Haïti - Rapport d'un témoin oculaire
Haïti - Rapport d'un témoin oculaire
« Quand la terre est bouleversée. »
Psaume 46.2-3
1. Introduction par Sharon Bratcher⤒🔗
Haïti est considéré comme la nation la plus pauvre du monde occidental. Quatre-vingts pour cent des Haïtiens sont sans emploi et la plupart des gens vivent avec environ 1 $ par jour. Beaucoup demeurent dans des bidonvilles. Il y a très peu d’infrastructures, l’électricité est rare et le transport souvent peu sécuritaire. L’éducation n’est pas gratuite et les soins médicaux sont rares pour la plupart des gens. La majorité des personnes ne connaissent pas le Seigneur.
Tout cela était déjà vrai avant le tremblement de terre de magnitude 7,0 qui a frappé ce petit pays le 12 janvier 2010. Le gouvernement estime le nombre de morts à plus de 200 000.
En 2003, un groupe de chrétiens réformés ont formé un organisme de charité du nom de « Coram Deo International Aid » à la suite d’une visite de quelques membres du comité d’administration. C’est au cours de cette visite que le Seigneur leur a mis à cœur de faire quelque chose pour venir en aide aux gens de cette nation. Leur mission est triple. Ils soutiennent et opèrent une école élémentaire gratuite, nommée « École chrétienne Adoration ». Cent vingt élèves fréquentent cette école où les enfants reçoivent également deux repas par jour. Ils soutiennent et suivent aussi 75 élèves du secondaire. Un deuxième aspect de la mission consiste à offrir un service de clinique médicale gratuit deux fois par semaine. Enfin, l’aspect le plus important est l’annonce de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ aux gens, dans l’espoir qu’ils en viennent à connaître Jésus comme leur Sauveur.
Randy Lodder, qui a grandi à Fergus en Ontario, est le directeur de l’École chrétienne Adoration à Haïti. Sa famille et lui se trouvaient à cet endroit lorsque le tremblement de terre est survenu. Dans la providence de Dieu, l’école était vide lorsqu’elle s’est écroulée. Au moment où cette introduction a été écrite (le 23 janvier 2010), Randy était toujours en sécurité, travaillant et priant avec le peuple haïtien. Le reste de l’article est une lettre qu’il a écrite au cœur de la dévastation, le 16 janvier 2010.
2. Lettre de Randy Lodder←⤒🔗
Au moment où je commence à écrire ce petit rapport, nous sommes le 16 janvier. C’est samedi soir et il est 10h00. Je suis assis à l’intérieur, ce qui est un peu angoissant, mais toutes les portes sont ouvertes au cas où je devrais sortir rapidement. Nous avons eu d’autres secousses aujourd’hui. Ce n’était pas de très grosses secousses, mais lorsque je sens la terre bouger sous mes pieds pendant une trentaine de secondes, mon cerveau me dit que ce n’est pas normal. Chaque fois, j’ai l’impression que mon cœur va sortir de ma poitrine. Bon, j’ai pensé vous envoyer un court rapport pour vous faire part de nos requêtes de prière et pour vous donner quelques détails sur l’état de la situation dans laquelle nous nous trouvons.
C’est difficile pour moi d’écrire parce que je suis envahi par tellement d’émotions et que j’ai les nerfs à bout en ce moment.
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Je me sens tellement reconnaissant — que ma famille ait été épargnée, que Kim Gringhuis, l’administrateur de l’école, n’ait rien eu, que nos visiteurs, John et Jim, aient été avec nous et aient été épargnés, que personne n’ait été dans l’école au moment du séisme, que le tremblement de terre ne se soit pas produit pendant la nuit alors que des tas de cadenas et de serrures auraient dû être débarrés avant que nous ayons pu sortir, qu’un grand nombre de nos amis soient hors de danger, que Dieu nous ait mis à cœur et nous ait permis de défaire le vieil abri d’auto branlant pendant les vacances, que ma femme et mon enfant soient à l’heure actuelle en sécurité au Canada, que ma maison, malgré quelques fissures, soit relativement sécuritaire et que mes murs, qui sont si faibles qu’ils peuvent s’écrouler n’importe quand, ne se soient pas effondrés.
Il y a tant de choses pour lesquelles je veux remercier le Seigneur et le louer.
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Je me sens si effrayé à certains moments — j’ai peur que la violence éclate, hors de tout contrôle, j’ai peur de ne pas pouvoir trouver mes élèves, mes collègues ou mes amis, j’ai peur qu’il y ait d’autres secousses, j’ai peur que les gens n’aient pas suffisamment de nourriture ou d’eau pour survivre, j’ai peur qu’il y ait encore des gens pris sous les décombres, j’ai peur que ma maison s’écroule…
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Je ressens tant de douleur — c’est difficile de décrire l’ampleur de la douleur des gens actuellement, la douleur de perdre des êtres chers, la douleur de voir toute la destruction, la douleur de voir tant de morts, la douleur de voir tant de gens souffrir, la douleur de ne pas savoir, ne pas savoir où est quelqu’un, ne pas savoir s’il ou elle va bien.
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Je ressens tant de peine — mon cœur et ma tête sont si lourds.
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Je sens de la joie — la joie d’être capable de partager l’Évangile avec des gens qui ont besoin de connaître Jésus, la joie de pouvoir chanter des louanges à Dieu avec des voisins que je ne connaissais pas avant que tout cela arrive, la joie de vivre avec tous ceux avec qui je vis maintenant et de les voir à l’œuvre pour aider les autres et de les voir travailler à notre sécurité, la joie de savoir que Karen, mon épouse, Maia, ma fille, Kim, John et Jim sont retournés à la maison sans problèmes, la joie d’être à nouveau réunis à des amis dont j’étais sans nouvelles, la joie de savoir que mes péchés sont pardonnés et que si je péris, je serai avec mon Seigneur et Sauveur.
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Je sens la grâce — c’est difficile à expliquer, mais nous aurions tous pu mourir —, c’est par la grâce de Dieu seule que nous sommes vivants.
Tant d’émotions, au cœur d’un si grand désastre.
Nous avons passé les derniers jours à chercher nos élèves, à entrer en contact avec d’autres organismes pour voir comment nous pouvons unir nos efforts, à livrer des fournitures médicales aux cliniques de la région, à distribuer des vêtements et du ravitaillement à quantité de gens, à trouver ce qu’il faut pour survivre nous-mêmes.
Nous avons perdu deux bons amis, deux collègues, et c’est une très grande peine. Je suis allé visiter leurs familles et partager leur douleur. Je suis aussi allé visiter des familles d’élèves qui, je savais, avaient perdu la vie. Un de nos élèves de sixième année a été tué avec son père, laissant neuf frères et sœurs dans le deuil. Nous l’avons trouvé alors qu’ils étaient en train de retirer son corps d’un édifice. J’essaie juste d’encourager, de réconforter, d’être présent auprès de nos élèves et de leurs familles ainsi qu’auprès de nos collègues. C’est une tâche difficile que le Seigneur nous a confiée, mais c’est une très belle tâche. Nous n’avons pas suffisamment de nourriture et d’eau à leur donner, ni d’endroit pour rester, mais nous pouvons prendre soin d’eux et les entourer du mieux que nous pouvons. Nous souffrons ensemble et nous nous encourageons les uns les autres à chercher notre force dans le Seigneur seul.
Nous avons fait le tour de nos entrepôts où étaient rangées toutes sortes de fournitures qui nous avaient été données. Tout cela nous est très utile en ce moment. Les gars ont distribué des vêtements dans les parcs, où les gens s’entassent les uns contre les autres. Pour ma part, j’ai pu offrir des fournitures médicales à plusieurs cliniques. Nous n’avons pas beaucoup, mais ce que nous avons est une grande bénédiction. Ensuite, nous envisageons de distribuer tous les jouets qui nous restent aux enfants qui ont tout perdu et tous les uniformes supplémentaires de notre école Adoration à ceux qui ont besoin de vêtements.
Nous avons eu la frousse hier. Les gars sont revenus hier soir en disant que personne n’avait pu localiser Wisly (un jeune homme qui vivait sur la propriété de l’école) et qu’il y avait quelque chose qui sentait mauvais dans l’école. J’étais presque certain qu’il n’y avait personne dans l’école, mais je me suis senti accablé et envahi par le chagrin. Ce matin, nous sommes allés à l’école et nous avons commencé à creuser et à chercher. C’était très difficile parce que le bâtiment est à moitié écroulé. C’est la maison et le mur du voisin qui soutiennent ce qui est encore debout. Ça peut s’effondrer n’importe quand. Nous avons vérifié les endroits où nous pensions qu’il pouvait être, mais nous n’avons rien vu ni trouvé. J’ai ensuite demandé qui était la personne qui l’avait cherché et qui n’avait pas pu le trouver. Il s’agissait d’une seule personne, mais qui n’était pas de sa famille; alors, nous sommes partis à la recherche de sa famille dans Cité Soleil (un bidonville de plus de 200 000 personnes qui fait partie de la région métropolitaine de Port-au-Prince, la capitale).
Le seul problème, c’est que c’est très dangereux dans Cité Soleil à l’heure actuelle, alors je me suis rendu à la base des Nations Unies pour demander d’être escortés dans nos recherches de Wisly. Ils ont refusé. Ils ne se déplacent qu’en groupe et ne voulaient pas aller dans Cité Soleil. Nous nous sommes ensuite rendus au poste de police de Cité Soleil, mais ils nous ont dit que c’était trop dangereux pour qu’ils sortent. Alors, nous avons continué seuls — Cadeau (un autre jeune homme qui vit sur la propriété de l’école) a marché seul dans la partie la plus dure du quartier. Il a fini par trouver la sœur de Wisly qui lui a dit que Wisly allait bien et qu’il restait avec sa mère. Dieu soit loué!
Il y a encore plusieurs élèves que je n’ai pas trouvés, parce que tout le monde peut être n’importe où. La plupart des familles vivent dans des parcs ou sur les routes; d’autres encore sont partis pour la campagne. Alors que je laissais quelques fournitures médicales dans une clinique, j’y ai découvert un de nos élèves de maternelle. Il avait le pied cassé à cause d’un mur tombé sur lui. Sa mère était une cousine de Guerdeson (un collègue) et j’ai dû l’informer que Guerdeson était mort et qu’il est maintenant dans la gloire. Tant de douleur et de peine.
Il y a des camions remplis des corps des morts que l’on sort de la ville. Les routes sont couvertes de cadavres et la puanteur est plutôt terrible, mais les gens s’unissent pour essayer d’aider. Les gens vivent leur deuil ensemble et partagent leur vie dans les parcs et dans les rues. Parce que tous ont tant perdu et parce que tous sont affectés, il semble y avoir une unité qui n’était pas là auparavant. En même temps, les gens sont de plus en plus désespérés et la violence s’installe — pillage, vol, coups de feu tirés par des fusils; c’est ainsi partout autour de nous. On sent la peur dans l’air, la peur que les choses deviennent encore plus difficiles et qu’il y ait de plus en plus de violence.
Nous sommes si reconnaissants d’entendre que des pays envoient de l’aide et des troupes pour reprendre le contrôle de la ville et apporter du secours. Nous avons entendu plusieurs avions atterrir et nous avons vu plusieurs camions quitter l’aéroport remplis de toutes sortes de fournitures. Je suis allé plusieurs fois à l’ambassade canadienne au cours de la semaine et j’ai vu arriver des soldats, des fournitures médicales, de même que diverses équipes de secours et organismes venus apporter leur aide. Ceci nous donne beaucoup d’espoir — parce que les besoins sont énormes.
À l’heure actuelle, nous continuons à dormir dehors. Nous retournerons à l’intérieur quand les secousses auront complètement cessé et je ne sais pas quand ce sera le cas. En ce moment, nous organisons des célébrations dans la rue tous les soirs. Nous sortons nos chaises, nous nous assoyons dehors, nous marchons aux alentours en invitant tous nos voisins à se joindre à nous, puis nous commençons à chanter. Ensuite, nous partageons les Écritures et nous prions. C’est un temps merveilleux. Un temps pour pleurer ensemble devant le Seigneur, un temps pour prier pour les autres, un temps pour guérir et un temps pour adorer. C’est sur cela que nous concentrons nos efforts en ce moment : exercer un ministère envers les gens. Être prêts à prier avec les gens, à leur partager l’Évangile, à les réconforter, à les serrer dans nos bras.
Nous prions le Seigneur de nous donner la force de faire tout cela. Lorsque je me suis réveillé jeudi matin, j’ai prié et j’ai demandé à Dieu de me montrer quelle était la meilleure façon pour moi d’aider les gens. Il m’a mis à cœur de prendre soin de leurs besoins spirituels — le besoin de se repentir, de se tourner vers lui et, au cœur de la douleur et de la dévastation, de ne pas se détourner de Dieu, mais de chercher espoir et réconfort en lui seul. J’ai parlé à notre équipe ce matin-là et je leur ai dit que c’est de cette façon que nous allions concentrer nos efforts — travailler fort, oui, mais surtout prendre soin des gens en les écoutant, en pleurant avec eux, en les aidant, en partageant avec eux, en priant avec eux et en lisant la Bible avec eux.
Cet après-midi-là, je me suis approché d’un homme dans la rue. Il était simplement assis là et semblait incapable de continuer. C’était un déporté qui avait fait de la prison pendant des années aux États-Unis et qui avait beaucoup d’ennuis à Haïti. Il était profondément ébranlé par les événements qui venaient de se produire et Dieu m’a ouvert la porte pour que je puisse lui partager l’Évangile et prier avec lui. Il désire Jésus dans sa vie, mais il n’a aucune idée comment cela peut se faire. Le temps passé avec lui a été un temps béni. S’il vous plaît, priez pour Willice Fidel Mendez et sa famille afin qu’ils se tournent vers le Christ.
Nous avons rencontré de nombreux voisins simplement en chantant dans les rues et en leur demandant s’ils voulaient se joindre à nous. S’il vous plaît, priez que Dieu mette dans le cœur de ces gens de venir se joindre à nous. Priez aussi pour mon équipe — ces gars sont jeunes, ébranlés, effrayés. Ils ont besoin de beaucoup de prière. Les gars qui vivent dans la maison sont Cadeau, Samuel, Max, Yder et John. Roland et son fils vont venir s’installer bientôt aussi, alors que leur famille déménage à la campagne pour être plus en sécurité. Il y a aussi d’autres gars qui nous aident pendant la journée : Allyn, Evenz, Deigo et Silly.
Merci de prier pour nous. Vous êtes un grand encouragement pour nous et nous avons besoin de vos prières. J’aimerais vous laisser avec ces quelques paroles du Psaume 46 :
« Dieu est pour nous un refuge et un appui, un secours qui se trouve toujours dans la détresse. C’est pourquoi nous sommes sans crainte quand la terre est bouleversée et que les montagnes chancellent au cœur des mers, quand leurs eaux grondent, écument, ébranlent les montagnes en se soulevant. […] Arrêtez, et reconnaissez que je suis Dieu : Je domine sur les nations, je domine sur la terre. L’Éternel des armées est avec nous, le Dieu de Jacob est pour nous une haute retraite. »