La doctrine de l'Écriture (10) - Le canon du Nouveau Testament
La doctrine de l'Écriture (10) - Le canon du Nouveau Testament
La formation du canon du Nouveau Testament a pris moins de temps que celle de l’Ancien. Les premiers livres rassemblés furent les lettres de Paul. Vinrent ensuite les Évangiles et d’autres lettres. Si la première Bible de l’Église naissante fut l’Ancien Testament, le Nouveau Testament, lui, n’a pas tardé à faire rapidement son apparition et à s’imposer. Aussitôt après la disparition des premiers témoins de la vie du Christ, les différentes parties se sont réunies et avant même la fin du 2e siècle, le canon du Nouveau Testament avait déjà été formé.
« Quant au canon proprement dit du Nouveau Testament, il est présenté comme une création tardive de l’épiscopat en réponse à l’initiative de l’hérésiarque Marcion. Au fond, il n’y a qu’une littérature chrétienne primitive, érigée par l’Église en un canon fermé, destiné à faire pendant au canon de l’Ancien Testament. » (Auguste Lecerf).
Quelques facteurs extérieurs ont pu conduire l’Église à se soucier de la canonicité des écrits qui circulaient en son sein. Mentionnons-les brièvement. Vers l’an 140-160 de notre ère, un canon étrange, connu sous le nom de Marcion (auteur hérétique notoire), jouissait d’une large diffusion. Ce recueil ne contenait aucun écrit de l’Ancien Testament par pur motif antisémite. Il ne retenait du Nouveau Testament que l’Évangile selon Luc et dix des treize lettres de Paul. Ce pseudo-canon n’a heureusement pas remporté grand succès. Cependant, placée en face d’un défi aussi dangereux pour sa foi, l’Église primitive n’a pas tardé à réagir et elle s’est mise à l’œuvre. Elle a commencé à examiner les divers livres chrétiens en circulation afin de vérifier leur authenticité. Des hérétiques ont fait par la suite appel à des écrits non canoniques pour soutenir et étayer leurs fausses doctrines.
La tradition orale a de plus en plus dégénéré. Pour rester sur le véritable fondement, l’Église commence à distinguer attentivement entre la vraie et la fausse tradition. Elle croyait trouver la vraie tradition dans un certain nombre de livres apostoliques qu’elle appela le canon. Tout ce qui ne répondait pas à ce canon fut considéré comme une tradition corrompue. Cette conviction de l’Église ancienne suppose qu’elle croyait que le Christ avait pris soin que toute la prédication apostolique nécessaire fut gardée dans les livres inspirés. Son attitude à l’égard du canon du Nouveau Testament témoigne donc d’une même confiance en la direction de Dieu que celle du Christ à l’égard du canon de l’Ancien Testament. Troublée par la controverse, l’Église se vit contrainte de définir les livres qui révélaient la vérité et auxquels elle donnait son adhésion sans restriction.
Enfin, il y eut la persécution. Traversant une épreuve redoutable, à la fois physique et spirituelle, la première Église prit nettement position et refusa d’admettre dans son canon certains livres considérés depuis lors comme des apocryphes. Seuls les livres qui s’étaient d’eux-mêmes imposés à la foi de l’Église furent inclus dans le canon officiel.
En ce qui concerne la très grande majorité des livres du Nouveau Testament, il n’y a jamais eu de divergence dans l’Église quant à leur canonicité. Elle avait la conviction que le contenu de ces livres, dès le début, avait été à l’origine de sa vie. Certains livres furent d’abord généralement reconnus comme canoniques, tandis que leur canonicité fut plus tard de nouveau discutée. L’authenticité de certains ne fut reconnue que lentement. Les livres sur lesquels il y avait un doute étaient Jacques, Jude, 3 Jean, 2 Pierre, Hébreux, Apocalypse.
Les objections contre ces livres furent quelquefois empruntées à leur contenu, mais aussi au fait qu’on ne les considérait pas comme des ouvrages apostoliques. Les objections de certains n’empêchèrent pas d’autres de les considérer comme canoniques. Ce fait et la constatation de l’harmonie entre les livres discutés et les autres livres reconnus par tous firent disparaître finalement l’opposition. Vers la fin du 4e siècle, on reconnaissait partout le canon du Nouveau Testament que nous avons encore maintenant. Les listes des livres canoniques des synodes ne voulaient pas rendre canoniques les livres du Nouveau Testament. Ils voulaient désigner quels étaient les livres qui étaient reconnus comme canoniques par l’Église. La formation du canon tel que nous le possédons est le résultat d’un développement historique lent et graduel dont les Synodes d’Hippone et de Carthage indiquent pratiquement l’aboutissement.
Nous estimons qu’on peut se représenter ce développement de la manière suivante : Les Églises ont d’abord lu en public les écrits que leurs conducteurs et le peuple reconnaissaient comme prophétiques ou charismatiques en raison de leur origine apostolique et, à défaut, de leur antiquité et de leur utilité, dont la valeur intrinsèque qu’ils avaient comme témoins historiques ou comme instruments d’édification. Plusieurs de ces écrits ne figurent plus dans le canon actuel. Seuls demeurèrent en première ligne ceux dont l’origine apostolique était solidement établie par une tradition constante. En seconde ligne figuraient ceux qu’on n’aurait pas pu rejeter sans froisser la piété dont ils étaient l’objet de la part de frères dont on tenait à ménager les sentiments. L’origine apostolique au moins médiate supposée fut sans doute un facteur important. Mais avant 265, il ne fut pas une condition sine qua non.
Méliton de Sardes (170) est le premier à utiliser l’expression « les écrits de la Nouvelle Alliance ». Il donne un nom à une réalité dont le processus a commencé avec l’apparition de la première lettre apostolique qui nous ait été conservée.
S’il est un père apostolique digne de la plus haute confiance, c’est bien Origène. L’abondance de ses travaux sur les Écritures, 120 ans après la mort de saint Jean, apparaît surhumaine si on en croit l’historien Eusèbe (de 100 ans postérieur) qui, dans son Histoire ecclésiastique, nous donne seulement la liste de ses œuvres exégétiques, de ses notes, de ses commentaires et de ses homélies. Or, le premier catalogue d’Origène, tel qu’il nous l’a donné lui-même dans la huitième de ses homélies sur le livre de Josué (9), décrit le canon tout entier du Nouveau Testament, sans l’exception comme sans l’addition d’un seul. Et l’on peut conclure, d’après son témoignage comme d’après Eusèbe, qu’au commencement du 3e siècle toutes les Églises continuaient à admettre sans contestation les 20 livres du canon premier (les 4 Évangiles, les Actes, les 13 épîtres de Paul, la première de Pierre et la première de Jean); qu’elles recevaient également les deux livres du canon second-premier (Hébreux et Apocalypse); qu’enfin, en ce qui concerne le canon second, seules la deuxième épître de Pierre et les deux petites épîtres de Jean soulevaient quelques contestations de la part de plusieurs.
Le grand Athanase, de 26 ans plus jeune qu’Origène, recevait aussi notre canon du Nouveau Testament tout entier. Il disait en terminant le catalogue : « Ces livres sont les fontaines du salut, que personne n’y ajoute et n’en retranche rien » (Opp, XII). Le Concile de Laodicée en 364 (40 ans après Nicée) admettait sans exception, dans son catalogue, toutes les cinq petites épîtres tardives dont se compose le canon deuxième (Jacques, 2 Pierre, Jude, 2 Jean et 3 Jean). Ce grand concile est marqué comme suspect dans plusieurs commentaires des conciles ultérieurs. Mais cela ne saurait nous surprendre quand on sait aussi que le Concile de Laodicée exclut absolument des livres canoniques les apocryphes de l’Ancien Testament canonisés plus tard par le Concile de Trente.
On peut discuter du rôle du Concile de Nicée (325) à l’égard du canon. Mais il n’en est pas moins vrai qu’à partir de cette assemblée, l’unanimité des Églises se fit sur l’autorité des livres canoniques. Et voici, parmi les 11 catalogues des Pères et Conciles du 4e siècle, un témoignage extrait du catalogue de Rufin, prêtre d’Aquilée. Rufin énumère les volumes de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament qui, « selon les traditions des anciens, sont tenus pour inspirés du Saint-Esprit et transmis aux Églises du Christ ». Il n’omet aucun des livres canoniques et il écrit : « Tels sont les livres que les Pères ont renfermés dans le canon et sur lesquels ils ont voulu que se fondassent les assertions de notre foi. » Puis, il indique qu’il y a :
« d’autres livres qui ont été appelés par les anciens, non pas canoniques, mais ecclésiastiques, tels sont la Sapience de Salomon et une autre Sapience appelée du Fils de Sirach…, ainsi que le petit livre de Tobie et Judith et les livres des Maccabées; quant à ces livres, ils ont voulu qu’on les lût dans les Églises, mais non qu’on les citât comme une autorité pour établir la foi. Quant aux autres Écritures, ils les ont appelées apocryphes, et ils n’ont pas permis qu’on les lût dans les Églises. »
Ainsi donc, à la fin du 4e siècle, les livres canoniques de la Bible sont tous admis, et la distinction est établie entre eux et certains livres à lire pour l’édification seulement (ecclésiastiques) et des livres qu’on ne doit pas lire (apocryphes).
Le premier fait établi c’est que la foi chrétienne n’est pas uniquement une affaire individuelle et subjective; la prédication de l’Évangile a été, dès l’origine, l’enseignement de Jésus et un enseignement sur Jésus. De là résulte une nécessité mystique dont l’évidence s’impose avec une force irrésistible. Si le contenu de la religion n’est pas individuel, mais qu’il a un contenu objectif, avec des pensées qui ont été pensées en fait, des actes qui se sont déroulés dans la réalité, il doit y avoir une règle extérieure, un canon chrétien, mieux une source sûre d’où l’on pourra puiser avec certitude ce qui est authentiquement chrétien. La nécessité d’une autorité extérieure pour toute religion en général et pour le christianisme en particulier est un fait mystique dont la réalité est reconnue par des historiens même pas suspects d’orthodoxie.
Une nouvelle religion, comme le christianisme, malgré ses rapports intimes avec celle de l’Ancien Testament, ne pouvait à la longue se contenter du canon de l’Ancien Testament, particulièrement dans le cas où des faits historiques postérieurs à l’Ancien Testament constituaient l’objet principal de la foi nouvelle. Il fallait des témoignages de l’esprit de la nouvelle religion, des documents de la Nouvelle Alliance, des révélations authentiques de la piété parfaite, ne fut-ce que pour obtenir la véritable intelligence chrétienne des anciennes Écritures ou pour authentifier de nouveau. On ne peut affirmer avec plus de force le dogme réformé de la nécessité de l’Écriture. Il faut à notre foi une Écriture canonique spécifiquement chrétienne. Le libéralisme dira croire en Jésus. Certes, mais où trouver Jésus-Christ si ce n’est dans les écrits du Nouveau Testament? Le témoignage de la conscience ou l’Église ne suffisent pas. Il faut savoir distinguer entre ces deux réalités et les imaginations de notre cœur. Car il y a le Christ des mystiques dépersonnalisants et le Christ d’Athanase ou de Calvin; celui des théologiens de la violence et le Christ de Luther.
Par qui connaîtrons-nous donc le Christ? Certes, la prédication de l’Église nous le fera connaître. L’Église est certes, comme le disait Calvin, la mère des fidèles. Mais quelle est l’Église qui a apporté au monde, pour la première fois, la connaissance du Christ? C’est l’Église des temps apostoliques. C’est avec la tradition de cette Église que doit être confrontée la tradition de l’Église postérieure. Tenter de remonter au-delà de cette tradition, c’est substituer au Christ, que Dieu a voulu en fait faire connaître au monde, des « professores Christi », des clients, des professeurs, et asservir la conscience chrétienne des laïcs et la critique essentiellement conjecturale et subjective d’une nouvelle classe de scribes. Rappelons ici que Jésus s’est élevé contre la tradition des anciens, contre les commandements d’hommes quand cette tradition et ces commandements étaient en contradiction avec ce qu’il appelait la Parole ou le commandement de Dieu. Une religion qui n’aurait pas une Écriture sainte remontant à ses origines serait sans protection sérieuse contre les altérations du temps et sans instruments de réforme, si ces altérations se produisaient. Seuls les écrits restent.
À l’origine, dans l’Église, on pouvait se contenter, comme canon de la foi, de la Parole de Dieu de l’Ancien Testament, interprétée par les paroles du Seigneur, et de l’esprit apostolique et prophétique qui en gardait le souvenir vivant et enthousiaste. L’Église était fondée sur une parole de Dieu écrite, mais aussi sur une parole non écrite, la tradition des témoins du Christ; elle avait pour fondement les apôtres et les prophètes. Jésus-Christ était la pierre angulaire. La question est de savoir si, pour nous, hommes d’aujourd’hui, nous avons, pour juger de la nature de l’enseignement des apôtres et des prophètes de l’époque apostolique, une autre règle objective que les écrits de ces apôtres et de ces prophètes, et si ces écrits ont, pour nous, plus d’importance ou autant d’importance que les écrits de l’Ancien Testament eux-mêmes. La seule documentation écrite que nous possédions, ce sont les écrits incontestés du Nouveau Testament.
On objectera que nous posons un a priori de la foi, un a priori religieux. À cela, il faut répondre que c’est justement sur des a priori de ce genre que le Saint-Esprit appose le sceau de son témoignage sur notre âme. Placés entre deux abîmes, celui de la dissolution du christianisme par l’individualisme et l’abîme de l’altération irrémédiable du christianisme sous l’influence de déformations et de superstitions rebutantes sanctionnées par des magistères ecclésiastiques, nous nous engageons vers la seule issue qui s’ouvre devant nous, vers la lumière, et nous acceptons, avec les réformateurs, l’autorité canonique que les écrits incontestés du Nouveau Testament revendiquent implicitement ou explicitement comme écrits apostoliques ou prophétiques. C’est autant et plus que la raison, autant et plus que l’autorité de l’Église, le témoignage et la persuasion intérieure du Saint-Esprit qui nous y pousse irrésistiblement.
Les livres du Nouveau Testament présentent pour notre foi autant de valeur et plus de valeur que ceux de l’Ancien Testament, parce qu’ils émanent d’hommes dont l’inspiration ne cède en rien aux écrits de l’Ancien Testament; plus de valeur parce que nous acceptons l’affirmation de Jésus, conservée dans la tradition synoptique (Mt 11.11; Lc 7.28), d’après laquelle le plus petit prophète dans le Royaume des cieux est plus grand que le plus grand des prophètes de l’Ancienne Alliance. Jésus avait conféré aux apôtres cette inspiration. Le Paraclet devait enseigner toutes choses et rappeler tout ce que Jésus a dit. En tant qu’ambassadeurs, les apôtres doivent être reçus comme le Christ.
La question de l’inspiration des auteurs ayant été examinée dans un chapitre précédent, nous n’y reviendrons pas. L’Église chrétienne avait certainement des écrits prophétiques ou canoniques spécifiquement chrétiens dans les dernières années du premier siècle ou les toutes premières années du second, une Écriture sainte. Ce canon n’a pas été promulgué par un concile œcuménique, par une autorité extérieure distincte des auteurs sacrés, sinon le Nouveau Testament serait depuis des siècles tombé en poussière. Ces livres s’étaient imposés aux Églises au moins un siècle et demi avant que les conciles provinciaux aient constaté solennellement que l’état de fait correspondait à la reconnaissance de l’autorité de notre Nouveau Testament actuel. Substantiellement, le Concile de Laodicée en 363 (sauf l’Apocalypse) rigoureusement le Concile de Rome en 382 (2 et 3 Jean sont appelés « alterius joannis »), les Conciles d’Hippone en 393 et de Carthage en 397 ont reconnu notre canon actuel.
Ce ne sont pas les conciles qui ont fait le canon; le canon s’est fait de lui-même, par l’ascendant religieux, la puissance d’édification que renfermaient les écrits témoins de l’âge apostolique.
Après Eusèbe et avec Calvin, nous n’avons aucune hésitation à distinguer dans le canon un noyau résistant, les livres confessés et reconnus n’ayant jamais été contestés dans l’Église catholique : les quatre Évangiles, les Actes, treize épîtres de Paul, la première de Pierre et la première de Jean. Et nous recevons les autres, moins bien attestés historiquement, parce qu’avec Calvin nous reconnaissons la même source d’inspiration, la même majesté de l’Esprit que nous saluons dans les autres. Un accord si intime, si profond, que nous ne retrouvons nulle part ailleurs, nous permet de conclure qu’ils sont, comme les autres, avec leur cachet propre, des écrits prophétiques, des livres canoniques inspirés de Dieu. C’est là un jugement de valeur d’ordre religieux, mystique si vous voulez, que l’historien, en tant que tel, ne peut que constater l’existence, mais sur lequel il ne lui appartient pas de se prononcer.
L’individu, si grand ou si humble qu’il soit, peut pour tel livre, l’Apocalypse par exemple, ne pas reconnaître partout cette unité d’inspiration, que l’Église représentative dans un synode, comme celui de Paris en 1559, a reconnue et proclamée. Il devra se rappeler alors que la conscience individuelle, organe réceptif du témoignage du Saint-Esprit, n’a pas la même richesse que la conscience collective de l’Église, qui est aussi un organe réceptif du même témoignage. Celle-ci n’a aucune autorité juridique liant la conscience pour imposer une décision dont la force divine n’appartient pas à elle. Mais l’autorité morale d’un synode, toutes choses égales d’ailleurs, est incomparablement plus grande que l’autorité d’un individu.
L’idée du canon biblique découle de l’idée de l’inspiration divine. En matière religieuse, nous ne pouvons fonder notre foi que sur l’autorité de Dieu. Pour cela, ni l’inspiration générale des personnes ni même celle des faits ne sont suffisantes. Ce qui est nécessaire pour que l’Écriture soit vraiment une parole de Dieu, c’est une révélation intelligible et une inspiration organique; à cette double condition seulement, satisfaction peut être donnée aux affirmations des auteurs sacrés qui parlent de leur propre inspiration ou de celle des autres.
Par révélation intelligible, nous entendons la suggestion, par Dieu, d’une pensée intelligible, dans la forme qu’elle doit revêtir pour faire connaître Dieu comme Maître et Seigneur, comme Père et Sauveur; pour nous faire connaître aussi ce qu’il veut que nous fassions afin de lui rendre l’honneur qui lui est dû.