Cet article a pour sujet des approches modernes du catholicisme après Vatican II et les opinions de l'Alliance évangélique mondiale, de L. Boettner, Y. Congar, G.C. Berkouwer, G.N.M. Collins et G. Millon sur le catholicisme.

Source: Perspectives réformées sur le catholicisme romain. 20 pages.

Approches modernes du catholicisme

  1. Vatican II
  2. Opinions sur le catholicisme romain
    a. Lorrain Boettner
    b. Un document de l’Alliance évangélique mondiale
    c. Convergences et divergences sur la foi entre catholicisme et protestantisme (1969)
    d. Yves Congar
    e. G.C. Berkouwer
    f. Professeur G.N.M. Collins
    g. Gabriel Millon

1. Vatican II🔗

Une fois le Pax vobiscum prononcé par le pape Paul VI, les Pères conciliaires du 21e concile dit œcuménique de l’Église romaine, Vatican II, rentrèrent chacun dans leur diocèse. On s’attendit à ce que dorénavant Rome ne fût plus, à la fin du concile, tout à fait pareille à ce qu’elle était avant 1965. Vatican II appartient à l’histoire. Cependant, quoique le concile soit officiellement reconnu pour son autorité théologique et ecclésiastique, il ne semble pas pouvoir véritablement engager l’avenir du catholicisme. Edward Schillebeeckx, théologien néerlandais, écrivait en 1970 :

« Vatican II est […] regardé non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen pour faire place à une véritable réflexion théologique catholique dans laquelle le pluralisme légitime sera admis. Ainsi, c’est une différente période de pensée théologique qui a commencé depuis Vatican II, et pour l’instant il n’est pas possible d’en prédire l’avenir.1 »

Concrètement, Vatican II représente seulement une phase de transition dans un mouvement qui avait pris son essor bien longtemps avant la convocation du concile, mouvement que l’on spécule se poursuivra dans l’avenir. Qu’est-ce que ce concile a accompli? La réponse dépendra en partie des opinions et appréciations personnelles. Si certains non-romains furent heureux des résultats des travaux accomplis, d’autres en furent plutôt déçus. Tous attendaient pour voir comment les décrets pontificaux allaient être appliqués.

L’œuvre du concile tel qu’il fut promulgué par le pape a été fixée dans quatre constitutions, neuf décrets et trois déclarations. Une constitution définit la doctrine; un décret discute des affaires pratiques; une déclaration s’occupe des principes. Les 16 documents issus de Vatican II sont :

Quatre constitutions

  1. Sur la liturgie
  2. La définition de l’Église
  3. De la révélation divine
  4. De l’Église dans le monde moderne

Neuf décrets

  1. Les communications des masses
  2. L’œcuménisme
  3. Les Églises orientales
  4. La charge pastorale des évêques
  5. Le renouveau et l’adoption de la vie religieuse
  6. L’apostolat des laïcs
  7. L’activité missionnaire de l’Église
  8. Le ministère et la vie sacerdotale
  9. L’éducation chrétienne dans les séminaires

Trois déclarations

  1. L’Église et les religions non chrétiennes
  2. L’éducation chrétienne
  3. La liberté religieuse

L’important, à la clôture du concile, était non seulement les 16 documents religieux, mais encore les résultats moins évidents du concile qui, dans certains cas, ont passablement modifié le visage, sinon l’organisme tout entier du catholicisme romain. Par exemple, les évêques ont appris qu’en travaillant ensemble ils pourraient mieux résister, voire combattre, le règne autoritaire, implacable, de la Curie. Le concile a également permis le dialogue entre les romains et les non-romains. Les Églises issues de la Réforme du 16e siècle ne sont plus appelées hérétiques, mais « frères séparés ».

2. Opinions sur le catholicisme romain🔗

La diversité actuelle du catholicisme romain est un fait qui surprend nombre d’observateurs non romains. Elle n’a rien à envier à celle du protestantisme. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’édifice monolithique du système ecclésiastique ne présente plus une façade unie. Des spécialistes feront remonter cette façade lézardée à l’encyclique Divino Afflante Spiritu de Pie XII, rédigée en 1943, et qui, bien qu’avec précaution, permettait le recours aux méthodes de la critique moderne dans la recherche biblique. Aussi il n’est pas étonnant que l’on soit actuellement arrivé à un point où l’image théologique du catholicisme présente autant de variétés que celle du protestantisme. Il suffirait de penser à des mouvements allant d’un extrême à l’autre sans jamais se rencontrer, voire en s’ignorant : du mouvement dit charismatique à la théologie dite de la libération, de l’intégrisme total aux approches critiques de la Bible, de la théologie existentialiste et dialectique aux théologies politiques, de l’orthodoxie bon teint aux penseurs et théologiens de la sécularisation, et bien d’autres encore…

C’est l’une des raisons pour lesquelles certaines vieilles controverses n’ont plus cours, tout au moins de la même façon, entre théologiens romains et protestants, car elles ne relèveraient que d’un débat intellectuel purement académique. Or, reconnaissons que nombre de protestants orthodoxes se trouveraient bien à l’aise en compagnie des théologiens orthodoxes romains, et que nombre de libéraux de chez nous pourraient fraterniser avec une parfaite aisance avec des représentants d’une théologie radicale qui, passant outre les recommandations de prudence de la Curie, défie l’autorité chargée de veiller sur l’intégrité de la foi catholique.

Ainsi que nous le disions dans notre compte rendu en anglais du nouveau catéchisme catholique, le péril de la modernité est bien réel, et officiellement l’Église réagit avec autorité. Mais non pas nécessairement, hélas!, avec les armes de l’Esprit ni à la lumière de la Parole, mais par le renouveau, entre autres, de la piété mariale. Quoi qu’il en soit, le théologien réformé orthodoxe se réjouira de ce que ce catéchisme officiel, le premier depuis le Concile de Trente, dresse par son orthodoxie, même romaine, un barrage contre ce que nous appellerons la théologie négative, laquelle, depuis le Pseudo-Denys au 6e siècle, en passant par Maître Eckhart au 13e, a fait des ravages tant au sein de l’Église de Rome que chez nous autres protestants, sous les auspices, dans le passé, des penseurs tels que E. Kant et G.H. Hegel. À présent, Husserl et Heidegger ont donné chez les romains des théologiens radicaux tels qu’un Teilhard de Chardin, un Karl Rahner, un Hans Küng, et tout récemment le théologien-psychanalyste Eugen Drewermann, pour ne citer que les plus notoires… Chez les protestants, notons un Paul Tillich, Rudolf Bultmann, Dietrich Bonhoeffer et Jürgen Moltmann, ainsi que les théologiens de la « mort de Dieu ».

Le présent article fait un choix limité des approches du catholicisme moderne.

a. Lorrain Boettner🔗

La fortune dont a joui Roman Catholicism de Lorrain Boettner est surprenante à bien des égards. Comme document de source sur le sujet, il est resté inépuisable, et l’on sait que presque tous les écrits évangéliques des cinq dernières décennies, violemment anti-catholiques, s’en sont largement inspirés, même, par moments, n’ont fait que le reproduire. Il n’est pas superflu de signaler qu’il s’agit surtout de textes anglais, très peu de français à notre connaissance, qui, selon de solides traditions anti-intellectuelles, s’embarrassent peu d’exactitude historique, et même, par moments, de probité intellectuelle. Le sentiment anti-romain y tient parfois lieu d’analyse doctrinale et une propagande intempestive, de zèle évangélisateur.

Dans le cas qui nous occupe, l’exemple vient de loin, puisque Boettner fait preuve d’affligeantes négligences en rapportant certains faits lorsqu’il cherche à tracer l’origine et les étapes des débats les plus décisifs entre Rome et la Réforme. Par souci à la fois d’objectivité et de probité envers une Église dont nous séparent tant de graves points d’interprétation, nous aimerions signaler les failles de Roman Catholicism et inviter le lecteur à faire preuve de discernement lorsqu’il choisit ses sources pour s’informer; de charité aussi à l’égard de ceux qui, au cours de longs siècles, se sont passablement écartés de l’enseignement de l’Évangile.

Théologien laïc, L. Boettner a à son actif une dizaine de livres d’orientation « réformée », de caractère plutôt scolastique, sèchement didactique, au sens péjoratif du terme, pour ne pas dire doctrinaire. Il représente bien l’esprit et la lettre d’une certaine théologie anglo-saxonne sans souci de la nuance, satisfaite de généralisations hâtives et de prononciamentos à l’emporte-pièce. L’auteur a enseigné la théologie réformée dans certaines écoles. Son livre, publié aux éditions Presbyterian and Reformed, a été réimprimé plusieurs fois depuis sa première parution dans les années 30. La parution du livre lui a aussitôt valu une grande notoriété en tant que promoteur d’un anti-catholicisme, prisé dans certains milieux évangéliques des États-Unis d’Amérique du Nord.

Dans ses critiques, on trouve parfois des accusations non vérifiées à l’égard du catholicisme. Le thème se développe à deux niveaux. D’une part, une attaque en règle contre le catholicisme, d’autre part l’exposé de la foi réformée de l’auteur, ce que nul ne lui reprochera. L’intention déclarée de l’auteur est d’établir le contraste entre le protestantisme évangélique et l’Église romaine tant en ce qui relève de la doctrine que de la pratique.

Nous n’analyserons pas tous les points abordés par Boettner. Nous ne serions pas en désaccord avec ses remarques et critiques fondamentales lorsqu’il prend à son compte ce que la Réforme avait déjà signalé, avec plus de compétence et de rigueur d’esprit, à l’époque.

Nous craignons cependant que la valeur de la partie positive d’apologétique réformée du livre, devenu la Bible des anti-catholiques américains, ne soit amoindrie du fait des failles et des inexactitudes qui fourmillent dans ses pages. Boettner semble ignorer les écrits de l’ère patristique pour pouvoir correctement parler du sujet. Il aurait pu au moins consulter un traité de patristique, ce qui lui aurait évité de commettre certaines bévues d’ordre historique. Il aurait été également possible, pour ne pas dire souhaitable, qu’il cite des textes romains ou des documents officiels qui les contiennent pour étayer sa recherche. Les vérifications ne sont pas toujours précises. Pour un texte qui passe pour faire autorité en la matière, Boettner offre un index bien incomplet des personnes et des sujets. Les notes en bas de page sont également peu nombreuses, certaines signalant quelques changements mineurs opérés par Vatican II. Il ne donne pas de références lorsqu’il cite une parole ou évoque un fait. La bibliographie compte vingt-trois titres et trois revues. Sept de ces titres sont d’auteurs catholiques. Parmi les seize autres, six sont d’auteurs convertis du catholicisme à la foi évangélique.

Chrétiens réformés, nous sommes avec raison offusqués lorsque ceux qui attaquent Luther ou Calvin font preuve d’une coupable négligence de nature historico-théologique ou lorsqu’ils sont carrément de mauvaise foi; certes, du côté romain, ces attaques n’ont pas manqué. Il nous vient à l’esprit Du Protestantisme à l’Église de L. Bouyer, égratignant assez méchamment et sans nécessité la foi et les convictions de ses ex-coreligionnaires. N’est-il pas juste que nous traitions autrui comme nous aimerions être traités nous-mêmes? Il nous semble que c’est là un précepte évangélique qu’aucune conviction, même la plus biblique, ne devrait négliger.

Le livre de Boettner justifie l’idée que de nombreux protestants détestent le catholicisme romain pour les mauvaises raisons, ou à cause des mauvaises interprétations de celui-ci. Nous espérons que notre propre interprétation ne tombera pas dans les travers de ce classique de l’anti-catholicisme anglo-saxon. Nous avons prévenu le lecteur que nous ne prétendons pas à un travail d’érudition; nous voudrions veiller, en tout cas, à ce qu’il n’y ait aucune trace de faux témoignage porté contre Rome. Si, dans tel ou tel détail nous nous sommes trompés, malgré notre vigilance (après tout, nous ne croyons à aucune infaillibilité humaine), nous tenons à assurer qu’une telle erreur n’est pas le fait d’une opposition viscérale, mais à la faillibilité qui est l’inévitable compagnon de nos brèves existences; aussi, d’avance, nous nous en excusons.

b. Un document de l’Alliance évangélique mondiale🔗

Le « préambule » du texte signé par l’Alliance évangélique mondiale, publié en 1986, ne nous offre rien de bien nouveau ni de bien original; il foisonne de platitudes et semble se préoccuper surtout du « qu’en dit-on » à notre sujet, et de ce que nous devons nous dire mutuellement. Toutefois, en voici l’essentiel :

« En tant qu’Alliance évangélique mondiale, nous attestons — commence ce document — notre attachement profond à la foi évangélique. Nous nous appuyons ensemble sur la Parole de Dieu contenue dans le témoignage des prophètes et des apôtres. Nous tenons notre force de l’Évangile de Jésus-Christ, notre Sauveur et Seigneur. Nous reconnaissons notre dette à l’égard de la foi traditionnelle chrétienne, réaffirmée dans l’héritage de la Réforme du 16e siècle. […] Tels sont nos titres d’honneur. Ici gît notre identité ainsi que notre raison d’être. Ainsi unis, nous cherchons la direction du Saint-Esprit dans le monde présent. Dans une foi commune et la confiance réciproque, nous cherchons à répondre à l’appel adressé à proclamer l’Évangile et à le servir comme ouvriers de réconciliation dans un monde brisé.
Demeurant dans cette tradition solide, nous faisons aussi face aux redoutables défis de l’heure actuelle. Parmi eux se trouve la tâche, le devoir, de rendre claire notre position vis-à-vis de la foi et des pratiques du catholicisme romain. Durant les siècles passés, et plus spécialement durant les dernières décennies, des changements importants ont été aperçus en son sein. Il existe une grande fermentation dans des cercles catholiques romains et l’image est loin d’être claire. En elle, nous saluons les signes annonciateurs d’espérance d’un renouveau de la foi véritablement apostolique. Cependant, nous ressentons une déception continue lorsque l’Évangile est en éclipse. Parfois, il semblerait que tout est en changement, et d’autres fois que rien ne change. Il est évident que les grands problèmes du 16e siècle et les luttes sont encore très réels parmi les héritiers de Rome et de la Réforme.
Au milieu de ces tourbillons contemporains, nous réaffirmons les vérités fondamentales des voies du salut, telle que les formulait la Réforme. Notre règle pour la foi et la vie demeure la sola Scriptura. L’œuvre expiatoire a été achevée solo Christo. Nous sommes adoptés comme enfants de Dieu sola gratia, notre justification est due sola fide, notre culte et adoration soli Deo gloria. […] Notre solidarité dans la confession de notre foi exprimée dans la Déclaration de foi de l’Alliance évangélique universelle dicte notre approche du catholicisme romain [suit la déclaration de foi…].
Restant forts et fermes en Christ, nous pourrons partager les trésors de l’Évangile dans nos rapports exempts de peur avec l’Église de Rome. De telles actions doivent être motivées par un engagement en faveur de la vérité. L’amour mutuel nous contraint à atteindre aussi l’autre, le prochain. Ce défi est inévitable, du fait que l’Église catholique romaine occupe une grand place dans nombre de domaines décisifs, sociopolitiques, dans plusieurs pays. Notre action doit être conduite par la fidélité à l’Évangile. Mais une telle fidélité doit reconnaître les diversités qui se manifestent actuellement dans la piété populaire catholique, le style de culte, le gouvernement d’Église, l’intelligence de la doctrine, même si l’autorité qui lie des déclarations dogmatiques est issue de l’enseignement autorisé officiel, qui, en dernière analyse, l’impose à tous ses membres. Toutes les diversités, aussi bien dans l’Église romaine qu’à l’Alliance évangélique mondiale, doivent être examinées à la lumière des Écritures. Dans notre examen du catholicisme romain, certains aspects de la condition spirituelle contemporaine du monde requièrent une attention particulière de la part des chefs de file du monde évangélique et des pasteurs.
1. Le développement de l’esprit de sécularisation et les idéologies anti-chrétiennes dans un monde de plus en plus hostile ont produit chez certains chrétiens un sentiment d’urgence relatif au besoin d’une coopération et d’unité entre différentes Églises.
2. L’usage large et intelligent des moyens de communication de masse que fait l’Église romaine, de même que le charisme du pape actuel en public [Jean-Paul II], a projeté devant le monde une image totalement nouvelle de cette Église, et tend à la rendre plus attrayante.
3. Au sein du protestantisme, il y a eu une croissance formidable d’Églises indépendantes, de confessions évangéliques et de mouvements paraecclésiastiques. La plupart de ces corps ne possèdent pas une claire conscience de l’héritage de la Réforme et de ce fait les divergences aiguës entre Rome et la Réforme sont souvent ignorées.
Tous ces facteurs ont donné lieu à des confusions, formulé des schèmes ambigus de coopération, provoqué des expériences décevantes, parfois abouti à l’abandon de la vérité évangélique. Ces facteurs expliquent la raison de la présente déclaration. Ils nous imposent non seulement que nous réexaminions nos rapports avec Rome, mais aussi et encore clarifiions les problèmes doctrinaux pour nous-mêmes et agissions en conformité avec notre propre profession de foi. »

c. Convergences et divergences sur la foi entre catholicisme et protestantisme (1969)🔗

Sous ce titre, le comité des questions œcuméniques du diocèse de Lyon, en collaboration avec des pasteurs réformés, a mis au point le texte suivant :

« Dans cet essai, nous faisons matériellement une place plus grande aux divergences qu’aux convergences. Nous ne pensons cependant pas que celles-là l’emportent sur celles-ci. On comprendra qu’en étant bref sur ces accords fondamentaux, nous avons voulu éviter de nous perdre en des généralités inutiles. D’autre part, dans nos tentatives pour préciser l’état actuel des différences dogmatiques se dessineront bien des rapprochements sur des points qu’un enseignement classique nous présentait comme en litige.
Il n’est question ici que de dogme ou de théologie. Continuent cependant à jouer un rôle d’autres facteurs de division, ou de maintien des divisions, facteurs “non théologiques” : souvenirs historiques, clivages sociaux ici ou là, sensibilités religieuses et esthétiques, attachement à des rites. Il est partout admis toutefois que ce genre d’obstacles à l’union entre chrétiens devrait être dépassé.
1. Convergences
1. Catholiques et protestants sont d’accord d’abord pour reconnaître la Parole de Dieu comme source première de la foi.
(a) Avant toute écriture, avant toute tradition, le catholicisme, tel qu’il s’exprime à Vatican II (voir Constitution Dei Verbum, chap. 1, no 2 et 4; chap. 2, no 7 et 9), comme le protestantisme (sauf dans les sectes ou les milieux “fondamentalistes”), est sensible au fait que la Parole de Dieu n’est à confondre avec aucun de ses organes de transmission (Écritures et Prophètes). Elle est rencontrée d’abord dans l’histoire du salut, notoirement dans l’événement Jésus-Christ. Elle n’a de sens pour nous que revivifiée par l’Esprit, qui est l’Esprit de Jésus. Ce primat de la Parole et de l’événement relativise nos querelles sur l’Écriture et la Tradition et nous fournit un point de référence commun2.
(b) Pour les uns comme pour les autres, la Parole de Dieu est considérée comme contenue dans l’Écriture. Ainsi avons-nous un deuxième point de référence commun.
(c) Que la Parole de Dieu ait été confiée à l’Église pour être transmise de génération en génération est également admis dans toutes les grandes confessions chrétiennes (notion de “tradition active”). »

Au sujet encore des « convergences », nous citerons ici ce que le Père Jean Daniélou écrivait déjà en 1945 :

« La division des Églises qui se réclament de Jésus est pour l’âme chrétienne un permanent et douloureux scandale. Le Christ avait donné l’unité comme signe propre de son Église […] Il y a à notre époque certains lieux privilégiés, où il semble que les échanges entre chrétiens de diverses confessions se fassent plus intenses, qu’une sorte de communication s’établisse. […] Le premier de ces lieux privilégiés est l’Écriture. La Bible, qui n’a jamais cessé d’être le trésor commun des catholiques et des protestants, les rapproche actuellement de plus en plus. Du côté catholique, on constate un retour bien caractéristique à l’Écriture. Il faut reconnaître que celle-ci avait été délaissée. […] Un mouvement inverse s’est dessiné depuis un demi-siècle. L’influence des grands exégètes protestants a été pour beaucoup dans ce mouvement. […] Or le fait nouveau — poursuit le théologien plus loin, et dont la portée me paraît considérable — c’est que l’exégèse protestante se fait dogmatique et que la dogmatique catholique se fait exégétique.3 »

On le souhaiterait tellement! Hélas!, les faits démentent l’assertion. Il ne faut pas oublier que le Père Daniélou écrivait ces lignes en 1945, quand on découvrait la pensée de Karl Barth, et il est significatif aussi que le théologien romain pense uniquement à celui-ci en exprimant son appréciation des nouvelles positions protestantes.

Un autre lieu privilégié d’après le Père Daniélou est le mystère du Christ. Le Christ considéré essentiellement comme objet du culte chrétien… C’est dans un rejet commun de tous les modernismes, libéralismes, rationalismes qui détourneraient de la contemplation des mystères du Christ « que l’on verra catholiques et protestants communiquer et communier ». Hélas!, à cet égard encore, force nous est d’admettre que Daniélou pensait au christocentrisme barthien; tandis que la situation du protestantisme libéral à l’heure actuelle est passée des dangers qu’il évoquait il y a un demi-siècle, vers un anthropocentrisme foncier, ce que nous pouvons qualifier de théologie de l’immanence de Dieu.

Revenons au document du comité des questions œcuméniques du diocèse de Lyon :

« 2. Catholiques et protestants sont d’accord sur les principaux articles de la foi. Malgré les divergences en certaines explications, et des rejets plus ou moins poussés par les courants libéraux du protestantisme, les communautés chrétiennes récitent toutes les mêmes credo : le Symbole des apôtres et celui de Nicée-Constantinople. Pour tous, la création, l’incarnation, le mystère pascal et l’action du Saint-Esprit sont des points culminants du paysage chrétien.
3. Catholiques et protestants sont d’accord (nouveau et progressif) dans le désir d’une communion plus grande dans la foi.
Quand il est réfléchi en profondeur, ce désir est fondé sur le dynamisme même de la foi; accepter la seigneurie du Christ conduit au vœu d’être rassemblé autour de lui. Les Églises de la Réforme ont exprimé récemment et à plusieurs reprises la nécessité de rendre visible l’unité sur le plan du culte et du témoignage.
Le catholicisme prend conscience que sa note d’universalité n’a de réalisation que virtuelle, tant que durent en fait les séparations. Il peut dès lors viser l’unité comme marque et facteur d’un progrès de sa propre foi. Ainsi le désir d’unité ne repose plus, comme souvent dans le passé, sur le désir de certaines confessions de s’annexer les unes les autres; il prend partout la même signification d’accomplissement d’une promesse liée à l’Évangile.
Ce progrès vers une foi commune est mal décrit dans un exposé théologique et nécessairement abstrait. Mais chacun pensera que la foi, dont il est ici question, est la foi vivante que l’on désire exprimer par le culte et l’amour. Par suite, il est clair que les convergences sont telles qu’elles fondent, au nom de la foi (et ceci est capital), des responsabilités communes pour le service des hommes et du monde.
2. Divergences
Les désaccords sont difficiles à mettre au clair; ils apparaîtront nombreux ou très réduits, selon les personnes avec qui l’on entre en contact. Le catholique aura vite l’impression d’avoir face à lui des protestantismes plus éloignés parfois les uns des autres que certains d’entre eux ne le sont de sa propre Église. Des protestants ont une impression similaire lorsqu’ils abordent des catholiques. On pourrait faire valoir que l’Église catholique a su baliser ses propres limites avec plus de précision que le protestantisme; mais il n’en reste pas moins que de part et d’autre le point de vue objectif de la foi contenue dans les confessions et déclarations officielles des Églises et le point de vue subjectif de la foi des fidèles individuellement considérés ne coïncident pas toujours. Les catholiques comparent trop souvent la foi affirmée dans leur communauté à la foi vécue dans le protestantisme, sans se référer assez à l’objectivité de la foi dans les Églises de la Réforme.
Il importe, lorsqu’on compare, de se situer sur le même plan; nous nous situerons ici sur le plan objectif de la foi enseignée et professée dans les communautés.
Dans les Églises de la Réforme, les confessions donnent aux intuitions maîtresses des réformateurs du 16e siècle une importance qui peut voiler à nos yeux la baisse d’influence des anciens sur les jeunes générations et l’apport considérable d’une histoire plus récente en ce qui nous sépare aujourd’hui. Sans aucun doute, les définitions catholiques des 19e et 20e siècles (Immaculée Conception, Assomption, infaillibilité), et les reliquats des mouvements libéraux au sein du protestantisme sont des obstacles à la réunification plus puissants que les anciens sujets de controverse. Cependant, si l’on veut fixer, face aux réactions catholiques, des réactions typiquement protestantes, il reste nécessaire de se référer aux points de départ de Luther et de Calvin, parce qu’ils inspirent sur des sujets nouveaux les positions et réticences d’aujourd’hui.
La plupart des théologiens protestants modernes, comme la prédication et la piété protestantes, restent préoccupés d’une certaine continuité avec les grands principes de la Réforme : le sola gratia (salut par la miséricorde, opposé à un salut par les œuvres) le sola Scriptura (la vérité chrétienne reconnue à la lumière de la seule Écriture, opposée à des normes de traditions). Ces deux principes continuent à commander, dans l’attitude dogmatique protestante, des oppositions au catholicisme sur des points qui ne sont plus nécessairement les mêmes qu’au temps de la Réforme4. […]
Nous n’avons pas abordé les points d’éthique. Les différences y sont plus difficiles à cataloguer. On constatera qu’en général la morale est présentée aux protestants avec moins de précisions que chez nous; plus de place est laissée à la réinterprétation et à la réinvention personnelles. Ceci n’est cependant exact que dans les Églises et les milieux protestants qui n’accordent aucune valeur normative à une éthique fondée sur la loi, tout en exposant une morale de liberté antinomienne.
On craint de faire appel à des lois naturelles, la nature ayant été corrompue par le péché et rendue peu explorable par la raison.
Des divergences plus précises existent en matière de morale sexuelle (théories des fins du mariage, contraception, divorce). D’autre part, certains milieux protestants engagés trouveront le catholicisme bien conformiste en matière de respect de l’ordre établi. Mais il est quasi impossible de poser, face à des propositions catholiques, des propositions protestantes correspondantes, par exemple le reproche de conformisme que nous venons d’évoquer peut, parfois, être retourné.
En matière d’éthique, la différence foncière entre les deux conceptions tient à la vue de l’homme. Le catholicisme pense que ce que l’homme doit être est, au moins de manière inchoative (au commencement de l’action), inscrit dans ce qu’il a été, et est selon une analyse objective. En conséquence, une morale objective s’impose avant même que soient connues les données de la révélation. Dans la pensée protestante, l’existence humaine ne peut bien s’entendre qu’historiquement et en référence avec le dessein du salut. Mais il est impossible ici de suivre les façons variées à l’extrême dont les rapports de la foi avec les devoirs humains sont traités par la pensée protestante. »

d.  Yves Congar🔗

Assurément, le Français Yves Congar se trouve parmi les grands théologiens catholiques représentant l’aile moderne, voire moderniste, de l’Église de Rome. Nous manquerions à notre devoir de probité intellectuelle si nous négligions un aperçu de cette nouvelle pensée catholique, qui se veut moderne et originale, et qui complétera, espérons-le, son image post-conciliaire. Certes, les tendances dures, rétrogrades, intégristes diraient certains, et les replis sur les positions d’avant Vatican II ne manquent pas actuellement et semblent même l’emporter dans les cercles officiels. Parmi elles, les positions intelligentes ne manquent pas non plus, et nous pensons ici à celles du cardinal Ratzinger, qui ne devraient pas être caricaturées ni taxées de rétrogrades.

Il existe dans les cercles officiels romains un grand souci de fidélité et d’orthodoxie que nous ne pouvons pas ignorer, notamment face à ceux qui, comme dans le protestantisme libéral moderne, ont rompu tout lien avec la foi apostolique de l’Église universelle. On peut donc apprécier de tels « replis ». Dans l’impossibilité de rendre compte de toutes ces tendances, nous aimerions au moins introduire ici celle d’une branche qui cultive cette orthodoxie, dans la ligne catholique, avec des accents de loyauté et des lumières d’intelligence qui leur font honneur et qui devraient réjouir nombre de réformés soucieux, eux aussi, d’orthodoxie, au sein de confusions et de débandades indignes de la confession du nom et de l’œuvre du Dieu trois fois saint. Où sont les théologiens protestants modernes, notamment dans le monde francophone? Signalons cependant qu’Yves Congar ne passe nullement pour être un conservateur, défenseur de l’orthodoxie de la foi. C’est plutôt l’opinion contraire qui prévaut5.

Résumons cette présentation du théologien catholique6.

« Les médias font voir le Vatican, saint Pierre, Jean-Paul II, les grandes cérémonies et les liturgies plus intimes. Les livres scolaires se font l’écho d’autres réalités : croisades, Inquisition, guerres de religion, dragonnades… La première visibilité que nous évoquions est belle. Nous sommes personnellement reconnaissants à notre Église de nous avoir élevés dans l’ordre et la beauté. Mais cette parole de saint Paul est vraie : “Notre vie est cachée avec le Christ en Dieu”. La vie profonde de l’Église ne se révèle pas à un regard superficiel. C’est une grâce de l’approcher dans un monastère. Pourtant le monachisme, s’il reflète la vie profonde de l’Église, ne la réalise pas tout entière. La liturgie non plus.
L’Église c’est le peuple des croyants à l’Évangile, convoqués par Jésus, appelés à la vie éternelle dans le Christ dont ils forment le corps en vivant dans son Esprit, et cela par un ministère visible. Mais on dit “l’Église romaine”, et cela demande explication. Luther remarquait en 1539 que si nous professons dans le Symbole des apôtres “croire en une Église catholique”, nous n’ajoutons pas “romaine”. L’addition de cet adjectif relève en effet de l’histoire, même s’il recouvre quelque chose qui dépasse l’histoire.
Aux 4e et 5e siècles, Ecclesia Romana désigne simplement l’Église locale de Rome. Inséparable de la “chaire de Pierre” ou du “Siège de Rome”, on lui attribuait le privilège d’une foi sans tache : on a ajouté à Église catholique le qualificatif de romaine quand des mouvements déviants ont revendiqué d’être l’Église authentique. Ainsi en 1207 et 1210, Innocent III demandait aux Vaudois réconciliés de confesser “une Église, non des hérétiques, mais sainte, romaine, catholique, apostolique, et immaculée”. Depuis cette date, les professions de foi ont souvent repris des formules analogues.
La Réforme protestante a conduit saint Pierre Cansius à introduire le pontife romain dans sa définition de l’Église. De nos jours, dans le contexte de l’œcuménisme où l’Église catholique s’est engagée, on parle nécessairement d’Église catholique romaine pour la distinguer des Églises qui se veulent catholiques sans admettre la primauté du pontife romain ni la nécessité d’être en communion avec lui. Le Concile Vatican II, cependant, n’emploie pas cette expression, bien qu’il en exprime le contenu en disant : “Cette Église […] existe dans l’Église catholique gouvernée par le successeur de Pierre et par les évêques en communion avec lui”. Le “existe dans” exprime la conviction catholique sans exclure la qualité d’Églises chrétiennes d’autres communions.
De cette Église, nous pouvons exposer l’être et la vie à partir d’une suggestion de saint Thomas d’Aquin, et en développant ce qu’a écrit Friedrich Pilgram, un laïc allemand du 19e siècle (1860). Dans son Contra Gentiles (IV, 76), saint Thomas distingue l’Église et le peuple chrétien. L’Ecclesia vient de la foi et des sacrements de la foi. Mais le peuple, qui est aussi l’Église, a besoin d’un chef visible doté de juridiction; Friedrich Pilgram écrit de son côté : “l’Église est une communion (‘koinonia’) qui existe en forme de société (‘politeia’)”. Cela traduit bien cette conscience que l’Église a d’elle-même, où se mêlent le sublime et le terrestre ou même le terreux. »

Plus loin, le théologien poursuit son explication sur le terme catholique.

« Le mot a plusieurs sens. Celui d’authentique, d’orthodoxe. Ainsi sans doute, vers 110, chez Ignace d’Antioche. Plus souvent, celui d’universel (étymologiquement : selon tout) soit au sens géographique, soit au sens qualitatif de plénitude. Parfois, par exemple chez saint Cyrille de Jérusalem, ces deux sens sont réunis. On les retiendra ensemble. Est catholique celui qui est ouvert à la plénitude des dons de Dieu7. L’Église est catholique. Une communauté locale, un fidèle, l’est aussi, alors qu’ils ne sont pas universels.
Appartient à la catholicité, comme une exigence impérative, l’impulsion missionnaire. Aux premiers siècles, il n’y eut pas d’organisation particulière pour évangéliser les nouveaux espaces humains que l’on découvrait. Au 19e siècle, au contraire, les congrégations missionnaires se sont extraordinairement multipliées et l’Église est redevenue aussi l’Église des martyrs. Aujourd’hui, chacun, dans l’Église, a une conscience plus vive d’être responsable de l’Évangile. […]
Un catholique a conscience que les Églises, vivant en d’autres régions du monde, appartiennent à la même Église. […] Le Seigneur suscite partout des hommes et des femmes par qui jaillit l’eau vive. La plénitude de l’être catholique se réalise par des voies inédites, celle de laïcs et de religieux motivés marquant ainsi leur sacerdoce prophétique, celui de la prière. […]
La grandeur, d’après Pascal, est de tenir les extrêmes et de remplir l’entre-deux. Le catholicisme est hiérarchique et se renouvelle de sa base; il verse dans le pluralisme et abonde en mystiques; il parle souffrance et croix, et joyeux, il préconise le développement des plus hautes valeurs humaines; il limite les prétentions de la raison et revendique ses possibilités. S’agit-il de l’action, il n’y a pas d’acte libre salutaire qui veut la coopération de notre liberté. Le catholicisme serait-il cette “compassio oppositorum” dont parlait Friedrich Heiler auquel répondit Karl Adam8 dans Le visage du catholicisme. Le catholicisme est plénitude, et, tel qu’il s’est exprimé dans le dernier concile, synthèse; pas de pape sans collège, pas de collège sans papauté; pas d’Écriture sans tradition, pas de tradition sans Écriture; pas de Christ sans communion des saints, pas de communion des saints sans le Christ et son Esprit, pas de ministères ordonnés sans communauté, pas de communauté complète sans ministère ordonné; pas de sacrement sans accueil de la parole, et ainsi de suite. Parfois, un élément est si prépondérant qu’il attire la réaction. […] Mais aucune Église ne peut prétendre réaliser seule la totalité des dons de Dieu. Dans un idéal d’incorporation, il ne peut s’agir d’uniformité. »

Quant à nous, nous aurons de très sérieuses réserves à l’égard de telles complémentarités qui, inutile de le souligner, laissent entendre plutôt des équivalences. C’est là précisément que le bât blesse dans le système de pensée romaine.

e. G.C. Berkouwer🔗

Dans son Aspects of Roman Catholicism (titre de la traduction anglaise), le professeur émérite néerlandais G.C. Berkouwer, de l’Université libre d’Amsterdam, certainement l’un des théologiens réformés les plus éminents de notre époque, nous a livré aussitôt après les travaux de Vatican II ses réflexions d’invité-observateur officiel au concile. Ses études de dogmatique chrétienne contiennent quelque vingt volumes dans leur traduction américaine9. À côté de cette série, Berkouwer est considéré comme l’un des meilleurs critiques de la théologie de Karl Barth10. Il est de même l’un des meilleurs connaisseurs de la pensée romaine, aussi bien classique que moderne. Le souci primordial qui le caractérise dans son approche du catholicisme est manifestement inspiré de la charité chrétienne, mais sans tomber dans un sentimentalisme sans ossature. Il invite ses lecteurs réformés à adopter la même attitude. Cette attitude découlera chez lui de son écoute attentive et humblement soumise à l’Écriture sainte. D’ailleurs, un constant et insistant leitmotiv revient dans tous ses écrits : Que dit l’Écriture?

Cette phrase sous sa plume est loin d’être un slogan éculé, comme c’est, hélas!, si souvent le cas chez d’autres évangéliques qui, sous prétexte de fidélité biblique, ont réduit la Parole inscripturée à un texte exsangue, à une sorte de talmudisation ou de coranisation de la Bible! L’auteur n’ignore pas combien le théologien réformé est constamment sollicité par la tentation de faire de l’Écriture « sa chose », au lieu de se laisser dominer par elle. Il rappelle l’attitude des pharisiens contemporains de Jésus qui n’avaient pu ni voulu l’éviter et y avaient succombé irrémédiablement.

Rappelons seulement les grandes lignes de son analyse des « aspects » du catholicisme romain, que nous avions d’ailleurs livrées pour être publiées au début des années 70 dans La Revue Réformée. Il demeure poli, parfois trop optimiste à notre gré, et ne cachant pas sa sympathie envers Rome, ce qui étonnera le lecteur réformé ayant eu d’autres échos et appréciations sur les nouveaux aspects du catholicisme romain. Mais en les rappelant, même après trente ans, nous avons jugé utile de maintenir ainsi un certain équilibre entre des attitudes quelque peu divergentes, non quant à la substance, mais quant aux modes d’approche et de lecture du catholicisme, tel qu’il apparaît au regard de la foi réformée depuis la fin du concile.

Invité personnel du pape au Concile Vatican II, Berkouwer nous livre dans son ouvrage des réflexions qui sont, à notre avis, d’une valeur permanente, ayant évité de faire un travail de journaliste. S’il fait preuve de sympathie, il pose aussi, avec une loyauté intellectuelle et avec une fermeté confessionnelle sans concession, des questions pertinentes à ses interlocuteurs romains, et il attend de leur part des réponses qui soient de la même teneur.

Quelle est la signification profonde de Vatican II pour l’Église romaine, mais également pour l’Église universelle? Quel est le rôle de la théologie moderne, qui, depuis quelques décennies, ne cesse d’agiter l’Église d’obédience romaine? Celle-ci peut-elle connaître une transformation radicale? Le concile a ouvert la porte à une rencontre œcuménique authentique. Nous ne sommes pas autorisés à donner des réponses simplistes même si de telles réponses fusent parfois du côté d’un certain anti-catholicisme protestant traditionnel, et les questions que nous devons poser aux romains, nous devrions aussi nous les poser. Elles devraient nous empêcher de demeurer dans des positions figées qui ne témoignent pas nécessairement de pures et irréprochables convictions évangéliques.

L’ouvrage fut principalement une analyse théologique des courants actuels qui traversent l’Église romaine. Mais armé d’une grande érudition, l’auteur ne se complaît pas dans une attitude de polémique stérile. D’autre part, ce livre ayant paru aussitôt après la deuxième session du concile, il ne faut pas y chercher des conclusions définitives.

Vatican II a été un concile inattendu, aussi bien pour les romains que pour d’autres Églises. On se souviendra que Vatican I, en 1870, s’était terminé abruptement, sans laisser voir la possibilité de convoquer une autre assemblée œcuménique. Après la proclamation de l’infaillibilité papale, l’Église de Rome tout entière se mettait sous la direction et l’autorité incontestable du « vicaire du Christ ».

La personnalité de Jean XXIII avait été le facteur le plus important et décisif dans la convocation de Vatican II. Le souci principal du pape en convoquant le concile était de démontrer le caractère d’universalité de l’Église; car la vision de Jean XXIII était dominée par le souci de la réunion de tous les chrétiens. Il avait donné des preuves touchantes de l’espérance qu’il nourrissait sur le rapprochement des Églises. L’un de ses soucis se concrétisa par la constitution du Secrétariat pour l’unité. Toutefois, admet Berkouwer, ce souci restait à l’arrière-plan encore, car, ainsi que le déclara le souverain pontife, le concile devait avant tout s’occuper des affaires internes de l’Église. En ce qui concernait les autres chrétiens, schismatiques, séparés, non romains, le concile ne devait pas faire de déclarations, mais plutôt donner des signes d’amour et de compassion à leur égard. À notre époque, l’Épouse du Christ doit faire un meilleur usage des instruments de guérison, au lieu de se servir des armes de la discipline. Il ne fallait pas non plus compter sur des résultats spectaculaires ni même comme allant de soi, comme si l’Église fut en mesure de contrôler les événements à l’aide d’une bureaucratie ecclésiastique. Les résultats dépendraient de celui qui écoute nos prières et les exauce.

Certes, pour le pape, l’unité des chrétiens dépendait de leur retour à Rome, siège apostolique, qui dans le culte, l’organisation ecclésiale et la doctrine offrait toutes les marques d’une unité suffisante. L’attachement à la doctrine traditionnelle ne soulevait pas de question; cependant, la doctrine catholique devait être examinée et présentée au monde par des méthodes appropriées à notre époque.

Alors, se demande le professeur Berkouwer, y a-t-il vraiment une quelconque espérance de vraie rencontre avec Rome? Les relations ont changé. Si souvent on s’était fait de l’autre une image caricaturale, aussi bien du côté des romains que du côté réformé.

Le théologien réformé a quelques paroles sévères à l’adresse de ceux qu’il qualifie d’anti-catholiques viscéraux. Ils ne dressent du catholicisme qu’un portrait déformé. Ils passent outre la vraie question de la controverse; aussi seront-ils voués à la stérilité dans leur action. Ils sont incapables d’apporter une contribution positive à la controverse entre Rome et la Réforme. Toujours sceptiques à l’égard de tout dialogue, émotifs, ils se sentent inconfortables dans des situations nouvelles. Ils confondent dialogue œcuménique avec faiblesse confessionnelle et concession faite à l’adversaire. Mais se rendent-ils compte de la gravité de la séparation des Églises?

Or, le catholicisme a changé, car il ne se replie plus sur lui-même, affirme-t-il, faisant peut-être preuve d’un optimisme de bon aloi, mais pas forcément réaliste. L’Église doit découvrir ou redécouvrir la voie de l’humilité, déclare-t-on à Rome. La sécularisation et l’aliénation des hommes modernes ne sont plus attribuées uniquement à l’orgueil ou à l’hostilité, mais seront plutôt vues sous l’angle de l’échec de l’Église à s’être approchée correctement du monde dans le passé. Le refus du triomphalisme est évident aussi bien parmi les laïcs que dans les rangs du clergé.

Rome regarde la Réforme avec d’autres yeux. On est mieux disposé à y voir des motifs purement religieux plutôt que le mauvais… caractère de Luther! Quelques-uns parlent même du rôle providentiel que la Réforme pourrait tenir un jour. Car les réformés vivent, eux aussi, d’une portion de la vérité révélée. De nombreux auteurs catholiques affirment qu’il existe une conception catholique de la sola gratia et de la sola fide. D’autres rappellent que Rome a toujours rejeté une conception synergiste du salut, c’est-à-dire la coopération active entre Dieu et l’homme pour l’obtention du salut par ce dernier. Hans Küng, dans sa célèbre étude sur la justification, écrira que l’homme est par lui-même incapable d’accomplir son salut. Le Concile de Trente n’aurait d’ailleurs, précise-t-on, rien voulu déclarer d’autre que la gratuité totale de la grâce! Il ne déconseillait pas les fidèles d’avoir l’assurance de leur salut. D’après Karl Barth, si telle est l’interprétation de cette doctrine (« articulum standis et cadentis ecclesiae »), les raisons et causes de la controverse romaine réformée pourraient disparaître totalement. Cependant, il convient de souligner qu’il ne s’agit là que d’une interprétation isolée d’un théologien particulier. Il existe aussi de sérieuses réserves catholiques à cet égard, mais pour l’instant personne n’a encore accusé Küng d’hérésie11. Il nous est parfois difficile de suivre la complexité juridique des débats théologiques chez les romains. Les faits dogmatiques, par exemple, sont impliqués dans la censure qu’exerce l’Église sur l’hérésie.

Mais un jugement prononcé par l’Église sur une position donnée apporte-t-il avec lui l’assurance que l’analyse antérieure était, elle aussi, exempte de toute erreur? Et ceci nous permet de mieux comprendre l’interprétation qu’on peut donner actuellement du dogme élaboré dans le passé. L’Église aurait été constante dans la vérité, dans son intention profonde, mais lors de l’analyse de l’erreur qu’elle rejetait, elle n’a pas su s’élever au-dessus de la relativité historique. La nouvelle théologie catholique n’est donc pas forcément dominée par un esprit d’accommodement.

Il convient d’ailleurs de distinguer cette erreur du modernisme qui a sévi au sein de l’Église au début du présent siècle. Ce mouvement moderniste se fondait sur des données extrathéologiques pour repenser des dogmes afin de pouvoir les accorder avec la pensée moderne. Il fait découvrir, assure-t-on, ce que l’Église avait voulu dire dans les formulations successives du dogme et reconnaître le rôle joué par le contexte historique.

Quant à l’Écriture et à la Tradition, le fait le plus saillant lors des débats conciliaires, comme aussi dans les discussions théologiques actuelles, est la possibilité d’une nouvelle lecture de la décision tridentine. On incline à penser qu’à Trente, lors de la rédaction définitive du décret sur l’Écriture et la Tradition, une révision importante s’était glissée; primitivement, elle était conçue de la manière suivante : en partie dans l’Écriture et en partie dans la tradition (il s’agit de la révélation). La révision, elle, dit : dans l’Écriture et la tradition, ce qui était déjà la position officielle depuis Trente. Il est par conséquent possible, dit-on dans certains milieux romains, de réviser toute la problématique des sources de la révélation. Pour le catholique Karl Rahner, il est absurde de croire que la révélation puisse se trouver tout entière dans l’Écriture, car pour les traits secondaires il fallait avoir recours à la Tradition. On n’observe pas la Tradition parce que le passé comme tel est plus important que le présent, mais simplement parce qu’une partie spécifique du passé a été plus qualifiée que d’autres pour lui confier certaines traditions.

En terminant ce bref compte rendu du livre de Berkouwer qui, vieux de près de trente ans déjà, ne nous renseignera ni nous éclairera sur le climat actuel du catholicisme romain, nous avons conscience de n’avoir pas rendu tout à fait justice à la riche pensée ni à la profonde spiritualité évangélique de son auteur. Berkouwer a refusé de faire un diagnostic superficiel, pas plus que des prévisions pour l’avenir… Nous devons admettre que s’il était, lui, quelque peu optimiste, nous savons que trente ans après Vatican II, nombre d’espérances ont été déçues, même chez les romains. L’actuel évêque de Rome (Jean-Paul II) et son entourage ultra conservateur ont donné raison à ceux qui, du côté protestant, étaient sceptiques dès avant l’ouverture du concile quant à la possibilité d’une véritable et profonde réforme. Malgré ces réserves de la part d’un réformé confessant, nous estimons que Berkouwer eut le courage d’entamer le dialogue tout en conseillant d’éviter un œcuménisme de salon de thé, poli et feutré, bercé d’une vision chimérique des possibilités d’union avec Rome. Les tensions actuelles doivent produire la vigilance, la prière, la foi, la soumission à Dieu, l’amour pour la vérité et l’amour pour l’unité.

Il existe notamment un point sur lequel nous devons redoubler d’attention. La controverse avec Rome sera désormais affectée par des questions qui nous sont posées aussi de l’extérieur. Si nous devons nous préoccuper tout d’abord de la dimension verticale de la foi, nous ne devons pas oublier sa dimension horizontale afin de parler aux hommes qui nous interrogent. Les tensions à l’intérieur du romanisme devraient nous rappeler qu’aucune position se voulant évangélique n’est à l’abri de la déviation. Nous pouvons terminer sur une note de certitude : si l’Église demeure sous la croix, obéissante, même si elle est coupable de désunion, elle est assurée par le divin Berger qu’elle sera conduite jusqu’au bout de son pèlerinage. Pendant ce temps, elle pourra produire les œuvres que Dieu lui demande, ce qui est bon, agréable et juste selon la volonté de Dieu par Jésus-Christ, à qui soit la gloire pour toujours.

L’invitation à la vigilance cherche principalement l’honneur de Dieu. C’est dans un souci de nous exhorter mutuellement et dans un esprit d’authentique fraternité chrétienne que nous l’adressons. Que des œcuménistes sans prendre garde risquent de faire travail de fossoyeurs des Églises de la Réforme restent dans l’euphorie! Quant à nous, nous ne devons pas baisser les bras ni nous attendre à une miraculeuse intervention de je ne sais d’où pour changer radicalement le cours pris, depuis plus de 15 siècles, par l’Église de Rome. À nous de rester vigilants et de sonner, même si l’expression passe pour vieillotte, la trompette de la mobilisation générale lorsque le danger menace gravement.

L’appréciation suivante accueillera davantage notre accord et assentiment.

f. Professeur G.N.M. Collins🔗

Le professeur Collins s’interrogeait déjà à ce sujet lors d’une conférence pastorale organisée à Édimbourg, dans le cadre de l’Église libre (presbytérienne) d’Écosse. Nous suivrons dans les grandes lignes son exposé et ses remarques critiques.

Nous croyons utile de rappeler ici les faits essentiels concernant la papauté en un moment où le flou doctrinal caractérise nombre d’Églises protestantes, et où l’apathie générale du peuple réformé favorise dangereusement des tendances œcuméniques néfastes pour la proclamation de l’Évangile et l’édification de l’Église de Jésus-Christ dans la foi sainte transmise une fois pour toutes.

Le professeur Collins adressait alors un vibrant appel à une vigilance accrue, à rejeter avec le même esprit évangélique et la rigueur de pensée, le même zèle et la même consécration, les mortelles erreurs toujours présentes au sein de l’Église romaine. À chaque visite papale dans tel ou tel pays, les romains exultent, et les protestants font souvent preuve d’une ardeur œcuménique qui contribue à l’euphorie générale, ceci au prix de l’abandon de la fidélité évangélique, sous le prétexte fallacieux qu’après les guerres de religion il faut rester tolérant en matière religieuse… On se rappellera l’allégorie de John Bunyan dans Le Voyage du Pèlerin : « Le pape géant émerge de sa caverne. »

Il est acclamé comme le chef de file des chrétiens en cette fin de siècle. Il a cessé de se comporter comme un emmuré du Vatican; il se montre, de manière fort médiatique, à la face du monde entier, abreuvant de ses bénédictions les foules rassemblées sur son passage, semblables à une houle déchaînée, chaque fois qu’il foule la terre de leur région. Il préside à des rencontres, célèbre des messes et, en quittant leur sol, il laisse l’impression d’un homme du peuple, poli et humain, chaleureux et humble.

Toutefois, nous ne nous intéresserons pas comme tel à la personne privée de celui-ci, même pas en sa qualité d’occupant du prétendu siège de Pierre à Rome. C’est la papauté elle-même en tant qu’institution et système ecclésiastique qui retiendra notre attention. Qu’elle est l’explication de sa réhabilitation, même dans des pays occidentaux de tradition solidement réformée? Que s’est-il produit depuis quelques décennies? Se serait-elle améliorée de façon incontournable? À moins qu’il ne s’agisse de la détérioration du protestantisme lui-même, aussi bien dans ses branches libérales que dans les familles dites « évangéliques ». Les réformateurs auraient-ils eu tort de rejeter le système de la papauté et même de tenir son représentant comme une figure de l’anti-Christ?

Pour répondre à ces questions, il nous faut revisiter l’Église du Nouveau Testament, puisque l’Église romaine fait remonter ses origines à celle-ci.

Depuis un certain nombre d’années, nous entendons affirmer partout qu’un vent de changement souffle sur l’Église romaine. Si tel était le cas, nous souhaiterions à ce vent de changement la plus cordiale et la plus fraternelle des bienvenues. Toutefois, force nous est de constater que ce vent n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière et que sa force est même déclinante pour pouvoir balayer, ne serait-ce qu’une petite parcelle, le terrain encombré de traditions et de superstitions. De toute manière, la fabrique qui produit des erreurs doctrinales depuis des siècles reste solidement sur place et semble encore fonctionner à merveille. Comment expliquer alors l’enthousiasme affiché à l’égard d’un prétendu changement? Ne s’agirait-il pas, plus sérieusement, ainsi que nous l’indiquions plus haut, de la détérioration même des Églises issues de la Réforme?

Certes, on se dit avec force et conviction : laissez la Bible circuler à l’intérieur de cette Église et la tyrannie de l’anti-Christ disparaîtra sans tarder (parole empreinte de foi et de grande vérité). Les faits donnent-ils raison à tant d’optimisme? Or, si nous nous trouvons en présence d’un protestantisme affaibli, le romanisme, lui, semble retrouver une vigueur renouvelée. Et, certes, s’il y a plus d’un siècle la différence entre romanisme et protestantisme pouvait se résumer en l’attachement des protestants à l’autorité suprême des Écritures, à l’heure actuelle les Églises de la Réforme, Églises de la Parole, semblent avoir enterré les premières et plus solides convictions relatives à celle-ci, à savoir la sola Scriptura, l’Écriture seule (sans la Tradition). Où en sont actuellement les doctrines clés et claires de l’inspiration verbale?

Nombreux sont les protestants, même du côté évangélique, qui s’imaginent que l’Église de Rome s’est engagée dans un mouvement de profonde réforme. Et, certes, elle s’adresse à ceux et à celles qui se trouvent hors de son giron avec une voix plus agréable que jadis. Elle semble avoir renoncé à son antique arrogance, elle a apparemment abandonné son intolérance exclusiviste, laissant la nette impression de vouloir entrer en dialogue avec d’autres Églises; elle a acquis d’authentiques accents d’œcuménisme… En outre, avance-t-on du côté protestant, n’est-elle pas plus proche d’une orthodoxie théologique sans commune mesure avec celle du protestantisme libéral? Elle souscrit à l’autorité des saintes Écritures, reconnaît la naissance virginale de Jésus, confesse sa divinité, accepte la doctrine de l’expiation par la mort sur la croix, proclame le triomphe de la résurrection corporelle, exalte la gloire de son ascension et sa session à la droite du Père et avec des chrétiens évangéliques elle espère la certitude de son prochain retour.

Il nous faut, nonobstant de telles observations, avoir la lucidité de voir en face les erreurs du passé qui s’y sont incrustées, dirons-nous, de façon non biodégradable… Des éléments de vérité se trouvent certes inclus dans ces quelques affirmations, mais toute la vérité n’y est pas! Il appartient à ceux qui s’attachent précisément aux données bibliques, celles notamment de la grâce libre et souveraine, d’indiquer de quelles aberrations les chrétiens sont dupes encore actuellement, celles dont le romanisme moderne se rend encore coupable.

Certes, l’Église de Rome postule l’infaillibilité de la Bible, mais elle persiste à s’interposer entre la Parole inspirée et le lecteur à qui elle s’adresse, en mettant en garde celui qui s’accorderait le droit de faire une lecture différente de la sienne.

Elle confesse la divinité et l’humanité du Christ ainsi que sa mort expiatoire; nonobstant, la gloire de cette mort est obscurcie par sa doctrine du sacrifice perpétuel offert dans la messe, tel un complément indispensable à l’œuvre parfaite achevée par le Sauveur (en dépit de quelques timides tentatives d’interprétation nouvelle du sacrement de la Cène chez quelques rares théologiens romains).

Le Christ est bien accepté comme le Vicaire (intermédiaire) des hommes devant Dieu, pourtant elle interpose comme médiatrice entre ces derniers et le Sauveur la Vierge Marie.

Elle intercepte la Parole de Dieu et en déforme le sens. L’autorité humaine a dépassé celle des Écritures pour s’imposer à elle. La foi chrétienne est alors substituée par l’ecclésiasticisme et le cléricalisme. Tout fidèle devra étroitement dépendre du Magistère. On a dit avec raison que l’essence de la papauté consistait en la monopolisation de Dieu. On ne peut pas justifier Rome sous prétexte qu’il existe en son sein des âmes sincères, pas plus que ne pouvait justifier l’Église de Sardes la présence de quelques noms qui n’avaient pas souillé leurs vêtements (Apocalypse 3). Ces fidèles ont nourri leur piété et leur foi en absorbant des aliments mélangés de pain et d’arsenic; le tout est de savoir quelles ont été les proportions de ce mélange. Et ce serait se tromper lourdement que de prétendre que les doctrines romaines sont, de nos jours, exemptes de l’arsenic des hérésies, contre lesquelles s’étaient levés nos pères dans la foi, les réformateurs du 16e siècle. Ainsi, le Concile de Trente, dont on attendait pourtant tellement de réformes, n’offrit qu’une position dogmatique officielle à nombre d’hérésies qu’avant lui l’Église ne reconnaissait pas comme faisant partie de son enseignement! Il en est ainsi du décret de Pie IV en 1564, et le courant continue toujours. Car, comme le dit avec réalisme un auteur, l’Église de Rome est une fabrique qui chaque année produit de nouvelles croyances et des superstitions de la dernière heure.

Le professeur Collins, signale ensuite les points névralgiques les plus saillants que nous traiterons nous-même dans les différents chapitres de notre étude (voir nos autres articles sur le catholicisme), par exemple la primauté de Pierre, le rôle de l’Écriture, les marques de l’Église, etc.

g. Gabriel Millon🔗

Dans ses cours sur le catholicisme romain, G. Millon, professeur et doyen dans les années 1950 de la Faculté de théologie protestante d’Aix-en-Provence, ex-prêtre romain, traçait de l’Église romaine l’image suivante :

Le catholicisme actuel est la résultante provisoire d’une longue évolution inachevée. De toutes les tendances, parfois contradictoires, qui se sont manifestées dans les siècles passés au sein de la chrétienté, certaines ont disparu, d’autres se sont imposées comme opinions et coutumes, d’autres encore ont été sanctionnées par des autorités ecclésiastiques. La sanction ecclésiastique fixant une opinion ou une coutume traditionnelle n’est elle-même que l’aboutissement d’une longue évolution humaine. L’évolution qui a son terme dans le « catholicisme actuel » n’est pas achevée. Il faut donc, lorsqu’on étudie le catholicisme, distinguer avec soin ce qui est définitivement fixé des traditions en voie de fixation, ou encore des traditions pour lesquelles la question d’une fixation ne se pose même pas.

Le catholicisme actuel est aussi un ensemble complexe, hétérogène, cherchant son homogénéité et son unité. Il faut donc distinguer les traditions largement diffusées, les traditions locales, les traditions populaires, les traditions ecclésiastiques, les traditions des écoles théologiques ou des écoles de spiritualité, les opinions plus particulières d’un homme, d’un groupe, mais qui cherchent une plus large audience. Quand nous parlerons du « catholicisme », nous ne donnerons pas à ce terme le sens d’universel.

Il vaudrait mieux parler de « romanisme », l’institution romaine étant l’un des facteurs dominants de ce système. Le « romanisme » n’est pas universel par institution divine, mais parce qu’il ne se limite pas lui-même dans son expansion comme le font les Églises nationales. Ce n’est guère que depuis le 15e siècle que le catholicisme, qui n’était pas alors le catholicisme actuel, a cessé d’être confiné en Europe occidentale et a entrepris par les missions et par d’autres moyens moins purs de réaliser à son profit une universalité pratique.

Nous pouvons encore dire que le « catholicisme » est la forme prise en Occident par la « chrétienté », qui est le résultat de l’association du christianisme et du monde. En Orient, cette chrétienté s’est réalisée dans les Églises (orthodoxes) grecques. Il n’est pas possible de traiter de tous les points sur lesquels Rome s’est éloignée de l’Évangile. L’étude de ceux-ci a mieux sa place dans la dogmatique. Nous voudrions plutôt amener le lecteur à comprendre la structure de pensée et de vie, les durcissements dogmatiques et les tendances du romanisme, de telle sorte qu’il puisse continuer son enquête et porter des jugements de valeur sérieux.

Trop de critiques du catholicisme manifestent plus d’incompétence de leur auteur que les défauts du système qu’elles attaquent. Et cependant, il est relativement facile de savoir ce que Rome enseigne. Il suffit de se procurer un manuel de dogmatique servant à la formation des prêtres.

Notes

1. George A. Lindbeck, The Future of Roman Catholic Theology, London, SPCK, 1971, cité par Robert B. Strimple, in Outlook, février 1993.

2. Il va sans dire, et le lecteur réformé averti aura aussitôt saisi que cette position protestante n’est que celle du libéralisme et aussi du barthisme, à laquelle adhèrent les signataires protestants à la rédaction de ce document.

3. Jean Daniélou, Protestantisme français, ouvrage collectif, Présences; Plon, 1945, chapitre « La position catholique ».

4. Le document signale ensuite les principaux désaccords autour du principe de la sola gratia aussi bien qu’autour du principe de la sola Scriptura. Nous les reproduirons en partie dans les deux articles consacrés à ces sujets intitulés Le catholicisme contre la sola gratia et la sola fide et L’Écriture sainte et la Tradition dans le catholicisme.

5. Si l’on en juge des critiques de Thomas Molnar, dans Le Dieu immanent, aux éditions du Cèdre.

6. D’après sa contribution, parue dans L’État des religions dans le monde, Éditions La Découverte/Le Cerf/Boréal, 1987, pages 95ss.

7. C’est nous qui soulignons.

8. Théologien romain du début du siècle.

9. Éditées par Eerdmans, de Grand Rapids.

10. Voir The Triumph of Grace in the Theology of Karl Barth, chez le même éditeur.

11. Au moment où Berkouwer rédigeait son livre; depuis lors le climat et la situation ont beaucoup changé.