Jean 1 - Le témoignage de Jean-Baptiste
Jean 1 - Le témoignage de Jean-Baptiste
« Voici le témoignage de Jean, lorsque les Juifs envoyèrent de Jérusalem des sacrificateurs et des Lévites pour lui demander : Toi, qui es-tu? Il confessa sans le nier, il confessa : Moi, je ne suis pas le Christ. Et ils lui demandèrent : Quoi donc? Es-tu Élie? Et il dit : Je ne le suis pas. Es-tu le prophète? Et il répondit : Non. Ils lui dirent alors : Qui es-tu? afin que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés; que dis-tu de toi-même? Il dit : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Rendez droit le chemin du Seigneur, comme a dit le prophète Ésaïe. Ceux qui avaient été envoyés étaient des Pharisiens. Ils l’interrogèrent et lui dirent : Pourquoi donc baptises-tu, si tu n’es pas le Christ, ni Élie, ni le prophète? Jean leur répondit : Moi, je baptise dans l’eau; au milieu de vous, il en est un que vous ne connaissez pas et qui vient après moi; je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale. Cela se passait à Béthanie, au-delà du Jourdain, où Jean baptisait. Le lendemain, il vit Jésus venir à lui et dit : Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde. C’est celui dont j’ai dit : Après moi vient un homme qui m’a précédé, car il était avant moi; et moi, je ne le connaissais pas, mais, afin qu’il soit manifesté à Israël, je suis venu baptiser d’eau. Jean rendit ce témoignage : J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui; et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser d’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise d’Esprit Saint. Et moi, j’ai vu et j’ai rendu témoignage que c’est lui le Fils de Dieu. »
Jean 1.19-34
L’évangéliste suppose connus les récits des synoptiques sur le ministère de Jean-Baptiste et le baptême de Jésus. Il n’y revient guère. Son but est de mettre en lumière le témoignage (Jn 1.19) que ce Jean va rendre au Seigneur, d’abord en l’absence de Jésus devant la délégation officielle venue de Jérusalem, puis en présence de Jésus, devant ses propres disciples et le peuple.
Les Juifs s’étaient émus du retentissant ministère du Baptiste. Sa prédication avait attiré au bord du Jourdain les habitants de toutes les contrées voisines et intrigué les autorités juives qui lui déléguèrent quelques-uns des leurs. Prêtres et lévites, représentants du tribunal religieux et spécialistes en matière de purification cultuelle se demandaient par quelle autorité Jean-Baptiste instituait un rite nouveau.
La délégation est composée de prêtres et de lévites, en majorité des pharisiens (Jn 1.24), afin de discerner le but qu’il veut atteindre et de pouvoir ensuite prendre les mesures qui s’imposeront. Il semble en effet qu’aucune recherche spirituelle n’inspire cette démarche, mais seulement la crainte de voir grandir, menaçante pour le pouvoir traditionnel, l’autorité du prophète sur les foules qui accourent à lui de tout le pays. En tout cas, aucun d’eux ne paraît avoir été profondément atteint par le témoignage du précurseur.
À la première question, « Toi, qui es-tu? », Jean-Baptiste répond en affirmant avec solennité : « Je ne suis pas le Christ », « Je ne suis pas Élie », « Je ne suis pas le prophète », celui qu’annonçait le prophète Malachie dans l’Ancien Testament. « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert », dont parlait le livre du prophète Ésaïe, toujours dans l’Ancien Testament (És 40.3). Alors, les envoyés de Jérusalem lui posent une autre question : « Si tu ne te réclames d’aucun des grands noms qui viennent d’être prononcés, qui te permet alors de baptiser? »
Les Juifs pratiquaient des ablutions rituelles. À cette époque, ils donnaient le baptême aux prosélytes qui se convertissaient au judaïsme, aux ressortissants des nations étrangères qui embrassaient le judaïsme. Signe d’agrégation au peuple élu, ce rite de purification réservé aux païens devait être pratiqué devant témoins. Mais les autorités juives de l’époque sont profondément indignées qu’un homme sans autorité se permît de baptiser des membres du peuple élu et d’affirmer ainsi qu’ils étaient impurs, pécheurs, et qu’ils avaient besoin de repentance pour être sauvés.
Jean-Baptiste, dans sa réponse, ne tente pas de défendre son droit à baptiser; il n’a qu’un souci : le Christ est venu, il est là, il est venu au Jourdain et Jean l’a vu, il l’a reconnu. Il est « au milieu de vous », déclare-t-il. Lui, il n’est rien en lui-même, mais à son triple « Je ne suis pas » correspond le triple « C’est lui ». « Préparez le chemin du Seigneur »! Il est venu parmi vous, celui que vous ne connaissez pas! Il est là, celui qui viendra après moi, mais qui était avant moi… Le Baptiste désire ardemment que la foule, au lieu de le suivre, aille à celui qui est plus grand que lui. Si même sa parole a un autre retentissement que celle des scribes et des pharisiens, elle n’est pas la parole du Christ. Le message qu’il délivre, il ne le crie pas de son propre chef. Il l’a reçu de l’autre.
Le lendemain de cet ultime témoignage, voici le Christ lui-même qui s’approche, et Jean-Baptiste proclame devant la foule qu’il est celui qui devait venir; celui qui était avant lui et qui vient après lui; celui dont il est venu préparer le chemin. Il est probable que le baptême de Jésus a déjà eu lieu au moment où se déroule cet épisode. C’est à lui que doit faire allusion le Baptiste lorsqu’il dit qu’il ne le connaissait pas alors. On peut supposer que cette scène se passe après la tentation, racontée par les trois premiers Évangiles (synoptiques). Jésus vainqueur de Satan vient recevoir le témoignage du précurseur et inaugurer ainsi son ministère.
Mais la parole de beaucoup la plus importante dans ce témoignage est celle qui salue en Christ « l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jn 1.29). Elle est à la fois claire et surprenante pour ses auditeurs. Claire parce que c’est le sang de l’agneau immolé qui avait sauvé de la mort le peuple en Égypte lors de la première Pâque, et parce qu’ensuite un agneau pur et sans tache était chaque jour offert en sacrifice dans le Temple. Claire aussi parce que dans la deuxième partie du livre d’Ésaïe, il est comparé à l’Agneau qui porte le péché des hommes et dont le sacrifice donne la vie au peuple.
Mais cette image était surprenante parce qu’elle évoquait non pas un Messie glorieux, puissant et triomphant, tel que l’attendait le peuple et que Jean-Baptiste avait lui-même annoncé (Mt 3.11-12), mais une victime humiliée et succombant sous le poids du péché du monde. Jean-Baptiste a-t-il compris sur le moment toute la portée du témoignage qu’il rendait au Christ? Pour l’évangéliste, et à sa suite pour l’Église chrétienne à travers les siècles, il exprime magnifiquement ce qui devait être la mission du Sauveur : porter le péché du monde (c’est ce que signifie précisément le baptême de Jésus) et, en le portant jusqu’au bout, jusqu’à la croix, ce péché auquel il n’a point de part, l’enlever, l’ôter afin d’apporter aux hommes perdus le pardon et la purification que leur annonce le baptême donné par Jean. Ainsi, à l’aube du ministère de Jésus, au seuil de l’Évangile, se dresse le sacrifice expiatoire qui le couronnera.
Le Fils de Dieu a reçu la charge et l’autorité de soustraire le monde à l’emprise de la mort, de libérer les hommes et de leur donner la possibilité de vivre devant Dieu. Il ne vient pas pourvoir les hommes de quelque puissance pour éviter le péché. Il ôte le péché du monde en venant au monde, en se révélant comme l’envoyé du Père, le salut dernier de Dieu le Libérateur. Sa présence même constitue la libération de Dieu. Les miracles qu’il opère, la guérison du paralytique, celle de l’aveugle-né, la résurrection de Lazare, ne sont que des signes qui expriment cette possibilité de libération qu’il est venu donner au monde. Aussi le temps est proche quand le Christ mettra fin au ministère du Baptiste; comme lorsque le soleil est levé, l’aube du jour s’évanouit soudain. Après qu’il eut attesté aux sacrificateurs qui lui avaient été envoyés que celui chez lequel il fallait chercher la vérité et la puissance du baptême était déjà venu et conversait au milieu du peuple, il le montra le lendemain devant tous.
Jean-Baptiste comprend la principale mission du Christ en peu de paroles, mais bien familièrement, à savoir qu’effaçant les péchés du monde par le sacrifice de sa mort, il réconcilie les hommes à Dieu. Il est vrai que le Seigneur nous confère bien d’autres bienfaits; mais le plus grand, et dont tous les autres dépendent, c’est qu’en apaisant la colère de Dieu, il fait que nous sommes déclarés justes et purs. Car tous les ruisseaux des biens qui nous sont communiqués découlent de cette fontaine : que Dieu, effaçant nos offenses, nous reçoit en grâce.
Par le mot « Agneau », Jean-Baptiste fait allusion aux sacrifices de l’Ancienne Alliance. Il avait affaire aux Juifs qui, étant accoutumés aux sacrifices, ne pouvaient être enseignés au sujet de la purification et de la satisfaction des péchés autrement qu’en leur proposant des sacrifices. Il y avait plusieurs sortes de sacrifices, mais le Baptiste ne leur en propose qu’un seul, et une fois pour toutes. Il est certain que Jean a regardé à l’agneau pascal. Il s’est servi du terme qui était le plus propre et qui avait le plus d’efficacité pour enseigner les Juifs. Comme à cause du baptême nous comprenons beaucoup mieux aujourd’hui ce que vaut la rémission des péchés acquise par le sang du Christ, quand il est dit que par lui nous sommes lavés et purifiés de nos souillures.
Cependant, parce que les Juifs avaient communément une opinion superstitieuse touchant aux sacrifices, Jean-Baptiste corrige cette erreur en leur montrant à quel but ils tendaient tous. Mettre sa confiance dans les signes extérieurs était un véritable abus de la cérémonie de sacrifier. Ainsi donc, Jean, proposant le Christ, atteste qu’il est « l’Agneau de Dieu ». Tous les sacrifices prévus par la loi que les Juifs avaient coutume d’offrir n’avaient point de puissance pour effacer les péchés, mais étaient seulement des figures de la vérité qui a été manifestée en la personne du Christ.
Il met « péché » au singulier, signifiant par cela « toute iniquité »; il dit aussi par là que toute l’iniquité qui aliène les hommes de Dieu est ôtée par le Christ. Et en disant « le péché du monde », il étend indifféremment cette grâce à tout le genre humain, afin que les Juifs ne pensent pas que le Rédempteur est envoyé pour eux seuls. Mais nous comprenons que le monde entier est enserré dans une même condamnation, que tous les hommes sans exception sont coupables d’injustice devant Dieu, qu’ils ont besoin de réconciliation envers lui. Jean-Baptiste, en nommant le péché du monde de manière générale, a voulu nous faire sentir notre propre misère et nous exhorter à chercher le remède. Maintenant, notre devoir est de recevoir et d’embrasser ce bienfait qui est offert à tous; de telle sorte que chacun en son endroit soit résolu à ce que rien ne l’empêche de trouver la réconciliation en Christ, pourvu qu’il vienne à lui dans la foi.
Au reste, il ne met qu’un seul moyen pour ôter les péchés. Nous savons que, dès le commencement du monde, les hommes, parce que leur propre conscience les tenait confondus, ont fort travaillé à trouver des moyens pour obtenir le pardon. Ils ont mis en place toutes sortes de formes erronées de purification, les tenant comme des moyens convenables pour apaiser Dieu. Mais nous devons reconnaître que même les cérémonies illégitimes qu’on a pensé être des moyens d’apaiser Dieu ont tiré leur origine d’un saint commencement : celui des sacrifices ordonnés par Dieu pour représenter celui du Christ, auquel il faudra désormais s’adresser. Toutefois, chacun s’est forgé un moyen particulier d’apaiser Dieu…
Mais Jean nous ramène au Christ seul et montre que Dieu ne nous est propice autrement que par le bienfait de celui-ci, d’autant que c’est lui seul qui ôte les péchés. C’est pourquoi il ne laisse d’autre refuge aux pécheurs que de recourir au Christ. Par cela, il renverse toutes les satisfactions inventées par les hommes, toutes leurs purifications et leurs rédemptions; comme de fait, elles furent inventées par l’astuce du diable.
Le mot « ôter » peut être exposé de deux manières : soit que le Christ a pris sur lui le fardeau pesant qui nous accablait, puisqu’il est dit « qu’il a porté nos péchés sur le bois » (1 Pi 2.24) et que « le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui » (És 53.5), soit qu’il abolit nos péchés. Parce que ce dernier point dépend du premier, il faut comprendre l’un et l’autre, à savoir que le Christ, en portant nos péchés, les abolit et les ôte.
Bien que le péché soit toujours attaché à notre nature, il est toutefois désormais nul quant au jugement de Dieu, parce qu’étant aboli par la grâce du Christ, il ne nous est point imputé. Il montre également le moyen de cette opération, à savoir qu’il nous a rendu son Père propice et favorable par le bienfait de sa mort. Sachons donc qu’il nous a réconciliés avec Dieu et que sa crucifixion est le sacrifice unique de satisfaction par lequel toute notre iniquité et la condamnation que nous avons méritée sont abolies.
Au moment même où le Saint de Dieu accepte de se charger des péchés du monde, l’approbation de son Père se manifeste par l’effusion de l’Esprit sous la forme symbolique d’une colombe. Jean-Baptiste, se souvenant du baptême récent de Jésus, l’annonce au peuple. Jésus baptisera non seulement d’eau, comme Jean et à sa suite les serviteurs de Dieu, mais de cet Esprit Saint qui l’anime et demeure en lui.
Une bonne nouvelle : « Voici l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde ». Cela signifie qu’aucun pécheur repenti n’a plus à succomber sous le poids de ses péchés. L’Agneau de Dieu les emporte sur lui. Si cette parole est vraie, comme en témoigne le Baptiste, il est possible d’être de nouveau heureux de vivre. À la vérité, le monde est ravagé, pauvre, ingrat; il ne fonctionne pas à la gloire de Dieu. Mais si nous pouvons croire que Dieu l’aime tel qu’il est, tout n’est pas perdu! Nous pouvons croire en son avenir. Que Dieu porte le monde, ceci tous les peuples le savent ou le pressentent. Mais qu’il se charge d’un monde pécheur, voilà qui n’est écrit ni dans les étoiles du ciel ni dans le cœur des hommes. Ceci nous l’apprenons dans un livre unique au monde : la Bible. C’est le joyeux message de l’Évangile.
Enfin, Jean-Baptiste conclut en affirmant que cet homme, semblable aux autres en apparence, n’est pas un grand inspiré de la lignée d’Élie ni le prophète mystérieux de l’Ancien Testament, mais celui-là même qui « est venu de Dieu » (Jn 8.42), « le Fils unique » (Jn 1.14,18). Ainsi, au seuil de sa vie publique s’accomplit pour Jésus la prophétie prononcée bien des siècles auparavant : « L’Éternel m’a dit : tu es mon fils » (Ps 2.7).
Le témoignage du Baptiste est-il dépassé et sans valeur pour nous qui connaissons le Christ, ou nous concerne-t-il encore, nous autres chrétiens? Ce passage signifie que l’Église a reçu elle aussi, de son Seigneur, l’injonction de fêter l’avènement du Christ. Elle baptise d’eau, dans l’attente du baptême d’Esprit et de feu. L’Église prêche, mais elle sait que maintes paroles tombent sur le chemin, dans les pierres, parmi les épines et qu’il y a beaucoup d’ivraie parmi le froment. C’est pourquoi elle lève les yeux vers une nouvelle terre, vers la nouvelle Jérusalem, où il n’y aura plus de temple ni de chaire, parce que nul n’enseignera plus son frère. L’Église semble parfois oublier sa véritable situation. Elle se croit déjà en possession de la terre promise; elle célèbre de plaisantes solennités. Mais les pauvres et les malheureux n’en trouvent plus le chemin. Dans toute l’Église, on devrait entendre, ou du moins percevoir, cette note : « Nous ne sommes pas rassasiés, nous ne sommes pas arrivés! »
Lorsque l’Église n’aura d’autre désir que d’être une Église, qui ne veut pas se laisser manipuler et laisser employer à des fins secondaires, qui ne veut rien faire d’autre que baptiser d’eau, crier dans le désert et croire au Christ qui est venu et qui revient, cette Église sera prise au sérieux. On l’estimera assez importante pour être suspectée et surveillée, car elle aura cessé d’être inoffensive. Et c’est à bon droit qu’on la surveille, car elle est un corps étranger dans un monde qui refuse Dieu. Nous pressentons maintenant pourquoi l’évangéliste termine si solennellement son information. C’est que c’est à cet endroit-là que se produisit le premier conflit avec le monde. Nous nous trouvons, dès le début, en pleine passion.