L'enseignement de Jésus
L'enseignement de Jésus
Nous connaissons presque tout ce qui concerne l’enseignement de Jésus : les thèmes dans leurs grandes lignes, un grand nombre de détails et, bien entendu, le pittoresque d’un style tout à fait exceptionnel, inimitable.
Certains théologiens ont même pu l’inventorier d’un bout à l’autre pour le réduire souvent, hélas!, avec (ou sans) la meilleure intention, en formules classifiées et en classifications figées, où fait défaut la grande Parole de vie. Certains se sont livrés à des travaux de fouilles dans ce domaine pour y « découvrir », entre plusieurs couches successives, des fragments considérés comme originaux et d’autres, considérés comme « surajoutés » (pour embellir ou pour falsifier) par la tradition. On veut ainsi distinguer ce qui, aux yeux du savant, serait authentique et ce qui demeurerait inaccessible à la recherche historique, ce qui resterait invérifiable à jamais.
Ainsi, le message de vie et de salut de celui qui parla comme nul autre n’a parlé a été matériellement, « littéralement », domestiqué, a été trafiqué de façon peu honorable, c’est le moins qu’on puisse dire. Même la technique moderne a été appelée à la rescousse pour ces manipulations, puisque les services d’un ordinateur ont été requis pour déterminer quels mots pourraient être attribués au discours « originel » de Jésus et ceux qui seraient prêtés au Maître par la communauté naissante.
Sans vouloir faire de l’ironie facile, disons tout de même que « le plus bel ordinateur du monde ne peut donner que ce qu’il… reçoit ». Si nous lui demandons une information sur tel ou tel sujet, il nous rendra des résultats en accord avec le code que nous lui aurons imposé. C’est chose facile, d’après ses propres présuppositions philosophiques et religieuses, de décider ce qui est valable et de jeter dans les poubelles théologiques ce qui serait superflu. Rien ne s’oppose à une lecture et à une étude scientifique des textes des Évangiles. De là à fonder des écoles qui, elles-mêmes, sont fondées sur des hypothèses aux multiples a priori, il y a un monde, et il convient d’être plus que prudent. Il faudrait même y être réfractaire, et ceci à bon escient. Faut-il opter entre la « Formgeschichtliche Schule » ou choisir la plus récente « Redaktiongeschichtliche Methode »? À moins que le vent délirant qui souffle actuellement ne vous précipite dans les bras d’un aberrant structuralisme…
Toute manipulation de textes anciens, qu’ils soient bibliques ou profanes, nous répugne, car elle n’offre aucune garantie d’objectivité scientifique, même de la part de ceux qui font profession de rendre ces textes intelligibles à l’esprit des profanes. S’agissant des textes du Nouveau Testament nous devrions crier halte à tous ces dépeçages de la Parole de vie, à toute « décomposition-recomposition » de l’Évangile. Ils finissent par démolir la foi, même si, heureusement, ils ne peuvent atteindre et annuler le message qui fonde la foi.
Comprendre le contenu des discours de Jésus-Christ pose une condition préalable : celle de reconnaître son autorité (voir Mc 1.22). Le mot, j’en conviens, n’est pas populaire de nos jours. Il est même tombé en désuétude, il est en pleine « érosion », comme on dit aujourd’hui. « L’autorité » évoque la restriction des libertés individuelles, l’obstacle à l’émancipation de l’homme. Il est plus que probable que si Jésus venait se présenter au milieu de nous pour nous parler avec la même autorité que jadis, il trouverait un accueil froid si ce n’est franchement hostile. Il s’aliénerait même ses plus enthousiastes admirateurs modernes, ceux qui parfois crient à la face de l’Église : « Rendez-nous Jésus! » Ils risqueraient peut-être même de se mettre soudain à vociférer : « Nous ne voulons pas de cet homme et de son autorité! » Il y eut, on s’en souvient, un triste précédent un jour inoubliable, lorsqu’une foule déchaînée, menée par des démagogues, demanda la mort du Fils de Dieu.
Ainsi, paradoxalement, ceux qui évoquent son nom et s’abritent derrière « l’autorité morale » de l’enseignement de Jésus pour justifier et fonder leur violence et leurs excès, le tenant pour le prototype même du révolutionnaire, font complètement abstraction de l’ensemble de l’enseignement de Jésus et de l’autorité réelle avec laquelle il prononçait ses discours sur la pureté sexuelle, sur l’indissolubilité du mariage, sur le pardon des offenses et sur l’annonce d’un Royaume transcendant et éternel.
Que Jésus ait parlé avec autorité sur la providence comme sur la création, sur Dieu en tant qu’Être vivant et personnel, le Père de ses enfants, son propre Père, voilà ce dont aucun lecteur, même le plus candide, ne pourrait douter. L’autorité morale de Jésus a dressé parmi nous une échelle de valeurs unique et universelle, tant pour servir aux grands et aux forts que pour guider les pauvres et enseigner les opprimés. L’enseignement « autoritaire » de Jésus ne supporte pas deux sortes d’accueil : enthousiaste lorsqu’il conforte nos opinions ou farouchement réfractaire lorsqu’il incommode nos élucubrations insensées.
Accepter l’autorité de l’enseignement de Jésus exige la conversion de nos intelligences, une véritable repentance (« métanoia »). Le terme intelligence est pris au sens de notre esprit, voire de toute notre personne. La chute a produit des effets noétiques certains. Notre intelligence en est affectée autant que nos sentiments et notre volonté. Mais lorsque nous nous plaçons par la foi au bénéfice de sa rédemption et que nous nous fions au témoignage intérieur que son Esprit rend à nos esprits, lui, sa personne et son œuvre, ses discours et sa seigneurie seront pour nous le chemin, la vérité, la vie.
L’Évangile selon Marc rapporte l’une des premières scènes de son ministère public. La foule qui l’écoutait, étonnée, avait aussitôt établi la différence essentielle entre lui et les scribes. Pourtant, ces derniers étaient des interprètes attitrés de la synagogue et des experts compétents. Ils jouissaient d’une réputation justifiée non seulement de théologiens, mais encore de juristes. Près de mille ans de tradition faisaient d’eux des maîtres d’une compétence incontestée. Mais ce qu’ils appelaient dans leur enseignement « les affaires de Dieu » n’était, en réalité, qu’ergotage juridique et disputes d’interprétation. Ils déclaraient, expliquaient, appliquaient. Leur instruction n’était qu’un exercice de mémorisation. Ils n’auraient jamais osé crier à la manière des prophètes : « Ainsi parle le Seigneur. »
À vrai dire, Jésus n’apportait aucun élément religieux révolutionnaire, inédit. Lui aussi, il s’inspirait directement de la révélation de l’Ancien Testament. D’où lui venait-elle, son autorité? Serait-ce d’un pouvoir séducteur tel qu’il aurait subjugué ses auditeurs? Ce pouvoir-là se trouve dans l’arsenal de nombre de prédicateurs charlatans, rompus aux mille ressources des artifices du langage. L’autorité de Jésus et la nature de sa personne sont donc liées. L’une découle de l’autre. La seconde seule explique la première. Ceux qui jadis le rencontrèrent sur les chemins de la Judée ou en territoire syro-phénicien, et ceux qui, de nos jours, nombreux encore dans l’Église chrétienne, reconnaissent en lui la personne unique dans la confession universelle de la foi, déclarent : « Jésus Dieu et homme ». Lorsque Jésus de Nazareth, le prophète de Galilée, parlait, Dieu en personne, et pour être plus précis, la deuxième personne de la Trinité, s’adressait aux hommes.
Aussi, il est absolument insensé de chercher dans les Évangiles les traces d’un Jésus de l’histoire qui ne serait pas simultanément le Christ de la foi. Une telle schizophrénie intellectuelle sied parfaitement aux spécialistes de la négation, mais répugne aux disciples, témoins « du seul nom donné sur la terre et dans les cieux » (Ac 4.12). « Celui qui m’a vu a vu le Père », déclarait Jésus (Jn 14.9). Et cette formule à laquelle il a constamment recours, n’est-elle pas une preuve supplémentaire de ce qu’il affirme être? « En vérité, en vérité je vous le dis… »
Ce rabbi (maître) juif du premier siècle de notre ère est la Parole de Dieu, son Logos, la raison divine devenue chair, « pour nous et pour notre salut ». Jésus s’est servi de son autorité pour éclairer, approfondir et appliquer le contenu de l’Ancien Testament. Juge universel, il annonce le pardon des offenses à quiconque croit et se repent. Au brigand mourant sur la croix à l’heure même où le Sauveur agonise, l’autorité de sa Parole promettait déjà l’accès au Royaume.
Ses phrases redoutables contre les hypocrites sont revêtues d’autant d’autorité que ses paroles consolatrices : au « Éloignez-vous de moi, vous, ouvriers d’iniquité » (Mt 7.23), succède l’autorité divine et humaine de celui qui, par sa seule parole, expulsa des démons, apaisa les éléments déchaînés de la nature, guérit les malades, redonna la vie aux cadavres…
Parler de l’autorité de l’enseignement de Jésus c’est poser la question essentielle : « Qui dites-vous que je suis? » (Mt 16.15). L’Évangile selon Marc, dont nous évoquions l’incident relaté, introduit son livre par les mots suivants : « Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu » (Mc 1.1). Le Christ est non seulement l’annonciateur de la Bonne Nouvelle, il est la Bonne Nouvelle en personne.
Nous avons reconnu son autorité contre toute autorité usurpatrice; celle des pouvoirs publics, celle d’une culture athée, voire celle d’une fausse Église et de théologies ventriloques. À présent, comme jadis à Capernaüm, comme lors de la Réforme du 16e siècle, comme depuis vingt siècles, ne compte pour nous que l’autorité de la Parole du Fils unique incarné de Dieu. Elle réclame pour lui toute notre personne. Elle a droit à notre acquiescement. Nous avons un choix à opérer : ou bien lui, ou bien le mensonge aux multiples visages, aux multiples facettes, qui peuplent notre monde et qui le sapent, le corrompt et le détruit…