Christologie (9) - La christologie de Jean Calvin - Les deux natures du Christ
Christologie (9) - La christologie de Jean Calvin - Les deux natures du Christ
1. Introduction⤒🔗
Dans l’explication du deuxième article du Symbole des apôtres, « Et en Jésus-Christ… », nous avons un clair aperçu de la christologie du grand réformateur sur la doctrine de la deuxième personne de la Trinité. Il revient à Wilhelm Niesel (La Théologie de Calvin) le mérite d’avoir signalé le caractère christocentrique de la théologie calvinienne. D’ordinaire, Calvin est considéré comme le parfait « théocentriste ». Non sans tort, si l’on veut l’opposer aux fallacieuses théologies anthropocentristes. B.B. Warfield, quant à lui, tient avec raison Calvin pour le théologien par excellence du Saint-Esprit.
Ne voyons aucune contradiction entre ces différentes positions, et n’opposons pas une dimension de sa pensée à une autre. Ici même, nous rappellerons le grand intérêt que Calvin porte à la christologie orthodoxe, sans pour autant que cette dernière jette d’ombre sur les autres aspects que nous signalons. Les trois positions sont également vraies, mais, sans les opposer les unes aux autres, découvrons une fois de plus dans l’œuvre du réformateur l’absence de systématisation rigide, voire par moment rationaliste, qui caractérise tellement les œuvres de nombre de ses plus fidèles disciples.
Certes, nous fait-on remarquer avec raison, Calvin n’est pas christocentrique comme un Karl Barth (traité assez rudement par Cornelius Van Til de christomoniste!). Toutefois, force nous est de constater avec quelle puissance Calvin démontre, d’après le second article du Symbole, la place centrale que Christ occupe dans l’Écriture. Selon son mot, nous devons lire l’Écriture avec l’intention d’y trouver le Christ. Si nous nous détournions de cette fin, quelque peine que nous prenions, quelque temps que nous consacrions à notre étude, nous n’atteindrons jamais la connaissance de la vérité (voir le commentaire de Calvin sur Jn 5.39 et 2 Co 3,16).
2. Les deux natures du Christ←⤒🔗
C’est au livre II de l’Institution de la religion chrétienne que Calvin traite de la christologie. Au chapitre 12, il explique la nécessité de l’incarnation.
« Il était nécessaire que celui qui devait être notre Médiateur fût vrai Dieu et vrai homme, car nos iniquités avaient placé entre Dieu et nous un voile qui nous empêchait d’aller jusqu’à lui et nous excluait du Royaume des cieux. Seul celui qui lui était le plus proche pouvait nous réconcilier avec lui. […] Notre situation eut été sans remède si la majesté de Dieu lui-même n’était descendue jusqu’à nous, puisqu’il n’était pas en notre pouvoir de nous élever jusqu’à elle. C’est pourquoi il a fallu que le Fils de Dieu devienne Emmanuel, c’est-à-dire “Dieu avec nous”, de telle manière que sa divinité et la nature des hommes soient étroitement unies, car autrement il n’y aurait pas eu de voisinage assez proche ni d’affinité assez étroite pour nous faire espérer que Dieu puisse habiter avec nous : le fossé était trop grand entre nos souillures et sa pureté… »
Le chapitre 13 traitera de l’humanité du Christ. Citons-en des extraits :
« Il serait superflu de revenir plus longuement sur la divinité de Jésus-Christ que nous avons déjà prouvé par d’irréfutables témoignages de l’Écriture. Il reste à voir comment, après avoir revêtu notre chair, le Christ a accompli son rôle de Médiateur. Les manichéens et les marcionites ont jadis tenté d’anéantir la vérité de sa nature humaine. Ceux-ci imaginaient qu’il avait revêtu une apparence, un fantôme de corps, et non un corps; ceux-là se figuraient que son corps était un corps céleste. Mais l’Écriture oppose à ces erreurs des témoignages nombreux et puissants. […] Toutes les arguties des manichéens et de leurs émules modernes sont dérisoires. Ils usent d’une échappatoire frivole lorsqu’ils disent que Jésus-Christ n’est appelé Fils de l’homme que parce qu’il a été promis aux hommes; car chacun sait que cette expression empruntée à l’hébreu signifie vrai homme, comme dans toute l’Écriture les hommes sont nommés fils d’Adam. […] Les absurdités qu’ils avancent contre nous sont des arguties puériles. Ils estiment que ce serait un opprobre pour Jésus-Christ d’être sorti de la race humaine, car alors, disent-ils, il ne pourrait pas être soustrait à la loi commune, qui enferme toute la lignée d’Adam sous le péché. Mais la comparaison que fait saint Paul résout très bien cette difficulté : “comme par un homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, de même, par la justice d’un homme la grâce a abondé”. »
Au chapitre 14, il sera question des deux natures du Christ :
« Lorsqu’il est dit que la Parole a été faite chair, nous ne devons pas comprendre qu’elle a été changée en chair, ou confusément mêlée à la chair, mais que dans le sein de Marie elle a reçu un corps humain, comme un temple pour y habiter. Et le Fils de Dieu a été fait fils d’homme non par confusion de substances, mais unité de personne; c’est-à-dire qu’il a uni sa divinité avec l’humanité, et ceci de telle manière que chacune des deux natures a conservé ce qui lui était propre. Et cependant, il n’y a pas en Jésus-Christ deux personnes distinctes, mais une seule.
S’il est permis d’employer une comparaison pour éclairer un si haut mystère, l’homme peut nous en donner une idée. Il y a en lui deux substances qui ne se mêlent pas au point de se confondre. Car l’âme n’est pas le corps et le corps n’est pas l’âme. […] Et pourtant, ces deux substances constituent un seul homme. En d’autres termes, la personne unique est composée de deux natures conjointes et pourtant différentes. L’Écriture s’exprime de la même façon quand elle parle de Jésus-Christ; car elle lui attribue parfois ce qui ne peut se rapporter qu’à l’humanité, parfois ce qui appartient en propre à la divinité, parfois ce qui convient aux deux natures unies et non à une seule. Et même elle exprime si fortement cette union des deux natures réalisées en Jésus-Christ qu’elle communique à l’une ce qui appartient à l’autre. Cette façon de parler a été appelée communication des propriétés par les pères de l’Église.
Les plus clairs de tous les passages concernant la substance véritable de Jésus-Christ sont précisément ceux qui s’appliquent aux deux natures unies ensemble. Ils abondent dans l’Évangile de Jean. Car ce n’est pas exclusivement en se référant à sa divinité ou à son humanité, mais c’est au sujet de sa personne entière composée des deux natures que Jean énonce les vérités suivantes : que le Christ a reçu du Père le pouvoir de pardonner les péchés, de ressusciter qui il veut, de donner la justice, la sainteté et le salut; qu’il a été établi pour être juge des vivants et des morts afin de recevoir le même honneur que le Père; enfin, qu’il affirme lui-même être la lumière du monde, le bon berger, la seule porte, la vraie vigne. […] Il est surprenant de voir combien les ignorants, et même d’autres, qui ne sont pas dépourvus de savoir, sont déroutés par ces formules attribuées au Christ, parce qu’elles ne s’accordent pas de façon évidente soit à sa divinité, soit à son humanité. C’est qu’ils ne s’avisent pas qu’elles sont applicables à sa personne entière, à la fois Dieu et homme, et à son rôle de Médiateur… »
Pour quelle raison la christologie de Calvin n’a-t-elle pas fait l’objet d’une plus grande attention? Nous ne chercherons pas une réponse. Signalons plutôt que, dans son Catéchisme de 1538 et dans l’Institution, la place que Christ occupe est plutôt restreinte. Néanmoins, Calvin contribue de manière très particulière à la théologie en traitant des deux natures du Christ; l’œuvre du Christ en tant que Prophète, Sacrificateur et Roi; la mort du Christ, non seulement comme sacrificielle et vicariale, mais encore comme victoire remportée sur la mort et le diable; l’accent qu’il place sur l’importance de la résurrection; enfin, la place toute particulière qu’il assigne à l’ascension du Christ et à son office sacerdotal céleste.