Cet article a pour sujet la notion biblique du temps et de l'histoire qui a un début, un centre et une fin (eschatologie), pour l'accomplissement des actes rédempteurs de Dieu qui donne une espérance.

Source: Espérer contre toute espérance. 7 pages.

Espérance et histoire - Toute théologie est histoire

« L’un des écrits du Nouveau Testament, l’épître aux Hébreux, souligne avec une grande énergie que les chrétiens ne sont que des pèlerins en marche vers le but de l’histoire (Hé 11-12) : Historia viatorum, non angelorum. La théologie chrétienne n’est ni une philosophie ni une morale intemporelle. Elle est essentiellement commentaire, rappel, explication et annonce d’une série d’événements, d’une oikonomia, d’un ordo salutis. Il n’y a guère de vérité en soi au sens théorique. Le tissu de la réalité et de la vérité est un dialogue entre personnes, entre Dieu et les hommes, un vaste procès entre la lumière et les ténèbres où chaque acte et chaque scène ont leur place précise, unique et indispensable. Ce drame se passe sur la terre, dans notre temps et dans notre espace et non dans le similitemps, dans l’uchronie du mythe. Quand les temps furent accomplis, Dieu envoya son Fils (Ga 4.4). La Parole éternelle est devenue chair sous Auguste, elle est morte sous Tibère et le brutal Ponce Pilate a trouvé sa place dans le credo. Pour connaître Dieu et avoir la vie, il faut manger la chair et boire le sang du Fils de l’homme, accepter la folie et le scandale de l’incarnation et de la mort lamentable de Jésus de Nazareth dans son obscure banalité. Et pourtant, la chair ne sert à rien. C’est l’Esprit qui vivifie. Bien que le Logos soit devenu réalité historique, le réel n’est pas en soi, comme le voulait Hegel, immédiatement logique. Cela est vrai non seulement des origines et de la fin de l’histoire, par essence incontrôlables aux yeux des hommes, mais aussi des événements de l’histoire du salut qui sont contrôlables. Pour reconnaître dans les guérisons de Jésus autre chose que des prouesses de magicien thaumaturge, il faut les voir d’une certaine manière; pour voir dans le fait divers d’un quelconque gibet dressé en l’an 29 le centre de l’histoire, il faut une lumière d’en haut. Les événements de la révélation demeurent des signes ambivalents; cette révélation reste largement incognito. Seuls quelques-uns ont vu et touché le Ressuscité : Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. Toute cette histoire n’est claire et continue que pour la foi. Certes, l’Évangile est simple, il n’est nullement compliqué. Mais il est difficile.
Cela ne veut pas dire que, pour organiser la matière brute, la chose en soi de l’histoire du salut, il faille jeter sur elle un filet de formes, de catégories, d’idées générales. Ce ne sont pas les idées, c’est l’Esprit qui vivifie, c’est-à-dire le Dieu vivant qui est Esprit, le Dieu vivant et personnel qui éclaire la foi de l’homme. La manière dont Jean voit et écrit l’histoire est à cet égard très caractéristique. Sa fidélité est autre que celle d’un procès-verbal : un procès-verbal, un film documentaire n’aurait pas été fidèle à Jésus. Ce qui est réel, c’est notre histoire avec Dieu et avec notre prochain. L’histoire n’est ni un tissu purement horizontal de décisions humaines et de déterminismes ni une affaire purement verticale entre Dieu et quelques âmes mystiques. Elle est un drame complexe et simple entre Dieu et ses créatures. Et ce drame a un centre qui en est aussi l’origine et la fin. »

Certaines conceptions du temps et de l’histoire évoquées plus haut1 sont étrangères à la révélation biblique, du fait même qu’elles considèrent le temps et l’histoire comme l’incarnation et la manifestation de deux idéaux jamais atteints. Ainsi que le fait remarquer Oscar Cullmann dans Christ et le temps, on ne peut envisager dans ces conceptions ni une intervention ni une action rédemptrice de la part de Dieu au cours de l’histoire (p. 52). La rédemption chez les Grecs consistait en l’affranchissement du cours éternel du temps circulaire et, pour finir, à se libérer même du temps.

Aussi bien l’hindouisme que la philosophie grecque pensent au temps comme à un temps circulaire, reproduisant la sphère du monde, la forme sphérique étant le symbole même de la perfection.

La pensée biblique s’inscrit au long d’une dimension linéaire du temps et dans un progrès historique. Le concept essentiel n’y est pas « l’ici et l’au-delà », mais le « alors », le « maintenant » et le « bientôt ». Les catégories principales en sont le passé, le présent et le futur. Ainsi, la perspective de l’Église du Christ est déterminée par les actes de Dieu accomplis au cours de l’histoire, sur la ligne des temps concernant spécialement le ministère de son Fils Jésus-Christ. Dans ce sens, la prédication de l’Église a été « datée », elle portera une chronologie. L’histoire du salut se trouve aux antipodes de toute conception mythique du temps et de l’histoire. Elle est directement liée au nom historique de Jésus, le Christ. L’Évangile fournit des données précises relatives au temps et au lieu des événements déroulés.

On y entend parler de la Palestine, du pays des juifs, du temps d’un décret impérial, d’un nom d’empereur, César Auguste, d’un recensement à l’époque où un certain Cyrenius était gouverneur de la province de la Syrie. C’est également la raison de l’inclusion du nom de Ponce Pilate dans les credo œcuméniques : Il ne faut pas y voir, bien évidemment, la moindre trace d’honneur fait à ce Romain immoral dont le gouvernement fut si étroitement lié aux événements historiques qui constituent notre salut. Ce rappel nous aide à mieux comprendre l’intérêt du rôle historique qu’il tint dans l’accomplissement de ceux-ci. C’est aussi la raison pour laquelle la mention des noms est tellement importante dans la Bible. Ces détails sont rapportés afin de nous convaincre que Jésus fut bien attaché à une croix réelle et que ce fait est attesté par le procès-verbal, vérifiable, de l’histoire universelle.

Ainsi, la prédication de l’Église a une perspective historique inévitable. Sur ce terrain, tout moralisme religieux, tout piétisme subjectiviste, tout mysticisme intemporel doivent en être bannis. Ce sont là des attitudes « spirituelles » tout à fait intemporelles. La foi chrétienne s’ancre dans des événements historiques. Elle ne consiste pas en une morale sociale spécifique; elle n’est pas une innovation exceptionnelle de la spiritualité propre à tous les climats. Elle est la foi qui, humble et reconnaissante, acquiesce à ce que Dieu a fait, est en train de faire et promet d’achever bientôt. Aussi y sommes-nous introduits non par l’intermédiaire de gourous, mais par ceux qui narrent une histoire, celle de Dieu. Sôren Kierkegaard soulignait avec raison que ce point, ce caractère historique de la foi, constituait l’une des pierres d’achoppement les plus sérieuses pour notre intelligence. Faut-il qualifier de paradoxal le fait que, selon la foi chrétienne, l’accent mis sur l’éternité doit être placé sur un point particulier de l’histoire? La raison humaine, ajoutait le penseur danois, est spécialement offensée si on tient compte que cette existence historique de Jésus, le Christ, fut dépourvue de tout attrait extérieur et de toute gloire apparente.

Il existe une sorte de panthéisme et de la nature et de l’histoire. Dieu est toujours présent, n’importe où, dans toute manifestation de la vie, dans tout événement produit au cours de l’histoire. Cependant, dans ce panthéisme, l’homme est incapable de comprendre ce qu’il reçoit véritablement de la part de Dieu. Pourtant, quiconque a connu et a fait l’expérience des profondeurs abyssales de la nature, indifférente à la souffrance causée par le mal, tremblera toujours devant les innombrables énigmes non résolues de l’histoire.

Mais qu’il sache pourtant que, dans l’obscurité immense du monde, une lumière luit dans les ténèbres, afin de faire de nous, et de tous, des enfants de la lumière. Lorsque par la foi nous comprenons le sens de la vie de Jésus en tant que Dieu souverain faisant irruption dans notre histoire, ce point de l’histoire ne prend pas seulement un caractère d’absolu, il fait aussi partie de ce point-là, des rayons de compréhension qui jaillissent et se projettent dans toutes les directions.

L’événement du Christ devient le centre même de l’histoire. À la lumière du Christ, l’Ancien Testament devient l’aurore de la rédemption de l’humanité. Jésus voyait son entrée dans le temps comme un acte puissant de Dieu, commencement qui durera et continuera jusqu’à ce que Dieu soit tout en tous. Il dira : « Je suis venu mettre le feu sur terre, et que désiré-je, s’il est déjà al­lumé? » (Lc 12.49).

Quiconque ouvrira ses yeux sur cet horizon, après avoir promené son regard vers le passé et regardé le futur, deviendra un homme d’espérance. Élevez donc vos cœurs, anticipez déjà « l’eschaton! »

Ce sont là des raisons pour lesquelles la foi et l’espérance chrétiennes devront résolument combattre tout courant anhistorique infiltré dans le christianisme.

Il est intéressant de constater que « fin » en hébreu, comme telos en grec, signifie finalité, but. Ce n’est que plus tard qu’on a réduit la visée du but à son résultat. Originellement, la fin du monde signifie donc la finalité du monde, et la question qui se pose est alors de savoir si le dessein de ce monde, une fois réalisé, rendrait inutile ce monde même. Autrement dit, si le monde n’existe que pour réaliser un certain but, le monde que nous connaissons doit disparaître une fois ce but atteint.

Si, comme nous l’a indiqué l’étymologie, « fin » ne signifie pas arrêt, mais accomplissement d’une finalité, alors la fin du monde pourrait être réalisation du sens du monde, transfiguration de ce monde, c’est-à-dire révélation de sa véritable figure transcendante, de ce dont il est le symbole ou la parabole, et par là transfiguration du temps, du corps.

La notion de la fin du monde a son origine dans la perspective eschatologique du christianisme, d’un temps qui a commencé avec le monde et finira avec lui, du temps lié au dessein de l’histoire. Le temps n’a de sens que dans la mesure où il s’abolit lui-même, permettant par là l’accomplissement de l’œuvre de la création. Il est alors le signe et l’épreuve de la liberté.

Par la suite, des philosophes n’admettant ni la création, ni la liberté, ni la transcendance de Dieu sur l’homme sont amenés à nier le temps, à séparer le temps de l’éternité, comme l’imaginaire du réel, alors que l’eschatologie chrétienne est fondée sur l’union paradoxale du temps et de l’éternité. Pour le christianisme, le monde a commencé dans le temps et il a été créé librement — contrairement à la croyance panthéiste d’un monde éternel et nécessaire — et il finira dans le temps. La création est centrée sur le Christ, la Genèse et les prophètes préparent son avènement. À partir de son incarnation, l’histoire prend comme sens la fin des temps, l’Apocalypse, l’eschatologie ou venue du règne de Dieu dans le monde. L’histoire de l’homme et l’histoire de Dieu se mêlent. L’histoire a pour but le salut des élus et le Christ reviendra pour parachever l’œuvre de la création « lorsque Dieu sera tout en tous ».

C’est ce qui donne à l’histoire tout son sens, qui en trace le cours et l’oriente vers sa finalité. Le temps biblique est un mouvement vers l’avant. Mais cet « avant » n’est autre que le règne de Dieu. Au cours de l’histoire, Dieu opère à travers les événements, petits ou grands.

Parce que l’homme moderne, ainsi que l’écrit Hendrikus Berkhof, a perdu ce sens-là, en l’absence d’une conception biblique du futur, le marxisme et le matérialisme dialectique sont venus occuper la place ainsi laissée vacante. Avec son optimisme en ce qui concerne l’avenir, mais aussi en ce qui concerne le prix terrible imposé pour atteindre cette « finalité » là, le matérialisme dialectique est la version sécularisée de l’espérance biblique. Parce que le marxisme dérive son sens de l’histoire elle-même, il est prêt à consentir à l’holocauste d’innombrables vies humaines pour un avenir utopique. Le sens qu’il accorde à l’histoire est alors naturellement faux.

C’est en Dieu que nous découvrons le sens de l’histoire. Au cours de l’histoire s’accomplissent tous les grands actes de la rédemption. L’histoire est une histoire « révélationnelle » et c’est grâce à l’Écriture que nous en connaissons l’interprétation. Bien entendu, nous discernons tout d’abord l’histoire particulière du salut, celle qui se trame dès la première page de la Genèse, pour aboutir à la récapitulation de toutes choses qui se feront en Christ et à laquelle l’Apocalypse rend un témoignage tellement extraordinaire et émouvant.

Les actes rédempteurs de Dieu possèdent une dimension historique aussi bien pour la vie de l’individu que pour celle des nations, et plus spécialement pour le peuple d’Israël du passé. Cependant, les événements eux-mêmes et par eux-mêmes ne nous révéleraient rien, sans l’interprétation que nous en donne la Bible. À cet égard, la révélation dans l’histoire est comme celle qui s’opère dans la nature : il faut que nous la lisions avec les lunettes de la Bible.

Dieu conduit l’histoire. Sa domination sur elle est totale et absolue, aussi bien universelle que particulière. L’Écriture tranche à cet égard avec toutes les théogonies et toutes les cosmogonies païennes. Elle est explicite : Dieu conduit toutes choses d’après son dessein conçu à l’avance. Mais la souveraineté absolue de Dieu n’a rien d’arbitraire, l’homme n’est pas un pantin livré aux caprices d’un dieu impersonnel à la puissance et à la volonté inexorables. Cependant, l’essentiel de cette reconnaissance de la souveraineté de Dieu, qui est pour nous un article de confession de foi, consiste à refuser tout déterminisme rigide. Nous croyons que même le mal et les actions les plus iniques de l’homme n’échappent pas au contrôle divin. Parfois, souverainement, dans sa bonté, il s’en sert pour faire aboutir son dessein de salut ainsi que la protection des siens. En termes humains, l’existence terrestre de Jésus aurait pu être considérée comme un échec lamentable. Pourtant, elle fut le couronnement même de la victoire incontestable de Dieu

Le livre de l’Apocalypse révèle cet aspect de la réalité à sa manière tout à fait particulière. Il fait apparaître le contraste profond entre ce qui se déroule en réalité et ce qui n’apparaît qu’en surface. Rome semble détenir un pouvoir absolu, agissant selon son gré. Pourtant, Jésus demeure le Souverain Roi. Au chapitre 5, on assiste à l’ouverture du livre de l’histoire. L’Agneau est chargé de le décacheter. Toutefois, il ne se contente pas de le lire ou de l’expliquer. Il y apparaît surtout comme le commencement et la fin de l’histoire. Lorsque les catastrophes arrivent, il les contrôle, il les permet… Si elles sont l’œuvre du mal, leur pouvoir est restreint; car elles n’ont que le pouvoir qui leur a été accordé. Derrière chaque calamité, la foi discerne la main de Dieu, une main qui limite l’étendue du mal. « L’huile et le vin » seront épargnés; un « tiers » seulement de la terre sera dévasté afin d’amener les hommes à la repentance.

L’Apocalypse affirme la présence au milieu de nous d’un Roi toujours actif, dont le triomphe est réel malgré ses souffrances, son apparente faiblesse et le jugement qu’il a subi. Elle démontre la direction souveraine de l’histoire par celui-ci et la certitude de l’avènement de son Royaume. Celui qui place sa foi lui en pourra décoder les événements et déchiffrer l’histoire, car Jésus se trouve au centre de celle-ci. Son incarnation la divise en deux.

Ainsi que l’écrit Oscar Cullmann, il existe une différence notable entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Le premier regarde en avant, tandis que le second regarde aussi en arrière. Et tout d’abord en arrière.

Le mot d’un penseur moderne prend ici un sens : « l’espérance est un souvenir… » C’est en ce sens-là que nous appellerons notre foi « historique ». L’incarnation du Fils est le fait par excellence de toute l’histoire de l’humanité. En Christ, toutes les promesses de Dieu ont été Oui et Amen. Mais l’accomplissement final, le « pas encore » est réservé à un temps indéterminé. « S’il y a accomplissement, il reste encore la consommation. »

Il nous est possible de participer à cette vision biblique de l’histoire et de la voir déjà soumise à l’autorité du Christ. L’Agneau a été déclaré digne de prendre le rouleau et d’en ouvrir les sceaux. L’action de Dieu au cours de cette histoire-présence, cette action christocentrique, annonce l’inauguration de l’âge nouveau. Nous vivons « les derniers temps ». Avant le Christ, c’était le temps ancien (Lc 7.28). Après lui, c’est l’âge nouveau. Les choses anciennes sont vraiment passées, toutes choses sont déjà devenues nouvelles. L’homme individu est passé des ténèbres à la lumière, il a été transféré de la mort à la vie. Le vieil homme est mort; il a été revêtu de l’homme nouveau.

On peut dire avec H. Ridderbos que l’apôtre Paul est le proclamateur par excellence du message de cet âge nouveau. Ceci explique les aspects tellement riches et variés de sa prédication. D’après Paul non seulement l’homme individuel a changé depuis l’apparition du Christ, mais le monde est entré dans une phase tout à fait nouvelle. Il est le précurseur du rétablissement final. Une décision a été prise à son sujet, même si le monde l’ignore ou la refuse. C’est pourquoi nous pouvons parler de la fin en tant que finalité. L’histoire court vers son but. Elle n’est pas un amas d’absurdités ni une accumulation de tragédies sans but ni réponse.

L’accomplissement sera de dimension cosmique. L’homme pécheur, mais aussi la nature, les anges et les démons (ne pas penser ici au salut universel, celui même des démons!) occuperont la place qui leur sera assignée dans ce nouvel ordre de la création. L’univers réintégrera sa place sous le contrôle total et définitif de Dieu.

Cette ligne directe, cet accomplissement selon un dessein préétabli, nous annonce le triomphe de Dieu. Son action, et non celle des hommes, fait déjà parvenir toutes choses à leur finalité. Ce triomphe final n’amènera pas seulement la disparition de la peine, du mal et du péché; un aspect bien plus positif encore en sera l’accomplissement total des bienfaits dont nous goûtons déjà ici les prémices. Notre expérience dans la foi aura atteint son point culminant. L’espérance chrétienne nous conduit vers une interprétation optimiste de l’histoire.

H. Berkhof fait remarquer qu’en général, l’attitude du chrétien à cet égard est négative. Il n’attend pas des signes du Royaume. Il pense seulement que le monde va de mal en pis et que tout se précipite vers le règne de l’Antichrist. Les chrétiens ne semblent pas se rendre toujours compte de la présence du Royaume au milieu des hommes. Un piétisme de mauvais aloi y a produit de véritables ravages; il a restreint le pouvoir du Christ à la seule expérience subjective du fidèle. Aux yeux de ce piétisme, le Christ ne domine ni les événements ni le monde en général. Des clichés tels que : « on est au bord de l’abîme », ou « c’est la fin des temps », ou encore « le pire est sur le point d’arriver » trahissent l’absence d’une foi robuste, véritablement biblique, et d’une espérance authentiquement chrétienne. Cette attente cataclysmique de la fin du monde témoigne davantage de l’angoisse de l’avenir que de cette foi et de cette espérance chrétiennes qui font honneur au règne de Dieu et qui confessent sa souveraine autorité sur toute l’histoire.

Il est juste de parler de continuité et de discontinuité entre l’âge présent et celui à venir. H. Berkhof voit leur rapport d’après l’image du grain semé et de la moisson. Mais déjà, nous pouvons nous fonder sur le Christ, en choisissant avec soin les matériaux nécessaires pour bâtir. Nos œuvres nous suivront. La tension entre le « déjà » et le « pas encore » persistera. La parabole de l’ivraie nous prévient (Mt 13.24-30, 36-43). Le théologien néerlandais rappelle que ce développement parallèle à deux lignes est déjà visible dans la croix et la résurrection du Christ. Il faut tenir compte de celles-ci. D’où l’ambiguïté de toute l’histoire.

Pour A. Hoekema, elle ne révèle pas un simple triomphe sur le mal ou vice versa, car le bien et le mal coexistent et coexisteront tout au long de l’âge présent. Mais du fait que le Christ a remporté la victoire, l’issue de cette tension et de ce conflit nous est déjà connue. Aussi, conclut-il, n’ayons pas hâte de porter des jugements définitifs sur les choses, les hommes ou les événements. Nos jugements, même lorsqu’ils sont prononcés avec raison, devraient être relatifs et provisoires. La réalité est bien plus complexe. Il rappelle un mot d’Abraham Kuyper :

« Le monde est souvent meilleur que nous ne l’admettons; l’Église est pire que ce que nous sommes disposés à admettre. Les événements de l’histoire ne devraient pas être vus en noir ou en blanc, mais en nuances grises; gris foncé ou gris clair. Le fait que ni le Royaume du Christ ni celui de l’Antichrist n’ont été totalement révélés, mais restent cachés sous les apparences de leur opposé, montre que d’une certaine manière ils sont entremêlés. Pourtant, et fort heureusement, ils sont discernables dans leurs aspects et leurs traits les plus accusés. »

Note