Dogmatique (5) - Le caractère scientifique de la théologie
Dogmatique (5) - Le caractère scientifique de la théologie
Le travail théologique consiste en une réflexion et une étude des sujets bibliques que la révélation nous fait connaître. Elle répond à ce qui pour notre foi chrétienne est l’ultime et l’absolu, la norme et la règle de notre foi et de notre vie. Le travail théologique, tâche intellectuelle de l’Église, est elle aussi alors la réponse que la foi donne à Dieu. Toutefois, elle a ses limites; comme toute autre science, elle n’est pas une discipline scientifique absolue. Bien que fondamentalement elle cherche à saisir les données, et toutes les données de la révélation, elle sera par ailleurs liée au temps et aux circonstances dans lesquels elle s’effectue. Le seul absolu c’est l’Écriture sainte. La théologie, elle, est sujette à des limitations; la réflexion individuelle du théologien doit forcément référer à elle ainsi qu’aux confessions de foi de son Église; néanmoins, elle peut, dans une certaine mesure, se permettre de réfléchir et conclure sur des points non essentiels, qui n’ont pas été soit explicitement déclarés par l’Écriture, soit adéquatement exprimés par les confessions de l’Église. Le théologien fera un pas plus en avant que l’Église, sans toutefois couper les amarres pour s’isoler de la communion de la foi et de la confession de l’Église chrétienne universelle, ainsi que de sa propre Église particulière.
Dans la culture où elle vit et les circonstances qui l’entourent, elle s’efforcera de discourir sur Dieu et sur tout ce que la révélation divine implique en un langage contemporain et selon les besoins nouveaux ou les questions nouvelles posées à la foi. Il est évident que la théologie du 17e siècle, notamment des pays anglo-saxons, et la piété des puritains sonneront certes non pas faux, toutefois incompatible avec un certain développement des conceptions modernes, du fait également qu’à l’heure actuelle les « questions » peuvent et doivent se poser autrement. La théologie ne reproduit pas servilement des formules anciennes, pas plus que le pasteur ne revêtira les vêtements sacerdotaux surannés d’une époque révolue! Par formule surannée nous n’entendons nullement les confessions de foi, mais la formulation personnelle, propre à une époque donnée, à une culture passée, à des temps dans lesquels le théologien a autrefois exercé sa vocation.
C’est ici que nous pouvons apprécier la distinction entre les sujets ou articles fondamentaux de la doctrine et les articles non fondamentaux. Le théologien peut opter soit pour le supralapsarianisme soit pour l’infralapsarianisme, selon les convictions auxquelles, dans son étude personnelle, il aura abouti. Mais ni l’une ni l’autre de ces deux doctrines, encore âprement controversées dans la théologie réformée, plus particulièrement chez les Anglo-saxons, et sans doute passablement du fait de la philosophie analytique anglo-saxonne, ne trouve explicitement de fondement biblique.
Nous insistons donc sur la nature toute relative de la tâche théologique. Notre connaissance est limitée. La clarté de l’Écriture que nous confessons ne s’applique pas à l’ensemble des divers aspects de la révélation, mais uniquement à notre connaissance et révélation originelle de la rédemption accomplie en Christ. Pour reprendre une excellente formule de Jean Brun, nous sommes « entre le nocturne, allant vers l’aurore seulement, sans avoir déjà atteint le diurne ». Saint Paul lui-même reconnaît que nous ne connaissons qu’en partie. Le péché et ses limitations qu’il impose n’épargnent pas le travail théologique. Aussi, nous devrons faire preuve de toute la prudence et l’humilité en affirmant des aspects secondaires de notre foi et même de la prudence pour ne point identifier nos « points de vue et interprétations » avec la vérité.
Nous adopterons le schéma suivant pour définir le caractère de la théologie :
1. La nature polémique de la théologie : la théologie répondra en critiquant l’hérésie qui déforme et trahit la révélation.
2. Elle devra prendre une distance par rapport aux problèmes soulevés. Elle évitera de tomber dans des débats passionnés et fiévreux, sans succomber à la rage des théologiens. On n’insistera pas sur un problème qui n’a pas de place prioritaire pour l’appropriation du salut. Par exemple, l’excessive préoccupation avec « l’assurance de son salut » trahit un certain anthropocentrisme, au lieu de la simple foi qui accepte la grâce. Une compréhension telle de l’assurance du salut relève davantage de la psychologie du sujet croyant que de l’œuvre du Saint-Esprit dans sa vie. Aussi légitime que fût l’angoissante question de Luther, « comment dois-je être sauvé? », elle avait surgi dans un milieu et dans une expérience dramatique propre au grand réformateur allemand. C’est pourquoi le soli Deo gloria de Calvin demeure à notre avis le motif central, et sa recherche, la tâche permanente de la foi active et obéissante de la théologie. Le soli Deo gloria déplace l’intérêt de « mon salut personnel » vers celui qui est Seigneur et Sauveur.
3. La théologie sera constructive, ou bien, si l’on préfère, reconstructrice. À chaque époque surgissent des questions nouvelles et des problèmes différents, soit d’ordre intellectuel soit de nature éthique; le théologien apportera des réponses de la foi fondées sur l’Écriture. Mais l’Écriture, rappelons-le, n’a pas des formules toutes prêtes pour des questions actuelles, si complexes. Elle n’est pas une collection de 25 144 versets bibliques dont on puisse tirer, parfois au sort (!), arbitrairement, pour ne pas dire avec des relents de « magie spirituelle », afin de parer au plus pressé ou de trouver une réponse entièrement satisfaisante concernant une affaire personnelle, toute triviale.
Signalons encore qu’aujourd’hui nous pourrions mieux comprendre certains passages de l’Écriture que n’ont fait nos prédécesseurs. Ceci n’est nullement l’équivalent d’un processus de révélation continuelle, d’une évolution du dogme telle qu’elle est comprise par la théologie romaine, mais simplement un approfondissement de la connaissance de la foi. Ainsi, si le Catéchisme de Heidelberg, par ailleurs excellent manuel de piété chrétienne, dit l’essentiel sur la doctrine de la rédemption, il n’est guère prolixe sur le Royaume de Dieu dans ses rayons non seulement intensifs, mais encore extensifs; pas plus que sur le témoignage chrétien dans le monde présent. D’où la nécessité pour la théologie d’entreprendre une réflexion constructrice si elle découvre un aspect nouveau de la révélation et des besoins de l’heure.
Comme chaque science donc, la théologie dogmatique s’occupe d’un certain objet sur lequel elle veut des affirmations valables pour tout le monde. Comme chaque science, elle veut trouver ses affirmations selon une méthode fixe que tout le monde peut contrôler. Elle peut dire quels sont les raisons et les arguments logiques qui l’amènent à telle ou telle conclusion. Étant science, elle aspire à des notions nettes, à des termes de sens précis, à une manière systématique pour exprimer et exposer ses résultats. Elle se servira alors d’une langue qui correspondra avec sa tâche scientifique, faisant des affirmations généralement valables concernant l’objet de son étude. Les résultats de la dogmatique ne sont pas destinés à un certain groupe d’hommes qui parleraient une langue spéciale. Ils doivent concerner chaque homme. Elle ne doit pas s’exprimer d’une manière qui la rendrait inutilement difficile pour certains de comprendre ce que le théologien a à dire.
Certains, notamment chez des croyants évangéliques biblicistes, n’admettent pas le caractère scientifique de la théologie. Les objections prétendent, entre autres, que la théologie est un événement historique particulier, ayant ses débuts à un certain moment et qui n’est pas encore achevé. Comment serait-il alors possible qu’un événement historique puisse faire des affirmations généralement valables? La théologie elle-même, comme l’arrivée du Christ, et donc l’existence du livre (la Bible qui témoigne de lui) n’ont pas leur fondement dans un ordre du monde, par conséquent ils ne peuvent relever du travail « scientifique ». L’incarnation ne pourrait être déduite de la nature de la création; elle est une réaction contre le péché qui n’est pas une conséquence nécessaire de la création.
Une deuxième objection consiste dans le fait que l’objet de la théologie dogmatique elle-même ne peut pas être généralement atteint par la raison. C’est pourquoi il ne s’appliquerait pas à elle, ce qui est caractéristique pour d’autres sciences qui doivent se servir d’un mode logique normal pour leurs recherches et investigations.
Ces objections révèlent plutôt le fait que la théologie dogmatique possède un caractère spécial, et qu’il n’est nullement illégitime de la tenir pour une « discipline scientifique ». Ce caractère spécial ne l’empêche pas d’être une science. L’objet de la théologie dogmatique a une signification générale, car il s’agit ici de l’acte de Dieu en Christ, de la Parole de Dieu dans la Bible. Certes, on ne peut pas démontrer logiquement qu’en Christ et dans la Bible nous avons la révélation de Dieu. Cependant, cette théologie ne s’occupe pas d’un objet dont la nature exclut sa connaissance par tous les hommes. La révélation divine peut être reconnue comme telle par le moyen de la foi par chaque homme, parce que Dieu veut qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse (Ph 2.11).
Toutefois, nous voulons insister sur le fait que la théologie dogmatique ne peut être reconnue et appelée science que du point de vue de la foi seule. Or, le fidèle reconnaîtra que cette science aspire à des connaissances généralement valables dont le refus doit être considéré comme péché! C’est une infraction au caractère divin et contraignant que de nier la possibilité d’une science qui s’occupe de la révélation divine.