Jean 2 - Les noces de Cana - Une puissance transformatrice
Jean 2 - Les noces de Cana - Une puissance transformatrice
« Trois jours après, il y eut des noces à Cana en Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus fut aussi invité aux noces, ainsi que ses disciples. Comme le vin venait à manquer, la mère de Jésus lui dit : Ils n’ont pas de vin. Jésus lui dit : Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi? Mon heure n’est pas encore venue. Sa mère dit aux serviteurs : Faites tout ce qu’il vous dira. Il y avait là six jarres de pierre, destinées aux purifications des Juifs et contenant chacune deux ou trois mesures. Jésus leur dit : Remplissez d’eau ces jarres. Et ils les remplirent jusqu’en haut. Puisez maintenant, leur dit-il, et portez-en à l’organisateur du repas. Et ils lui en portèrent. L’organisateur du repas goûta l’eau changée en vin; il ne savait d’où venait ce vin, tandis que les serviteurs qui avaient puisé l’eau le savaient; il appela l’époux et lui dit : Tout homme sert d’abord le bon vin, puis le moins bon après qu’on s’est enivré; toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent. Tel fut à Cana, en Galilée, le commencement des miracles que fit Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. »
Jean 2.1-11
C’est ainsi que l’évangéliste Jean conclut le récit appelé les noces de Cana. Durant celles-ci — un mariage oriental de l’époque — ce seront d’abord les notes d’une musique joyeuse que capteront nos oreilles. Ensuite, nous apercevrons ceux qui sont chargés de distribuer aux adultes les traditionnels vin et huile ainsi que des noix aux enfants. Voici enfin la mariée portant le voile nuptial. Partout, alentour de la maison, règnent une immense allégresse et un climat de réjouissances. Ici, ce sont des flambeaux allumés; ailleurs, on distribue des brindilles de myrte, ou encore des bouquets de fleurs. À l’approche du cortège, chacun se lève pour saluer l’épouse ou pour se joindre au groupe. C’est aussi un devoir quasi religieux que de vanter la beauté de la jeune femme, d’exalter sa modestie et d’énumérer toutes ses qualités. Arrivée au seuil de la maison qui désormais sera la sienne, elle y sera conduite par la main ferme et affectueuse de son fiancé. On prononcera une formule traditionnelle chez les juifs de l’époque telle que : « Prends-la pour femme selon la loi de Moïse et d’lsraël. » Ensuite, le couple sera couronné de guirlandes. Ce n’est qu’à l’issue de cette manifestation spontanée qu’on prononcera, avant le souper, que les coupes seront remplies (d’un vin certainement naturel, non trafiqué!) et que la prière de bénédiction nuptiale sera prononcée.
On peut aisément comprendre l’allégresse du couple, ainsi que celle des parents et amis…
Et voici que ce fut à la célébration d’une noce qu’on eut l’heureuse idée d’inviter Jésus, sa famille et ses disciples. Les préparations du festin commençaient parfois… un an auparavant. Voyez-vous, à l’époque, il n’y avait pas encore de « mariage en déclin », celui dont vous parle chaque semaine votre hebdomadaire illustré. Encore moins de ces mariages en catimini ou de ces concubinages à la mode du jour… On ne s’en prenait pas à l’officier civil; on n’en voulait pas au curé ni au pasteur « vieux jeu » de poser quelques questions aux fiancés, avant la célébration du mariage, et de leur parler des devoirs qui accompagnent un tel état. Depuis les noces de Cana en Galilée, on semble avoir fait du chemin, en matière de mariage libre et de cohabitation, même chez des chrétiens, qui se veulent affranchis de tous les tabous de grand-père.
Oui, sans doute a-t-on fait du chemin, mais dans quelle direction, je vous le demande? Lorsqu’on nous dit que le mariage ne concerne que le couple seul, nous nous posons bien des questions. Nous constatons, en tout cas, qu’on a fait beaucoup de chemin pour faire passer le simple accouplement pour l’acte du mariage, ce qui est plutôt la régression vers le naturalisme des temps préhistoriques, le retour à l’état sauvage…
Cette « modernité », qui veut briser tous les « tabous » et qui se moque du « mariage de papa » ou encore de « grand-maman », ce n’est qu’une avalanche — une de plus — qui emporte sous sa poussée dévastatrice non seulement l’élémentaire pudeur ou le minimum de décence, mais encore les assises de la vie du couple, de la famille et même de la société.
Ou’on se rappelle que le simple acte physiologique — ni même les sentiments, toujours fragiles — ne peut garantir ni la stabilité ni le bonheur du couple. Et je crois surtout que toutes ces nouvelles expressions de la fornication et de l’adultère sont une nouvelle façon de répudier celui qui est l’inventeur même du mariage et dont la Parole garantit aussi bien la stabilité que tout bonheur authentique, aussi bien pour la vie conjugale que pour le reste de la vie.
Je ne tiens pas à faire de mon exposé un autre sermon sur le mariage, et encore moins à découvrir dans le récit évangélique une illustration et un modèle de mariage parfaitement réussi. Mais je lis ce texte dans sa simplicité évangélique. Et là, à Cana de Galilée, j’aperçois la présence du Christ; celui qui n’est pas uniquement Jésus le Nazaréen, mais aussi la deuxième personne de la sainte Trinité, la Parole faite chair dont parle l’évangéliste dès la première ligne de son livre. Il est le Fils incarné de Dieu.
Comme tel, il est le Créateur de toutes choses et l’inventeur même du mariage. Il se trouve au milieu de cette fête non pour sanctionner légalement ce mariage ou le déclarer sacrement inviolable, mais comme un invité parmi d’autres, membre de la société à laquelle il appartient, pour entendre de la bouche même du couple ami l’aveu de leur engagement à vie dans les liens conjugaux « jusqu’à ce que la mort les sépare ». Couple qui solennellement déclarera, devant des témoins heureux, son amour et sa fidélité réciproques. Afin que la société apprenne que cette femme ici présente appartient désormais à cet homme ici présent, et qu’inversement, cet homme-là appartient à cette femme-ci.
Je ne veux pas trop insister là-dessus, tant la chose est évidente, mais j’avoue aussi que je profite de cette occasion pour rappeler une vérité élémentaire. Il s’agit bien de cet homme-ci et de cette femme-là; comme au début, lors de la création d’un couple sexuellement différencié, quand Dieu créa l’homme et la femme et donna Ève à Adam comme son épouse. De nos jours, il semble devenu presque normal, dans certains milieux, qu’Adam puisse épouser… Yves au lieu d’Ève! Croyez-moi, je ne plaisante pas, ces abominations arrivent, et en tant que chrétiens nous devons en être outrés, quelle que soit la propagande et les subterfuges auxquels se livrent certains groupes de pression afin de semer la confusion dans les esprits…
Revenons cependant à l’épisode de l’Évangile. Un incident fâcheux survient. On vient d’annoncer que le vin manque. Or, parmi les invités se trouve également Marie, la mère de Jésus. Elle s’approche de son Fils et lui signale la mini-catastrophe. Amis protestants, ne faisons pas à cet endroit de « l’anti-mariologie primaire ». Respectons cette femme véritablement exceptionnelle. N’a-t-elle pas été l’objet d’une grâce insigne? Choisie en vertu de la grâce du Très-Haut, qui fit d’elle la mère humaine de son Fils unique? Tous les signes du passé, tous les mystères entourant le fruit de ses entrailles, ne pouvaient laisser le moindre doute dans son esprit : avertie qu’une douleur indicible allait traverser son cœur, elle sait que son Fils est destiné à une mission messianique. Nourrissait-elle, comme tant de ses contemporains, le rêve d’une manifestation grandiose, mais terrestre, du Royaume? Je l’ignore; quoi qu’il en soit, elle cherche à provoquer l’intervention de Jésus, mais avant l’heure, d’une manière quelque peu intempestive.
Dans sa réponse, Jésus ne rabroue pas Marie; il l’appelle « femme », comme il l’appellera plus tard du haut de la croix, en la confiant aux soins de son disciple. Il ne lui manque pas de respect filial. Mais il y a une heure fixée pour son ministère et ce n’est que lorsque cette heure sonnera qu’il s’occupera « des affaires de son Père ».
À vrai dire, ce ne sont ni les noces comme telles ni même cette rencontre publique entre Jésus et sa mère qui occupent le centre de l’incident évangélique. Qu’il me soit permis pourtant de souhaiter qu’aussi bien ceux d’entre nous qui souffriraient d’une « anti-mariologie » primaire que ceux qui lui vouent le culte que l’on sait puissent s’inspirer du bel exemple de la mère de Jésus et dire comme elle : « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2.5).
C’est vers le Christ que nous porterons à présent toute notre attention, vers Christ, au milieu de ces réjouissances tout à fait légitimes. Et vers le miracle accompli : cette eau contenue dans six énormes jarres, changée en vin. Le terme grec « archè » que nous traduisons par « commencement », pourrait également signifier principe. Voilà, en somme, le type même du miracle que pour commencer Jésus accomplit à Cana, en Galilée.
Bien des siècles avant lui, un autre chef en Israël avait aussi transformé l’eau, mais c’était en sang : Moïse, se tenant devant le Pharaon impie, pour lui annoncer le jugement imminent. Christ, lui, la change en vin. C’est par lui que la grâce a surabondé. Mais ce qui nous surprend et nous émerveille plus encore que la quantité impressionnante de vin, c’est sa qualité. À présent, il y a un millésime déposé. C’est le début même de l’Anno Domini.
Partout où il se rendra, il y aura toujours grâce et joie, bonheur accordé aux sans-joie et aux miséreux, au lépreux purifié ou à l’aveugle recouvrant la vue, au possédé exorcisé ou à l’affamé apaisé; et surtout au pécheur repentant devenant l’objet du pardon et se trouvant réhabilité.
D’ordinaire, l’Église chrétienne médite ce passage de l’Évangile au début d’une nouvelle année. Elle a raison, car elle a saisi le pouvoir transformateur auquel le récit de Jésus rend un témoignage convaincant et saisissant. Elle sait que, pour elle-même comme pour tout homme, voire pour le monde entier, pour celui qui s’aligne sur le Christ et s’ancre dans la nouveauté de vie, ce pouvoir y opère, avec une étonnante actualité, le même principe rénovateur. La grâce du Christ fait de nos misérables existences des réalités transformées. Et l’eau changée miraculeusement en vin à Cana répond définitivement à la question angoissée parce qu’incrédule que se posait Jean-Baptiste Clamence dans La Chute d’Albert Camus : « Si tu veux changer et devenir un autre, le pourrais-tu? Non, n’est-ce pas, c’est impossible! »
Le miracle de Cana brise tout déterminisme psychologique, religieux, social et culturel. Il dit : tu peux changer; toi, mari tyrannique et irresponsable; toi, la mère captatrice ou l’épouse acariâtre; toi le fils dévoyé ou la fille délurée; toi l’alcoolique invétéré, toi le candidat au suicide… Vous pouvez tous changer. Le Christ a montré une fois pour toutes que nous ne sommes pas condamnés à rester les mêmes. Il n’y a pas que l’eau qui peut changer, mais encore les caractères les plus déplaisants. Des personnes naîtront miraculeusement à la nouveauté de vie.
Votre mariage peut changer. Ne vous précipitez pas vers l’avocat ou le juge de paix. Votre Église pourra changer; celle qui, sclérosée et fossilisée, ne boit plus le vin délicieux de Cana. Celle qui, dénaturée par le monde présent, s’enivre du vin trafiqué d’une mondanité pernicieuse. Du miracle jaillit une ample espérance pour tous.
Chrétiens, si nous sommes à la fois les témoins impuissants des misères innommables du monde, nous sommes également les bénéficiaires de la grâce transformatrice et de son pouvoir exceptionnel. Alors courage, sursum corda; haut les cœurs! Nous ne sommes pas impliqués dans un cycle tragique d’éternels recommencements qui ne changent rien, mais nous sommes, par la grâce du Fils, une nouvelle création.
Lui, qui était au commencement, par qui a été fait tout ce qui existe et sans lequel rien de ce qui existe ne serait, fit à Cana de Galilée le premier miracle terrestre, modèle de tous ceux qu’il accomplira par la suite.
Avec l’Église universelle, c’est sa gloire que nous adorons. C’est en lui que nous croyons, et comme les disciples du premier jour, comme Marie sa mère, nous dirons au monde confus, désemparé, se précipitant vers sa totale perdition : « Faites tout ce qu’il vous dira. »