Histoire du judaïsme
Histoire du judaïsme
- Chapitre 1 - D’Esdras aux patriarches
- Chapitre 2 - Des patriarches à la Mishnah
- Chapitre 3 - De la Mishnah au Talmud
- Chapitre 4 - Du Talmud au XIIIe siècle
- Chapitre 5 - Les juifs et la chrétienté du Moyen Âge
- Chapitre 6 - De la Renaissance à la Révolution française
- Chapitre 7 - De la Révolution française à nos jours
Chapitre 1
1. Le judaïsme⤒🔗
Le judaïsme est la forme prise par la religion d’Israël après Esdras et Néhémie. Il était caractérisé par la revalorisation de la loi mosaïque et par l’importance grandissante des traditions.
La loi reçue au Sinaï ne réglait pas tous les points de la vie sociale et même de la vie individuelle en Israël. Des coutumes antérieures à la constitution d’Israël comme peuple de Dieu subsistèrent; d’autres s’ajoutèrent au cours des siècles. Les rois eurent à légiférer selon les besoins de leur temps et selon les circonstances. Une jurisprudence s’établissait, précisant la portée des ordonnances de Dieu ou celle des lois royales et des coutumes. Tous ces éléments constituaient une tradition impérative dont l’importance allait grandir pendant la période qui va de Néhémie à Jésus-Christ.
Certaines parties de la tradition en venaient à être considérées comme ayant été révélées à Moïse sur le Sinaï, comme la loi (Talmud, traité Aboth, « les Pères »). Elles auraient été conservées et transmises par une chaîne de docteurs : Josué et les anciens; les prophètes; les hommes de la Grande Synagogue; Siméon le Juste (IIIe siècle av. J.-C.); Antigone de Soko; les « cinq paires de conducteurs » qui furent Jose ben Joezer et Jose ben Jonathan, Joshua ben Peraya et Nittaï l’Arbélite, Judah ben Tabbaï et Siméon ben Shetakh, Shemaliah et Abtalion, Hillel et Shammaï.
Ésaïe avait déjà parlé de ces « commandements de tradition humaine » (És 29.13). Jésus connut aussi les « traditions des anciens » et reprocha aux pharisiens et aux scribes de transgresser, au profit de ces traditions, le commandement de Dieu (Mt 15.2-3; Mc 7.8-13). Il disait que les pharisiens et les scribes annulaient la Parole de Dieu par les traditions qu’ils avaient établies (Mc 7.13). Paul, instruit par Gamaliel, avoue avoir été animé d’un « zèle excessif pour les traditions de ses pères » (Ga 1.14).
Ce mélange d’éléments divins et d’éléments humains surévalués devait tendre à la formation d’une religion nouvelle, le judaïsme, par un procédé analogue à celui qui a présidé à la formation de la « chrétienté », mélange de principes chrétiens révélés et de traditions humaines.
2. D’Esdras aux Tannaïm←⤒🔗
La tradition juive attribue le renouveau d’intérêt porté à la loi mosaïque à Esdras et à la « Grande Synagogue », assemblée de docteurs de la loi qui daterait de l’époque d’Esdras et de Néhémie. Si les origines de ce renouveau restent obscures, il est certain que, pendant les quatre siècles qui séparent Esdras du début de l’ère chrétienne, la vie juive fut profondément marquée par les événements politiques et par l’hellénisation due à la présence des Séleucides, et que chez les docteurs de la loi, par une sorte de réaction de défense des valeurs religieuses et nationales, la tradition fut étudiée, précisée, complétée, ce qui contribua à la formation du milieu juif que Jésus a connu.
L’histoire de la tradition n’est pas claire. Flavius Josèphe, l’historien juif, dans ses Antiquités juives (XIII,X,6), écrit qu’au temps de Jean Hyrcan (135 à 104 av. J.-C.) les sadducéens rejetaient les traditions et s’opposaient aux pharisiens qui en étaient les défenseurs. De plus, il y avait à l’intérieur du parti des pharisiens des tendances opposées au sujet des traditions. On connaît le conflit qui existait entre l’école de Hillel (la « beth Hillel ») et celle de Shammaï (la « beth Shammaï »). On pense que la tradition se serait d’abord présentée sous forme de Midrash (commentaire) et aurait été enseignée à l’occasion de l’explication des Écritures. La tradition aurait donc été liée à l’Écriture et cela permettait aux pharisiens de rejeter plus facilement les attaques des sadducéens. Cependant, l’autorité propre de la tradition s’en trouvait diminuée, puisque la tradition était ramenée à un commentaire de la loi, alors qu’on tendait à en faire une deuxième loi, révélée comme la première. Toutefois, il y avait dans la tradition des parties juridiques (les Halakoth) qui ne se présentaient pas comme des commentaires et où il était plus facile de retrouver des éléments originaux susceptibles d’être présentés comme une deuxième loi.
J.Z. Lauterbach, dans un article intitulé « Midrash and Mishnah, a study of the Halakah » (Jewish Quarterly Review, 1915), fait remonter la formation de la Mishnah à Jose ben Joezer (165 av. J.-C.) qui appartient à la première des « paires de conducteurs » que nous avons citées plus haut. La Mishnah (répétition de la loi) daterait de la période qui suivit la mort de Siméon le Juste. Elle n’avait pas de base scripturaire et ne pouvait être présentée sous forme de Midrash. Elle avait une forme juridique (Halakah) qui fut même jugée préférable dans les cas où l’enseignement avait une base scripturaire, sans cependant que la démonstration apparût comme sûre, ou bien lorsque l’opinion qui était proposée se heurtait à une explication communément admise. Malgré cette explication de Lauterbach, on a trouvé dans la Mishnah des traces de Midrash.
Le problème est compliqué par le fait de la complexité des tendances existant alors en Israël. Cette complexité apparaît en particulier dans la littérature juive de cette époque qu’on désigne souvent sous le nom d’apocryphes : Assomption de Moïse, livre d’Hénoch, livre des Jubilés… Les juifs étaient eux-mêmes divisés. Les hassidim (ou assidéens), juifs pieux, se groupèrent pour résister à la persécution d’Antiochus IV Épiphane (175 à 164 av. J.-C.); ils soutinrent Matthias et ses fils (appelés Maccabées ou Asmonéens), puis s’opposèrent à eux lorsqu’un de ceux-ci prétendit à la royauté et inaugura une dynastie. Les hassidim qui résistèrent ainsi à la dynastie des Asmonéens furent les ancêtres des pharisiens. Ceux qui se rallièrent aux Asmonéens et se réclamèrent du sacrificateur Sadoq furent les sadducéens.
Il semble que le groupe de Qumrân, mieux connu par les découvertes récentes faites dans les grottes proches de la mer Morte, était distinct des pharisiens comme des sadducéens. On l’identifie avec les esséniens. Les zélotes apparurent plus tard, après la mort d’Hérode le Grand, à l’occasion de la « guerre de Varus »; c’étaient des extrémistes, des terroristes. On les appela aussi « sicaires », du nom du poignard (sikkah) qu’ils portaient.
3. Les Tannaïm←⤒🔗
Malgré la diversité des tendances, un travail d’école se poursuivit grâce à des docteurs comme ceux qui succédèrent à la « Grande Synagogue » et qui, par les « cinq paires de conducteurs », aboutirent à Hillel et à Shammaï. De l’an 10 à l’an 80 de notre ère, la Mishnah cite une vingtaine de noms. C’est le premier groupe des Tannaïm (de l’araméen tena, « répéter »). De cette « génération », nous citerons seulement Gamaliel l’Ancien (Rabbon), qui fut le maître de Paul, et Yohanan ben Zakkaï. Ce dernier va jouer un rôle capital dans la réorganisation d’Israël après la prise de Jérusalem par Titus en 70.
4. Yohanan ben Zakkaï←⤒🔗
On raconte que, pendant le siège de la ville sainte par Vespasien, Yohanan ben Zakkaï, élève de Hillel, qui s’était opposé à la résistance contre les Romains, s’enfuit de la ville grâce à un subterfuge. Ses disciples l’emportèrent sur une civière, comme un mort. Il se rendit ensuite auprès de Vespasien qui lui donna la ville de Yabne.
La ville de Yabne est l’actuelle Yebna (la Jamnia des Grecs). Elle est située au sud de Jaffa. La ligne de chemin de fer qui va de Lydda à El Qantara (vers l’Égypte) passe à la station de Yebna, à 26 km de Lydda.
Avec Yohanan ben Zakkaï, c’est le parti des pharisiens opposés aux zélotes qui triomphe. Leur tendance est fortement religieuse et pacifique. Pour eux, c’est une folie que de se soulever contre Rome. Mais Yohanan ben Zakkaï ne va pas aussi loin que Joseph, pharisien formé aussi par les esséniens, qui passa dans le camp des Romains. Pour Yohanan ben Zakkaï, Israël n’a pas de rôle politique immédiat à jouer. Plus tard, il dominera. Sa mission est de propager la connaissance de la Torah, du Dieu unique, et la règle de la loi. En 132-135, les pharisiens s’opposeront à la nouvelle révolte de Bar Kokheba.
5. Les patriarches←⤒🔗
Yohanan ben Zakkaï fonda à Yabne une école, une synagogue et un tribunal (sanhédrin). Ce nouveau sanhédrin remplaçait celui de Jérusalem. Son président prit bientôt le titre de « nasi » (prince) ou de patriarche (titre donné par les Romains).
Ainsi commençait une nouvelle période de l’histoire d’Israël, pendant laquelle l’autorité fut exercée par les « patriarches » qui résidèrent successivement à Yabne, à Oucha, à Sepphoris et à Tibériade. C’est l’empereur Théodose II (408-450) qui supprima le patriarcat.
Chapitre 2
1. Les dernières générations de Tannaïm←⤒🔗
La première génération des Tannaïm se situe entre les années 10 et 80 de notre ère. On compte cinq autres générations :
De 80 à 120 : La Mishnah énumère trente-quatre Tannaïm dans la deuxième génération. Nous retiendrons les noms de Gamaliel II, le patriarche, qui fut le premier patriarche de Yabne; Joshua ben Hanania, forgeron, de tendance démocratique qui fut l’adversaire du patriarche Gamaliel II.
De 120 à 140 : La Mishnah a gardé le nom de trente et un Tannaïm de cette troisième génération. Pendant cette période, la vie juive fut troublée par la révolte de bar Kosiba ou Kokheba (fils de l’Étoile), de 131 à 135. Il faut retenir le nom de Rabbi Akiba ben Joseph qui commença à mettre de l’ordre dans les traditions. La liberté de conscience fut rendue par l’empereur Antonin le Pieux, en 138.
De 140 à 165 : la Mishnah a retenu vingt-quatre noms de Tannaïm dans cette quatrième génération. Cette période fut marquée par le transfert du patriarcat de Yabne à Ousha, en Galilée, en 150. Nous retiendrons les noms suivants : Éléazar ben Shammua, Jacob ben Korshaï, Judah ben Hilaï, Rabbi Méir, élève de Rabbi Akiba, qui continua la mise en ordre des traditions commencées par son maître, Siméon ben Gamaliel II, patriarche et père de Judah le Saint, Siméon ben Yohaï appelé « la lampe sainte » par le Zohar et qui serait un précurseur de la Kabbale.
De 165 à 200 : C’est la cinquième génération des Tannaïm, avec dix-sept noms. Le plus important des Tannaïm de cette génération est Judah le Saint ou Judah le Patriarche (170-217). Il fut patriarche comme son père, Siméon ben Gamaliel II, et s’établit près de Ousha, à Beth Shéarim, puis à Sepphoris, toujours en Galilée. Il est célèbre parce qu’il acheva les travaux de Rabbi Akiba et de Rabbi Méir sur les traditions qu’il mit par écrit.
De 200 à 220 : On cite encore à cette époque Simon ben Judah et Gamaliel III. On ajoute, vers 240, Joshua ben Lévi et Yannaï.
2. La Mishnah et la Tosefta←⤒🔗
Nous avons cité en passant les travaux de Rabbi Akiba, de son élève Rabbi Méir et de Judah le Saint en vue du rassemblement, de la classification et de la rédaction des traditions. Il semble que les deux premiers de ces docteurs n’écrivirent pas et que les résultats de leurs recherches furent conservés par leurs disciples. C’est à Judah le Saint que l’on doit la rédaction définitive de la Mishnah.
La situation politique d’Israël devenait difficile. Jusqu’alors, on avait évité d’écrire les traditions. Leur caractère oral devait être conservé. Mais on comprit qu’il devenait nécessaire de les consigner par écrit afin d’en éviter la perte ou l’altération. L’ensemble des traditions rédigées par Judah le Saint forma la Mishnah qui fut considérée comme une seconde loi.
La langue de la Mishnah est l’hébreu, mais un hébreu qui diffère de celui de la Bible par plusieurs simplifications grammaticales et par son vocabulaire enrichi d’emprunts à l’araméen et au grec. Sur cet hébreu, voir M. H. Segal, A Grammar of Mishnaic Hebrew, Oxford, 1927.
La Mishnah est divisée en six sedarim (ordres) et soixante-trois massektoth (textes ou traités). La répartition des massektoth dans les sedarim est parfois étrange. Ainsi, dans la troisième division intitulée « nashim » (les femmes), on trouve les traités sur les vœux (nedarim) et sur le naziréat (nazir). Voici les titres des six sedarim : Zeraïm (les semences); Moed (les fêtes fixées); Nashim (les femmes); Nezikim (les dommages); Qodashim (les choses saintes); Tohoroth (les choses pures).
À l’intérieur des sedarim, l’ordre des traités semble être réglé selon leur longueur, les plus longs étant placés les premiers. C’est l’ordre qui sera employé pour les sourates du Coran.
On trouvera le texte de la Mishnah dans l’édition de Robert Danby, The Mishnah Translated from the Hebrew with Introduction and Brief Explanatory Notes, Oxford University Press, 1re édition en 1936; rééditions en 1944, 1949, 1950. On trouvera aussi des renseignements dans J. Bonsirven, Exégèse rabbinique et exégèse paulinienne, Paris, Beauchesne, 1938.
On appelle Tosefta (supplément) un groupe d’écrits qui ne figurent pas dans le recueil de la Mishnah. La partie centrale de la Tosefta est attribuée à Rabba et à Ochaya, rabbin du IIe siècle. Sous sa forme actuelle, la Tosefta date du Ve siècle.
3. Les écoles←⤒🔗
Après Yabne, le patriarcat et l’école rabbinique avaient été transférés à Ousha en Galilée. Judah le Saint étudia dans l’école de cette ville auprès de R. Judah ben Hilaï, de Siméon ben Yohaï (l’ancêtre de la Kabbale), d’Éléazar ben Shammua, de Nathan le Babylonien, de Jacob ben Korshaï.
Devenu patriarche, Judah s’installa à Beth Shéarim, puis pendant les dix-sept dernières années de sa vie, à Sepphoris. Selon Krauss, il y aurait été interné par les autorités romaines.
Tibériade fut ensuite le centre le plus important des études en Palestine. C’est là que le Talmud dit de Jérusalem fut achevé au IVe siècle.
Vers le milieu du IIIe siècle, la Babylonie deviendra aussi un centre important des études juives.
Chapitre 3
1. Les écoles de Babylonie←⤒🔗
En Palestine, c’est Tibériade qui restera le centre d’études le plus important. C’est là que le Talmud dit de Jérusalem s’acheva au IVe siècle.
Des écoles existaient en Mésopotamie. Elles devinrent florissantes au IIIe siècle. Une tradition prétend qu’une académie avait été fondée en Babylonie au temps de la déportation du roi Jéchonias (598 av. J.-C.). Au 1er siècle de notre ère, il y avait des écoles à Nisibin et à Néhar-Pekod. Ces écoles cherchaient à échapper à l’emprise des écoles de Palestine.
En 219, Abba Areka (mort en 247), surnommé Rab, fonda l’académie de Sura et Rabbi Samuel (mort en 254) était à la tête de l’académie de Néhardée. À la mort de Rabbi Samuel, Jehuda ben Ezéchiel fonda l’académie de Pumbadita. En 261, l’académie de Néhardée, pillée par des bandes venues de Palmyre (reine Zénobie) se porta à Mahouza, sur le Tigre. Mahouza était un faubourg de Ctésiphon.
C’est l’académie de Sura qui, sous la direction de Rabbi Ashi (325-427), entreprit la rédaction du Talmud dit de Babylone.
2. Les Amoraïm et le Talmud←⤒🔗
La Mishnah avait été l’œuvre des Tannaïm. Les commentateurs qui les suivirent prirent le nom d’Amoraïm. Ce nom vient du verbe araméen « dire ». On compte trois générations d’Amoraïm en Palestine et six en Babylonie.
Les Amoraïm commentèrent la Mishnah. L’ensemble de leurs commentaires forma la Gemara. Le Talmud (enseignement) n’est pas autre chose que l’ensemble formé par la Mishnah et la Gemara. Il y a deux Talmuds :
Le Talmud de Jérusalem. Le plus célèbre des Amoraïm de Palestine est Rabbi Yohanan bar Nappaha (199-279), chef de l’école de Tibériade. Ses opinions forment le noyau de la Gemara de Tibériade. Cette Gemara s’acheva au IVe siècle. Avec la Mishnah, elle forme le Talmud Yerushalmi (Talmud de Jérusalem). C’est le plus court et le plus obscur des deux Talmuds, « mais c’est le plus suggestif ».
Le Talmud de Babylone. Il fut commencé par Rabbi Ashi de l’académie de Sura. Il fut achevé en 499 par Rabbina II. La Mishnah et la Gemara des Amoraïm de Babylonie forment le Talmud de Babylone ou Babli. Il est huit fois plus étendu que le Talmud de Jérusalem.
Dans aucun des deux Talmuds la Gemara n’est complète. Dans le Talmud de Jérusalem, le commentaire de la Gemara porte sur trente-neuf des soixante-trois traités seulement qui ont été commentés.
La langue du Talmud de Jérusalem est l’araméen de l’ouest, proche de l’araméen biblique. Celle du Talmud de Babylonie est l’araméen de l’est. On consultera Max Margolis, A Manual of the Aramaic Language of the Babylonian Talmud, Munich, Londres, New York, 1940.
On répartit les commentaires du Talmud en deux groupes :
La Halakah (marche) : ce sont des commentaires juridiques qui ont force de loi.
La Haggada (narration) : ce sont des récits sans caractère légal. La Haggada « conduit à Dieu, mais ne représente que des opinions personnelles ».
Voir David Berman, Initiation au judaïsme, Bruxelles, 1947, p. 45-56; J. Derenbourg, art. « Talmud », dans l’Encyclopédie des sciences religieuses, Paris, 1882 (dans le supplément); Cohen, Le Talmud, Payot.
3. Compléments du Talmud et éditions←⤒🔗
Le travail des Amoraïm sera effectué par : (1) les Saboraïm (raisonneurs) des Ve et VIe siècles; (2) les Gaonim (présidents des académies) du VIe au Xe siècle; (3) les commentateurs (Mefôrechim) et les décisionnaires (Posseqim) dont les plus renommés sont Rabbenou Guershom de Mayence (début du XIe siècle), Rashi de Troyes (1040-1105) et les tosaftistes français (du XIe au XIIIe siècle). Citons encore Maharca (fin du XVIe et début du XVIIe siècle).
David Bomberg de Venise édita pour la première fois les Talmuds : le Talmud de Babylone en 1520-1523 et le Talmud de Jérusalem en 1523-1524. On a ajouté à la Gemara du Talmud de Babylone deux colonnes contenant le commentaire de Rashi, des notes de glossateurs postérieurs appelés tosaftistes.
Il faut rappeler qu’un certain nombre d’auteurs juifs sont connus sous des noms conventionnels formés avec les initiales de leurs noms et de leurs titres. En voici quelques exemples :
Rashi : Rabbi Shimon Isaac (1040-1105); Rif : Rabbi Isaac Alfassi (XIe siècle); Rambam : Rabbi Moïse ben Maïmon ou Maïmonide (1135-1204); Rosh : Rabbenou Asher (XVIe siècle).
4. Les abréviateurs←⤒🔗
L’œuvre du Talmud a été condensée par :
Les rabbins franco-espagnols : Rabbi Isaac Alfassi (Rif) du XIe siècle; Rabbi Moïse ben Maïmon ou Maïmonide (Rambam) de 1135 à 1204.
Les rabbins franco-allemands : Rabbenou Asher (Rosh) du XVIe siècle; Jacob ben Asher, fils du précédent, auteur d’un code appelé « les quatre rangées » d’où fut tiré le « Choul’âne Aroukh » (la table prête), rédigé par le rabbin espagnol Joseph Caro et augmenté par le rabbin polonais Moïse Isserlès. Un Choul’âne Aroukh abrégé a été publié en 1948, à Strasbourg, par le grand rabbin Ernest Weill.
Chapitre 4
1. Les exilarques←⤒🔗
Les patriarches exercèrent leur autorité en Palestine, à Tibériade, jusqu’au Ve siècle. Il y avait, en Mésopotamie, une autre autorité, celle des exilarques. Selon la tradition, les exilarques étaient des descendants de David. Le premier aurait été le roi Jojakin déporté par Nébucadnetsar en Babylonie. Devenus très nombreux, les juifs installés dans cette région s’organisèrent. Cette organisation s’ébaucha sous la domination des Perses achéménides (du VIe au IVe siècle avant notre ère) et sous les Grecs Séleucides (312 av. J.-C. à 226 apr. J.-C.). Les juifs devinrent tout à fait indépendants sous les Perses sassanides (226 à 650). L’exilarcat déclina sous les Khalifes musulmans, du VIIe au XIe siècle. Le dernier exilarque fut Ézékiah (en même temps dernier Gaon de l’académie de Pumbadita), au XIe siècle.
2. Les Gaons←⤒🔗
Les Gaons étaient les chefs des Académies de Sura et de Pumbadita. Ils étaient indépendants de l’exilarque. Ils interprétaient le Talmud. Le gaonat commença avec Hanan de Kiskiya en 589, à Pumbadita et, en 658, avec Mar Huna à Sura.
Le dernier Gaon de Sura fut Samuel ben Hophni qui mourut en 1034. L’avant-dernier Gaon de Pumbadita, Haï, mourut en 1038. Le dernier, qui était en même temps exilarque, fut Ézékiah.
3. Les qaraïtes, adversaires du Talmud←⤒🔗
Le nom des qaraïtes vient de « miqra », « lecture ». Cette secte fut fondée au VIIIe siècle par Hanan ben David; neveu de l’exilarque Salomon de Babylonie. L’islam était alors divisé en sunnites partisans de la tradition ou sunna, et en chiites, partisans de la descendance d’Ali. Cette agitation eut un échec dans le judaïsme et certains rejetèrent la tradition, comme autrefois les anciens sadducéens. Ils préféraient s’en tenir à la Torah. Le qaraïsme eut une période assez brillante aux XIe et XIIe siècles à Jérusalem, à Constantinople, en Arabie, en Égypte et même en Espagne. Il ne comptait plus que quelques milliers d’adeptes en Turquie, en Crimée, en Galicie et en Pologne au début du XXe siècle.
4. Les juifs en Espagne←⤒🔗
Saadia ben Joseph (882-942), qui fut Gaon de Sura, avait été appelé d’Égypte pour diriger cette académie. Il fut l’un des principaux adversaires des qaraïtes. Un des premiers parmi les docteurs juifs, il employa la langue arabe pour ses travaux et sa correspondance. Il introduisit dans la pensée juive la philosophie gréco-arabe, notamment par son livre Des croyances et des opinions qui est un exposé systématique et apologétique des principales vérités religieuses. Il essaie de les fonder à la fois sur la révélation et sur la raison. Il est connu aussi comme « grammairion ».
L’exilarcat et les académies de Babylone étant supprimés par les musulmans, la culture juive se déplaça et alla fleurir en Espagne. Ce fut l’âge d’or de la civilisation, de la pensée et de la littérature juives.
Les juifs d’Espagne s’adaptèrent aux mœurs luxueuses et chevaleresques des musulmans. Plusieurs devinrent ministres des Khalifes et favorisèrent leurs coreligionnaires, surtout les savants et les poètes. Parmi ces juifs parvenus aux plus hautes situations, on peut citer Haraï ibn Shaprut (915-970) de Cordoue et Samuel ibn Maghdela (993-1056) de Grenade. Quelques noms sont à retenir :
Éléazar ha-Kalir : Un des plus grands poètes du Moyen Âge. L’époque où il vécut est mal précisée; on pense au VIIe siècle.
Salomon ibn Gabirol : Né à Malaga (1010-1050), élevé à Saragosse, décédé à Valence. C’était un poète et un philosophe néo-platonicien. Son originalité réside dans le rôle suprême qu’il fait jouer à la volonté divine dans l’ordre des choses. La synagogue chante encore quelques-unes de ses poésies. Sa philosophie ne fut guère reçue que chez les partisans de la Kabbale. Son grand ouvrage, La source de la vie, très discuté, fut utilisé par la scolastique chrétienne. Nous le connaissons sous le nom d’Avicebron ou Avicebrol.
Bahya ibn Paquda : Il vécut en Espagne au XIe siècle. Il écrivit Les devoirs des cœurs. Dans cet ouvrage, il donne une théorie complète de la morale juive et rejette les tendances trop intellectualistes de la théologie spéculative.
Moïse ibn Gikatila : Grammairien et exégète de la fin du XIe siècle. Il vécut en Espagne. Ibn Ezra cite ses commentaires sur Ésaïe, les petits prophètes et les Psaumes. Il fut le premier à donner une explication purement historique aux chapitres prophétiques d’Ésaïe. Il date les Psaumes 43, 137 et suivants de la captivité de Babylone. Certains auteurs les datent, au contraire, de la fin du XIIIe siècle (Casaril).
Moïse ibn Ezra : Philosophe, linguiste et poète, né à Grenade en 1070, mort après 1136. Il écrivit un Traité de rhétorique et de poétique (en arabe). Le Tarshish et le Diwan sont ses deux recueils de poésie profane. Il a composé aussi plus de deux cents poèmes religieux dont beaucoup sont entrés dans la liturgie juive (les Selochot).
Juda Halevi (vers 1086-1140) : né à Tolède. Le plus grand lyrique juif. Il a laissé une apologie du judaïsme dans le Khuzari, ouvrage rédigé contre le rationalisme, le christianisme et l’islam. Il se fonde sur une révélation conservée dans la vivante tradition juive. De cet écrivain, les « sionides » sont entrées dans la liturgie du 9 Ab.
Moïse ibn Maïmon ou Maïmonide : Né à Cordoue en 1135. Il s’enfuit devant les Almohades en 1148, se fixa au Vieux-Caire (Fostat) et y mourut en 1204. Il était versé dans les sciences physiques, grand médecin et théologien. Il essaya de mettre de l’ordre dans les lois et composa la Mishnah Torah, encore étudiée et qui est un livre à consulter avec le Choul’âne Aroukh par ceux qui veulent connaître la tradition juive. Comme philosophe, il écrivit le Guide des égarés où il montre l’accord de la foi juive et de la raison, c’est-à-dire avec Aristote. Cet ouvrage rationalisant la foi fut vivement attaqué par les juifs conservateurs; il fut utilisé par les chrétiens scolastiques. Notons encore que Maïmonide est connu aussi pour son rôle de conseiller (lettre aux juifs de Yémen).
Moïse ibn Nachman : Talmudiste, exégète et médecin. Né en 1194 en Espagne à Gérone, il fut appelé Gérondi. Il mourut en Palestine en 1272. Il réagit contre les commentaires rationalistes des Écritures. Il attaqua Maïmonide, bien qu’il l’honorât. Il affirmait la nécessité de croire aux miracles racontés par la Bible.
De cette époque, nous rappellerons encore les noms cités déjà au chapitre 3 : de Rabbi Shimon Isaac (1050-1105) de Troyes, appelé Rashi; de Rabbi Isaac Alfassi (appelé Rif) du XIe siècle. Rashi et les tosaftistes français du XIe au XIIIe siècle appartiennent au foyer ashkénaze. Rif et les juifs espagnols appartiennent au foyer séfarade (ou sépharade).
5. Séfarades et Ashkénazes←⤒🔗
Les juifs qui s’étaient établis en Afrique du Nord et en Espagne avaient formé une communauté qu’on appelle séfarade (espagnole). Dans le Nord, un autre foyer s’était établi en Rhénanie et en Champagne : c’est la communauté ashkénaze (allemande) qui se répandra en Europe centrale, en Pologne et en Ukraine. Les Séfarades parlaient arabe et les Ashkénazes parlaient les langues des pays qu’ils habitaient. Les tendances intellectuelles et religieuses étaient différentes. Les Séfarades profitèrent d’une période de tolérance et de prospérité. Ils s’illustrèrent dans la philosophie, la poésie et la Kabbale. Les Ashkénazes, toujours persécutés, développèrent un piétisme populaire qui aboutira plus tard aux hassidim. Enfin, il faut citer un foyer intermédiaire, celui de Provence et du Languedoc, qui eut peut-être des liens avec les cathares et qui fournit une dynastie de traducteurs, les tibbonides (XIIIe et XIVe siècles), et des mystiques.
6. La Kabbale←⤒🔗
Nous étudierons la mystique juive dans la deuxième partie consacrée à la doctrine et à la vie du judaïsme. Nous parlerons alors de la Kabbale. Nous devons cependant la citer brièvement ici, car c’est au Moyen Âge qu’elle se manifesta avec le Zohar qui serait du XIIIe siècle, bien que certains le datent du VIIe. Cet ouvrage serait une compilation d’œuvres antérieures faite par Moïse de Léon (1240-1305).
Comme nous le verrons, la mystique juive est plus ancienne. Sans insister sur Siméon ben Yohaï, que nous avons cité au chapitre 2, dans la quatrième génération de Tannaïm, ni sur les œuvres des Ve et VIe siècles, nous voyons un groupe mystique se former au XIIe siècle en Provence et Languedoc. Il a laissé un ouvrage important, le Sepher ha Bahir. Le groupe piétiste rhénan est de la même époque. Au début du XIIIe siècle, le foyer mystique de Gérone se forma avec Ezra ben Salomon (ou Azriel), Nachmanide, Jacob ben Sheshet et Jonas ben Abraham. C’est dans ce groupe que le mot « Kabbale » (tradition) commença à être employé. Enfin, en passant par Abraham Aboulafia, dans la deuxième partie du XIIIe siècle, on arrive au Zohar (le livre de la Splendeur).
Nous nous sommes servi, pour établir ces notes concises, de quelques ouvrages juifs, notamment de David Berman, Initiation au judaïsme, Bruxelles, 1947; d’Edmond Fleg, Anthologie juive, 2 volumes, Gallimard, 1939; et de Guy Casaril, Rabbi Siméon bar Yochaï et la Cabbale, Éditions du Seuil, 1961. La forme des noms et les dates varient d’un auteur à l’autre.
Chapitre 5
Les juifs et la chrétienté du Moyen Âge
1. La situation générale des juifs←⤒🔗
Les juifs espagnols avaient connu une période de grande prospérité commerciale. Leur suprématie prit fin au Xe siècle avec l’avènement des républiques marchandes d’Italie (Amalfi, Venise). Les croisades changèrent aussi les conditions commerciales. Les juifs ne pouvaient revendiquer les privilèges des chrétiens ou ceux des musulmans. Venise refusait de les transporter sur ses navires. L’organisation des guildes commerçantes acheva de les écarter du commerce.
Dans les manufactures et l’artisanat, leur situation était défavorable. Ils n’avaient pas de place dans les guildes. Ils ne trouvaient pas de main-d’œuvre.
Les juifs pouvaient être banquiers ou « usuriers ». L’Église interdisait le prêt à intérêt (Concile de Latran, 1179), mais on ne pouvait pas s’en passer. On s’adressait donc aux juifs et la banque devint leur refuge. Cela devait inévitablement leur créer des ennemis parmi leurs débiteurs. Cette pratique connut son apogée aux XIIe et XIIIe siècles. Le taux de l’intérêt était élevé et descendait rarement au-dessous de 43 %. Les risques étaient grands et les impôts énormes. Malgré cela, les profits étaient si élevés qu’ils provoquaient la jalousie. En deux ans, un juif pouvait tripler son capital (tous impôts déduits). Toutefois, il restait à la merci des émeutes.
Les juifs étaient comptés parmi les « serfs du roi ». Le roi abusait parfois de son pouvoir. Un usurier juif pouvait poursuivre en justice son débiteur, mais l’usurier chrétien ne le pouvait pas. À la mort de l’usurier juif, ses biens revenaient à la couronne, mais le roi préférait laisser cet argent dans le circuit commercial juif. Si un juif se convertissait, ses biens revenaient à la couronne, car il ne pouvait, comme chrétien, jouir du fruit de ses péchés. En Sicile, il y avait un impôt sur les naissances juives.
Les impôts s’élevaient, chaque année au cinquième de la fortune juive, souvent au quart. Dans les pays du Nord, leur contribution fournissait un douzième du revenu royal.
Dans quelques métiers artisanaux, ils gardaient une certaine supériorité. Ils étaient teinturiers, tanneurs, souffleurs de verre, brodeurs, orfèvres. La décadence juive fut plus lente en Espagne et en Italie du Sud. Dans quelques grandes villes, il y avait des guildes d’artisans juifs. Saragosse avait ses « confradias » juives de tisserands, de teinturiers, d’orfèvres, de savetiers, de selliers. Les jongleurs juifs étaient célèbres en Espagne. Pendant des siècles, les juifs ont été dompteurs de lions à la cour d’Espagne.
Soit par nécessité, soit par solidarité religieuse, les juifs se groupaient par rues ou par quartiers. C’était la « Jewry » en Angleterre, la « juiverie » en France, la « via dei Giudei » ou « giudecca » en Italie, la « Judengasse » en Allemagne, la « Juderia » en Espagne ou encore « al jama » en arabe.
Les juifs parlaient la langue du pays dans lequel ils vivaient. Ils ont pris une place dans le mouvement littéraire de leur temps. C’était un milieu fermé, dans lequel la moindre tradition avait une grande importance. La polygamie était abandonnée depuis longtemps. Guershom de Mayence, vers l’an 1000, l’interdit complètement. Seuls les Ashkénazes acceptèrent cette interdiction. Dans le Sud, les Séfarades, sans accepter cette interdiction, ne pratiquaient plus la polygamie. Les femmes, reléguées à la synagogue dans une partie de l’édifice qui leur était réservée, étaient maîtresses à la maison. Beaucoup étaient instruites. Rashi se servait de sa fille comme secrétaire. Souvent, les femmes s’occupaient des affaires. Les hommes se consacraient aux études. Les promesses de mariage entre enfants étaient fréquentes. C’était, pour les parents, le moyen d’assurer l’avenir de leur enfant. En général, le milieu juif était un milieu instruit. Le Talmud, avec sa dialectique, était un exercice efficace pour l’intelligence.
2. Les persécutions←⤒🔗
Le quatrième concile de Latran (1215) édicta des lois sévères contre les juifs. Ils étaient exclus de tout emploi public. Ils étaient soumis à la dîme. Ils devaient porter un signe distinctif. En France, c’était la « rouelle » ou « rotella ». Ailleurs, on leur faisait porter aussi un chapeau spécial. Un régime de brimades s’instaura.
Les dominicains attaquaient les juifs. Le dominicain Nicolas Donin (de La Rochelle), ancien juif, attaqua le Talmud. Grégoire X ordonna de saisir cet ouvrage et de l’examiner. En France, on s’empara de la littérature rabbinique. Le 12 juin 1242, vingt-quatre charretées de manuscrits hébraïques furent brûlées à Paris.
On attaqua la liturgie juive. La prière « alenô » fut interdite en Castille. À Prague, une centaine de juifs furent tués. Il faut remarquer que ce sont des juifs apostats qui poussaient à la persécution. En 1278, le pape Nicolas III obligea les juifs à laisser proclamer l’Évangile dans leurs synagogues.
En Angleterre, au moment de l’accession au trône de Richard Coeur de Lion (1189-1190), il y eut des massacres, ce qui ennuya fort l’Échiquier qui y perdit. À son retour de captivité, Richard fit réorganiser le système de l’usure. Toute dette devait être enregistrée. Ainsi, on ne pouvait plus faire disparaître des dettes en tuant le créancier juif.
Plus tard, on se mit à pressurer les juifs au point qu’ils demandèrent en 1254 l’autorisation de quitter l’Angleterre. On les empêcha de partir. Le roi donnait des communautés juives en hypothèque. On remit le port de l’insigne obligatoire. Il était défendu de bâtir des synagogues, d’avoir des domestiques chrétiens. On fermait les synagogues parce que le chant des juifs troublait la population. Les accusations de meurtre rituel se multipliaient. Cela se terminait par des massacres.
Edouard Ier essaya de rétablir la situation. Il interdit l’usure et autorisa pour les juifs le commerce, l’artisanat et la location de fermes. Son projet échoua. Seuls les plus riches des juifs s’adonnaient au commerce de la laine. L’usure continua dans la clandestinité. Le 18 juillet 1290, le roi expulsa les juifs d’Angleterre : 16 000 partirent.
Philippe Auguste, au début de son règne, fit arrêter les juifs dans leurs synagogues et leur extorqua une énorme rançon. L’année suivante, il annula leurs créances. Un cinquième devait être versé au trésor. En 1182, il les bannit de ses terres. Les juifs restèrent chez les puissants barons féodaux. Saint Louis s’efforça de les « convertir », mais avant de partir en croisade il les expulsa du royaume. L’ordre ne semble pas avoir été exécuté. La persécution atteint son maximum sous Philippe le Bel (1285-1314). En 1306, il fit arrêter les juifs et confisquer leurs biens et leurs créances. Puis il les expulsa. Ils devaient quitter le royaume dans un délai d’un mois.
En 1315, un édit leur permit de revenir en France. En 1320, le mouvement des « Pastoureaux » se termina en massacre des juifs que Charles V expulsa du royaume en 1322. Après la défaite de Poitiers, en 1359, on leur permit de revenir. La persécution recommença. Charles VI le Fou les chassa à nouveau en 1394. Certains se réfugièrent dans le comté de Provence. Ils en furent chassés au début du XIVe siècle.
Le Concile de Bâle renouvela toutes les condamnations contre les juifs et ranima les persécutions (1431-1449).
Les XIVe et XVe siècles furent marqués, en Espagne, par des persécutions violentes et par des campagnes de conversion. Cela commença par le massacre de la Juderia de Séville, en 1391, provoqué par la prédication de l’archidiacre Fernand Martinez. Beaucoup se firent chrétiens. C’étaient les marranes (les porcs). Certains marranes devinrent évêques. En général, ils étaient mal vus et persécutés. Beaucoup s’enfuirent. En 1481 eut lieu le premier autodafé. En 1492, Isabelle chassa tous les juifs de la péninsule.
Par ces brèves notes, nous avons essayé de donner une idée de la situation d’Israël dans la chrétienté du Moyen Âge. Nous nous sommes servi de l’ouvrage de Cecil Roth, Histoire du peuple juif, Paris, 1957.
Chapitre 6
De la Renaissance à la Révolution française
1. Les juifs au XVIe siècle←⤒🔗
a. En Italie←↰⤒🔗
Dans l’Italie méridionale, les juifs subirent les effets de la persécution d’Espagne. En Italie du Nord et en Italie centrale, ils connurent, au contraire, une certaine prospérité.
Quelques juifs jouèrent un rôle dans la Renaissance italienne littéraire, philosophique, médicale, mais non dans la Renaissance des arts. Don Juda Abrabanel (Léon l’Hébreu, 1465-1535), médecin venu d’Espagne, écrivit ses Dialoghi di Amore, « Dialogues sur l’amour », œuvre philosophique dont l’influence fut réelle. Par son Magnum Opus, Azariah de Rossi (de Ferrare, 1514-1578) introduisit la méthode scientifique dans les études hébraïques.
Les papes, surtout Léon X et Clément VII, furent favorables aux juifs. C’est à cette époque que se place l’étrange histoire de David Reubéni. Il se disait envoyé par son frère, roi de la tribu de Ruben, et vint à Rome. Le marrane Diégo Pires, revenu au judaïsme sous le nom de Salomon Molcho, se présenta à Rome comme messie, prophétisa et fut protégé par Clément VII. Les deux hommes moururent suppliciés un peu plus tard.
b. L’imprimerie←↰⤒🔗
Les premiers livres imprimés au Portugal le furent par des marranes. Des caractères d’imprimerie sont fabriqués en Espagne depuis 1482 et alimentent les presses de Sicile, d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Il y aurait eu à Avignon, dès 1444, un premier essai d’imprimerie juive. En 1475, il y avait deux presses en Italie, une à Reggio de Calabre, l’autre à Piovo di Sacco, près de Padoue. Sur cent treize incunables hébraïques, quatre-vingt-treize viennent d’Italie (les Soncino). Mais au début du XVIe siècle, c’est un chrétien, Daniel Bomberg, établi à Venise, qui devient le grand éditeur et imprimeur des ouvrages hébraïques (Ancien Testament, Talmuds).
c. En Allemagne←↰⤒🔗
Un juif converti au catholicisme, Johann Pfefferkorn, obtient de l’Empereur un édit ordonnant la destruction de tous les livres juifs (1509). Le grand humaniste Reuchlin prit parti pour la littérature juive à laquelle il s’intéressait. Ulrich von Hutten écrivit ses Lettres d’hommes obscurs contre les dominicains amis de Pfefferkorn. Cette agitation préparait les esprits à la Réforme.
d. La Réforme←↰⤒🔗
Luther avait cru à la conversion des juifs. De leur côté, les catholiques attribuaient aux juifs une part de responsabilité dans la Réforme. C’était faux : les juifs n’y étaient pour rien. Mais la Contre-Réforme prit des mesures contre les juifs et les papes cessèrent de les protéger en Italie. La bulle Cum Nimis absurdum de Paul IV renvoie les juifs au ghetto. Ils ne doivent plus exercer la médecine chez les chrétiens. Ils doivent porter un chapeau jaune. Ils n’ont plus le droit de posséder des immeubles. Plus tard, on les contraindra à quitter les petites villes et à se rassembler dans les grandes. On pouvait ainsi les surveiller plus facilement.
e. Dans les États barbaresques et en Orient←↰⤒🔗
Beaucoup de juifs chassés d’Espagne se réfugièrent dans les États barbaresques d’Afrique du Nord. Leur situation chez les musulmans n’était pas sans difficulté ni sans souffrances, mais ils rencontraient souvent parmi eux de la tolérance. Ils purent se développer.
Ils allèrent aussi en Orient, surtout après la chute de Constantinople (1453). Les Turcs étaient un peuple militaire et agricole. Le commerce était abandonné aux Grecs, aux Arméniens et aux juifs. De nombreuses colonies juives s’installèrent dans l’Empire ottoman (Sofia, Andinople, Galipoli…). Les juifs apportèrent leur culture et prirent part au développement de la civilisation matérielle de l’Orient.
Leur connaissance des langues de l’Occident leur permit de jouer un rôle dans la diplomatie et la politique. Joseph Nassi, venu d’Espagne, mort en 1579, eut une vie digne des contes des mille et une nuits; Salomon Ashkenasi, qui était médecin, eut une influence semblable à celle de Nassi; Aben Ayich, marrane de naissance, venant du Portugal, fut appelé à jouer, lui aussi, un rôle diplomatique très important au service des Turcs.
Au XVIe siècle, les juifs hauts fonctionnaires de l’Empire ottoman essayèrent d’instaurer un « centre juif » en Palestine. Joseph Nassi favorisa l’installation de ses coreligionnaires. Safed redevient un centre de culture juive. À côté du Talmud, on cultivait la Kabbale. C’est l’époque d’Isaac Louria (né à Jérusalem en 1534) et de Joseph Caro (1488-1575) qui écrivit le Choul’âne Aroukh, résumé du Talmud dont nous avons déjà parlé.
f. En Russie←↰⤒🔗
Les juifs étaient entrés très tôt en Russie. Ils eurent une période de grande prospérité dans le royaume Khazar, du sud de la Russie, du VIIIe au XIe siècle. L’invasion des Tartares (1240-1241) modifia profondément la situation en Russie et on ne sait presque rien de ce que les juifs devinrent dans ce pays à cette époque.
g. En Pologne←↰⤒🔗
Dès le XIe siècle, les juifs avaient de riches communautés en Pologne (Gnesen). Au XIIIe siècle, les Mongoles dévastèrent le pays sans le conquérir. Les princes polonais firent appel à des immigrants, principalement allemands, pour relever leur pays. Les juifs, protégés par Boleslav le Pieux, prirent une part grandissante à ce redressement. C’est à cette époque que s’implanta en Pologne la langue yiddish ou Judisch-Deutsch, qui a son origine sur les bords du Rhin.
Les réussites des juifs provoquèrent des jalousies chez les commerçants. Le clergé demandait l’application de la législation du concile de Latran. Il y eut des persécutions et des massacres à la fin du XIVe et au XVe siècle, notamment sous l’impulsion de Jean de Capistrano, à l’occasion de la réaction contre les hussites.
Malgré cela, l’immigration juive en Pologne continua. Au début du XVIe siècle, Sigismond 1er l’encouragea. Des persécutions locales continuaient, mais les juifs, groupés dans les ghettos et soutenus par le roi, résistèrent. Ils n’étaient pas uniquement prêteurs d’argent, mais commerçants, artisans, fonctionnaires, intendants de grands domaines, apothicaires, médecins…
En Pologne, ils étaient gouvernés par un conseil juif qui envoyait un délégué à la Diète polonaise. La vie intellectuelle se développa : Jacob Pollak, Chalom Chakhna, Moïse Isserlès qui annota le Choul’âne Aroukh. Le nom de Jacob Pollak est lié à la curieuse méthode d’étude du Talmud, connue sous le nom de « pilpoul ». Cette gymnastique intellectuelle sur le texte talmudique sembla bien superficielle à d’autres esprits comme Salomon Louria (1510-1573), qui aurait été descendant du célèbre Rashi et voulait revenir à la source de la tradition, au Talmud lui-même, en laissant toutes les codifications postérieures.
2. Les juifs au XVIIe siècle←⤒🔗
Au XVIIe siècle, des colonies juives s’établirent en Hollande, à Bordeaux, à Pise, à Bayonne, à Livourne, en Allemagne. Malheureusement, les communautés de Pologne furent persécutées par les Cosaques d’Ukraine révoltés, en 1648, contre les Polonais. En 1648, le tsar prit les juifs sous sa protection, mais avec Charles X de Suède attaquant la Pologne, les massacres recommencèrent. Plus tard, les juifs de Pologne eurent beaucoup à souffrir de la part des bandes rebelles d’Ukraine, les Haidamaks. Cependant, à cette époque, la Pologne resta le foyer de l’étude du Talmud, comme Safed l’avait été pour le Zohar (Isaac Louria).
3. Les mouvements religieux←⤒🔗
a. Le messianisme←↰⤒🔗
Au XVIIe siècle, il faut noter l’étrange aventure du faux messie Sabbataï Zewi (1626-1676). Fils d’un commerçant de Smyrne, il se crut le Messie. Aidé de Nathan de Gaza, heureux de jouer le rôle d’Élie, il se proclama messie dans la synagogue de Smyrne en 1665. Il obtint un succès considérable chez les juifs, malgré quelques rares protestations (Jacob Sasportas). (Spinoza lui-même n’était pas hostile à l’idée d’un pouvoir temporel des juifs.) S’étant rendu à Constantinople, il fut arrêté par les Turcs. Le Sultan lui donna à choisir entre l’apostasie et la mort. Il choisit l’apostasie, arbora le turban blanc des croyants et, muni d’une pension, prit le nom de Mehemet Effendi. Même après sa mort, il garda des partisans. Il avait encore en Orient des descendants connus sous le nom de Dunmeh.
b. Le hassidisme←↰⤒🔗
L’agitation messianique fut une des causes de la naissance du hassidisme. Ce mouvement toucha un terrassier de Podolie, Israël ben Eliezer (1700-1760). On le connaît sous le nom de Becht, contraction de « Baal Chem Tob », « Maître du nom bon ».
C’est un mouvement populaire, en réaction contre l’intellectualisme des rabbins. Le hassidisme connaît deux voies : celle du juste (le tsaddik) et celle de la masse. Le tsaddik est un méditateur. Chaque communauté doit avoir un tsaddik. Le tsaddikisme se dégrada dans des formes populaires superstitieuses. De plus, la qualité de tsaddik devint héréditaire. Les tsaddikim devinrent de plus en plus incultes et désireux de puissance.
R. Baer le Maggid, qui était un savant, adapta le hassidisme aux classes plus instruites. Le tsaddikisme s’imprégna de la pensée de la Kabbale. Il y eut aussi un mouvement hostile au tsaddikisme. Nous citerons seulement le « Gaon de Vilna », Élie ben Salomon (1720-1792), représentant de la tradition rabbinique.
c. Le judaïsme libéral←↰⤒🔗
Il est illustré par deux noms : Baruch Spinoza et Moïse Mendelssohn. Baruch Spinoza (1632-1677), né à Amsterdam d’une famille immigrée d’Espagne, étudia les œuvres de Maïmonide, de Lévi ben Gerson, de Chasdaï Crescas et se familiarisa avec la pensée de Descartes. Il fut excommunié par la Synagogue en 1656 pour ses opinions hérétiques. C’est un précurseur de la critique biblique allemande. Il eut une influence sur Goethe et sur Moïse Mendelssohn. On peut citer parmi ses œuvres Exposition sous forme géométrique des principes de la philosophie de Descartes, Réflexions métaphysiques, Traité théologico-politique, Traité sur la réforme de l’entendement, Épîtres, Éthique…
Moïse Mendelssohn (1729-1786), philosophe et commentateur de la Bible, est né à Dessau, mort à Berlin. C’était un ami de Lessing. Il écrivit un Phédon qui lui valut le surnom de « Platon allemand ». Il fut lié à Lavater, philosophe et théologien protestant, qui essaya de le convertir au christianisme. Son œuvre marque une évolution importante dans l’histoire du judaïsme. Par sa traduction allemande de la Bible, il fit pénétrer la langue allemande dans les milieux juifs d’Allemagne et de Pologne et leur ouvrit l’accès à la culture occidentale. Dans son livre Jérusalem, il reprend les idées de Spinoza et de Leibniz et pose les fondements de la réforme juive qui se développa au XIXe siècle. La crise de cette époque a été comparée à celle qui marqua les premiers contacts d’Israël et de la civilisation grecque. Les juifs se diviseront. Certains maintiendront leurs traditions; beaucoup d’autres se laisseront séduire par les idées nouvelles.
Chapitre 7
De la Révolution française à nos jours
1. La Révolution française←⤒🔗
La Déclaration des droits de l’homme de 1789 ne provoqua pas immédiatement l’émancipation des juifs, malgré les plaidoyers de l’abbé Grégoire. Le 28 janvier 1790, sur leur demande, les juifs de Bayonne, de Bordeaux et de Provence furent émancipés. Ce ne fut que le 27 septembre 1791 que l’Assemblée constituante vota l’émancipation générale des juifs qui devinrent égaux à tous les autres citoyens.
Le 2 septembre 1796, les juifs de Hollande furent libérés. À Venise, les portes du ghetto furent brûlées en 1797, après l’arrivée des troupes françaises. En 1789, les juifs de Rome furent libérés. L’émancipation continua dans d’autres régions. En 1806, le grand sanhédrin convoqué par l’empereur définit le statut nouveau des juifs en France.
2. Le judaïsme réformé←⤒🔗
Les idées de Mendelssohn et de son disciple Wessely favorisèrent le développement d’un judaïsme réformé s’opposant au judaïsme conservateur. Des réformateurs comme Israël Jacobson et Edouard Kley avaient rencontré une forte opposition chez les conservateurs comme Baruch, Ben Meir Oser, Moïse Jafe, notamment dans les essais de modification des prières concernant l’attente du Messie.
Les tendances des réformateurs devinrent plus manifestes avec Abraham Geiger, « le rabbin de Breslau » (1840), qui affirma qu’il y avait beaucoup à changer dans le judaïsme pour en dégager l’esprit éternel, tel qu’il devait apparaître aux hommes de son temps. En 1843, l’Union réformée de Frankfort proclamait la possibilité d’un développement de la religion mosaïque et abolissait l’autorité du Talmud. Elle supprimait dans les prières le souhait d’un retour en Palestine et substituait à la notion d’un Messie personnel l’idée d’une ère messianique, fin normale du développement ultime de l’humanité.
Des conférences de rabbins s’opposèrent aux progrès de cette tendance libérale. Dans l’ensemble, le judaïsme allemand et français était resté conservateur. On modernisa cependant le culte (orgues, chœur…); on conserva les prières relatives au Messie, mais en les interprétant symboliquement.
La réforme juive se développa aux États-Unis. Elle y fut introduite en 1824. Son développement fut marqué par des noms comme ceux d’Isaac M. Wise, de Max Lilienthal, de David Einhorn, de Samuel Adler, de Samuel Hirsh, de Kaufmann, de Kohler, de Lazarus, de Léonard Lévy… Elle comptait, au début du XXe siècle, 500 000 adhérents aux États-Unis et son influence était sentie en Europe. En 1906, l’Union libérale de Paris fut créée sous son influence.
Les directives du mouvement libéral américain apparaissent dans son Livre de prières. L’ère messianique remplace le Messie; la mission d’Israël, comme peuple sacerdotal, s’exprime en des termes qui excluent le retour en Palestine; la femme est mise sur un plan d’égalité avec l’homme; les prosélytes sont admis dans le judaïsme sans la circoncision; l’autorité des écoles rabbiniques est abolie; le caractère universaliste qui apparaît dans les prophètes est généralisé et s’étend à tous les hommes.
3. Le sionisme←⤒🔗
Aux XVIIIe et XIXe siècles, les juifs et aussi des chrétiens parlent de l’intérêt que présenterait aux points de vue philanthropique, politique, économique, religieux et moral un regroupement des juifs en Palestine ou ailleurs. Nous citerons quelques noms : Maurice de Saxe, le Prince de Ligne, Napoléon, Ernest Laharanne, Abraham Petavel, Mardochée, M. Noach, Joseph Salvador, J. Frankl…
Charles Netter et l’Alliance israélite fondent en 1873 la première colonie agricole juive de Palestine. Un groupe d’intellectuels juifs, les « Amis de Sion », fit des tentatives analogues et divers philanthropes (Edm. de Rothschild) fondèrent des colonies agricoles modèles en Palestine.
L’idée sioniste va se préciser dans l’œuvre de Moïse Hess (1812-1875), puis, sous l’influence de l’antisémitisme grandissant, elle aura sa première forme classique dans L’État juif de Théodore Herzl (1860-1904).
Herzl n’est pas un théoricien. C’était un homme d’action. Il convoqua le Congrès de Bâle en 1897, groupant les « sionistes » du monde entier. On voulait obtenir du Sultan de Constantinople une charte protégeant l’immigration et la colonisation juive.
Des fédérations se fondèrent un peu partout, mais la charte désirée ne fut pas accordée. L’Angleterre offrit un territoire en Afrique. Cela provoqua une scission. Une partie des juifs, avec Herzl, soutenait que l’idée sioniste ne pouvait se réaliser hors de Palestine. D’autres, avec Zangwill, la croyaient possible ailleurs.
De 1905 à 1914, le sionisme se développa malgré l’opposition des juifs assimilés aux peuples parmi lesquels ils vivaient et connus comme patriotes dans leurs patries d’adoption. Citons Lucien Wolf en Angleterre et Théodore Reinach de France. Des juifs orthodoxes, comme le rabbin Gudemann de Vienne, s’opposaient aussi au sionisme.
4. De 1914 à 1940←⤒🔗
Dès le début de la guerre, en 1914, on comprit que la question de l’Orient allait à nouveau se poser et que des possibilités de réalisation pouvaient être offertes au sionisme. Pendant la guerre, Chaïm Weizmann et Nahum Sokolov, approuvés plus tard par le Congrès de Carlsbad en 1921, firent des démarches auprès des gouvernements afin d’obtenir leur appui. La France, l’Angleterre, les États-Unis leur firent des promesses confirmées en 1917 par la Déclaration Balfour. Elle annonçait la création, après la guerre, d’un foyer national juif. À San Remo, en 1920, il fut entendu que la Déclaration Balfour serait incorporée au traité avec la Turquie. En 1922, le mandat palestinien était confié à l’Angleterre par la Société des Nations.
Malheureusement, l’Angleterre menait en même temps, en Orient, une politique très particulière, essayant d’assurer son influence sur les petits États arabes. On connaît l’idée d’un grand empire arabe de T. E. Lawrence. L’Angleterre publia un « livre bleu ». Elle permettait l’immigration de 75 000 juifs en cinq ans. L’immigration devait ensuite cesser à moins que les Arabes ne fussent consentants. Les juifs ne pouvaient recouvrer que 37 % de la superficie de la Palestine.
Ces décisions contraires aux promesses antérieures ne satisfaisaient ni les juifs ni les Arabes qui voulaient garder l’hégémonie en Palestine. Cependant, des Arabes vendaient leurs terres que les juifs occupaient par la force par des expéditions nocturnes et qu’ils fortifiaient. Dans ces positions conquises, les juifs résistaient aux Anglais.
Entre 1937 et 1947, les juifs s’efforcèrent de continuer leur immigration malgré l’Angleterre qui bloquait les côtes de Palestine. Il s’agissait de permettre aux juifs d’Allemagne de fuir la persécution d’Hitler. La Grande-Bretagne internait à Chypre les émigrés clandestins. Plus de 50 000 passèrent ainsi dans les camps de cette île. L’immigration clandestine ou « halapalz » fut soutenue par la « haganah » (littéralement « protection ») organisée pour la défense des colonies juives contre les attaques arabes.
5. L’antisémitisme←⤒🔗
L’hostilité envers les juifs avait continué au XIXe siècle. Les antisémites (appelés ainsi par Wilhelm Marr en 1879) fondaient leur haine sur une théorie raciale. Leur mouvement se concrétisa dans les mesures prises par Bismarck après 1879. Le mouvement passa en Autriche et se manifesta en France (Edouard Drumont, La France juive, 1886) et atteignit son maximum avec l’affaire Dreyfus (1894-95). En Russie, les juifs étaient persécutés d’une façon odieuse. Le mot « pogrom », « dévastation », a été adopté dans toutes les langues européennes. Les lois de mai 1882 chassèrent les juifs des centres ruraux. Malgré les lois libérales de 1905, la persécution continua. Mais la plus terrible persécution fut celle organisée par Hitler. La loi de Nuremberg (1935) excluait les juifs de la nationalité allemande. Les juifs émigrèrent. Des déportations commencèrent. Pendant la guerre, la persécution atteignit un degré de cruauté qu’on n’ose décrire. Les résultats furent les suivants :
Sur neuf millions de juifs vivant en Allemagne ou dans les territoires occupés par les Allemands, 6 millions périrent. Sur 3 350 000 juifs de Pologne, 55 000 restaient dans ce pays. Sur 360 000 juifs de Tchécoslovaquie, il n’en restait que 40 000. Sur un million de juifs roumains, il n’en restait que 320 000. En Yougoslavie, en Grèce, les neuf dixièmes de la population juive disparurent. En France, la population juive diminua de moitié. À Frankfort, on ne retrouva que 160 juifs; à Salonique, 2000 sur 56 000 et 600 sur 54 000 à Vilna.
6. L’indépendance←⤒🔗
En 1942, les Anglais étaient à moitié vaincus par Rommel. Le roi Farouk attendait les Allemands. Les Arabes prenaient parti pour Rommel un peu partout. La situation qui semblait désespérée fut rétablie par le général Montgomery qui, avec 45 000 hommes, résista aux 200 000 Germano-Italiens. Des Israélites luttaient avec les Alliés.
Moshé Davan, avec cinquante pionniers juifs, s’empara du fort Gouraud et facilita la jonction des Français et des Anglais. Le commandant Richard Perach contourna la ligne de Mareth, au sud de la Tunisie, avec le bataillon israélite. Des commandos de suicide israélites prirent la ville de Bardia et débarquèrent à Tobrouk; ils participèrent à la prise de la ville. D’autres unités juives combattaient ailleurs. Le général Kœnig arbora le drapeau israélien à côté du drapeau français, après Bir Hakein.
En 1945, on proposa de créer un état israélo-arabe. Les Arabes et les juifs restaient sur leurs positions. L’ONU, en 1946, désigna une commission d’enquête qui proposa un partage de la Palestine. Il devait y avoir un état juif et un état arabe. Le 26 décembre 1947, l’Angleterre qui ne pouvait maintenir l’ordre, malgré ses 200 000 hommes, décida de s’en aller. Elle devait partir le 1er août 1948. Elle partit plus tôt, le 15 mai. Ce jour-là, le Haut Commissaire anglais, Sir Alan Cunningham, s’embarqua.
Le même jour, David ben Gourion, premier ministre, lisait la proclamation de l’État d’Israël, en s’appuyant sur la décision de l’ONU. Les Arabes attaquèrent aussitôt. Le même 15 mai, deux colonnes égyptiennes entraient en Palestine. Les autres États arabes attaquèrent. Malgré leur petit nombre, les juifs furent vainqueurs. Le 24 février 1949, l’armistice fut signé à Rhodes entre l’Égypte et Israël. D’autres armistices suivirent. L’ONU essaya de parvenir à un règlement définitif, mais en vain. La commission de conciliation proposa sans succès des traités de paix.
7. Bibliographie←⤒🔗
-
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-
Anatole Leroy-Beaulieu, Israël chez les nations, Paris, 1893.
-
Jérôme et Jean Tharaud, Petite histoire des juifs, Paris, 1927.
-
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-
Edmond Fleg, Anthologie juive, 2 volumes, Gallimard, Paris, 1939.
-
Menachem Begin, La révolte d’Israël, Paris, 1953.
-
André Falk, Israël, Terre deux fois promise, Paris, 1954.
-
Elian J. Finbert, Israël, Guide bleu, 1955.
-
Léon Poliaokov, Du Christ aux juifs de cour, Calmann-Levy, Paris, 1955.
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Jules Isaac, Genèse de l’antisémitisme, Calmann-Levy, Paris, 1956.
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David Catarives, Israël, Collection Petite Planète, Paris, 1957.
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Cecil Roth, Histoire du peuple juif, des origines à la résurrection de l’État d’Israël. Traduit de l’anglais, Paris, 1957.
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Bilan juif, Collection Confluences, Paris.