Cet article a pour sujet les ressemblances entre le mysticisme médiéval et moderne du catholicisme et la méditation de pleine conscience du bouddhisme qui utilisent l'occultisme pour parvenir à un état de conscience altéré et s'unir au divin.

9 pages. Traduit par Paulin Bédard

L’interface entre le mysticisme médiéval et la méditation bouddhiste de pleine conscience

Les décennies qui ont suivi les années 1970 ont été marquées par une popularité croissante des programmes de formation spirituelle dans les milieux évangéliques, fondée sur un regain d’intérêt pour la mystique médiévale et ses techniques spirituelles contemplatives. L’un des principaux facteurs à l’origine de ce mouvement a été l’assouplissement de la position de l’Église catholique romaine à l’égard du christianisme évangélique à la suite du concile Vatican II (1962-1965), qui a cherché à se rapprocher des protestants. En corollaire, de nombreux évangéliques ont commencé à rechercher des expériences spirituelles plus profondes, basées sur les techniques contemplatives des mystiques médiévaux. Cependant, le processus ne s’est pas arrêté là, puisque le Concile Vatican II a également ouvert des portes aux catholiques pour qu’ils s’engagent dans le dialogue interreligieux et qu’ils commencent à explorer les traditions d’autres religions pour y trouver des pratiques mystiques susceptibles d’enrichir la spiritualité catholique.

Il n’a pas fallu longtemps aux mystiques catholiques pour réaliser que les mystiques d’autres religions faisaient l’expérience des mêmes états de conscience contemplatifs que ceux atteints par les mystiques médiévaux. Cette prise de conscience a naturellement conduit au dialogue interreligieux et à l’exploration initiale de pratiques interspirituelles, en particulier celle de la méditation bouddhiste de pleine conscience, qui est si proche des techniques et expériences contemplatives « chrétiennes », tout en différant radicalement dans la croyance réelle. Compte tenu de la similitude des expériences et des récentes affirmations scientifiques concernant les effets positifs de la pleine conscience sur la santé, il n’est pas surprenant de constater que de nombreux évangéliques adoptent non seulement la spiritualité contemplative catholique, mais aussi la mystique bouddhiste (pleine conscience) dans le but d’enrichir leur expérience chrétienne.

Qu’est-ce que la mystique? Ce mot est dérivé du grec « mysticos », qui signifie la connaissance occulte voilée de mystère qui ne peut être connue que par l’expérience subjective. Les mystiques sont ceux qui, par des techniques contemplatives et méditatives, atteignent des états altérés de conscience au-delà de l’esprit pensant pour faire l’expérience d’une union sans médiation avec le Divin, le Tout, la Source, l’Universel, la Force, l’Énergie ou le Vide, selon la tradition à laquelle on se réfère. La spiritualité mystique éveille des « révélations » surnaturelles de la conscience non duelle1, donnant l’impression de transcender les binaires bibliques qui distinguent le Créateur de la création, l’homme de la femme et le bien du mal, de sorte que tous sont intuitivement unis en un seul. Les traditions de yoga de l’hindouisme appellent cet état l’éveil du troisième œil mystique de Shiva, un soi-disant état d’illumination ésotérique qui détruit le « démon » des distinctions. Thomas Keating et Richard Rohr, mystiques catholiques contemporains très suivis par les évangéliques, qualifient également l’état de conscience contemplatif de Troisième Œil parce qu’il éveille une façon de voir la réalité au-delà des distinctions binaires. Dans le bouddhisme, cet état est appelé nirvana, un état de perception béate que le vide unificateur est la réalité la plus élevée au-delà de l’illusion de l’existence matérielle.

La méditation bouddhiste de pleine conscience peut en fait se référer à deux pratiques différentes, qui toutes deux altèrent la conscience et modifient notre façon de penser. La première est une méditation assise qui se concentre sur la respiration afin d’intensifier la conscience du moment présent. Cette forme est très similaire à la méditation pratiquée en yoga, qui se concentre également sur la respiration comme technique pour préparer le corps et l’esprit à entrer dans des états de transe méditative plus profonds par le biais d’une concentration mentale en un seul point. Cependant, la pleine conscience peut également être pratiquée de manière continue tout au long de la journée en faisant l’expérience de l’activité de chaque moment à travers le prisme d’une concentration intense et sans jugement sur le point du présent. La vie est ainsi perçue comme une progression séquentielle d’un moment présent à l’autre, permettant aux pensées de surgir sans évaluation critique. Dans ce type de méditation, le pratiquant devient un observateur neutre de lui-même, faisant l’expérience d’un continuum de moments présents. L’esprit est ainsi détaché de la réalité objective et entre dans une sorte d’état de transe éveillée. Comme tout jugement moral est suspendu à l’égard des attitudes et des actions de soi-même et des autres, l’esprit se dissocie facilement des schémas normaux de réponse évaluative. En d’autres termes, la pleine conscience modifie la grille d’interprétation à travers laquelle l’esprit traite la réalité.

Le but du mysticisme, en général, est de modifier la perception de la réalité, en redéfinissant le soi, le monde et le Divin selon les intuitions mystiques de la Conscience universelle en tant que Réalité ultime. Le mysticisme sert donc de base à une spiritualité collective qui transcende les distinctions religieuses et constitue donc la force derrière le mouvement interreligieux croissant dans lequel le mysticisme « chrétien » joue un rôle important.

Cela ne devrait pas nous surprendre, puisque les mystiques médiévaux, qui exercent aujourd’hui une influence si puissante dans de nombreux cercles évangéliques, étaient eux-mêmes fortement influencés par la philosophie religieuse moniste du néoplatonisme. Quelque part entre la fin du 5e siècle et le début du 6e siècle, un homme écrivant sous le pseudonyme de Denys l’Aréopagite (prétendant être le disciple athénien de Paul dont il est question dans les Actes 17.34) a reconditionné la philosophie païenne du néoplatonisme de Plotin dans une terminologie chrétienne. Vénéré avec une autorité quasi apostolique, le pseudo-Denys (comme on l’appelle aujourd’hui) a introduit le néoplatonisme christianisé qui a posé le fondement à la vision du monde du mysticisme catholique.

Cependant, le néoplatonisme est tout sauf chrétien. Selon le néoplatonisme, une essence divine impersonnelle et universelle a jailli spontanément, émanant du pur royaume spirituel dans une spirale progressivement descendante, d’abord dans l’esprit cosmique (nous), puis dans l’âme universelle (psyché), jusqu’à ce que l’état le plus bas, celui de l’existence matérielle, ait été atteint. L’âme universelle s’est alors fragmentée et s’est retrouvée piégée dans l’existence corporelle individuelle en tant qu’étincelle intérieure de la Divinité. Selon le néoplatonisme, la chute n’est donc pas l’échec moral de l’homme causé par le péché, qui entraîne la séparation d’avec Dieu, mais la chute de l’esprit dans le piège de l’existence matérielle. Ainsi, les techniques méditatives et contemplatives associées à des disciplines ascétiques induisent des états altérés de conscience non duelle dépourvue de distinctions, afin de faire l’expérience de la réunion mystique de l’âme à l’essence divine. Ce processus est appelé « transformation », une sorte d’alchimie spirituelle par laquelle la conscience humaine est mystiquement transformée en conscience divine.

Le néoplatonisme exprime l’unité ontologique de toute chose, ce qui signifie que chacun et toute chose partagent l’essence de l’être divin. Les techniques méditatives sont conçues pour éveiller la perception de la Divinité intérieure qui s’écoule dans le courant de la Conscience divine qui pulse à travers le cosmos. La théorie veut que, si les religions pouvaient seulement puiser dans ce courant, l’expérience éclipserait les distinctions religieuses et servirait de catalyseur pour l’harmonie interreligieuse.

Bien que le néoplatonisme soit une philosophie religieuse totalement païenne, le pseudo-Denys a réussi à l’insuffler dans la spiritualité catholique médiévale grâce à ses ouvrages influents La théologie mystique et La hiérarchie céleste, des traités qui ont été spirituellement formateurs pour Jean Scot Érigène, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Maître Eckhart, Jan van Ruusbroec, Johannes Tauler et un grand nombre d’autres mystiques médiévaux.

Cependant, le néoplatonisme christianisé du pseudo-Denys est également à l’origine du regain d’intérêt moderne pour la spiritualité contemplative. Au 14e siècle, un moine anglais anonyme a écrit Le Nuage de l’inconnaissance, un livre que l’auteur attribue dans son intégralité aux enseignements du pseudo-Denys (qu’il appelle saint Denis) : « Quiconque lit le livre de Denis y trouvera la confirmation de tout ce que j'ai essayé d'enseigner dans ce livre du début à la fin.2 » Au début des années 1970, un exemplaire poussiéreux du Nuage de l’inconnaissance a été découvert par le moine trappiste William Menninger à l’abbaye Saint-Joseph de Spencer, dans le Massachusetts. Inspirés par l’allégorie mystique « chrétienne » du Nuage, William Menninger, l’abbé Thomas Keating et son confrère trappiste M. Basil Pennington ont développé la prière de centrage ou prière contemplative comme un renouveau de la spiritualité contemplative médiévale. Dans son livre influent sur la prière de centrage, Esprit ouvert, cœur ouvert, Keating définit la prière contemplative comme « un processus de transformation intérieure… [menant à] l’union divine » au cours duquel « la façon dont on voit la réalité change dans ce processus3 ». Ce qui se passe au cours de la méditation contemplative, c’est l’échange de la vision du monde de la dualité au monisme4, que Keating décrit comme « une restructuration de la conscience [] qui permet de percevoir, d’entrer en relation et de répondre avec une sensibilité croissante à la présence divine dans, à travers et au-delà de tout ce qui existe5 ».

Convaincu de la nature omniprésente de la Divinité par le néoplatonisme « chrétien » exprimé dans Le Nuage de l’inconnaissance, l’abbé Thomas Keating a commencé à parrainer le dialogue interreligieux en tant que chef de file du mouvement interconfessionnel en plein essor. À cette fin, au début des années 1970, Keating a ouvert les portes de l’abbaye Saint-Joseph aux roshis zen (maîtres spirituels bouddhistes) pour des retraites intensives de méditation bouddhiste appelées sesshins, d’abord pour les moines catholiques, puis pour le grand public. L’abbaye Saint-Joseph a fini par être connue non seulement comme un monastère catholique, mais aussi comme un centre de retraite bouddhiste de premier plan. Profondément attiré par le bouddhisme, Keating a collaboré avec le lama tibétain Chögyam Trungpa Rinpoché6, fondateur de l’Institut Naropa pour le bouddhisme tibétain, qui incorpore toujours l’enseignement de Keating sur la prière de centrage dans son programme7. Trungpa a fondé l’Institut Naropa afin de faire avancer sa mission d’initier des Occidentaux aux secrets occultes du bouddhisme tibétain, comprenant que la collaboration interspirituelle entre moines catholiques et bouddhistes servirait à transcender les systèmes de croyance distincts, en facilitant une unité basée sur une expérience mystique partagée.

Nous devons examiner ce que cela signifie en termes pratiques, puisque le catholicisme est officiellement basé sur le théisme trinitaire et que le bouddhisme est basé sur un monisme non théiste. À première vue, il ne semble pas y avoir de terrain d’entente pour une véritable unité spirituelle entre le catholicisme et le bouddhisme. Pourtant, si nous considérons le degré d’infusion du néoplatonisme dans la mystique catholique très tôt dans l’histoire, nous réalisons que, si la doctrine catholique adhère extérieurement au théisme trinitaire, son expérience mystique intérieure est basée sur le monisme néoplatonicien. Nous pouvons donc voir que, sous les différences de surface, l’expérience contemplative unit à la fois les mystiques catholiques cherchant l’union avec le Divin (compris comme binaire en théorie, mais moniste en expérience) et les moines bouddhistes cherchant à échapper à l’existence par la non dualité béate dans le vide unitif. Les implications de cette fusion des mystiques catholique et bouddhiste ne doivent pas être sous-estimées, car les évangéliques subissent de plus en plus l’influence de la mystique catholique.

Dans son livre The Mystic Heart [Le cœur mystique], le moine catholique Wayne Teasdale reconnaît l’importance historique de l’union du catholicisme et du bouddhisme. S’inspirant des idées de l’historien britannique Arnold Toynbee, Teasdale affirme ceci :

« Si le christianisme, considéré comme représentatif de toutes les traditions théistes, et le bouddhisme, une religion non théiste ou, comme certains l’appellent, une psychologie, peuvent d’une manière ou d’une autre réconcilier leurs différences, alors peut-être que toutes les croyances peuvent de la même manière être mises en harmonie.8 »

Le but ultime de cette fusion est l’harmonie religieuse universelle, qui, selon les mystiques, se manifestera par une religion mondiale unie, répandant la paix et l’harmonie dans le monde entier. Pour atteindre une concorde aussi ambitieuse, Teasdale propose une technique basée sur le principe de l’inclusion et de la transcendance. Tout en reconnaissant les contradictions entre le catholicisme et le bouddhisme, Teasdale affirme une résolution basée sur la transcendance des différences jusqu’à ce que « quelque chose de nouveau naisse qui dépasse les deux tout en incluant chacun9 ». Cela revient à un processus dialectique par lequel la distinction entre la thèse et l’antithèse s’estompe en une synthèse indistincte, prétendant incarner l’essence de chacune tout en n’exprimant en fait ni l’une ni l’autre — enfin, presque. Ce qui se passe en réalité, c’est la victoire du monisme sur la dualité, les distinctions doctrinales étant incluses dans la théorie tout en étant transcendées et exclues dans la pratique.

L’affirmation de Teasdale selon laquelle la synthèse du catholicisme et du bouddhisme servirait de puissant catalyseur pour harmoniser toutes les religions est certainement démontrée par le service inlassable de Thomas Keating en faveur de l’avancement du dialogue et de la pratique interconfessionnels. À cette fin, Keating a créé la Snowmass Conference for Interreligious Dialogue [Conférence de Snowmass pour le dialogue interreligieux] en 1982, invitant quinze représentants de différentes traditions religieuses à participer à une retraite annuelle d’une semaine destinée à faire progresser le dialogue et la collaboration interreligieux. Le groupe, qui s’est réuni pendant vingt ans, s’est engagé à respecter la ligne directrice unificatrice suivante :

« Les religions du monde témoignent de l’expérience de la réalité ultime à laquelle elles donnent des noms différents : Brahman, Allah, l’Absolu, Dieu, Grand Esprit.10 »

Cette déclaration illustre le principe d’inclusion et de transcendance dans une application concrète. Chacun des représentants religieux actifs à la Conférence de Snowmass a conservé sa propre identité religieuse distincte (inclure) tout en se donnant la main sur le terrain de l’expérience mystique partagée (transcender). Lorsque le Divin est défini comme une « Réalité ultime » appelée par de nombreux noms, les distinctions religieuses perdent toute signification. Les mystiques de toutes les religions deviennent ainsi des prêtres médiateurs d’une nouvelle ère interspirituelle.

Croyant en la fraternité universelle des mystiques, Keating est resté un leader dynamique du mouvement interconfessionnel. En 2008, il s’est associé à Llewellyn Vaughan-Lee, directeur du Golden Sufi Center [le Centre soufi d’or] (le soufisme est la branche mystique de l’islam) pour présenter la conférence L’unicité et le cœur du monde. L’objectif de la conférence était décrit comme « la rencontre unique de deux traditions mystiques [le catholicisme et l’islam] explorant l’unicité qui est au cœur de toutes les traditions spirituelles11 ». Keating a également été président du Temple de la compréhension, fondé en 1960 par Juliet Hollister afin de promouvoir l’unité mystique des religions. Thomas Keating collabore également avec Ken Wilber, un philosophe intégral de premier plan qui pratique la mystique sexuelle tantrique du Kundalini Yoga. Thomas Keating siège actuellement au conseil consultatif du Center for Contemplative Mind in Society [le Centre pour l’esprit contemplatif dans la société], une organisation fondée par le maître zen vietnamien Thich Nhat Hahn et le gourou hindou Ram Dass (anciennement Richard Alpert, psychologue à Harvard). L’objectif du Centre est de transformer l’éducation en passant de la connaissance intellectuelle à l’expérience contemplative afin d’atteindre « la réalisation de notre lien inextricable les uns avec les autres, ouvrant le cœur et l’esprit à une véritable communauté, à une compréhension plus profonde, à une vie durable et à une société plus juste12 ».

Le Center for Contemplative Mind in Society [le Centre pour l’esprit contemplatif dans la société] cherche à faire évoluer le paradigme pédagogique de l’éducation de l’esprit vers la rééducation mystique du cœur, en utilisant des techniques contemplatives telles que la prière de centrage et la méditation de pleine conscience pour atteindre cet objectif. Grâce à ces techniques mystiques, le Centre influe sur l’éducation en passant du développement intellectuel de la pensée critique à l’état mental passif acquis dans la pratique contemplative, qui conduit au sens de l’interconnexion universelle, en mettant l’accent sur la participation à la communauté mondiale plutôt que sur le salut personnel et la croissance vers une vie mature et responsable. L’éducation se transforme en endoctrinement, l’expérience commune servant de grille de lecture par défaut de la réalité. Le site Internet du Centre précise ce point : « Les méthodes expérientielles développées dans les traditions contemplatives offrent un riche ensemble d’outils pour explorer l’esprit, le cœur et le monde.13 » Le citoyen du monde contemplatif en développement sera manifestement un mystique plutôt qu’un théologien et l’expérience prédominera sur la croyance. Nous devons comprendre les graves implications de l’état d’esprit contemplatif.

Le Dalaï Lama, chef spirituel du bouddhisme tibétain et ambassadeur autoproclamé de la compassion mondiale, est un autre partisan actif de la transformation de l’esprit occidental par l’éducation contemplative. Depuis les années 1980, le Dalaï Lama inspire le dialogue Orient/Occident en explorant les effets de la méditation bouddhiste de pleine conscience sur les fonctions neurologiques du cerveau comme moyen de guérir les maladies et de changer notre façon de penser, en passant de la reconnaissance cognitive des distinctions à la pleine conscience sans jugement de la compassion universelle — le rêve utopique toujours insaisissable. Sous sa direction et son inspiration, un groupe de visionnaires de premier plan a créé The Mind and Life Institute [L’Institut de l’esprit et de la vie] en 1987 afin d’explorer l’interface entre la science et le bouddhisme comme moyen « d’alléger la souffrance et de promouvoir l’épanouissement en intégrant la science à la pratique contemplative et aux traditions de sagesse14 ».

Ce dialogue permanent, qui dure depuis près de trente ans, a permis d’établir le domaine des « sciences contemplatives » comme une discipline scientifique crédible, avec des programmes diplômants proposés dans des universités de premier plan. Par exemple, l’université Brown propose une concentration en « études contemplatives » qui intègre les neurosciences au bouddhisme zen, à l’hindouisme, au confucianisme, au soufisme (mystique islamique) et au monachisme chrétien (prière contemplative). Willoughby Britton, membre de la faculté, qui a participé aux dialogues Mind and Life [Esprit et vie] avec le Dalaï Lama, est professeur adjoint de psychiatrie et de comportement humain à la faculté de médecine de l’université Brown et est l’un des principaux défenseurs des bienfaits de la pleine conscience. Toutefois, elle admet aussi que la méditation ne se termine pas toujours bien. C’est pourquoi elle a ouvert la Cheetah House, un centre de rétablissement pour ceux qui souffrent des effets souvent intensément négatifs de la méditation, que Britton assimile à la « nuit noire de l’âme », vécue par le mystique médiéval Jean de la Croix. Un article paru dans The Atlantic15 sur le travail de Britton à la Cheetah House révèle que les problèmes liés à la méditation peuvent aller de la « confusion » à « l’enfer psychologique », voire à de graves problèmes physiologiques. Un méditant désemparé a décrit une pensée qui lui demandait : « Laisse-moi m’emparer de toi ». Une autre pensée l’a incité à se suicider. Un autre méditant a perdu la capacité de digérer la nourriture pendant plusieurs années, dévastant sa santé, et un autre encore a été tourmenté par un « assaut de pensées sexuelles non désirées [] un Rolodex sexuel de tous les tabous », auquel il a fini par céder. Un autre homme a cru que la méditation le rendait schizophrène16.

Les effets terrifiants qui résultent parfois de la méditation ne devraient pas surprendre, puisque l’interface entre la science et le mysticisme a donné une crédibilité scientifique et académique au domaine interdit de l’occultisme. La mystique a longtemps été considérée comme la science de la conscience, par laquelle la conscience humaine est transformée en conscience divine grâce à des techniques de méditation. Cette mythologie expérimentale éveille des phénomènes psychiques parce qu’elle s’adresse souvent directement au monde des esprits. La vision biblique du monde considère qu’il s’agit du domaine interdit et dangereux du spiritisme, mais notre société post-chrétienne ignore cruellement les dangers très réels de la méditation, qui consiste à s’ouvrir au monde occulte des esprits.

D’autres cultures ne sont pas aussi naïves. Dans le cas du bouddhisme tibétain, les moines novices doivent subir des rituels d’initiation secrets, y compris la réception d’un esprit, comme condition préalable à l’apprentissage des arts sacrés de la méditation et de la magie qui constituent le cœur de la spiritualité de leur religion. Les moines tibétains avancés sont réputés pour leurs capacités surnaturelles, qui ne peuvent s’expliquer que par les pouvoirs psychiques qu’ils reçoivent du monde des esprits. Les pouvoirs surnaturels de ceux qui maîtrisent la technique de la méditation tibétaine Tummo et qui sont capables de s’asseoir nus dans la neige de l’Himalaya pendant de longues périodes, sans que leur corps n’en souffre, en sont un bon exemple. Cela est dû au fait que leur corps irradie mystérieusement la chaleur d’un feu intérieur pendant la pratique de la méditation Tummo et qu’il est chaud au toucher. Ceux qui ont documenté leurs exploits surnaturels ont vu de la vapeur émaner de leur corps alors que la neige fondait autour d’eux.

Bien que le Dalaï Lama attribue cet exploit aux « doctrines secrètes » et aux « disciplines tantriques » du Tummo Yoga17, des scientifiques ont cherché à comprendre le phénomène en termes médicaux en mesurant les ondes cérébrales et les réactions cardio-vasculaires des moines tibétains pendant la méditation profonde. Des tests médicaux similaires ont également été effectués sur des yogis hindous. Parce qu’il existe des preuves tangibles que la méditation affecte l’activité cérébrale, les scientifiques ont conclu à tort que la méditation était une technique purement scientifique de réduction du stress et de santé cardio-vasculaire, omettant totalement la présence de forces surnaturelles à l’origine des pouvoirs psychiques. C’est ainsi que des techniques de méditation occultes sont présentées avec une autorité scientifique pour apaiser le corps et l’esprit. Cela peut sembler tiré par les cheveux pour ceux qui n’ont pas examiné de près la nature occulte du bouddhisme tibétain et d’autres religions orientales, mais un aperçu de l’intérieur fourni par le Dalia Lama donne une idée de la situation.

Dans son autobiographie Liberté en exil, le Dalaï Lama révèle l’occultisme du bouddhisme tibétain et décrit sa propre dépendance à l’oracle de Nechung, qui canalise la sagesse de Dorje Drakden (la divinité protectrice du bouddhisme tibétain) au cours d’états de transe médiumnique18. Selon le Dalaï Lama, « la cérémonie commence par des invocations et des prières chantées, accompagnées par les appels des cors, des cymbales et des tambours19 », invitant Dorje Drakden à pénétrer dans l’oracle. L’oracle est alors revêtu d’une robe et d’une coiffe de cérémonie tandis que l’esprit le possède. Les lamas tibétains assistent et protègent l’oracle pendant la violente manifestation de l’esprit Nechung, qui le jette comme une poupée de chiffon en émettant des sifflements et en prophétisant au Dalaï Lama à travers lui. Lorsque l’esprit s’en va, l’oracle s’effondre dans « une forme rigide et sans vie, signifiant la fin de la possession20 ».

Les phénomènes psychiques et les manifestations spirituelles du bouddhisme tibétain peuvent sembler déconnectés des pratiques contemplatives occidentales que sont la prière de centrage et la méditation de pleine conscience. Pourtant, nous devons comprendre que les mystiques médiévaux ont également expérimenté des phénomènes psychiques et des manifestations spirituelles, éveillés par leurs pratiques méditatives contemplatives. Thérèse d’Avila, dont le livre Le château intérieur est encore largement lu, même par les évangéliques, en est un exemple. Thérèse était une nonne carmélite profondément dévouée à Marie et menant une vie d’ascèse rigoureuse, pratiquant la pénitence et la prière pour répondre à son sens de l’appel à une « vocation de réparation » pour les péchés du monde. Thérèse croyait, comme la plupart des mystiques médiévaux, que sa propre participation aux souffrances du Christ n’était pas seulement nécessaire pour raccourcir son séjour au purgatoire et sauver son âme, mais qu’elle était également efficace pour libérer les autres de leur esclavage au péché. Elle pensait donc que sa propre souffrance devait s’ajouter à l’œuvre du Christ sur la croix afin d’effectuer pleinement le salut. À cette fin, elle s’imposait des tortures telles que l’autoflagellation et se privait de nourriture et de sommeil. Ses pratiques ascétiques rigoureuses, associées aux états de conscience altérés éveillés par la méditation contemplative, ont donné lieu à de multiples visions, voix et extases qui l’ont souvent terrifiée. Ces pratiques lui ont également conféré des pouvoirs psychiques, comme les lévitations spontanées qu’elle a connues lors de la célébration de la messe. Écrivaine prolifique, Thérèse a également fait l’expérience de ce que l’on appelle l’écriture automatique, au cours de laquelle un flot de mots s’abattait sur elle avec une telle vélocité qu’elle était à peine capable d’écrire assez vite pour enregistrer les révélations spirituelles qu’elle recevait.

Les techniques contemplatives sont conçues pour amener le corps et l’esprit à s’ouvrir passivement à des expériences mystiques qui donnent l’impression convaincante d’accéder à un plan supérieur de la réalité, au-delà de ce qui peut être compris par l’esprit rationnel. Des organisations telles que le Center for Contemplative Mind in Society [le Centre pour l’esprit contemplatif dans la société] et le Mind and Life Institute [L’Institut de l’esprit et de la vie] se consacrent à changer la façon dont l’Occident perçoit la réalité en faisant passer la conscience de l’esprit pensant au cœur mystique par le biais de pratiques contemplatives. Le renouveau de la prière de centrage de Thomas Keating et la promotion de la méditation bouddhiste de pleine conscience par le Dalaï Lama ont profondément influencé la spiritualité occidentale dans le sens du mysticisme. En formant le public à tous les niveaux d’éducation à ces techniques contemplatives et méditatives, la société devient esclave de l’expérience subjective et émotionnelle et perd sa capacité à penser et à agir pour le véritable bien commun en plaçant la gloire de Dieu au premier rang de ses priorités. La crainte biblique du Seigneur, qui est le commencement même de la vraie sagesse, se perd dans la confusion des perceptions mystiques de la Conscience universelle. En tant que chrétiens évangéliques, nous devons porter à nouveau notre attention sur l’exhortation de Paul à présenter nos corps comme des sacrifices vivants au service du Christ, en consacrant nos esprits à la transformation qui ne peut venir que de l’étude raisonnée de la Parole de Dieu et de son application sincère à nos vies (Rm 12.1-2).

Notes

1. « Non duel » signifie simplement « pas deux », indiquant que tout est un.

2. William Johnston, éditeur, The Cloud of Unknowing [Le Nuage de l’inconnaissance], New York: Doubleday, 1973, p. 139.

3. Thomas Keating, Open Mind, Open Heart [Esprit ouvert, cœur ouvert], New York: The Continuum International Publishing Group Inc, 1992, p. 4.

4. NDT : L’auteur utilise les termes « Twoism » et « Oneism », que l’on peut traduire par « dualité » ou « binarité » et par « monisme ». Ce sont des termes et des concepts empruntés à Peter Jones, fondateur du ministère de Truthxchange, que ce dernier a beaucoup développés dans ses écrits et qui décrivent d’une part la foi chrétienne faisant la distinction entre le Créateur et la créature, et d’autre part la croyance païenne abolissant cette distinction et élevant la créature au niveau de divinité (voir Rm 1.18-25).

5. Thomas Keating, Open Mind, Open Heart [Esprit ouvert, cœur ouvert], New York: The Continuum International Publishing Group Inc, 1992, p. 4.

6. Le titre de « lama » désigne une personne considérée comme la réincarnation d’un maître tibétain et le terme « Rinpoché » est un titre de distinction, indiquant un lama de haut niveau.

7. « REL-271 Christian Prayer and Mystical Practices » [REL 271 La prière chrétienne et les pratiques mystiques], Naropa University.

8. Wayne Teasdale, The Mystic Heart [Le cœur mystique], Novato, CA: New World Library, 1999, p. 44.

9. Wayne Teasdale, The Mystic Heart [Le cœur mystique], Novato, CA: New World Library, 1999, p. 45.

10. Wayne Teasdale, The Mystic Heart [Le cœur mystique], Novato, CA: New World Library, 1999, p. 212.

11The Golden Sufi Center, Video Library [Centre soufi d’or, vidéothèque].

12The Center for Contemplative Mind in Society [Le Centre pour l’esprit contemplatif dans la société]. Voir « Center for Contemplative Mind in Society », The Frederick P. Lenz Foundation for American Buddhism.

13The Center for Contemplative Mind in Society [Le Centre pour l’esprit contemplatif dans la société]. Voir « What is Contemplative Education? » [Qu’est-ce que l’éducation contemplative?], The Contemplative Academy.

14. « About Mind & Life », Mind & Life Institute.

15. Tomas Rocha, « The Dark Knight of the Soul » [Le chevalier noir de l’âme, qui renvoie à l’expression The Dark Night of the Soul, ou La nuit noire de l’âme], The Atlantic, 25 juin 2014.

16. Tous ces effets négatifs de la méditation ont été mentionnés dans Tomas Rocha, « The Dark Knight of the Soul » [Le chevalier noir de l’âme, qui renvoie à l’expression The Dark Night of the Soul, ou La nuit noire de l’âme], The Atlantic, 25 juin 2014.

17. Le Dalaï Lama, Freedom in Exile [La liberté en exil], New York: HarperCollins, 1991, p. 210.

18. Le Dalaï Lama, Freedom in Exile [La liberté en exil], New York: HarperCollins, 1991, p. 212.

19. Le Dalaï Lama, Freedom in Exile [La liberté en exil], New York: HarperCollins, 1991, p. 213.

20. Le Dalaï Lama, Freedom in Exile [La liberté en exil], New York: HarperCollins, 1991, p. 214.