Christologie (10) - La christologie de Jean Calvin - Le triple office du Christ
Christologie (10) - La christologie de Jean Calvin - Le triple office du Christ
Citons, avant de commenter la position de Calvin sur le triple office du Christ, des extraits de l’Institution (II.15) :
1. « Saint Augustin dit avec justesse que bien que les hérétiques confessent Jésus-Christ, il n’est pas pour eux la fondation de tout, comme pour les chrétiens fidèles, car il appartient en propre à l’Église. En effet, si l’on examine attentivement ce qui appartient à Jésus-Christ, on ne le trouvera chez eux que de nom, et nullement dans sa force et sa réalité. Et ceux qui […] aujourd’hui proclament qu’ils croient que le Fils de Dieu est le Rédempteur du monde, mais qui tout aussitôt le dépouillent de sa toute-puissance et de sa dignité méritent bien qu’on leur applique la parole de Paul : ils ne se tiennent pas attachés au Chef. C’est pourquoi, afin que la foi trouve en Jésus-Christ le fondement inébranlable du salut et puisse s’y reposer en toute sécurité, nous devons poser ce principe que Dieu en l’envoyant dans le monde lui a donné trois fonctions : il l’a fait Prophète, Roi et Sacrificateur. Mais il serait de peu de profit pour nous de connaître ces titres si nous n’en connaissons aussi la signification et l’usage. […]
2. Il faut d’abord noter que le nom de Christ appartient à ces trois fonctions. Car nous savons que sous l’Ancienne Alliance non seulement les prêtres et les rois, mais les prophètes étaient oints d’huile consacrée. C’est pourquoi le nom de Messie, qui est synonyme de “Christ”, ou “d’Oint”, a été donné au Médiateur promis. Je reconnais volontiers, et je l’ai déjà dit, que dès le commencement ce nom se référait en particulier à la royauté du Christ, mais nous ne devons pas perdre de vue que l’onction sacerdotale et l’onction prophétique y sont également incluses.
L’onction prophétique est expressément mentionnée dans Ésaïe, où il est dit : l’Esprit du Seigneur, l’Éternel, est sur moi, car il m’a oint pour porter de bonnes nouvelles aux malheureux, pour guérir les affligés, annoncer la délivrance aux captifs et publier une année de grâce de l’Éternel, etc. Nous voyons ainsi que Jésus-Christ a reçu l’onction du Saint-Esprit pour être l’annonciateur et le témoin de la grâce de son Père, et ceci de façon bien particulière, car il est nettement mis à part des autres docteurs, dont la fonction était analogue. […] La dignité prophétique dont nous disons que Jésus-Christ a été investi doit nous apporter l’assurance que toute la somme de la sagesse parfaite est contenue dans l’enseignement qu’il nous a donné.
3. J’en viens maintenant à son règne, dont on parlerait en pure perte si l’on n’avertissait d’abord les lecteurs qu’il est de nature spirituelle. […] Quand il dit que le règne du Christ est spirituel, chacun de nous, saisi par ce mot, doit se laisser transporter dans l’espérance d’une vie meilleure et se tenir assuré que s’il est maintenant sous la protection de Jésus-Christ c’est pour recevoir tous les fruits de cette grâce dans le siècle à venir.
4. […] Il faut que nous sachions que la félicité qui nous est promise en Jésus-Christ ne consiste pas en avantages extérieurs, nous assurant la joie et la tranquillité, l’abondance des richesses, l’insouciance, la gaîté et tous les délices que recherche l’homme charnel. Tous les biens qui nous sont promis se rapportent à la vie céleste. […] Jésus-Christ enrichit les siens de toutes choses nécessaires au salut de leurs ennemis spirituels. Il règne pour nous plus que pour lui-même. […]
5. […] Soutenus par la puissance de leur Roi, rendus par lui invincibles et enrichis de tous les biens spirituels, ce n’est pas sans raison que ses fidèles sont appelés chrétiens. […]
6. Quant à la fonction de Sacrificateur, nous devons noter que son but est de faire que, par sa sainteté, le Médiateur pur de toute souillure nous rende Dieu favorable et nous permette de lui agréer. Mais comme depuis la chute la malédiction attachée au péché nous barre l’accès au ciel et que Dieu, en tant que Juge, ne peut que nous rejeter, il est nécessaire que le Sacrificateur, pour apaiser la colère de Dieu et ouvrir la voie à la grâce, accomplisse l’expiation. Jésus-Christ devait donc, pour satisfaire à cette condition, présenter un sacrifice. […] La dignité sacerdotale n’appartient qu’à Jésus-Christ parce que par le sacrifice de sa mort il a effacé la faute qui nous rendait criminels devant Dieu et a payé le prix de nos péchés. […] Nous pouvons désormais non seulement prier Dieu avec assurance, mais nous sentir devant lui pleins de confiance et de paix, puisque Dieu nous accueille avec bienveillance et nous donne la certitude que tout ce que nous lui présentons par le Médiateur lui est agréable et plaisant. […] Jésus-Christ assume donc la fonction de Sacrificateur pour nous rendre le Père favorable, après nous avoir par sa mort réconciliés pour toujours avec lui. Mais en outre, il veut que nous soyons sacrificateurs avec lui. Car, bien qu’impurs nous-mêmes, étant faits sacrificateurs en lui, nous pouvons nous offrir à Dieu avec tout ce qu’il nous a donné et entrer librement dans le sanctuaire céleste, avec la certitude que les sacrifices de prières et de louanges que nous lui présentons lui seront agréables… »
Certes, la description que Calvin fait de la triple fonction du Christ ne lui est pas originale. D’autres avant lui l’avaient déjà signalée. L’Église ancienne a parlé des offices royaux et sacerdotaux du Christ; Eusèbe s’était également référé à sa fonction prophétique, comme Thomas d’Aquin et Martin Bucer plusieurs siècles après. Au début, Calvin parle de deux offices du Christ (voir Cat. 20.3), mais l’année suivante, dans la seconde édition de l’Institution (1539), il y ajoutera l’office prophétique, comme le fera aussi le Catéchisme de Genève de 1541.
Bien que l’idée ne lui soit pas originale, toutefois la formulation qu’il en donne peut être considérée comme unique; aussi sera-t-elle adoptée par les théologiens ultérieurs, tant réformés que luthériens. Même des théologiens libéraux du 19e siècle adopteront le même schéma, quoique d’une autre manière. Nombre d’ouvrages modernes de dogmatique continuent à se servir de sa formule pour décrire la personne et l’œuvre du Christ.
Il commence la discussion de la phrase du Credo « et en Jésus-Christ notre Seigneur », par l’observation suivante : « Auparavant, nous avons enseigné que Christ est l’objet propre de la foi. De cela il devient clair qu’en lui sont représentées toutes les parties de notre salut. » Ensuite, il commente brièvement les deux titres christologiques « Jésus » et « Christ » et signale que dans son onction en tant que Christ (Messie) Jésus a d’abord été désigné Roi par le Père, pour se soumettre toute puissance dans les cieux et sur la terre. Il n’y a rien d’inhabituel dans cette description de la royauté du Christ. Ce qui est remarquable, cependant, est le fait que Calvin ajoute à sa description : « afin qu’en lui nous devenions rois, ayant pouvoir ou autorité sur le diable, le péché, la mort et l’enfer ». Ainsi, les privilèges et pouvoirs des offices du Christ sont partagés par son peuple! Même approche et application de l’office sacerdotal. Car Christ a été aussi consacré Sacrificateur pour apaiser par le sacrifice de sa personne et réconcilier le Père avec nous, afin qu’en lui nous devenions des sacrificateurs, lui-même comme notre intercesseur et Médiateur, offrant nos prières, notre gratitude, nos personnes et tout ce qui nous appartient au Père.
On trouve un accent semblable dans le Catéchisme de Genève (1541) dans lequel Calvin ajoute la troisième fonction, celle du Prophète. Pour commencer, dans la question 39, il explique que Christ est Prophète parce qu’en venant dans notre monde (És 7.14), il a été le messager souverain et l’ambassadeur de Dieu, son Père, pour apporter la révélation totale de la volonté de Dieu concernant le monde, et de la sorte, mettre fin à toute prophétie et révélation (Hé 1.2). Ensuite, le réformateur pose de manière bien typique la question (question 40) : « En retires-tu quelque profit personnel? » La réponse s’applique aux trois offices : « Bien sûr; toute cette œuvre n’a qu’un seul but : notre bien. Le Christ a reçu ces grâces de son Père, afin de nous y faire participer, et que nous y puisions tous largement. » Plus loin, il parlera de manière plus spécifique concernant le bénéfice obtenu de la fonction prophétique du Christ :
« Il reste à expliquer le terme de Prophète. Le Fils de Dieu a reçu la mission d’enseigner les siens; afin d’illuminer leurs cœurs de la vraie connaissance du Père, de les instruire dans la vérité, de les mettre à l’écoute de Dieu, leur Maître. »
L’Institution, nous venons de le voir, consacre un chapitre entier au même thème. Le titre en est révélateur :
« Que pour savoir à quelle fin Jésus-Christ nous a été envoyé du Père, et ce qu’il nous a apporté, il faut principalement considérer trois choses en lui : l’office de Prophète, de Roi, et de Sacrificateur. »
Ici encore Calvin souligne que Christ a été oint par l’Esprit avec ces trois offices, non seulement pour lui-même, mais pour le corps entier. L’accent « pour nous » est le thème central de tout ce que Calvin a à dire concernant l’office du Christ. Rien ne se fait pour soi-même, mais tout est « pour nous ». La sotériologie (doctrine du salut) n’est autre qu’une christologie bien comprise, écrit Otto Weber.
Cela est succinctement exprimé dans un beau passage du Catéchisme où il commente la phrase : « il a été conçu du Saint-Esprit et est né de la vierge Marie ». Calvin écrit :
« Jésus a été formé dans le sein de la vierge, de sa propre substance à elle, pour être le vrai descendant de David, comme les prophètes l’avaient annoncé. Mais cela s’est fait sans la participation d’aucun homme, par la puissance miraculeuse et secrète de l’Esprit Saint. […] Pour réparer la désobéissance de l’homme envers Dieu, il devait lui aussi prendre notre chair humaine, car il n’aurait pu autrement être fait Médiateur pour nous réconcilier avec Dieu. »
Ainsi, la naissance, la vie, le ministère et les actes réconciliateurs sont tous pour nous, en notre faveur, et pour notre salut. Contre les théologies scolastiques, il enseignera que Christ a acquis des mérites pour lui-même par son obéissance et sa mort en citant Jean 17.19 et Romains 8.32 (Institution II.17. 6).
Par conséquent, il est impossible de séparer de manière tranchée la personne de l’œuvre du Christ comme on le fait d’ordinaire dans les théologies systématiques. Il accomplit tout en rapport avec ce qu’il est.
En outre, Calvin ne tolérerait pas que nous séparions la christologie (la doctrine de la personne du Christ) de la sotériologie (la doctrine du salut). Bien que la discussion formelle de l’appropriation des bénéfices par le fidèle ait lieu au livre III de l’Institution, Calvin ne peut se retenir d’indiquer que notre participation à ses bénéfices est rendue possible par l’œuvre du Saint-Esprit.
« … surtout quant à la vie céleste, il n’y a pas une seule goutte de vigueur en nous, sinon ce qui nous est distillé par le Saint-Esprit qui a élu son siège en Jésus-Christ, afin que de lui sourdissent [jaillissent] tous biens célestes pour nous en rassasier largement, desquels autrement nous sommes si vides et indigents que rien plus. C’est pourquoi, d’autant que les fidèles sont maintenus par la vertu de leur Roi pour demeurer invincibles, et sont enrichis de ses biens spirituels, ils ne sont point nommés chrétiens sans cause. » (Institution II.15.5).