Bionique ou régénération?
Bionique ou régénération?
« Le médecin de demain sera mécanicien », écrivait récemment un journaliste d’une grande revue de Montréal. Cela se pourrait bien, en effet, si nous tenions compte de l’impressionnante quincaillerie informatique que la biologie moderne cherche à appliquer au corps humain. La bionique, nouvelle branche de la médecine, perfectionne sans cesse les extraordinaires possibilités qui nous sont offertes depuis quelques dizaines d’années.
Avant la fin du siècle, écrit le Dr Willem Kolff, inventeur du rein artificiel et pionnier du cœur artificiel, le champion olympique devra peut-être sa médaille d’or à son cœur artificiel. Le seul ennui, conclut-il en guise de boutade, c’est qu’il sera sans doute disqualifié au moment du contrôle antidopage!
Le cœur artificiel n’est qu’un produit parmi toutes les pièces de rechange proposées par les mécaniciens du corps humain. Le catalogue de la bionique est impressionnant; je cite encore le journaliste québécois :
« Ce ne sont plus les miracles qui envoient les jambes de bois et les mains de fer au musée des horreurs orthopédiques. Mais la microélectronique, les puces informatiques et les nouveaux biomatériaux. On refait des genoux, des chevilles, des doigts, des boîtes crâniennes. Le bras motorisé répond aux influx nerveux du porteur, la main électronique dotée d’une peau artificielle sensible est déjà à l’essai. L’ingéniosité humaine les remplace… Il y a un monde entre le stimulateur cardiaque d’aujourd’hui, multiprogrammable et capable d’une autonomie de 10 ans et celui de 1930; il fallait en remonter le ressort… toutes les six heures! »
Déjà, plusieurs centaines de sourds profonds entendent grâce à l’oreille artificielle. Les sons, transformés en signaux électriques, sont transmis à des électrodes miniatures implantées dans l’oreille interne. Les résultats sont étonnants.
L’œil artificiel n’est pas pour demain. Cependant, plusieurs aveugles ont pu voir quelques formes au moyen d’un œil de conception canadienne. On sait également que depuis 1979 on a mis au point au Japon le « sang-blanc », c’est-à-dire un liquide transporteur d’oxygène. Il est compatible avec n’importe quel groupe sanguin. On l’utilisera en cas d’urgence. Le foie et le pancréas artificiels pourront aussi se vendre sur le marché.
On est en droit de s’interroger sur les multiples problèmes que soulèvera cette médecine moderne. Des problèmes sociaux et économiques pour commencer. En effet, la dialyse et la transplantation rénales coûtent déjà au Trésor public, dans tel grand pays occidental, des sommes astronomiques. Dans ces conditions, qui aura droit à ces précieuses pièces de rechange? Les personnes encore productives? Ou celles qui auront les moyens de payer l’addition?
La revue que je cite rappelle qu’Ambroise Paré, le célèbre médecin huguenot français du 16e siècle, père de la chirurgie moderne et inventeur de la jambe artificielle, avait trouvé une réponse à sa façon : il avait construit un modèle articulé en métal, « la jambe des riches » et un modèle rigide en bois, « la jambe des pauvres » 1.
L’homme bionique est-il pour demain? Et s’il venait à apparaître, quel serait son visage? J’entends son visage moral! Les muscles, les larynx, les sphincters, les intestins et les nerfs artificiels affecteront-ils profondément son comportement? Ou bien, comme toujours, sa vieille nature lui collera-t-elle à l’âme ainsi que sa peau colle à sa chair? On n’a pas encore cherché à greffer la tête d’un citoyen honorable sur le corps d’une brute avachie par mille vices. Une telle question ne traduit nullement un sentiment de mécontentement à l’égard des possibles et multiples bienfaits dont les conquêtes de la médecine moderne nous permettent de bénéficier. Loin de moi de dénigrer méthodiquement les prouesses de la science. À sa manière, même si elle en est souvent inconsciente, elle nous dévoile les grands mystères de la vie et parfois elle est comme une parabole de l’œuvre merveilleuse de la création de Dieu. Si la bionique est une nouvelle branche de la science, rappelons-nous que la biologie, elle, peut remonter très haut; elle est vieille comme le monde; Dieu en est l’inventeur puisqu’il est la source de bios, de la vie physique de l’homme.
Mais je persiste dans mon interrogation d’ordre moral tout en étant conscient que mon exposé ne peut qu’effleurer cette question morale. Je ne voudrais me tenir ici que sur le plan prioritaire, non dissocié de la morale; je veux parler de la vie spirituelle de l’homme. Mais commençons par dire un mot sur les multiples implications éthiques, véritablement complexes, de la bionique moderne. Voici, à mon avis, la plus fondamentale : La bionique ne va-t-elle pas à son tour traiter l’homme comme un simple organisme physique, comme une machine et rien de plus, afin de pouvoir le manipuler dans ses interminables recherches de laboratoire et finir par faire du corps de l’homme une chose? Devrait-on accepter avec légèreté toutes les greffes artificielles, à commencer par celle du cœur? Qui empêcherait à ce qu’un savant ambitieux, immoral et irresponsable, défiant toute limite, greffe la tête d’un chien sur un homme ou vice-versa? Ce n’est certainement pas une audacieuse conjecture que j’avance là. Quand on entend certains de nos dirigeants faire des déclarations irresponsables au sujet de certaines manipulations génétiques — ce nouveau crime contre l’humanité et cette nouvelle hybris jetée à la face du Dieu Créateur — je crois qu’il nous faut être lucides afin de tout prévoir et, surtout, courageux pour dénoncer ce qui est franchement immoral et qui devrait faire sursauter toutes les consciences chrétiennes.
Mais ma question spirituelle est la suivante : Ce cœur artificiel battra-t-il pour se tourner vers la bonne direction, c’est-à-dire vers Dieu, pour qui tout homme — vous et moi aussi — avons été créés? Et les jambes artificielles courront-elles pour accomplir le mal ou bien pour répandre le bien? Questions peut-être beaucoup trop simplistes pour les esprits sophistiqués et blasés de certains de nos contemporains, et pourtant questions fondamentales…
Depuis que je lis ma Bible et que je crois au Dieu révélé de Jésus-Christ, j’ai une absolue certitude. L’homme est bien plus que son corps, et même plus que son cerveau.
C’est précisément à cet homme-là, appelé à refléter l’image de Dieu, qu’un jour Jésus posa cette question : « Et que sert-il à un homme de gagner le monde entier s’il perd son âme? » (Mc 8.36). En paraphrasant cette question, nous pourrions dire aujourd’hui : À quoi bon de prolonger la vie biologique grâce aux puces électroniques et à une programmation informatique, si dans son essence profonde et réelle l’homme ne change ni sa nature ni ses comportements? S’il refuse de vivre dans l’intimité de Dieu et grâce à lui?
Car il est utile, voire urgent, de se rappeler aussi d’autres faits fondamentaux relatifs à notre vie physique. En voici un : Les experts sont unanimes pour affirmer que la mort humaine, elle aussi, est préprogrammée et que la durée de la vie humaine est préordonnée, mis à part, bien entendu, des facteurs externes. La cellule humaine ne peut se diviser et se renouveler qu’approximativement cinquante fois. Même si les cellules d’un embryon étaient conservées grâce à la surgélation, après la vingtième division elles ne pourraient se diviser qu’une trentaine de fois. La durée d’hypergélation n’aura pas d’effet sur le nombre des divisions suivantes. Lors de toutes les étapes du processus de division, les cellules suivront fidèlement et scrupuleusement l’information qui est fournie aux gênes et aux chromosomes par l’ADN…
Elles produisent les copies exactes et effectives d’elles-mêmes. Jusqu’à ce que la puissance de renouvellement soit épuisée. L’organisme a atteint sa limite et le point de non-retour a été franchi. Il s’appelle la mort. L’horloge interne ne peut plus être remontée. Un terme scientifique décrit ce déclin, non seulement de l’organisme du corps humain, mais encore la lente, mais sûre dégénérescence universelle; c’est l’entropie, ou bien la seconde loi de la thermodynamique.
Dans son langage simple et intelligible à tous, la Bible nous parle de ce déclin, de cette mort certaine. Il y a une limite tracée à la vie de tout homme; celui-ci peut espérer vivre 70 ans, ou quelques-unes de plus, et puis c’est tout…
Cependant, la Bible annonce aussi un autre fait; elle nous donne une certitude inouïe. Elle proclame la régénération, elle nous communique la grande nouvelle du renouveau total. Dieu, qui est la source de la vie, la cause de l’être et le secret de nos mouvements, nous greffe une vie nouvelle. Écoutez ce qu’écrivait saint Paul à ce propos : « Et même lorsque notre homme extérieur se détruit, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour » (2 Co 4.16).
Si à cause de la loi universelle du péché — cause effective de la mort et de toute dégénérescence — l’homme est mortel, en Christ Dieu nous assure de la totale régénération : « Voici, déclare-t-il, je fais toutes choses nouvelles! » (Ap 21.5).
Un soir, un expert de la loi religieuse vint interroger Jésus. Dans sa réponse, Jésus lui posa une exigence fondamentale : il vous faut naître de nouveau (Jn 3.3-5). Le problème fondamental soulevé par la bionique moderne n’est pas celui de savoir qui réglera les honoraires du médecin-mécanicien, mais quel sera l’usage que l’homme bionique fera des pièces de rechange qu’on lui aura greffées…
Or, Jésus ne se contente pas de poser l’exigence de la nouvelle naissance; il entreprend aussi de la rendre réelle. La régénération dont il nous entretient a été possible grâce au prix exorbitant qu’il a payé par sa mort sur la croix. C’est pourquoi les chrétiens ne se satisferont pas de soulever uniquement des questions éthiques, mais ils proclameront le Crucifié du Calvaire, en qui toute la destinée universelle ainsi que toute existence individuelle connaîtront une révolution radicale. À cause du Christ, à cause de sa mort et de sa résurrection d’entre les morts, nos vies ratatinées, gâchées, ces existences qui sont ballottées à gauche et à droite, ces jours obscurs et ces nuits interminables qui nous plongent dans le désespoir, peuvent être transformés. Pourquoi chercher des solutions qui aboutiront forcément à la mort? Pourquoi choisir nous-mêmes la mort puisque le changement est possible, même pour celui ou pour celle qui n’espère plus rien, ni de la science ni de ses proches, ni de la vie ni même de la mort? Ne voulez-vous pas accepter sa rédemption divine? Voici ce qu’il déclarait devant la tombe d’un ami : « Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi vivra quand même il serait mort » (Jn 11.25).
Jésus-Christ nous communique une qualité nouvelle de vie; il nous donne sa vie divine. Il nous rend participants de la vie éternelle; celle-ci est opérante dès ici-bas et elle sera assez forte pour traverser les portes de même la mort, afin de se prolonger au-delà de la tombe, pour les siècles des siècles…