. Mais, aussitôt entrepris cet effort de connaître ce qui est en dehors de lui, l’homme se découvre insatisfait. Son intérêt et sa réflexion se portent encore sur sa propre personne et son existence. Aussitôt que son énigme personnelle l’embarrasse, le monde extérieur se retire de son champ d’intérêt et cesse de le préoccuper.
L’interrogation posée par l’homme sur lui-même n’est pas nouvelle. « Connais-toi toi-même », avait écrit Socrate, près de cinq siècles avant Jésus-Christ. Selon le sage grec, tant qu’on ne peut pas se connaître, il ne faut point se préoccuper des questions secondaires. Cette question reste cruciale à notre époque.
Nous vivons une fois de plus la crise de l’homme et sa détresse secoue la civilisation tout entière. Quel est donc le caractère de cette crise selon la philosophie de Dooyeweerd? Le penseur chrétien aborde tout d’abord les tentatives récentes d’explication et les solutions envisagées. La crise est tout d’abord décrite comme le déclin total de la personnalité humaine. L’homme massifié est le résultat de la technocratie dominante et de l’organisation excessive de la société moderne.
Il s’en suit inévitablement la dépersonnalisation de la vie. La conduite de l’homme est calquée sur la conduite générale. Eugène Ionesco, dramaturge français moderne, a su très bien décrire ce phénomène, dans sa célèbre pièce de théâtre Le Rhinocéros. Il est certain que l’homme, dit sécularisé, a perdu tout intérêt pour la religion. Mais il est alors la proie facile de tous les nihilismes. Il nie toute valeur morale et spirituelle. Même la foi humaniste en l’homme ne lui est d’aucun secours. La raison ne semble plus lui servir de guide infaillible.
D’autres penseurs modernes ont eu recours à l’idéologie communiste. Quant à la société libérale de l’Occident, elle tente d’opposer à celle-ci des idées démocratiques. Pourtant, ces dernières ne sont pas tellement innocentes dans la crise actuelle de l’homme. Elles ont à leur tour contribué à détruire la foi en l’absolu. C’est pourquoi, dans ce cadre-là, la question « qu’est-ce que l’homme? » trouve toute son acuité. Elle redevient la question essentielle : être ou ne pas être! Elle explique aussi, ne serait-ce qu’en partie, l’influence qu’a exercée depuis plusieurs décennies, sur la grande majorité des jeunes, la philosophie existentialiste.
Selon cette dernière, pour pouvoir soutenir sa vie, l’homme doit se tourner vers les choses qui se trouvent à sa portée. Il doit lutter pour son existence. Mais dans cette lutte, l’homme risque de se perdre en tant qu’homme libre; il se livre au monde. Il connaît la peur et l’anxiété. Ainsi, dans sa liberté même, l’homme est confronté, avec la cause la plus profonde de sa détresse, à savoir la peur et l’anxiété. Pour être vraiment libre, il doit envisager librement sa mort. Il doit accepter le néant. Cette conception existentialiste est certainement l’une des plus pessimistes sur l’homme. D’autres philosophes existentialistes ont voulu trouver la solution dans les relations interpersonnelles. Martin Buber, par exemple, a été l’un des plus éminents représentants de cette idée. Sa thèse principale pourrait se résumer ainsi : « Je ne peux me connaître sans te connaître, je ne peux connaître sans aimer. »
Mais comment peut-on atteindre le stade de « connais-toi toi-même »? Il ne semble pas que les deux premières relations, celle de l’homme avec l’univers extérieur et celle avec son prochain, ne donnent encore la vraie réponse. Dooyeweerd nous invite à choisir la bonne relation, la primordiale, à savoir de l’homme avec Dieu. Elle rétablit toutes les autres parce qu’elle les transcende et les englobe.
La philosophie de Dooyeweerd est indéfectiblement attachée à la révélation biblique et elle en prend toutes ses prémisses.
Son œuvre magistrale Critique réflexive de la pensée moderne n’a pas été encore traduite en français. Elle est une somme de connaissance et son auteur un guide sûr pour nous aider à faire une réflexion totale sur notre personne, ainsi que sur l’orientation fondamentale, religieuse, de notre vie.
Lorsqu’on suppose, dit l’auteur, qu’une rencontre d‘une personne avec une autre peut permettre de résoudre notre problème, il faut se poser la question : Qu’est-ce que veut dire exactement cela? Si une telle rencontre doit avoir lieu, elle suppose une connaissance parfaite de soi-même. Ce n’est pas d’une manière mutuelle qu’on parvient à une connaissance personnelle. Les relations temporelles d’amour ne peuvent pas assurer une rencontre avec soi-même, car qui faut-il aimer? Dois-je aimer celui avec qui j’ai des affinités? Et s’il ne faut aimer que ceux-là, n’agissons-nous pas comme les pécheurs dont parlait Jésus dans l’Évangile?
Dans ce cas, l’amour n’est vraiment pas au centre de notre vie. Comment pouvons-nous aimer les ennemis et bénir ceux qui nous persécutent? Les bonnes relations entre les hommes de bonne volonté ne sont donc point d’un grand secours pour nous comprendre nous-mêmes. Et arrivés à ce point, nous savons que l’amour doit indiquer autre chose que lui-même. Il doit nous orienter dans la direction de Dieu, pour nouer des relations avec lui.
Cette relation est ce que notre auteur appelle « relation religieuse ». Elle n’est ni théorique ni philosophique. La vraie connaissance de nous-mêmes dépend de notre connaissance de Dieu. L’Écriture sainte apporte toute la lumière de la révélation sur cette question.
L’Écriture parle du cœur de l’homme, qui est le centre et le moteur religieux de celui-ci. Le centre de nous-mêmes ne se trouve pas dans l’intellect, ni dans les sentiments, mais dans le « cœur » où prennent racine toutes les manifestations spirituelles de la vie. Le « cœur » demeure la seule clé de la connaissance de nous-mêmes. Le Saint-Esprit ouvre nos cœurs en sorte que notre foi n’est pas seulement l’acceptation des articles auxquels il faut adhérer, mais un élan de notre cœur, quelque chose de vivant. Certes, il nous faut souscrire à des articles de la foi qui expriment admirablement notre attachement à l’objet de notre foi. Malheureusement, de nombreux chrétiens n’acceptent les credo que comme un carcan, lourd à porter, mais qui les dispense de l’engagement authentique de la foi. Le credo devient alors une simple carapace extérieure incapable de contenir la vraie foi. La Bible nous parle de la révélation de Dieu. Celui-ci est le Créateur de toutes choses. Il n’existe aucune puissance dans notre univers qui ne prenne vie dans sa Parole et qui ne dépende de sa volonté. Et si notre cœur est plein de lui, alors il ne peut exister aucune zone neutre qui soit séparée de lui, une sorte de « no man’s land ». Ici se trouve toute la différence entre le Dieu vivant que nous révèle l’Écriture et toutes les idoles mensongères qu’elle démasque et fustige.
L’homme a été créé à l’image de Dieu. Dieu l’a créé de telle sorte que toutes ses facultés et ses actes sont contenus à l’intérieur du centre religieux de son existence, à savoir « son cœur ». Le cœur est par conséquent le siège central de l’image de Dieu. Il possède une impulsion religieuse. Il peut concentrer tout son amour et son service en Dieu. Ceci explique pourquoi nous avons le premier commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… » L’Écriture nous invite et nous exhorte à obéir à ce premier commandement, tout simplement parce que nous avons été créés à l’image de Dieu. En réalité, le péché n’est qu’une illusion. Il est né dans le cœur de l’homme. Il fait croire à l’homme qu’il est égal à Dieu ou bien qu’il peut le devenir. Ainsi, il produit la mort spirituelle. Pourtant, le centre religieux, lui, n’est pas détruit, il continue toujours à fonctionner. Mais d’une manière perverse en produisant une fausse religion. Il fabrique toutes sortes de faux dieux : « Le cœur de l’homme est une boutique de tout temps pour produire des idoles », écrivait un auteur chrétien du 16e siècle. Le cœur travaille toujours d’une manière religieuse, mais dans la fausse direction. S’adonner à l’idolâtrie c’est donc agir d’une manière contraire à la foi. Nous ne dirons pas assez souvent : Il n’existe pas d’athéisme véritable, il n’y a que l’idolâtrie.
Mais en Jésus-Christ, la Parole de Dieu s’est incarnée et l’image de Dieu a été restaurée dans le centre religieux de l’homme. Il existe une nouvelle naissance du cœur, par le salut en Jésus-Christ. On peut se connaître en connaissant Jésus-Christ. Car la question posée au début : « qu’est-ce que l’homme? » ne peut trouver de réponse a l’aide de notre raison. La réponse nous sera donnée dans la Bible, Parole de Dieu; elle dévoile les racines religieuses et le centre religieux de notre vie. Dans la chute, l’homme avait perdu la connaissance de Dieu, et par suite la connaissance de lui-même… La Parole vivante opère en nous une transformation intérieure capable de produire toutes les transformations extérieures.