La doctrine de l'Écriture (12) - Le sens de l'Écriture
La doctrine de l'Écriture (12) - Le sens de l'Écriture
La confession reformée de la règle suprême de la foi pose naturellement le principe de l’interprétation correcte des Écritures. Deux méthodes sont ici en présence; l’une représentée par Luther et Calvin dans leurs commentaires, l’autre par les écrits de Melanchthon et l’Institution de la religion chrétienne de Calvin. Nous appellerons interprétation (l’herméneutique) la lecture et l’exposition en détail du texte original et que les traductions, exégèses et commentaires, voire des paraphrases aident à poursuivre. Le terme peut cependant inclure aussi le travail doctrinal particulier, lequel à l’aide des passages à propos, vus dans leurs propres perspectives, permet l’exposé et l’organisation d’ensemble et consistant d’un article de foi ou de doctrine. La théologie biblique et la théologie systématique s’occupent de cette tâche. Dans l’œuvre de Calvin, nous ne trouverons pas une distinction bien tranchée entre ces deux manières d’approcher le texte de l’Écriture.
L’herméneutique à son niveau supérieur et inférieur a deux pôles, l’un négatif, l’autre positif. Négativement, il est admis que l’Écriture ne doit pas être expliquée dans le souci de la faire accorder avec un système doctrinal ou ecclésiastique donné. Le rôle de l’Église et de ces assemblées reste celui du témoin de la Parole. La Réforme a récusé la règle selon laquelle le sens de l’Écriture devrait se fixer par l’accord et le consentement unanime des Pères et de leurs écrits, sans toutefois rejeter leur apport dans l’établissement correct du sens de la révélation biblique. En outre, elle a récusé l’idée scolastique selon laquelle l’Écriture aurait plusieurs sens; or cette idée avait créé une confusion générale en théologie et par contrecoup porta quelque peu atteinte au crédit des Pères ecclésiastiques. Positivement, la Réforme s’exprima en général en affirmant que l’Écriture possède une marque de clarté et que par conséquent elle reste son propre interprète. Elle établissait trois règles : L’interprète doit être un homme spirituel. Ensuite, il y a nécessité de se servir de tous les moyens linguistiques et historiques disponibles pour découvrir le sens originel et authentique de l’auteur sacré. Ces deux premières règles se trouvent clairement exposées dans la Confession helvétique postérieure. Enfin, il est recommandé de respecter la règle de l’analogie de la foi; les résultats de l’interprétation doivent se conformer, dans leur ensemble et dans leurs détails, au plan de la foi et de l’éthique, qui sont de manière infaillible toutes scripturaires.
La norme doctrinale d’interprétation indiquée était principalement la justification par la foi seule. Pour Luther, l’Écriture prêche le Christ, c’est-à-dire la justification par la grâce au moyen de la foi aux mérites du Sauveur. Mais dans l’ensemble la Réforme a également insisté sur le fait que le principe devait comprendre le dogme de la Trinité ainsi que celui de la christologie orthodoxe. L’application de ces principes relatifs à l’interprétation de l’Écriture fut un réel progrès sur le chemin de l’exégèse scientifique, en limitant ce qui ne serait pas scientifique dans le travail d’interprétation. D’où le refus d’accepter la multiplicité des sens de l’Écriture. L’exégèse doit se servir des passages clairs afin d’éclairer des passages plus obscurs, ce qui permit de lire dans toute l’Écriture le témoignage rendu au Christ et à son œuvre rédemptrice. Dans ce qu’on a appelé la branche supérieure de l’herméneutique, qui s’occupa de la systématisation de la doctrine, la Réforme a opéré un choix dans le contenu des Écritures, qui devait être canonique, au moins en ce qui concernait sa valeur quant à l’ensemble des Écritures.
Luther a radicalisé cette méthode en opérant un canon dans le canon et en rejetant, par exemple, l’inspiration et l’autorité de la lettre de saint Jacques. Calvin n’a pas suivi cette méthode rigide du réformateur allemand; toutefois en pratique, ce qui était nécessaire, lui aussi s’est davantage appuyé sur certaines portions de l’Écriture pour étayer la doctrine du salut, notamment des portions des écrits pauliniens. Ceci, à notre sens, est inévitable et légitime en travail dogmatique. Cependant, Calvin et ses disciples ont cherché à reproduire presque tous les passages bibliques pour étayer la doctrine. On a reproché aux réformateurs d’avoir beaucoup trop insisté sur la doctrine de la justification par la foi seule, en la hissant au niveau de celle de la Trinité et de la christologie. Incontestablement pour la Réforme, la conviction fondamentale était que l’Évangile prêché par le Christ était le seul véritable, ainsi que le développement que l’on trouva dans l’enseignement de Paul.
Tirons quelques conclusions importantes de ce qui précède. Le fait que la Bible est la Parole de Dieu veut dire que cette Parole nous parvient par le moyen du texte. Le sens de l’Écriture est son sens textuel. Certes, la Bible se sert aussi du langage figuré. Nous ne nierons pas ce fait. Nous rejetons cependant l’idée que le sens proprement dit de l’Écriture devrait être trouvé derrière le texte, et non dedans. Il est vrai que sans l’aide du Saint-Esprit « la lettre tue ». Cependant, l’Esprit nous fait entendre la Parole de Dieu dans le texte biblique. Nous avons parlé d’un sens profond que nous pouvons trouver quelquefois, sous la lumière de l’accomplissement, dans les passages où l’auteur humain n’a pas encore vu cette profondeur. Toutefois, il s’agit aussi dans ce cas d’une profondeur dans le texte lui-même.
L’Écriture est une unité dont le Christ est le centre. Nous comprenons les différentes parties comme des parties de ce tout pour bien saisir leur sens. Connaître l’Écriture en sa totalité est la raison pour laquelle nous pouvons quelquefois trouver dans un passage un sens nouveau, une profondeur dont l’auteur humain ne s’est pas encore douté. Il est clair qu’en ce basant sur l’Écriture elle-même nous avons le droit de parler d’un tel sens profond d’un certain passage. La révélation dont la Bible témoigne a parcouru une histoire. Pour comprendre ce que Dieu veut nous dire dans la Bible, il faut tenir compte du progrès dans la révélation. N’oublions pas la différence entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Certes, Dieu nous parle encore par le passage qui nous raconte le commandement divin, adressé à Abraham, de circoncire son fils. Nous serions cependant désobéissants à la Bible si nous voulions encore circoncire les enfants. Dieu nous parle encore par l’Ancien Testament. Cependant, il ne veut pas de nous une obéissance vétérotestamentaire.
Le caractère organique de l’inspiration implique que l’on ne doit pas seulement comprendre les divers passages de la Bible comme des parties de la Bible tout entière. On doit les comprendre aussi d’après le sens qu’ils en ont dans le contexte dans lequel l’auteur humain les a placés. Ce même caractère organique de l’inspiration implique que, pour comprendre un passage, on doit commencer par comprendre l’intention de l’auteur humain. Certes, nous savons que le texte peut avoir un sens plus profond que celui que l’auteur a pu donner. Cependant, ce sens plus profond n’est pas contradictoire avec l’intention de l’auteur, bien qu’il n’est pas qu’une compréhension plus explicite de ce qu’il a voulu dire lui-même. Il ne faut pas tirer des conclusions générales du cas très exceptionnel de Caïphe (Jn 11.50). On n’entend pas seulement la Parole de Dieu dans des Psaumes ou l’auteur parle directement de la manière dont Dieu s’adresse aux hommes. On peut aussi l’entendre à travers des passages où l’auteur parle tout d’abord de sa réaction devant la relation divine, comme dans les Psaumes ou dans des prophéties de Jérémie. Là, nous pouvons entendre la Parole de Dieu par l’écho qu’elle a eu dans la réponse de l’auteur.