Le contexte historique de la venue de Jésus
Le contexte historique de la venue de Jésus
« Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme… » (Ga 4.4). La plénitude des temps à laquelle saint Paul se réfère dans sa lettre aux Galates est une référence éminemment théologique. Nous voulons dire par là qu’il ne faut pas l’assimiler aux circonstances historiques et culturelles propres à l’époque de la naissance du Christ. « La plénitude des temps » a trait à la décision de Dieu plus qu’au contexte historico-culturel dans lequel prit lieu l’incarnation. Autrement, nous ferions dépendre celle-ci des facteurs extérieurs à la décision éternelle de Dieu. Quoi qu’il en soit, nous aurons à tenir compte de ce contexte ainsi que des questions relatives aux dates et aux lieux où se déroulèrent la naissance, le ministère public, la passion et la mort du Sauveur. Nous les examinerons dans cet article.
Pour commencer, voici les grandes étapes de l’histoire du peuple et du pays d’où vient Jésus-Christ. Près de quatre siècles le séparent des derniers événements et de la situation des juifs après le retour de l’exil où Néhémie et Esdras voient s’installer la domination perse. Vient ensuite Alexandre le Grand, qui détruit l’Empire perse et, vers 304, s’empare de Jérusalem, quoique pour une très brève période. La division de l’éphémère empire du grand conquérant amènera la faction des Ptolémées à instaurer leur domination en Égypte et celle des Séleucides en Syrie et en Palestine.
Au début du 2e siècle (vers 198 avant J.-C.), sous Antiochus IV Épiphanès, les juifs se révoltent (c’est l’histoire de la famille des Maccabées). L’esprit nationaliste juif se réveille et, au milieu de ce siècle, on voit s’établir un règne qui sera très bref. Les souverains se laissent séduire par la mondanité et l’hellénisme. Des luttes fratricides entre les frères Hirkan et Aristobule affaibliront la position indépendante, jusqu’au moment où, avec Pompée en 64 avant J.-C., la Palestine deviendra une province romaine. Rome mettra un roi vassal étranger, un Iduméen (les Iduméens étaient les ennemis héréditaires des juifs), Antipater et, après lui, son fils Hérode en l’an 44. Ce dernier, en dépit de sa cruauté légendaire, demeurera au pouvoir de 37 avant notre ère jusqu’en l’an 4 (?), date approximative de la naissance du Christ. À sa mort, son royaume est partagé entre ses trois fils, Archelaüs (Mt 2.22) comme ethnarque de la Judée et de la Samarie, Hérode Antipas (Mc 14; Lc 3.1; Ac 13.1), tétrarque de la Galilée et de Pérée; Philippe (Mt 14.3; Mc 6.17; Lc 3.1), tétrarque d’Itourée et de Traconite.
Au début de notre ère (6 après J.C.), Archelaüs sera déposé par les Romains, exilé et remplacé par un procurateur romain. Le territoire deviendra une province romaine et, à partir de l’an 37, les descendants d’Hérode le Grand, dont Hérode Agrippa I et Hérode Agrippa II, recevront quelques bribes d’autorité royale en Judée.
Les zélotes, parti nationaliste d’extrémistes, chasseront les Romains vers l’an 66, mais ceux-ci reviendront en 70 pour écraser définitivement toute résistance et raser la capitale, Jérusalem.
La situation religieuse peut se résumer ainsi : à Jérusalem, centre religieux pour les Palestiniens comme pour les juifs de la diaspora, siège le souverain sacrificateur, entouré du sanhédrin, le conseil religieux suprême. Outre le Temple (remarquons qu’il est le troisième temple après celui de Salomon et celui construit par Zorobabel après l’exil; il a été rebâti par Hérode le Grand), il y a les synagogues, lieux de culte et d’enseignement, réparties dans toutes les régions du pays. Des scribes, experts de la loi, y enseignent et expliquent les Écritures (nos 39 livres de l’Ancien Testament), divisées en Moïse ou la Loi, les Psaumes et les Prophètes. Mais d’autres que les scribes professionnels pouvaient prendre la parole dans les synagogues, ce qui explique que le premier discours public de Jésus fut prononcé dans celle de Nazareth, la ville où il avait grandi.
Parmi les partis religieux ou politiques, mentionnons les sadducéens, gens de l’aristocratie favorables à l’occupation romaine et libéraux sur le plan théologique. Les pharisiens, d’un mot signifiant « les séparés », se considéraient comme purs entre les purs et farouchement opposés à l’envahisseur. Littéralistes à l’excès, ils pratiquaient une religiosité d’apparat et ont laissé un souvenir extrêmement désagréable.
Les zélotes, que nous avons déjà mentionnés, préconisaient l’expulsion de l’envahisseur par la force des armes afin d’instaurer un royaume messianique. Parmi les disciples de Jésus se trouva plus d’un zélote (dont, pensent certains, Judas Iscariote). Certains savants modernes ont cru pouvoir assimiler Jésus à ce mouvement de révolutionnaires.
Récemment, le nom d’une communauté religieuse monacale a été largement porté à la connaissance du grand public. Bien que nous sachions peu de choses sur elle, la communauté des esséniens a également servi à certains savants pour chercher et trouver des points parallèles entre leur enseignement et celui de Jésus. Ce dernier aurait pu être, pense-t-on, un dissident de Qumran. Rappelons ici simplement que, dans les années 1947 et 1948, un Bédouin à la recherche d’une chèvre égarée aux alentours de la mer Morte découvrait par hasard, dans une grotte, quelques manuscrits provenant de cette communauté qui les avait cachés dans des jarres, de peur qu’ils ne tombent entre les mains des Romains et ne soient détruits. D’autres manuscrits de l’Ancien Testament furent découverts par la suite, ce qui a permis aux savants de s’informer non seulement des modes d’existence de cette communauté, mais encore de posséder de précieux textes des manuscrits de l’Ancien Testament.
On peut affirmer que le monde occidental a été providentiellement préparé pour accueillir Jésus-Christ.
Rome dominait le monde. Le « monde » de l’époque comprenait tous les pays autour du bassin méditerranéen plus une grande partie de l’Europe, y compris les îles Britanniques. La « Pax Romana » (la paix romaine) a été, ainsi que l’on sait, la plus grande période de paix globale qu’ait connue l’histoire occidentale. Elle a contribué à la stabilité de la société et à la prospérité matérielle de l’humanité. Des voyages sûrs, des axes routiers bien répartis, une relative tolérance religieuse et un ordre social et public appréciable contribuèrent à la stabilité politique, sociale et économique de l’empire. Quelques années avant la naissance du Christ, Rome devenait une dictature sous Auguste. Mais Rome n’eut pas que des avantages… Ces progrès et cette prospérité matérielle furent ternis par l’obscurité spirituelle, le relâchement des mœurs et une licence sans précédent. On comprend que le livre de l’Apocalypse la traite de « grande prostituée », et son empereur de « la bête ». Certains historiens de l’Église diront que Rome fut soit l’amie soit l’adversaire la plus farouche des chrétiens, et ce, durant quatre siècles au moins…
Deux empereurs romains sont mentionnés dans les Évangiles. Le premier est Auguste, sous le règne duquel naîtra Jésus; le deuxième, Tibère, celui dont le règne coïncide avec le début du ministère de Jésus. Deux procurateurs sont aussi nommés, l’un, Quirinius (voir plus loin), et l’autre, Pilate, originaire du Pont-Euxin, homme d’une cruauté légendaire, qui gouvernera la Palestine entre 26 et 36 (?) de notre ère. Dénoncé par les juifs pour le traitement qu’il infligeait à ses administrés, il sera exilé et, selon la tradition, se serait donné la mort dans son bain, sans doute un jour de grande détresse morale.
Mentionnons également la « présence grecque » à cette même période. Les Grecs avaient laissé une marque indélébile sur la culture contemporaine. Le Nouveau Testament sera écrit en grec « koinè », c’est-à-dire la langue populaire du monde occidental de l’époque, répandue notamment autour du bassin méditerranéen.
L’Ancien Testament avait connu, lui aussi, une version grecque, celle dite des Septante (LXX), mais dont la langue est supérieure et plus pure que celle du Nouveau Testament. Il est certain que les premiers chrétiens n’auraient pu rédiger ni même répandre si largement l’Évangile sans le concours précieux de la langue grecque comme moyen de communication. De même, un grand nombre de concepts furent requis pour exprimer les grands thèmes théologiques chrétiens des premiers siècles de l’Église. Pourtant, ainsi que l’écrira saint Paul, ce n’est pas grâce à la sagesse, grecque ou autre, que le monde aura connu la révélation et accueilli la Bonne Nouvelle. Le Christ est la seule lumière qui a brillé dans les ténèbres.
En ce qui concerne la situation religieuse contemporaine, si elle a tenu un rôle, il est certain qu’il a été tout à fait négatif. Vieilles religions païennes, nouvelles sectes de mystères, influence juive, polythéisme et syncrétisme se disputaient les adeptes. Mais sur nombre d’esprits éclairés de l’époque, c’est surtout la religion juive qui exerçait une véritable fascination.
D’une certaine façon, le paganisme comme la religion juive ont apporté, à leur manière, leur contribution à la « préparation » de l’avènement du Christ. Le paganisme avait perdu sa vigueur. Les gens comprenaient plus ou moins la nature illogique, absurde, des dieux nationaux ou internationaux au sein d’une culture cosmopolite. Et la religion que pratiquaient les juifs de l’époque devint le premier adversaire de l’Évangile. Paganisme et monothéisme juif se ligueront contre la prédication chrétienne. Mais ils auront contribué, contre leur gré, à la proclamation de la Bonne Nouvelle. Celui qui est la Bonne Nouvelle en personne brisera les vaines idoles et rendra à l’homme, païen ou juif, grec ou barbare, le vrai visage de ce Dieu « en qui nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17.28).
S’il est vrai que publiquement, culturellement et religieusement le monde avait été préparé spécialement pour l’avènement du Sauveur, aucun de ces facteurs n’expliquera ni cet avènement en soi ni l’influence qu’il exerça sur l’humanité de son temps. Humainement parlant, rien n’était plus difficile que de remporter la victoire. Mais le Christ a conquis les empires et les règnes de ce monde.