La loi dans l'Ancien Testament
La loi dans l'Ancien Testament
Il n’entre pas dans notre intention de présenter dans le présent chapitre un aperçu exhaustif de la loi ni d’entreprendre un examen de vocabulaire des différents termes hébreux traduits en français par « loi ». Il ne manque pas d’excellents dictionnaires bibliques ni de brèves introductions à la Bible, ainsi que certaines monographies qui pourront rendre de bons services aux chercheurs. Notre propos ici, comme dans les chapitres suivants, est de montrer l’esprit de la loi biblique sans prétendre offrir au lecteur une étude systématique. Qu’il nous soit permis de mentionner, en français et faute de mieux, le Vocabulaire biblique (Delachaux et Niestlé, 1954) qui contient un article signé par F. Michaeli pour l’Ancien Testament et J.L. Leuba pour le Nouveau Testament. Dans l’ensemble, le lecteur profitera de ces « entrées ». Une autre étude de Frank Michaeli nous aidera également à saisir cet esprit de la loi dans l’Ancien Testament.
1. Généralité⤒🔗
« Si l’Ancien Testament raconte une histoire, un certain nombre de ses chapitres n’ont cependant pas un caractère historique, mais contiennent des ordonnances et des lois qui concernent les différents domaines de la vie du peuple de Dieu. Des passages entiers sont législatifs et présentent des prescriptions relatives au culte, aux prêtres, aux sacrifices, aux rapports des hommes entre eux, aux règles de la vie sociale, aux sanctions prévues en cas de violation de ces usages. […] Naturellement, ces lois ne sont pas en dehors de l’histoire biblique; elles en font étroitement partie; elles correspondent à des époques précises et à des hommes bien déterminés.1 »
Trois groupes de collections consacrées à la loi, à son enseignement et à son observation ont été distingués à côté des passages ou de groupes de passages plus courts, notamment dans le livre des Psaumes.
1. Le livre de l’alliance. C’est une large collection d’écrits relatifs à l’attitude morale et religieuse que le Seigneur attend de la part de son peuple et qui possèdent un trait technique plus prononcé que certains autres textes ou petites collections (Ps 15.2-5; 22.4-6). Cette collection se trouve dans les chapitres 21 à 23 du livre de l’Exode.
2. Le code dit deutéronomique (Dt 12 à 25) est plus développé que le précédent. Il est probable que nous avons, dans cette collection, le livre de la loi qui a donné lieu au grand mouvement réformateur du temps du jeune roi Josias (fin du 7e siècle avant Jésus-Christ). De l’avis unanime des spécialistes, il s’agit bien d’une collection, dont les prescriptions trahissent un caractère déjà ancien.
3. La loi de la sainteté. Cette « compilation », dans le Lévitique (chapitres 17 à 26), comporte un grand nombre de prescriptions morales et rituelles très importantes, centrées autour du Tabernacle. La sainteté rituelle comme la sainteté morale sont tenues comme les traits essentiels qui doivent distinguer la nation d’Israël, dont la délivrance d’Égypte et son alliance avec Dieu firent la propriété de Yahvé. Parmi les prescriptions se trouve un grand nombre de violentes critiques dressées contre les pratiques religieuses cananéennes et, d’une manière générale, contre la culture païenne environnante. Les mots clés sont ici : « Vous serez saints, car je suis saint » (Lv 19.2).
« Le vocabulaire employé pour parler de la loi ou des commandements de Dieu est riche en expressions […] et nous laisse entrevoir un nombre de mots différents, que nos traductions s’efforcent de respecter : lois, ordonnances, commandements, statuts, paroles, sentences, préceptes, voies, etc. Il y a deux catégories de mots, dont le sens explique le double point de départ du droit israélite. Les mots comme “michpath” (du verbe “chapat”), juger, administrer, qui désignent les usages et coutumes ayant acquis force de loi et correspondent au droit usuel, et les mots comme “dabar”, parole, “mitsvah”, ordre, et surtout “torah”, loi, qui s’appliquent à une loi venant d’une autorité supérieure, à un ordre, à une décision d’un chef ou de Dieu. Parmi ces termes, celui de “torah” est le plus caractéristique et c’est lui qui résume l’ensemble des notions relatives à la loi.2 »
Nous ferons donc observer que « torah », qui est traduit par « nomos » dans la version grecque des Septante et par « loi » dans nos versions françaises, ne signifie pas loi au sens moderne du terme. La loi, torah, est d’abord une parole vivante prononcée par un personnage pour transcrire une norme éternelle, une instruction reçue de Dieu, un ordre pour une situation donnée, et le pluriel indique le caractère concret et invariable d’une telle instruction.
« Les personnages chargés de la transcrire et de la transmettre sont les prophètes (És 1.10; 5.24; Mi 4.2; Jr 6.19), des prêtres (Os 4.6; Jr 2.8; Dt 17.9,11). Les prophètes menacent plus particulièrement ceux qui, prêtres ou prophètes, ou prétendument tels, donnent leurs propres instructions sans qu’ils les aient reçues de la part de Yahvé (Jr 2.8; Éz 22.26; So 3.4, etc.). La torah est un enseignement, un oracle de Dieu et les paroles des prophètes sont reçues sous l’inspiration directe de Dieu. C’est une ordonnance que Dieu donne aux hommes au cours d’une révélation précise, dans un temps et un lieu donné. […]
Dans le sens le plus exact du terme, la loi est une Parole du Dieu vivant qui intervient dans la vie de son peuple, qui le conduit, le sauve, l’aime et attend de lui une obéissance fidèle à ses ordres. Elle est un enseignement qu’Israël doit recevoir comme des préceptes à observer, certes, mais aussi comme les promesses faites par Dieu, dans sa bonté, au peuple qu’il s’est choisi, afin de faire éclater devant les autres nations sa souveraineté absolue. Il y a un don de la loi qui est une grâce de la part de Dieu, car selon le mot devenu célèbre dans l’histoire de l’Église “Dieu donne ce qu’il ordonne”. Loin d’être un commandement pénible et théorique, la loi de Dieu est l’expression de l’amour du Seigneur pour les siens, et par conséquent devient pour eux un sujet de joie (Psaumes 1, 19, 119). Si on comprend bien ce caractère vivant de la loi de l’Ancien Testament et si l’on y trouve les paroles que Dieu a données à son peuple tout au long de son histoire, on ne sera pas surpris de rencontrer dans les textes des différences importantes entre tel ou tel commandement.3 »
L’influence de la torah sur la vie du peuple élu fut considérable, même les prophètes déplorent souvent la négligence de son observation. D’une manière générale, celle-ci se présente sous deux formes : l’une orale, l’autre écrite. Ce sont les verbes employés à propos de la torah qui indiquent si celle-ci est considérée comme une instruction orale ou écrite. L’instruction orale est présupposée par des formules telles qu’enseigner l’instruction (Ex 18.20), l’écouter (És 42.24), l’oublier (Os 4.6), la mépriser (És 5.24), la violer (Os 8.1). D’autre part, les phrases suivantes désignent la loi écrite : observer, garder la loi (Ps 119), marcher selon la loi pour régler sa vie selon ce qu’elle dit (Ex 16.4; Ps 78.2; 2 Ch 6.16). On ne peut parler de la loi comme d’un concept uniforme. Le terme torah est considéré comme la partie prise pour l’ensemble.
On peut également signaler qu’on a distingué essentiellement trois types de lois dans l’Ancien Testament : (1) casuistique, lorsqu’il s’agit de gérer ou d’administrer la justice, par exemple aux portes de la ville; (2) apodictique ou catégorique, qu’on relève dans un texte comme par exemple Exode 21.1, où il s’agit d’un ordre donné dans le cadre de la communauté cultuelle; (3) enfin, règle purement cultuelle, développée par le soin des prêtres.
Dans tous les cas, la loi fait partie de l’alliance. Elle réglera la vie de ceux qui furent libérés et, à cet égard, notons que le premier commandement du Décalogue montre et fonde les neuf suivants.
Certains livres historiques, tels que Juges, 1-2 Samuel, 1-2 Rois, représentent l’histoire du peuple élu du point de vue de l’observation ou de la négligence de la loi. L’observation de celle-ci assure la prospérité matérielle du peuple; sa négligence cause des calamités de tous ordres.
Dans le livre des Proverbes, la loi est considérée comme une instruction accordée par un homme sage, et la sagesse de la torah assure ici également le bonheur de celui qui l’observe. C’est donc ce contenu spirituel qui explique que la traduction du terme par « nomos » en grec ou « loi » en français ne rend pas justice à l’idée et au contenu de l’original hébreu. La torah émane d’un Dieu miséricordieux, celui qui, dans sa bonté et sa sagesse, instruit son peuple. Ce fut donc une mauvaise interprétation de la loi, considérée comme un système juridique rigide, qui engendra le légalisme post-exilique aboutissant à l’hypocrisie des pharisiens de l’époque de Jésus. La loi devint alors une prescription négative, impersonnelle et aveugle.
« Si on comprend le caractère vivant de la loi dans l’Ancien Testament et si l’on y trouve les paroles que Dieu a données à son peuple, on ne sera pas surpris de rencontrer dans ces textes des différences importantes entre tel ou tel commandement. Ce serait une erreur que de vouloir les mettre tous sur le même plan et de leur attribuer une autorité identique. Il y a des lois de Dieu qui ont une autorité telle qu’elles dépassent les circonstances dans lesquelles elles ont été prononcées ou formulées. Les dix commandements étaient destinés au peuple dans le désert, mais, au-delà de ce temps et de ce lieu, ils restent à travers des siècles l’expression éternelle de la volonté de Dieu. Nous avons raison de les considérer comme l’un des textes essentiels de la foi et de la vie chrétiennes. […]
D’autres lois émanant du même Dieu et ayant la même autorité concernaient des circonstances particulières qui sont maintenant derrière nous, dans le passé. Il en résulte que ces paroles de Dieu ne s’adressent plus à nous aujourd’hui de la même façon qu’aux Hébreux, et on aurait tort de les mettre en parallèle avec les dix commandements. […] Une image nous aidera à le comprendre. Un père peut dire à son fils de dix ans : “Tu ne mentiras pas, ou tu ne voleras pas.” Ces paroles gardent leur valeur immuable, quel que soit l’âge de l’enfant et de l’homme qu’il deviendra. Mais il peut lui dire aussi : “Tous les mardis tu apprendras ta leçon de géographie.” Cet ordre, ayant la même autorité paternelle, ne concerne que l’époque où l’enfant, âgé de dix ans, devra remplir ses devoirs scolaires quotidiens, mais n’aura plus la même portée dans deux ans, ou dix ans plus tard, parce que l’enfant ne sera plus dans les mêmes circonstances de vie et de travail.4 »
Résumons à présent, en conclusion, la fonction de la torah :
Elle est le témoignage rendu à l’autorité suprême et absolue de Dieu dans la vie de son peuple (et par le moyen d’autres lois, son autorité sur les nations et sur l’univers tout entier). Elle est le témoignage rendu à l’Alliance de grâce que Dieu conclut avec son peuple particulier. Elle contient une vérité, un enseignement dogmatique, en faisant non seulement connaître la loi de Dieu, mais encore en instruisant et en appelant à la mise en pratique de tout ce qu’elle dit.
Elle s’étend à tous les domaines de la vie religieuse, culturelle et quotidienne du peuple. Puisque Dieu règne souverainement sur lui, nous remarquons à cet égard que l’Ancien Testament, en général, et les « collections » de lois (Lévitique, Deutéronome) en particulier, ne distinguent nullement entre vie religieuse ou cultuelle et vie profane, ainsi que cela s’est fait, hélas, dans l’Église chrétienne, sous l’influence de notions parasitaires grecques dualistes ou gnostiques, etc.
Le but de la torah est de conduire le peuple dans le concret de son existence pratique. Loin d’être une notion abstraite, une spéculation théorique, elle engage à l’action sous la forme personnelle d’exhortation, d’appel visant le cœur ou adressé à l’intelligence. D’où ce passage remarquable du livre du Deutéronome qui, au lieu d’être une collection de sentences juridiques, se présente sous les traits d’une longue prédication; sans oublier toutefois le caractère souvent négatif de certaines prescriptions (par exemple dans le Décalogue).
Finalement, autre trait signalé par le Vocabulaire biblique, il est impossible de séparer l’individu de la collectivité lorsqu’on cherche à connaître à qui s’adressent ces lois. L’alternance du « tu » et du « vous » montre que ce qui est vrai pour le peuple l’est aussi pour chacun de ses membres, et réciproquement.
2. L’attitude des prophètes←⤒🔗
On a prétendu, à tort pensons-nous, que les prophètes de l’Ancien Testament auraient sévèrement critiqué la loi mosaïque. Ils représenteraient le strict monothéisme spirituel d’Israël et auraient défendu son aspect moral, en en répudiant la fonction cérémonielle. Une lecture attentive, sans les préjugés de la critique des idées religieuses de l’Ancien Testament, ne laisse pas une telle impression. Il apparaît bien clairement qu’ils supposent que la loi est connue par Israël, même dans son état d’apostasie. Ils ne l’ont pas évoquée pour la défendre, car elle est une donnée. Leur préoccupation concerne non tant le droit d’exister, mais plutôt l’obligation de l’appliquer rigoureusement.
« Il est nécessaire, du fait de l’interprétation tendancieuse de la critique biblique moderne, d’apporter une note corrective, même brève, au sujet de la prétendue opposition de la religion morale et spirituelle très élevée des prophètes contre la religion primitive du ritualisme sacerdotal. Serviteurs du monothéisme, les prophètes auraient contribué à l’élaboration de l’aspect moral de la religion des tribus nomades rescapées d’Égypte. Nous pensons qu’il n’en est rien. Bien au contraire, nous ne trouverons aucune trace de tentative, de la part des prophètes, de promulguer une nouvelle loi venant compléter ou améliorer, ou encore contredire l’ancienne loi. Car tous les prophètes supposent l’existence de la loi, accordée dans le cadre d’une Alliance de grâce.
L’examen des passages tels que Ac 5.25; És 1.11; 58.5; Jr 2.18; 6.20; 7.11,22; Mi 6.7, sur lesquels on s’est fondé pour justifier la fameuse opposition prophétique au sacerdotalisme ritualiste, montre plutôt une légitime opposition des prophètes contre l’observation extérieure de la loi et une attitude religieuse toute suffisante; leur combat n’est nullement mené contre la loi comme telle. Ils luttent pour faire reconnaître l’aspect moral de la volonté de Dieu, exprimée dans la loi, qui même cérémonielle ou rituelle, contient un sens spirituel des plus élevés.5 »
La morale prophétique ne relève nullement d’une inspiration spontanée, ex nihilo, qui n’aurait aucune attache avec la loi, elle aussi faisant partie intégrante de la révélation du Dieu de l’alliance. S’ils combattent un fait, c’est plutôt l’attachement extérieur, ritualiste, légaliste et hypocrite de la loi; une religiosité qui méconnaît les exigences morales profondes du Dieu de l’alliance.
3. La division artificielle de la loi←⤒🔗
Si la loi morale seule reste valable pour l’application chrétienne, on peut accepter sa division en trois parties. Toutefois, il ne convient pas de briser son unité. Avec la lettre aux Hébreux, nous comprenons que la période des ombres est à présent passée et que se serait une grave erreur que de réintroduire dans la nouvelle économie du salut les anciennes dispositions cérémonielles juives. N’est-ce pas d’ailleurs ce que combat Paul, ce que nous verrons plus loin.
Cependant, nous savons que le Décalogue contient aussi des éléments cérémoniels; l’observation du jour du repos en est un exemple éclatant. Et d’autres lois cérémonielles ne sont pas totalement étrangères à la morale israélite. Dans la religion d’Israël, il serait absurde, inconcevable, intolérable que de séparer et d’opposer la justice de la morale, ce qui est le cas dans des religions païennes. Les lois que nous qualifions de civiles enseignent nombre de devoirs moraux à observer. Ces dispositions de la loi réglant l’attitude envers le prochain restent valables pour la pratique chrétienne. De même, plusieurs lois dites cérémonielles, telles que l’offrande cultuelle entre autres, comportent un élément de pureté cérémonielle, donc possèdent une connotation morale. Elle préfigure la sanctification de la totalité de la vie qui sera opérée et achevée lors de l’avènement du Christ. Dieu nous réclame totalement et nous avons à nous remettre à lui avec tout ce que nous possédons.
Notons que l’Évangile ne déclare point explicitement la fin des ordonnances vétérotestamentaires. Cela veut dire clairement que l’accomplissement de la loi n’est pas simplement fonction de la révélation de l’Ancien Testament, mais qu’il en reçoit sa signification dans l’économie du salut inaugurée par le Christ.
Rappelons-nous qu’aussi bien Jésus que Paul résument les commandements de Dieu par les mots du Décalogue (Mt 19.17-19; Rm 13.9). Car la miséricorde de Dieu dans l’Ancienne Alliance s’est révélée aussi en Christ.
Notes
1. F. Michaeli, L’Ancien Testament et l’Église chrétienne d’aujourd’hui, Delachaux et Niestlé, 1957, p. 24.
2. F. Michaeli, Vocabulaire biblique, p. 156.
3. F. Michaeli, ibid., p. 26.
4. F. Michaeli, ibid.
5. F. Michaeli, ibid., p. 26.