D'abord dans nos maisons
D'abord dans nos maisons
Une des convictions qui se sont forgées lors de mon temps de ministère pastoral est la suivante : ce qui se vit à la maison influence fortement la vie de l’Église, plus que l’inverse. En d’autres termes, l’Église peut avoir un excellent enseignement sans que cela transforme la vie des couples, les relations parents/enfants, etc. Par contre, tout problème non réglé, mais aussi toute bénédiction, vécus dans la maison (même en secret) se répercutent dans la vie de l’Église.
Un des premiers commandements de Jésus n’est pas de se rendre au culte en Église, mais d’aller dans sa chambre : « Ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le secret; et ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6.6). Que les pasteurs se rassurent : le culte communautaire aussi est important. Mais je crois que le premier rendez-vous avec Dieu, la première rencontre, la première prière — qu’elle soit de louange ou de supplication —, la première fidélité, la première persévérance, c’est dans notre chambre qu’il faut les vivre. Disons, dans la maison. Le temple, aussi important soit-il, n’est qu’un lieu de rencontres ponctuelles. La maison est le lieu de vie habituel. Le temple peut malheureusement devenir un lieu d’apparence; la maison est nécessairement un lieu de vérité.
On a souvent pensé que ce qui se vivait au temple allait rejaillir sur les maisons. C’est le contraire qui est plutôt vérifié : beaucoup d’empêchements, de blocages, de refus, de problèmes irrésolus dans la vie des Églises ont leurs racines dans les problèmes irrésolus à la maison, dans les couples et les familles. C’est là qu’il faut les reconnaître et les résoudre dans l’écoute de la volonté de Dieu, la repentance et l’obéissance de la foi. De même, tout apprentissage, tout progrès, toute victoire, toute bénédiction vécue dans la maison rejaillissent automatiquement sur la communauté chrétienne. Tout ce qui se vit dans les maisons, visible ou secret, influence la vie de l’Église. Les problèmes comme les bénédictions!
Au temps de Calvin, la prédication publique était suivie par la prédication privée : dans les maisons, pasteurs et anciens reprenaient les éléments de la prédication publique pour encourager les fidèles à mettre la Parole de Dieu en pratique dans leur vie (Mt 28.20). C’est cela que l’on appelle la discipline pastorale.
À la maison ne signifie pas que celle-ci soit plus importante que l’Église. En un sens, l’Église est plus importante… Mais c’est à la maison que la vie chrétienne doit s’apprendre et s’appliquer premièrement. L’apôtre Paul le dit à Timothée assez clairement : « Il faut que l’ancien dirige bien sa propre maison, […] car si quelqu’un ne sait pas diriger sa propre maison, comment prendra-t-il soin de l’Église de Dieu? » (1 Tm 3.4-5). On est loin du tabou sur la vie privée que l’on observe aujourd’hui! Ce tabou peut constituer un très sérieux obstacle au développement de l’Église. L’interdit qui causa la défaite du peuple d’Israël devant la ville d’Aï était caché sous le tapis d’une tente et personne ne le savait (Jos 7.8-13)1.
Nul n’ignore les liens forts qui existent entre le domaine familial et la vie de la communauté. Il y a là des héritages, des pouvoirs, des attachements qui s’avèrent intouchables et qui peuvent peser sur l’Église, la verrouiller, miner son unité, incliner ses choix. L’Église alors peut devenir un club sympathique où on aime se retrouver, qui invite le Seigneur quand ça lui plaît… C’est un sujet délicat, mais qui ne devrait pas devenir tabou. Pour que l’Église soit sanctifiée, il faut que les maisons le soient. Ici comme là, le Seigneur doit être placé en premier, de telle sorte que les sentiments et les passions ne prédominent pas. Jésus donne à cet égard un exemple éloquent : nous le voyons tout à la fois respectueux pour sa famille et soucieux de ne pas dépendre d’elle pour ce qui est de sa fidélité à son Père (Mt 10.37; Lc 2.48-52; 11.27-28; Jn 2.3-4; 19.26-27).
L’Église n’est pas une réalité située à côté des maisons : l’Église est le prolongement direct de ce qui se vit dans les maisons. Ainsi, je me demande si on peut réellement prier au temple, chanter des cantiques et écouter la Parole de Dieu, si on ne l’a pas d’abord fait à la maison, tout seul ou en famille. Peu de chrétiens imaginent à quel point le culte rendu à Dieu serait différent (y compris la prédication) si chacun s’était déjà mis à genoux chez lui, avant de se réunir avec les frères et les sœurs.
De nombreux passages bibliques confirment cette priorité. C’est dans les maisons que les Hébreux ont partagé le premier repas de la Pâque, le sang de l’agneau placé sur le linteau des portes (Ex 12.3); c’est dans les maisons que l’instruction devait se transmettre premièrement (Dt 6.7-9; Pr 1.8-9). C’est dans les maisons que les vocations et les apprentissages élémentaires se forgent (Ac 20.20-21; 2 Tm 1.3-5; 3.14-15) : pour les maris, serviteurs à la manière du Christ qui donne sa vie; pour les épouses, servantes à la manière de l’Église rachetée; pour les parents, bergers de leurs enfants; pour les enfants, disciples respectueux et respectés, etc. (Ép 5.23 à 6.4; 1 Tm 5.4-8; 1 Pi 3.1-7). L’apôtre Pierre enseigne que la piété ne peut pas être dissociée de la vie de tous les jours quand il rappelle que si un homme se conduit de manière irrespectueuse avec son épouse, cela constituera un obstacle à la prière (1 Pi 3.7).
L’écoute, le respect, l’obéissance, le pardon, où cela va-t-il s’apprendre, si ce n’est dans la maison? La responsabilité, la générosité, l’hospitalité, où cela va-t-il s’exercer d’abord, si ce n’est dans les maisons? Les dons reçus de Dieu, le devoir partagé, le souci des autres, où cela va-t-il se développer en premier, si ce n’est dans la maison? Pas seulement dans la maison, mais d’abord dans la maison! La maison est le lieu par excellence de la démarche pastorale préventive, comme le livre des Proverbes l’atteste abondamment. Nous comprenons l’importance de la visite pastorale dans les maisons où les situations personnelles peuvent être évoquées et amenées à la lumière de Dieu, où la responsabilité de chacun peut être rappelée avec les promesses qui l’accompagnent.
Il est vrai que la maison peut aussi devenir un lieu de repli frileux, égoïste. Ce n’est pas la volonté de Dieu. La maison doit être un lieu de repos, certes, mais aussi un lieu d’accueil, ouvert particulièrement aux personnes seules, aux personnes ayant besoin de réconfort, aux personnes qui ont soif de grandir.
Pour grandir justement, en maturité et en nombre, l’Église a besoin que de nombreux chrétiens (tous si possible) deviennent peu à peu des pères et des mères spirituels, c’est-à-dire des chrétiens en mesure de veiller, de prendre soin, d’accueillir, de visiter, d’instruire, d’accompagner. Le premier lieu où cela se prépare et se vit, c’est la maison!
Note
1. Voir mon article intitulé L’interdit.