Pourquoi célébrer Noël? Message de Noël
Pourquoi célébrer Noël? Message de Noël
La célébration de Noël, la fête de la Nativité de Jésus-Christ, au milieu d’une ambiance de kermesse ou même de fête foraine, va indisposer, voire affliger cette année encore, plus d’un chrétien sensible. Cette grossière caricature de célébration chrétienne, devenue occasion de ripailles pour le plus grand nombre, si ce n’est de franche débauche, de matérialisme impudent et d’expression de vieux paganisme, laissera maints chrétiens sincères dans une tristesse bien justifiée…
Vaut-il la peine de célébrer l’anniversaire du Sauveur? Nous sommes nombreux à ne pas nous accommoder de sa perversion, à ressentir chaque année, à cette date, une peine bien légitime d’être forcés de subir l’affront, toujours renouvelé, d’une fête devenue blasphématoire au lieu d’être adoration suprême.
Une fois de plus, nos grandes cités seront illuminées bien des semaines avant le 25 décembre; illuminations qui ne projetteront en réalité que des ombres sur la face céleste de celui qui est né à Bethléem, au lieu de l’éclairer et de nous conduire vers lui. Des marchands du Temple modernes s’affaireront autour de leurs tables et de leurs échoppes, profiteurs de cette naissance immaculée, de la seule religion sainte, de l’unique mystère de Dieu devenu homme.
Il est aussi possible que l’homme moderne, moins sentimental, plus froidement objectif que ses ancêtres, puisse, à l’occasion de Noël, discerner une certaine grandeur, imaginer une dimension humaine et humaniste de l’existence et célébrer, sinon la figure centrale de Noël, tout au moins la vague idée qu’il se fait de l’amour; je suppose qu’il aura fixé, vers le 25 décembre, sa semaine de bonté. Sans doute se sentira-t-il quelque peu obligé à se montrer plus aimable que d’habitude. Je le vois même esquisser un sourire moins pâle que d’ordinaire à son voisin de palier, à qui en général il n’adresse jamais la parole lorsqu’ils montent ensemble, chaque matin, dans l’étroit ascenseur. Pendant une courte période, durant l’échéance qui va de Noël au Nouvel An, peut-être même les jours suivants, il mettra en sourdine ses griefs contre son employeur et en veilleuse ses tenaces rivalités avec ses collègues… Je m’imagine même qu’il arrêtera de décharger sa mauvaise humeur sur son chien ou sur sa femme, sur qui il se venge, d’habitude, de ses amères frustrations… Il sera ému et généreux en écoutant les nouvelles venant des antipodes et en contemplant les photos d’enfants faméliques qui lui tendent un ultime appel.
Si, durant sa préadolescence, il a bénéficié de quelques bribes d’un catéchisme vite bâclé, il se souviendra de l’image de l’enfant dans une crèche et fredonnera quelques refrains de vieux Noël : « Entre le bœuf et l’âne gris, dort, dort le petit Fils ». Mais peut-être je m’imagine trop de bonnes choses, trop de beaux élans d’âme et de générosité, pour cette courte période de Noël…
Hélas!, il est plus vraisemblable que ces générosités éphémères et que ces élans de bonté soient conjugués avec d’autres mobiles; qu’ils ne cherchent davantage, durant cette longue saison hivernale sous nos cieux gris et incléments, de sortir de la grisaille routinière afin de s’évader brièvement dans une contrée un peu plus lumineuse… La réalité est dure, jour après jour, j’en sais quelque chose, comme la plupart de mes contemporains; ce n’est pas le chrétien qui fête Noël qui le nierait.
Pourtant, une amère ironie veut que l’homme de la rue, qui ne se soucie guère du Christ ni du Dieu qu’il est venu nous révéler, lâche, une fois de plus, la proie pour son ombre; le réveillon tournera une fois de plus en dérision, s’il passe outre la mystérieuse et émouvante réalité de l’incarnation, l’authentique festivité de Noël.
Si les choses sont donc aussi sombres et graves, vaut-il la peine de célébrer encore Noël? Ne risque-t-on pas de se laisser entraîner et emporter par la cohue païenne? Comment chanter les louanges du Sauveur et se joindre à l’hommage que lui rendent les cohortes célestes? Célébrer une semaine de bonté, lorsque la Source de toute bonté est méconnue, a-t-il encore un sens? Qu’est-ce qu’une expression d’amour, lorsque le Dieu qui est amour n’habite pas dans nos foyers? Pourquoi se réjouir quand le principal personnage de la fête, à la fois organisateur et invité, en est absent? Nous lui avons tourné le dos, et pourtant nous nous bousculons pour ramasser sous ses tables les miettes rassises de quelques réjouissances… Je ne suis pas le seul à me poser ces questions. Nous sommes nombreux à nous soucier de vérité et à demander un peu de décence; de la pudeur à la place de la moderne tartufferie laïcisée qui exploite ce qu’il y a de plus pur et de plus saint, la manifestation de l’amour le plus sublime.
Fêter la Nativité dans de telles conditions deviendrait à vraie dire grotesque si nous n’avions pas de sérieux motifs qui le justifient. Une telle fête n’aurait pas plus de signification que celle de souhaiter distraitement à quelqu’un : « Ayez une bonne journée! » Un Noël passé à festoyer n’est pas une panacée à la grisaille de l’existence quotidienne, pas plus qu’un routinier et anodin : « Ayez une bonne journée! » ou encore « Portez-vous bien mon ami! » n’est d’aucun secours à celui qui anticipe une autre journée morose, prévoit de nouvelles tensions dans ses rapports avec autrui, doit s’atteler à une tâche qui l’épuise, gît peut-être cloué sur son lit de maladie… Ces vœux pieux sont des flèches qui blessent, mais qui ne consolent pas.
La question doit être plutôt : comment faire pour aider cette personne dans cette nouvelle journée, faire en sorte que le soleil brille sur sa terne existence?
Oui, pourquoi célébrer alors Noël, si tout est si grossièrement caricaturé ou douloureusement sombre? Je vous en donnerai une raison personnelle; j’y tiens, afin qu’ensemble nous puissions vraiment nous réjouir à Noël comme aussi après, d’un Noël à l’autre…
Un précédent exposé vous en a donné déjà une raison théologique. Je reste persuadé que ce fut un vrai signe de foi que d’avoir adopté le 25 décembre comme jour anniversaire de la naissance du Sauveur du monde. Je signalais qu’en séparant la fête de la Nativité de celle de l’Épiphanie, des chrétiens bien inspirés voulurent souligner le fait de la nature divine de l’Enfant né à Bethléem.
La raison que j’en donnerai à présent est de nature plus existentielle, si vous me permettez d’employer ce terme quelque peu défraîchi. Je veux dire qu’elle est personnelle. Fortement attaché à la saine et à la sainte tradition chrétienne, lorsque celle-ci s’appuie sur l’Écriture sainte, je n’en reste pas moins un croyant à titre personnel. Pour moi, Noël est autre chose qu’ombres marchandes dissimulant l’enfant de Noël, qui est lumière de lumière, vraie, céleste, éclairant aussi bien mon visage que mon étroit sentier. À mon tour, comme des générations avant moi, comme un grand nombre de mes contemporains, je vis en vertu du miracle du Dieu tout-puissant qui m’a visité, m’a arraché à mes ténèbres, m’a tiré de la mort certaine, m’a délivré de mon néant, m’a affranchi des pesanteurs qui auraient fait de mon existence une tragédie, une de plus, douloureuse, désespérante comme toutes les tragédies humaines.
J’ai dit que cela est possible en vertu du miracle de Dieu, ce Dieu qui n’est pas un simple ordonnateur d’univers, un fondement impersonnel de l’être, divinité muette, pâle figure morale céleste…, mais qui est visage de Père s’inclinant de ses hauteurs inaccessibles, sortant de ses splendeurs divines pour se pencher sur ma vie individuelle. Tout ce que je sais de lui, mon savoir théologique au sujet de sa déité, le mystère de la Trinité, le rapport à la fois énigmatique et fascinant entre le temps et l’éternité, m’a appris une simple vérité : Dieu est mon Dieu, plus rien ne peut obscurcir ma vision de sa divinité ni me cacher son visage paternel, plein de sollicitude. Autrement, j’aurais été orphelin durant le temps et pour l’éternité. Celui que l’infini de l’univers ne contient pas, qui transcende sa création, à cause de Noël, par l’enfant de Noël, m’est connu comme Abba, c’est-à-dire que je puis l’appeler, l’invoquer par son nom familier, cet émouvant Abba, c’est-à-dire Papa! Car tel est le sens du mot Abba que nous a appris Jésus, l’enfant de la crèche et l’homme de la croix.
Il est le Dieu du macrocosme et du microcosme. Je sais que, lorsque je me tourne vers lui, dans ma solitude et dans mes angoisses, dans les tourmentes des nuits d’insomnie et au sein d’une tornade qui semble emporter les choses réputées les plus solides, « je suis plus que vainqueur ». Cette intelligence suprême qui a tout conçu et qui fit toutes choses, visibles et invisibles, et celle qui me connaît par mon nom, m’appelle par le nom de mon baptême, s’adresse à moi personnellement, aussi réelle que ma propre existence, aussi proche que le souffle de mes narines…
C’est d’une véritable révolution dont je vous entretiens ici, d’une révolution totale et radicale. Rappelons-nous que révolution veut dire retour au point de départ. Le point de départ, celui de chacune de nos existences, ne peut se trouver ailleurs qu’en Dieu le Père, celui que Jésus m’a appris à appeler Papa céleste.
Je serais d’accord avec ceux qui, athées, agnostiques, incrédules, nihilistes et négateurs de tout genre, affirment qu’il n’existe aucune connaissance de Dieu… Sauf celle obtenue à Noël, sauf la connaissance que nous apporte l’enfant de Noël couché dans une crèche, prédit déjà dans l’Ancien Testament, celui qui sera le crucifié du Calvaire. Ce Dieu-là se trouve à ma portée, je puis le trouver même en tâtonnant.
Désormais, je n’ai plus besoin de m’interroger sur les énigmes insolubles de mon existence ou de celle de l’univers, même pas du pourquoi du mal et de la souffrance. Je peux faire mieux : Au-delà de l’épais voile qui me cache tout, mes yeux ont vu l’Autre. Cet Autre est le plus proche parmi les plus proches; le plus attentif à mes requêtes, celui à qui n’échappe pas le moindre de mes soupirs s’élevant comme une prière, même inexprimable… Ma vie n’est pas un jeu de hasard. Par delà un Noël avili, une festivité pervertie, je puis, en cette fête de la Nativité, faire encore l’expérience de l’amour vainqueur, d’une joie débordante, d’une paix qui surpasse mon intelligence, d’une lumière qui dissipe les ombres du doute, d’une main tendue qui m’attire à lui hors de mon labyrinthe.
Je vous invite à faire la même expérience, puisqu’elle peut être faite; un geste de la foi, l’abandon à celui que nous n’avons pas à chercher longtemps, car il nous a déjà trouvés, nous le permet. Expérience que l’on peut faire à Bethléem et sur le Calvaire, devant le tombeau vide, chaque fois que son Esprit souffle et que sa Parole retentit.
Est-ce une mince raison pour célébrer Noël? Ce Père céleste n’est pas mon apanage. Car il fut le Dieu des hommes du temps de Jésus; celui qui purifia le lépreux et délivra le possédé, le Père des orphelins, le protecteur des pauvres, le souverain Seigneur des grands et des puissants, le Dieu aussi bien des savants que des ignorants, votre Dieu et, si vous croyez en son Fils, votre Père.
Puissent alors les foules des réfugiés, les victimes et survivants des oppressions, les torturés de la famine et les désespérés des maux qui rongent l’âme et ravagent les corps se tourner vers lui, en l’invoquant Abba, mon Père et mon Dieu!
C’est l’enfant né il y a deux mille ans dans l’hôtellerie de la vieille bourgade de Bethléem, qui nous en donne la certitude et nous y invite. N’a-t-il pas dit : « Celui qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14.9)? Voici quelqu’un qui, au cours de l’orageuse histoire de l’humanité, au cœur de tornades cataclysmiques, se tient au centre de cette histoire et déclare : « Moi et le Père nous sommes un » (Jn 10.30).
Noël est donc la célébration de l’avènement de celui qui, laissant de côté sa gloire céleste, a revêtu la forme la plus humble de l’effacement. Aussi, malgré les avilisseurs, je puis célébrer encore Noël. Alors, avec les bergers et les mages, je fraie mon chemin à travers une foule qui se dirige ailleurs, pour se disperser, s’égarer, sans doute se perdre…, et j’ai hâte d’adorer l’enfant de Bethléem, de chanter comme ceux qui me précédèrent Adeste fideles, plein d’une joie débordante, fasciné et ébloui, à la fois humble et reconnaissant devant cet enfant que je m’imagine blotti sur le sein de sa jeune mère émue et embarrassée, accueillant la mystérieuse adoration des grands, captant l’émerveillement des pâtres… Il est véritablement le divin Enfant. Et tel le disciple confus et saisi, après la résurrection, je m’exclame : « Mon Seigneur et mon Dieu! » (Jn 20.28).
Je soupçonne que quelques bien-pensants, adeptes de la théologie de la terre plate, agnostiques ou rationalistes, ne cherchent à voir là que « opium du peuple ». Ils se trompent lourdement. Pour ma part, je sais de quel côté il se trouve, l’opium des peuples! Il faut le chercher du côté des utopies idéologiques et des spiritualités sans Dieu, du côté de la mystification des religions extrême-orientales et, bien entendu, de ces religions inhumaines, moins extrêmes et plus proche-orientales… Pas en Jésus le Christ et en la révélation qu’il a apportée définitivement.
Aussi, avec l’ancien prophète de l’Ancien Testament, je puis me réjouir en ce jour de Noël :
« Un enfant nous est né, un fils nous est donné, et la souveraineté reposera sur son épaule. On l’appellera Admirable, Conseiller, Dieu puissant, Père éternel, Prince de la paix » (És 9.5).
Son nom est Jésus, qui veut dire « celui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1.21). Il est, en effet, mon Sauveur personnel, comme il est le Seigneur universel, lui, et personne d’autre. Accourez donc vers lui, foules égarées et en quête d’espérance, orphelins du Père, vous les blessés de l’existence, les pécheurs et les souffrants… Acclamez-le en ce jour. Alors, vous saurez profondément, en votre âme et conscience, pourquoi, en ce 25 décembre, vous célébrez Noël.