Le Dieu trinitaire
Le Dieu trinitaire
« Je crois en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. » Qui ne connaît, pour l’avoir entendu ne serait-ce qu’une fois dans sa vie à l’occasion d’une cérémonie religieuse, cette formule trinitaire? Elle est, au regard de la foi, la pulsion même de la vie du chrétien. Sans elle, il n’y a pas de foi; car il n’existe pas d’autre Dieu que le Dieu trinitaire. C’est elle qui fait la différence entre notre foi et les religions non chrétiennes.
Le Dieu que je confesse n’est pas un être vague, indescriptible, plus ou moins connaissable, spécimen à analyser que l’on disséquerait ou que l’on traiterait selon ses propres idées, selon les caprices de son humeur. Le Dieu de la Bible et de l’Église universelle refuse de se laisser traiter de cette manière-là. Il n’entend surtout pas que l’on pose à son sujet la sempiternelle et débile, sinon impie question : Dieu existe-t-il? Vous pourriez poser ce genre de question à propos du tilleul qui pousse dans votre jardin, ou bien au sujet des étoiles non explorées pour l’instant. Quant à Dieu, celui qu’avec les générations du passé je confesse comme le Dieu trinitaire, il vous faut le reconnaître tel qu’il se révèle : c’est-à-dire comme Père, Fils et Saint-Esprit.
Ceux d’entre vous qui sont familiers avec le Symbole des apôtres — credo de l’Église chrétienne — se sont rendu compte que cette confession de foi est construite autour du thème trinitaire. Les douze articles qui la composent se répartissent en trois sections : d’abord le Père, ensuite le Fils, et puis le Saint-Esprit.
La forme définitive du Credo a été donnée après plusieurs siècles de réflexion. Au début, il était assez simple. Confrontés à toutes sortes de défis et de dangers menaçant leur foi, les chrétiens se sont rendu compte de la nécessité de formuler une foi précise, aux contours bien définis.
Le Symbole des apôtres nous est parvenu de la fin du 6e siècle. Deux autres symboles chrétiens, celui de Nicée-Constantinople et celui dit d’Athanase — du nom du célèbre défenseur de la foi — sont également construits autour du thème trinitaire. C’est dire toute l’importance que les chrétiens ont attachée à l’enseignement biblique. C’est lui qui fait d’ailleurs que la foi de l’Église soit universelle, car le message qu’elle confesse possède un caractère universel.
La grande majorité des penseurs et des théologiens chrétiens ont formulé ainsi à la suite de l’Église primitive la doctrine qu’elle était appelée à enseigner et à transmettre. Je pense très particulièrement à l’un des plus grands et des plus prestigieux d’entre eux : le Français Jean Calvin. Dans son Institution de la religion chrétienne, au livre I et au chapitre 13, Calvin écrivait ce qui suit :
« Mais encore, nous trouvons là une autre marque spéciale pour discerner Dieu d’avec les idoles. Car il se propose tellement pour un seul Dieu, qu’il s’offre pour être contemplé distinct en trois personnes, lesquelles si nous ne regardons bien, il n’y aura qu’un nom vide de Dieu, sans vertu ni effet, voltigeant nos cerveaux. Or, afin que nul ne songe à un Dieu à trois têtes, ou triple en son essence; ou bien qu’il ne pense que l’essence de Dieu qui est tout à fait simple, soit partagée et déchirée, il faudra ici chercher une brève définition et facile, pour nous garder de toute erreur. »
La Confession de la foi de La Rochelle des Églises réformées en France, dans son article 6, parle aussi de la Trinité.
« Cette Écriture sainte nous enseigne qu’en la seule et simple essence divine que nous avons confessée il y a trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. […] Les trois personnes de la Trinité ne sont pas confondues, mais distinctes. Elles ne sont pourtant pas séparées, car elles possèdent une essence, une éternité, une puissance identiques et sont égales en gloire et majesté. Nous acceptons donc, sur ce point, les conclusions des Conciles anciens, et repoussons toutes les sectes et hérésies qui ont été rejetées par les saints docteurs… »
Le célèbre Catéchisme de Heidelberg répond de son côté à cette question : « Parce que Dieu s’est révélé de telle manière dans sa Parole que ces trois personnes distinctes sont le seul Dieu vrai et éternel. »
Sans doute l’avis des saintes Écritures est-il bien plus important encore que l’avis des théologiens. C’est à lui qu’à présent nous accorderons notre attention.
Reconnaissons que nous aurions du mal à trouver le mot Trinité dans la Bible. À vrai dire, ce terme a été forgé à la fin du 2e siècle par Tertullien, l’un des célèbres docteurs de l’Église de cette période.
Pourtant, si le terme est absent, l’idée de la Trinité est partout présente dans les pages de l’Écriture. Le Dieu trinitaire est constamment opposé à toutes les idoles produites par l’imagination perverse des hommes. Certes, la foi de l’Ancien Testament est une foi monothéiste, mais en un sens, elle est toute autre que celle des religions dites monothéistes, qu’il s’agisse de l’islam ou même du judaïsme actuel. À la vérité, ces deux religions sont de nature « unitarienne ». S’il nous venait à l’esprit de rejeter le Dieu trinitaire, il nous faudrait en même temps refuser toute la révélation biblique.
L’idée de la Trinité apparaît progressivement. D’abord, et face à la multitude des idoles, c’est l’unité absolue de Dieu qui est affirmée dans les pages du vieux Testament (voir par exemple Deutéronome 6.4, mais aussi Genèse 1.26 et 3.32 qui emploient le pluriel en parlant de Dieu). Le Psaume 33 laisse entendre encore plus clairement la nature trinitaire de Dieu. Le Père est la personne principale; le Fils fait l’objet des promesses; le Saint-Esprit est rappelé occasionnellement, mais sa présence ne fait aucun doute.
Ce sont les pages du Nouveau Testament qui accentuent la révélation du Dieu trinitaire. Si des références directes y font défaut, les fonctions et les œuvres de chacune des trois personnes ne laissent planer aucun doute. L’Évangile selon Matthieu nous offre l’un des plus éloquents témoignages à ce sujet (chapitre 3, le récit du baptême de Jésus).
La prédication des apôtres, notamment celle de Pierre le jour de la Pentecôte, ne saurait se comprendre sans être placée dans le cadre de la foi au Dieu trinitaire. L’apôtre Paul y a contribué en présentant des formules trinitaires lors de ses salutations et de ses bénédictions.
Cette exposition assez sommaire de l’enseignement biblique et le rapide survol de l’histoire de l’Église sont, certes, insuffisants pour permettre de saisir en quelques instants ce mystère de notre foi. Je conçois qu’il puisse surgir de nombreuses questions, mais certaines sont inutiles et par conséquent ne méritent pas de retenir notre attention.
Le non-chrétien peut conclure à la légère que nous sommes en pleine contradiction, faisant une sorte d’impossible gymnastique arithmétique; c’est-à-dire affirmant que Dieu est un et trois dans « le même sens ».
Des questions plus sérieuses se posent aussi aux chrétiens. Quelle est en effet cette énigme à laquelle le simple fidèle ne parvient pas à trouver de solution? S’agit-il d’un jeu intellectuel auquel des théologiens aiment s’adonner? Est-ce un thème pour penseurs profonds? Ou bien un jeu amusant pour ceux qui aiment couper les cheveux en quatre? Le simple membre de l’Église, le jeune catéchumène, le néophyte doivent-ils s’efforcer de comprendre ce mystère ou bien en laisser l’explication à ceux dont le métier consiste à « compliquer » les choses?
Je tiens à rappeler que ce terrain est sacré et qu’il convient d’aborder ce sujet avec respect et recueillement.
Croire au Dieu trinitaire est de la plus haute importance pour la pratique de la foi. La Trinité est bien un mystère, mais pas une contradiction. Si Dieu n’est pas trinitaire, alors Jésus-Christ n’est pas Dieu, par conséquent il n’a pu me sauver, vaincre la mort et m’accorder la vie éternelle. Si Dieu n’est pas trinitaire, le Saint-Esprit n’est qu’une force psychique, mais non la présence de Dieu en nous. Dans ce cas, pourquoi fêter Noël puisqu’il n’y a pas eu d’incarnation? Pourquoi célébrer la Pentecôte puisque ce n’est pas le Saint-Esprit qui est venu remplir son Église? J’ajouterai encore : à quoi bon me faire baptiser au nom du Père, du Fils et de Saint-Esprit? Quelle valeur peut revêtir un tel acte si je n’ai aucune assurance que Dieu s’est engagé pour moi? Je sais combien il est difficile de parler de la Trinité, et cela peut sembler encore plus difficile qu’autrefois depuis que des théologiens farfelus ont prêché la mort de Dieu. Pourtant, il n’est ici question ni de courage ni de mode, mais de simple foi pour confesser le Dieu trinitaire.
Une illustration bien simple pourrait nous aider à comprendre ce que nous confessons; je l’emprunte au catéchisme d’un pasteur.
« Un prisme de verre transparent taillé dans une même substance, le verre, nous percevons trois faces distinctes. Toutes les trois sont indispensables pour constituer le prisme, chacune d’elles étant taillée dans la même substance que ses voisines. Seul le prisme tout entier a une “individualité” et constitue une “chose”. Les faces n’en ont aucune, elles ne sont pas des choses, mais elles ne sont pourtant pas dénuées de “personnalité” puisqu’on peut parler distinctement de chacune d’elles, les nommer respectivement et étudier leurs propriétés géométriques particulières. En outre, à travers chacune d’elles, on aperçoit les deux autres et l’on voit le même prisme. »
C’est aussi simple et aussi indispensable quant à la foi. Cette doctrine fonde et rend possible notre vie. Grâce à elle, nous possédons l’assurance de la bénédiction de Dieu.
Parvenus au terme de ce chapitre, voulez-vous, dans la foi, recevoir la bénédiction du Dieu trinitaire? La voici, pour celui qui croit seulement : « Que la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu le Père, la communion du Saint-Esprit soient et demeurent avec vous. » Amen.