Homilétique (11) - La pratique de l'application dans la prédication
Homilétique (11) - La pratique de l'application dans la prédication
- Les fonctions de l’application
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Les composantes de l’application
a. Quoi? — Qu’est-ce que Dieu attend de moi?
b. Où? — À quelles situations, dans quels domaines cela s’applique-t-il?
c. Pourquoi? — Quelle est la motivation?
d. Comment? — Avec quelle force? - Les difficultés de l’application
- L’intégrité spirituelle
1. Les fonctions de l’application⤒🔗
« Si on laisse au choix des hommes de suivre ce qui leur est montré, jamais ils ne remueront un pied. La doctrine donc, de soi, ne peut profiter de rien » (Jean Calvin).
Les prédicateurs commettent une grave erreur s’ils pensent qu’il leur suffit de fournir à leurs paroissiens les données bibliques pour que ceux-ci fassent automatiquement le rapprochement entre le message scripturaire et leur vie quotidienne.
L’application répond à la question : Et alors? En quoi ce texte me concerne-t-il?
L’application aide les gens à comprendre ce qu’ils doivent faire et comment utiliser ce qu’ils ont appris.
Mise en garde : l’application ne doit pas viser seulement les comportements, mais aussi le cœur, l’attitude intérieure. Cependant, l’attitude du cœur va se démontrer par des comportements, des gestes, des actes.
Les explications du sermon sont importantes : elles servent de levier pour mettre en mouvement l’application. Mais en un sens, c’est l’application qui va orienter la prédication vers une cible à viser, un but à atteindre. Lors de la préparation du message, la formulation de l’application, au moins dans ses grandes lignes, doit précéder les décisions finales concernant la structure et même la tonalité de la prédication. En d’autres termes, dès le début de son message, le prédicateur commence à orienter l’auditoire vers le but qu’il a choisi de servir1.
2. Les composantes de l’application←⤒🔗
L’application doit répondre à quatre questions : quoi, où, pourquoi et comment.
a. Quoi? — Qu’est-ce que Dieu attend de moi? ←↰⤒🔗
Pour que les applications données reflètent correctement l’intention biblique, le prédicateur doit avoir repéré les principes bibliques qui sont à l’œuvre dans le texte tel qu’il était adressé à ses premiers destinataires, et les appliquer aux destinataires d’aujourd’hui.
Souvent, les auditeurs n’ont pas songé aux applications concrètes. En un sens, c’est l’application qui révèle vraiment le sens et la portée du texte. Sans une vision claire des applications, le texte demeure général, théorique, pas problématique, écrit pour d’autres. En un sens, l’application — et pas seulement l’illustration — est « le fruit qui permet de reconnaître l’arbre ».
b. Où? — À quelles situations, dans quels domaines cela s’applique-t-il? ←↰⤒🔗
Souvent, les auditeurs n’y ont pas pensé. Une bonne prédication met la vérité biblique en rapport avec les combats de la vie. Il ne faut ni généraliser ni multiplier les consignes. Ainsi, les sermons seront porteurs de guérison plutôt que de fardeaux. Cela suppose que le pasteur connaisse bien les combats que mènent ses paroissiens.
Le prédicateur qui ne fait pas l’effort d’appliquer les principes bibliques à des situations précises se contente généralement d’exhorter à pratiquer davantage les moyens de grâce : priez davantage, lisez davantage la Bible, venez aux réunions… Il n’est pas certain que cela aide réellement les fidèles à marcher selon la Parole. Évitons les vérités toutes théoriques, abstraites2. « La généralisation homilétique permet à l’auditoire de demeurer dans son péché en toute tranquillité. »
c. Pourquoi? — Quelle est la motivation? ←↰⤒🔗
Il faut veiller à ce que les croyants fondent leur motivation sur la grâce plutôt que sur la culpabilité (« Si vous ne le faites pas, Dieu vous aura au tournant ») ou la cupidité (« Dieu vous donnera davantage si vous le faites »).
Les motivations qui naissent d’une pleine compréhension de la grâce ne modifient pas les règles, mais modifient les raisons pour lesquelles nous les respectons. Lorsque c’est l’amour qui motive, alors le Seigneur, ses projets et sa gloire sont notre but. Ainsi, la grâce ne nourrit aucunement le laxisme. « Quoi, demeurerions-nous dans le péché? Loin de là! » (Rm 6.1).
En réalité, dans une vision théocentrique, la joie de Dieu — et non le bien-être personnel — est la motivation première (És 5.1-4; 62.5). Dieu promet certes des bénédictions à ceux qui lui obéissent, mais il est important de comprendre que ces bénédictions correspondent davantage à notre relation avec Dieu (assurance de son amour, paix de la conscience, joie du Saint-Esprit) qu’à la satisfaction de nos désirs terrestres.
d. Comment? — Avec quelle force? ←↰⤒🔗
Les prédicateurs ne doivent pas se contenter de dire aux gens ce qu’ils doivent faire3, ils doivent aussi leur indiquer comment le faire. Pour que l’application soit complète, il faut que le prédicateur propose des étapes et des ressources spirituelles qui rendront l’objectif fixé par le sermon réaliste4. Sans décrets d’application, les lois les meilleures ne sont jamais mises en œuvre.
Le prédicateur sérieux ne parlera pas seulement aux gens de leurs responsabilités, mais il les orientera aussi vers la source (Jn 15.4; Rm 11.36; Ép 2.8-10) qui leur fournira la capacité d’action nécessaire. Si quelqu’un est en train de se noyer, il ne suffit pas de l’exhorter à nager! Il faut lui jeter une bouée ou le rejoindre dans l’eau.
3. Les difficultés de l’application←⤒🔗
Traditionnellement dans la prédication exégétique, chaque point principal contient une application. Certains prédicateurs préfèrent n’avoir qu’une seule application finale.
a. L’application doit être orientée vers une situation précise (question « où? »), puis mentionner plus brièvement d’autres situations, afin que les auditeurs comprennent que le principe mis en lumière peut s’appliquer à toutes sortes de situations.
En combinant un principe général d’application à des instructions spécifiques applicables à d’autres situations, d’autres contextes, le prédicateur propose une prédication véritablement utile.
b. Pour que l’application tienne la route, il faut qu’elle s’appuie sur un travail spirituel approfondi. L’application exige de la créativité et du courage.
Les prédicateurs savent instinctivement ce qui fait de l’application la partie la plus difficile de la prédication : le rejet qu’ils risquent de rencontrer parce qu’ils ont voulu être spécifiques. L’application vient déranger notre existence, elle se fraye un chemin jusque dans notre vie personnelle.
c. Quelques conseils pour surmonter le « point de rupture » :
C’est la Parole de Dieu qui doit offenser les gens et non le style du prédicateur.
Ce n’est pas parce que nos arguments sont convaincants que les gens vont accepter de changer. Il y a souvent des résistances… résistantes.
Les histoires (ainsi que les citations d’auteurs reconnus) ont l’avantage de court-circuiter les réactions émotionnelles.
Les applications devraient être réalistes. Mieux vaut parler de ce qu’on connaît.
Il doit y avoir un accord entre le ton et l’action demandée.
d. Si nous ne voulons pas que les croyants restent des bébés spirituels, nous devons les considérer comme responsables de leurs propres actes et les laisser parvenir à leurs propres convictions. Nous avons donc besoin d’applications directes et indirectes. Dans certaines situations, il est préférable de donner aux croyants les informations (les outils) dont ils ont besoin pour prendre eux-mêmes les bonnes décisions plutôt que de les mettre directement face à ces décisions.
e. Il faut faire une distinction entre les exigences de l’Écriture et les suggestions du prédicateur. Les pharisiens confondaient les deux!
f. Il faut également respecter la complexité de certaines questions et ne pas apporter des réponses simplistes. C’est lorsque l’on sort de son domaine d’expertise que l’on a tendance à proposer les pires applications.
Si le prédicateur s’arrête trop tôt, il abandonne son auditoire au milieu du gué.
S’il va trop loin, il les domine et court le risque de les infantiliser ou de les irriter.
4. L’intégrité spirituelle←⤒🔗
Même lorsque cela fait mal, les gens écouteront les propositions du prédicateur s’ils connaissent son honnêteté spirituelle et se savent aimés de lui.
L’application, si elle est conçue comme une conversation avec un ami autour d’une table, a davantage de potentiel spirituel qu’une douzaine de sermons conçus pour être déclamés du haut du mont Sinaï. Ne donnons pas l’impression que nous sommes nous-mêmes hors-jeu5.
Notes
1. Rappelons ici que ce but doit bel et bien correspondre au thème ou à un des thèmes du texte biblique qui ne doit pas servir de prétexte.
2. C’est ce que fait Jésus dans le Sermon sur la montagne, par exemple. « Mais moi je vous dis… »
3. Voir le chapitre IV de ce cours intitulé Construire des prédications rédemptrices, la section sur la prédication non rédemptrice.
4. Beaucoup d’auditeurs pensent plus ou moins consciemment que la marche chrétienne est en grande partie utopique. Ils ont déjà essayé tant de fois… « Ce que Dieu demande est trop difficile », pensent beaucoup. En réalité, ce n’est pas difficile, c’est impossible. Mais cela devient possible dans l’union avec Jésus. « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15.5; voir Rm 6.1-4).
5. Voir le chapitre II de ce cours intitulé L’attitude du prédicateur, la section 4 sur « L’exemple de Jésus ».