Démission et fuites
Démission et fuites
« L’homme est mort. Dieu est mort. La vie est dénuée de tout sens et l’existence est devenue le rouage d’une effrayante machine impersonnelle. La seule fuite possible se trouve dans le monde de la fantaisie irrationnelle, celui de l’expérience des drogues psychédéliques, de la pornographie, jusqu’à l’expérience finale, fuyante et insaisissable qu’est la folie. C’est là l’état d’esprit qui caractérise notre époque. Comment rendre la foi chrétienne signifiante pour elle? »
Cette fuite se manifeste dans tous les domaines des activités de l’homme. Au 19e siècle, l’université était devenue un lieu privilégié de refuge et de démission pour beaucoup de gens. Les hommes supportaient mal la réalité contraignante de la vie quotidienne dont les conditions, parfois insupportables et en tout cas déplaisantes, les incitaient à s’enfermer, tels de nouveaux ermites, dans un monachisme académique. Le travail manuel et toute occupation « pratique » passaient pour la malédiction suprême. Fuir « la vie bourgeoise, » le christianisme, la famille et la morale dans l’intention d’instaurer un ordre nouveau a marqué le 19e siècle, et un laïcisme à outrance en est l’issue directe. De nos jours encore, christianisme et morale chrétienne continuent à être combattus avec une détermination farouche et un fanatisme quasi religieux. Il est vrai que le refus du mal comme une fatalité inévitable et la révolte contre les maux qui accablent les hommes et les injustices dont ils sont les victimes peuvent être parfois la seule attitude correcte et courageuse. Tout progrès est le fruit du labeur des hommes qui n’admettent pas le statu quo et qui travaillent en vue d’une amélioration des conditions de vie. Cela dit, il faut aussitôt ajouter que progrès et amélioration doivent tenir compte de la réalité et se fonder sur un minimum de réalisme.
Or, l’histoire moderne est marquée davantage par la révolte contre la réalité que par un réalisme lucide. Les hommes cherchent à façonner la réalité d’après leurs rêves et leurs idées chimériques, mais lorsque ces rêves se réalisent, alors, ils restent stupéfaits en présence des horreurs et des destructions qui en résultent…
De nos jours, l’université semble être devenue, encore une fois, l’un des lieux de prédilection de certains démissionnaires de la vie. Le nombre toujours croissant d’étudiants perpétuels en est la preuve… Les universités sont fréquentées par nombre de jeunes — et parfois même par des gens ratés — qui s’y accrochent comme à leur unique planche de salut parce qu’ils ne savent pas comment vivre ni comment assumer leur responsabilité personnelle. À vrai dire, personne ne leur a appris cette leçon élémentaire. Et toutes les réformes de l’enseignement n’y pourront rien tant que cet élément personnel, ce facteur décisif, n’interviendra et ne jouera pas son rôle. En haïssant la vie d’adulte, en refusant les tâches et les responsabilités, les poids et les fardeaux, des jeunes et des moins jeunes s’enferment dans un univers imaginaire.
Les idéologies politiques sont incontestablement de nos jours, et en dépit de toutes sortes d’engagements, l’un des domaines privilégiés où se réfugie ce genre de démissionnaires. Elles leur servent de tours d’ivoire pour fuir hors de la réalité. Depuis la dernière guerre, plus que jamais et à tous les niveaux de la société, tout semble s’être politisé. « Tout est politique, » affirme-t-on, et l’Église chrétienne n’échappe pas à l’emprise ni au charme de ce slogan. Les hommes s’imaginent pouvoir organiser une vie stable et heureuse avec leurs systèmes politiques.
L’Écriture, qui nous sert de guide infaillible, affirme que la responsabilité individuelle est un élément essentiel dans l’existence de tout homme. Celui-ci est appelé, en tout premier lieu, à rendre compte de ses actes et de ses paroles à Dieu son Créateur, celui qui est également son unique libérateur. Selon la Bible, le point central de l’homme, le moteur qui fait fonctionner son existence s’appelle « le cœur ». Or, l’homme déchu et révolté contre Dieu n’acceptera pas de se comporter de manière responsable. Il n’est jamais disposé à admettre ses erreurs et à reconnaître ses fautes. La responsabilité il la cherchera ailleurs, il la rejettera sur autrui ou sur « la société » en général.
L’erreur tragique de ces dernières décennies, sinon de tous les temps, a été de croire que tous les maux qui s’abattent sur l’humanité sont de nature extérieure à l’homme. On alléguera les conditions politiques, on prétextera les situations sociales, on évoquera la mauvaise répartition des richesses économiques et que sais-je encore pour expliquer le malaise de l’homme ainsi que la crise de la société moderne. Mais on a la mémoire bien courte, en oubliant que l’homme a péché dans le plus idéal des environnements, là où étaient réunies les conditions les plus favorables pour une vie heureuse et pour la communion parfaite avec l’Auteur de sa vie.
Dans des explications de nature sociopolitiques, il n’est jamais question de repentance ou de conversion. Pour certains, la révolution est devenue un acte de nature religieuse qui remplace hélas! la foi biblique au Dieu trinitaire. Au salut apporté par Dieu, on substitue le sauvetage opéré par et pour l’homme. En détruisant le monde ancien et l’ordre qui y régnait, les chrétiens apostats s’imaginent bâtir une cité nouvelle. Chimères humaines d’hommes incorrigibles, aveugles, conducteurs d’aveugles! N’apprendra-t-on donc jamais que, bâtir avec les gravats, les poutres tordues, les plâtres et les décombres de la tour de Babel est tout aussi insensé que d’avoir tenté de la bâtir à neuf au début de notre histoire?
Les manifestes révolutionnaires de jadis annonçaient la disparition des classes, l’institution de gouvernements locaux et autonomes, l’inviolabilité des droits de l’homme, la liberté de conscience et du culte, l’égalité entre tous… Hélas!, nous sommes bien loin de saluer l’apparition du « grand jour ». En revanche, partout où ces idées « généreuses » ont pris corps et consistance, nous assistons, impuissants, à l’instauration de régimes totalitaires et répressifs. L’exploitation de l’homme par l’homme dans ses pires manifestations, voire sa dépersonnalisation, sont les seuls résultats obtenus…
C’est la raison pour laquelle nous estimons que le domaine politique est devenu l’un des principaux lieux de fuite hors de la réalité. Fuite et démissions courantes, même dans les pays où il existe encore un semblant de liberté ou de démocratie. Si ailleurs, le règne brutal de la terreur, l’oppression la plus abjecte, voire les massacres d’innocents, sont perpétrés au nom même de la liberté des peuples et des idées démocratiques, est-on sûr que nos démocraties occidentales, elles, soient blanches comme neige?
Il se pourrait que l’Église chrétienne, devenue apostate, s’allie aux forces adversaires et les serve avec complaisance au moyen de compromissions ou, pire encore, d’une manière ouverte. « L’Église, a-t-on dit, fut au siècle dernier la prostituée de la droite. Aujourd’hui, elle est certainement en train de devenir celle de la gauche! » Ainsi l’Église, si elle ne se fonde pas sur la réalité de la Parole de Dieu et en Jésus-Christ, son seul Seigneur, oscillera de la droite à la gauche et de la gauche vers la droite, sans demeurer sur le vrai fondement ni devenir la colonne et l’appui de la vérité, ce qui est sa vocation première. Contre l’irréalisme des non-croyants, nous devons annoncer la réalité du péché et le salut par la grâce. Ce n’est qu’ainsi que nous saurons rendre la foi chrétienne signifiante pour notre époque. Nous n’avons d’autre histoire à raconter au monde que la vieille histoire de la croix et de la résurrection, du Dieu jugeant le mal, mais qui pardonne au pécheur dont il rénove l’esprit.
Si nous cachons ou même édulcorons ce message, nous n’avons rien à dire ou à faire dans ce monde!
Certaines formes « modernes » du christianisme et des tendances qui se veulent radicales croient en la bonté naturelle de l’homme. Certains chrétiens ont cessé d’admettre la réalité du péché. C’est pourquoi Dieu leur semble mort. Alors l’homme, livré à lui-même, confond le royaume du ciel avec la révolution violente.
Il y a un siècle, le grand Dostoïevski rappelait cette réalité aux utopistes et aux anarchistes de son époque. De nos jours, un autre russe, Soljenitsyne, nous rappelle dans ses ouvrages que nous pouvons rester « la petite flamme dans la tourmente ». Le mensonge de l’homme consiste à vouloir devenir Dieu, mais ce faisant il abandonne la réalité et il la fuit.
Nous autres chrétiens nous connaissons l’autre face de la réalité, à savoir que l’homme est créé à l’image de Dieu et libéré de toutes ses aliénations par Jésus-Christ. Destiné à être le roi, le prêtre et le prophète de Dieu ici-bas, il est le partenaire d’une Alliance éternelle. En Christ, nous retrouvons notre destinée glorieuse et nous pouvons accomplir notre mission terrestre.
Rappelons-nous cette parole de l’Écriture : « Celui qui pèche contre moi, dit Dieu, nuit à son âme. Ceux qui me haïssent aiment la mort » (Pr 8.36). Mais en Christ, nous avons la vie, le chemin, la vérité! En lui, nous sommes en pleine réalité.