Colossiens 3 - Les marques de la vie chrétienne
Colossiens 3 - Les marques de la vie chrétienne
« Que la parole du Christ habite en vous avec sa richesse, instruisez-vous et avertissez-vous réciproquement, en toute sagesse, par des psaumes, des hymnes, des cantiques spirituels; sous l’inspiration de la grâce, chantez à Dieu de tout votre cœur. Quoi que vous fassiez, en parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus, en rendant grâces par lui à Dieu le Père. »
Colossiens 3.16-17
Ces deux versets de la lettre de saint Paul aux Colossiens résument, à mon avis de manière suffisamment claire, ce qu’est la vie chrétienne; les traits caractéristiques qui y sont soulignés la distinguent nettement de la vie du non-chrétien.
Toutefois, existerait-il réellement une différence observable entre les uns et les autres? Certains s’interrogeront sur le bien-fondé d’une telle distinction; ils iraient jusqu’à la mettre en question. Y aurait-il quelque chose de particulier permettant au chrétien de se hisser sur un plan supérieur? C’est ainsi que se font souvent entendre des remarques du genre : « Vous n’êtes pas meilleurs que nous autres. La seule différence, tout au moins visible, entre vous et nous consiste en ce que vous fréquentez vos chapelles. Peut-être avez-vous quelques velléités d’élévation morale, des aspirations de vous améliorer, mais seriez-vous pour autant des gens d’une classe supérieure? »
De semblables questions, nous nous les posons à notre propre sujet. En effet, à des moments d’une exceptionnelle lucidité, sans doute sous l’effet de la grâce, je me mets douloureusement en question : « En quoi suis-je meilleur que mon voisin? Suffit-il de porter le titre de chrétien pour me distinguer de lui si, en pratique, ma conduite n’est pas différente en quoi que ce soit? » L’interrogation est à la fois légitime et nécessaire; la plus élémentaire intégrité l’exige. Et puis, quelle serait la raison d’être de nos institutions ecclésiastiques, celle des cultes que nous célébrons et de l’enseignement catéchétique chrétien, si en dernière analyse nous n’offrions aucun trait distinctif de notre profession de foi chrétienne?
Rassurons-nous cependant; nous poser de telles questions signale déjà que nous sommes conscients de n’être que tout juste au commencement de notre marche spirituelle, et je précise bien marche, et non élan. Par ignorance, par maladresse, par inconscience, par opiniâtreté et suffisance, nous avons négligé d’utiliser des moyens gracieusement mis à notre disposition pour avancer plus fermement, pour progresser régulièrement.
L’ordonnance et les prescriptions du grand Médecin de nos âmes ont été inefficaces parce que nous ne nous y sommes pas conformés. Or, seul Jésus-Christ peut offrir le seul remède capable de guérir nos maux et de faire une différence dans nos vies. Parlons alors de ce qu’il accomplit pour pouvoir saisir l’essentielle et incontournable différence entre le chrétien et son voisin non chrétien.
Dans ces lignes de sa lettre aux Colossiens, saint Paul explique clairement et avec une incontestable autorité toute la nouvelle réalité.
Pour commencer, il adresse une pressante exhortation : « Que la Parole du Christ habite en vous avec sa richesse ». Ceci est une fin de non-recevoir pour toute prétention d’être soi-même l’artisan de sa vie chrétienne et de sa spiritualité. La vie dans la foi n’est pas fonction de ce que nous accomplissons. La foi n’est pas une méthode, une de plus parmi tant d’autres qu’il suffirait d’appliquer en vue d’une amélioration progressive. Des avis de cette nature sont prodigués par la foule de prétendus experts, et des leçons moralisatrices vous en trouverez aisément ailleurs. Par exemple, les alléchants : « Comment parvenir par la méthode transcendantale… »; « comment réussir l’exercice dianétique… »; « le secret de vous faire des amis… »; « méthode pour monter plus haut… »; « apprendre à vous dominer… »; « vous exercer à méditer… », et toute la kyrielle d’ascèses d’un mélange physique et spirituel, psychologique et… surtout financier. Le marché bien achalandé des religions orientales et des bizarreries sectaires qui prolifèrent chez nous vous en fourniront en profusion. Si les formules « comment faire » sont nombreuses et ennuyeuses, les résultats obtenus par ces inepties pseudo-spiritualistes sont encore plus affligeants. Prétendre atteindre des hauteurs qui ne sont pas habitées par Dieu ne peut aboutir qu’à la ruine tragique de l’âme égarée, précipitée dans l’abîme sans fond de la perdition.
En un sens, de tels avis, de semblables efforts et des tentatives de cette nature pourraient, à brève échéance, vous offrir l’illusion d’un heureux accomplissement de votre personne. Néanmoins, à la longue, ils auront passé outre la marque essentielle. Car, hélas!, aucun d’eux n’atteint la racine de notre problème. Or, notre problème fondamental consiste en la recherche du bonheur et de la perfection dans un idéal et dans des ascèses en dehors de Dieu, indépendamment de la source de tout bonheur, de toute sagesse, de la fontaine inépuisable de toute spiritualité, du fondement de toute réalité. La racine de notre mal, elle, est profondément enfuie en notre orgueilleuse affirmation de nous-mêmes, en notre prétention de parvenir à l’accomplissement soit par une religion de notre crû, soit par une pseudo-culture, soit à l’aide de la psychologie fouillant dans notre tréfonds — qui échappe d’ailleurs à tout contrôle humain — soit même par l’ivresse de la science et de la technique modernes.
La Bible chrétienne nous refuse toute vantardise, toute fanfaronnade. L’apôtre attire notre attention vers la Parole du Christ. Le Christ en personne l’a déclaré une fois pour toutes : « Ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu » (Lc 18.27). Car Dieu fait plus que nous améliorer. Il fait de nous, ici et maintenant, une nouvelle création.
Remarquons que la Bible ne nous laisse pas seulement avec une réponse aussi négative. Elle offre aussi l’explication du comment de l’opération efficace de Dieu en nous. Dieu le Père a envoyé son Fils unique, le Christ a manifesté ses infinies compassions en sauvant celui qui était perdu; le Saint-Esprit restaure la communion brisée. La porte est désormais grande ouverte et l’accès libre pour une ascension, non vers des hauteurs inaccessibles et nébuleuses, ni non plus pour nous précipiter dans l’abîme béant d’une mystique impersonnelle et dépersonnalisante, mais vers la présence réelle et immédiate du Dieu Créateur et Rédempteur. Le mode d’opération choisi est la Parole du Christ, moyen de grâce divine par excellence. Notre réconciliation avec Dieu est la réalisation de l’œuvre de l’unique et exclusif Médiateur, Jésus-Christ notre Sauveur.
Cependant, « que la Parole du Christ habite en vous » ne signifie pas que nous ayons à employer nos journées ou une grande partie de nos soirées à fréquenter assidûment cultes et offices religieux, à courir d’une réunion de prière à l’autre, à fréquenter les réunions dites « de réveil », à prendre part à toutes les croisades d’évangélisation… Bien que tout cela soit utile si on le pratique avec discernement, nous risquerions de rester quand même étrangers et même imperméables à la Parole du Christ.
Chacune de nos journées devrait commencer par se placer sous les puissants projecteurs de la Parole divine et se terminer en faisant de celle-ci la lumière sur notre sentier. La Parole du Christ, que nous trouvons dans la Bible chrétienne, est comme une source d’où nous puiserons constamment des eaux vives pour nous abreuver et cultiver une vie chrétienne robuste. Le Christ s’est comparé au Pain de vie descendu du ciel. Ce pain céleste serait inutile si nous nous abstenions de le goûter.
Nous sommes sans cesse aux prises avec des difficultés et en proie à de multiples anxiétés; nous souffrons douloureusement des soucis, bien souvent inutiles, dont nous nous affligeons parce que nous ne savons pas nous en décharger sur Dieu. La joie chrétienne, elle, brille par son absence!
« Instruisez-vous et avertissez-vous réciproquement », poursuit saint Paul, et il précise, « en toute sagesse ». Le grand pasteur qu’est l’apôtre se réfère à quelque chose qui est devenu presque inexistant dans nos vies. Je veux dire la communion chrétienne, la compagnie des croyants qui se rencontrent et qui s’aident mutuellement. L’Église apostolique n’était pas une amicale du dimanche, mais une communauté fraternelle quotidienne, vivante, chaleureuse. Il était possible d’y discuter de sujets d’intérêt commun et de s’y soutenir mutuellement, au lieu de se confiner dans un individualisme morose ou bien de se barricader dans un isolement farouche.
Les chrétiens des temps apostoliques allaient jusqu’à partager leurs possessions matérielles. Hélas!, notre vie sociale et même ecclésiastique s’étiole en menant des existences parallèles, qui se croisent sans se rencontrer. D’où ces malheureux abandons des faibles parmi nous, les douloureuses solitudes des âmes sensibles, les cruelles mutilations sociales… Nous refusons parfois, avec dureté de cœur, toute solidarité. Mais le Saint-Esprit avait fait des communautés chrétiennes naissantes des fraternités aux liens indissolubles et généreux. Sans une dimension communautaire, le groupe des chrétiens cessera d’être une Église pour ne rester qu’une compagnie de gens malheureux qui n’ont en commun qu’un simple nom et une existence commune étiolée.
Saint Paul signale encore qu’une communion fraternelle authentique devrait s’accompagner du chant d’hymnes et de psaumes. Il ne suffit point de créer une simple convivialité horizontale. Il faut encore cultiver une communion liturgique au sens profond du terme pour chanter et pour louer Dieu, pour adorer le Créateur, pour célébrer le Rédempteur, pour invoquer l’Esprit Consolateur. Nombre d’Églises réformées ont maintenu cette belle tradition, et nous en sommes particulièrement heureux.
Au cours du culte dominical, avec l’orgue là où il existe, avec un harmonica de bouche lorsque celle-ci est l’unique instrument musical disponible, les fidèles chantent des psaumes. Il ne faudrait cependant pas limiter le chant chrétien aux seules célébrations cultuelles. Le chrétien devrait chanter également durant la semaine, au cours des cultes de famille, si toutefois on a maintenu cette saine tradition qui faisait autrefois la force de la piété protestante. Chantez à Dieu du fond du cœur, même si vous n’avez pas la voix d’une diva… Votre chant offre à la miséricorde divine une réponse reconnaissante. Il vous revigorera telle une prière ardente et à la manière d’un sermon puissant.
« Quoi que vous fassiez…, faites tout au nom du Seigneur », ajoute encore l’apôtre. Certainement, il y a des activités et des obligations communes aux chrétiens et aux non-chrétiens. Nous travaillerons comme tout homme pour notre gagne-pain, et nous le gagnerons nous aussi à la sueur de notre front. Nous travaillerons huit heures par jour ou soixante-dix par semaine, comme d’autres. Pourtant, d’après l’apôtre, la différence entre notre travail et celui accompli par le non-chrétien, qu’il s’agisse d’une profession prestigieuse ou d’un travail manuel, est que nous devons l’accomplir comme une vocation à la gloire de Dieu.
À l’heure actuelle, les chrétiens, entraînés par des courants matérialistes dévastateurs, ne considèrent plus leur métier comme une vocation qu’ils devraient exercer au nom du Seigneur. La dévalorisation du travail explique certainement nombre de graves crises qui affligent celui-ci. Cependant, aurions-nous oublié que nous ne nous appartenons pas, mais que nous sommes au Seigneur? Nous sommes appelés à nous conformer au Christ, à nous soumettre à sa bonne, sage et parfaite volonté. Durant les longues nuits d’insomnie, au lieu de nous morfondre ou de chercher des subterfuges pour mieux réussir dans la vie, laissons-nous guider par l’Esprit du Christ, afin d’accomplir sa volonté et de ne pas le déshonorer. Si souvent nous nous épuisons dans de vains efforts pour faire valoir notre point de vue et pour faire échec à nos rivaux!
Saint Paul a un dernier mot qui nous aidera à produire une authentique marque de la vie chrétienne : « Rendez des actions de grâces par Jésus-Christ à Dieu le Père ». C’est un immense privilège que de servir le Christ avec enthousiasme, heureux d’assumer les moindres tâches sous son regard. Sachons alors que nous appartenons à sa compagnie, que nous sommes parties prenantes de l’entreprise qui relève de son autorité, bénéficiaires de ses actions, dépositaires des titres de crédit qu’il fait fructifier pour nous. En Christ et co-ouvriers par l’Esprit, nous œuvrerons pour le Royaume éternel. Nous avons un Maître aimant et nous avons toutes les raisons d’être des employés et des administrateurs heureux, comblés, prospères même.
Si tel est le cas, la question que nous nous posons au sujet de notre foi ou encore les remarques par moments malveillantes des opposants devraient s’estomper. Nous sommes différents. Dans la vie active, dans les joies et les plaisirs, dans la peine et le deuil, dans la célébration du culte ou le combat contre le mal, nous restons différents. Nous portons le nom de celui qui est au-dessus de tout autre nom, en qui seul nous avons la rédemption. Telles sont les marques de la vie chrétienne : restons alors fermes dans la foi, joyeux dans l’espérance, actifs dans la charité.