Cet article a pour sujet la liturgie de la Cène préparée par Jean Calvin et qui était utilisée par l'Église de Genève.

Source: Études calvinistes. 8 pages.

La liturgie de la sainte Cène à Genève en 1542

Il y a quatre siècles paraissait à Genève un opuscule intitulé : La forme des prières et chants ecclésiastiques avec la manière d’administrer les sacrements et consacrer le mariage selon la coutume de l’Église ancienne. La célébration de ce quatrième centenaire nous fournit l’occasion d’étudier l’œuvre liturgique de Calvin et de nous rendre compte de la manière dont il concevait la célébration du culte public.

La composition de ce formulaire est, en effet, due à Calvin lui-même. Dans ses adieux aux seigneurs de Genève, il déclare qu’en ce qui concerne la première partie — « la forme des prières ecclésiastiques » — il a fait surtout œuvre de compilateur et de réviseur. Mais il revendique expressément la qualité d’auteur original pour le reste : « la manière d’administrer les sacrements et consacrer le mariage ». C’est sans doute pour cette raison qu’on nous a demandé de nous occuper plus spécialement du formulaire de la sainte Cène.

Mais, ainsi qu’on le verra, le service de sainte Cène s’articule organiquement au service ordinaire du dimanche matin qui en est comme la « préface » naturelle. On ne peut donc étudier la liturgie de la Cène isolément et on est amené, en parlant de celle-ci, à étudier l’œuvre liturgique de Calvin dans son ensemble.

De plus, comme notre réformateur déclare qu’il a voulu se rattacher à la tradition des siècles antérieurs à sa réforme (« selon la coutume de l’Église ancienne »), il sera utile pour bien saisir le sens et l’économie de ce que Calvin considérait comme une restauration, de comparer la liturgie réformée de la Cène avec les antiques liturgies de la messe catholique.

Nous sommes convaincus, en effet, que, dans l’élaboration de sa Forme des prières ecclésiastiques avec la manière d’administrer les sacrements, Calvin a été le docteur bien avisé dont parle l’Évangile, qui tire tour à tour du bon trésor de son cœur des choses anciennes et des choses nouvelles.

Nous savons bien qu’en posant cette affirmation nous allons à l’encontre des idées généralement reçues. D’après un maître tel qu’Eugène Bersier, par exemple, il semblerait que le prédicateur de Saint-Pierre ait tenté de créer de toutes pièces un culte aussi simple, aussi biblique que possible, sans avoir eu recours à aucune base historique.

Il faut avouer que les propres paroles de Calvin mourant paraissent devoir confirmer cette impression de notre liturgiste moderne : « Des autres (c’est-à-dire des sacrements), je pris le tout de l’Écriture. »

Mais, lorsqu’on étudie de plus près le travail de Calvin, cette première impression, assez superficielle, se modifie sensiblement.

Oui, sans doute, soit qu’il compile, soit qu’il rédige, Calvin s’inspire du style et surtout de l’esprit des Écritures, bien plus que du texte des anciennes liturgies. Il suffit de comparer le confiteor du missel et la magnifique confession des péchés de la Forme des prières ecclésiastiques pour s’en rendre compte. Mais la structure générale de l’ordre du service suivi à Genève dès 1542 ressemble étonnamment à celle des liturgies anciennes. Dans le détail même, les formules nouvelles suivent pas à pas les moments principaux de ces liturgies.

L’expression est nouvelle, la pensée est la même. Parfois, il y a rencontre jusque dans les termes.

Or, nous disons que ces coïncidences systématiques ne peuvent être dues au hasard. Calvin avait certainement dans l’esprit, et peut-être sous les yeux, des textes précis, et il savait ce qu’il disait quand il affirmait qu’il restaurait le culte « selon la coutume de l’Église ancienne ».

Dans le sens que nous venons de définir, il est scientifiquement faux d’avancer que notre réformateur n’a eu recours à aucune base historique et nous croyons pouvoir démontrer le contraire.

On sait que les liturgies antérieures à la Réforme se divisent en deux classes, celles d’Orient et celles d’Occident. La différence spécifique réside dans le mode de la consécration des éléments eucharistiques, les liturgies orientales recourant à l’invocation au Saint-Esprit et les occidentales aux paroles de l’institution. Les autres différences ne consistent guère que dans la nature, le nombre et l’ordre des prières.

Mais l’ordre fondamental est le même. Toutes ces liturgies se divisent en trois parties essentielles. La première, qui va jusqu’au sursum corda, précède le canon de la messe. La seconde va du sursum corda jusqu’à la fin de la communion. C’est le canon de la messe. La troisième partie, la postcommunion, comporte une action de grâces et la bénédiction.

Or, nous retrouvons précisément la même division dans le formulaire de Genève, qui suit d’une manière étonnante l’ordre observé en Orient au 4siècle et, dans le détail, rappelle des moments importants de l’ordinaire de la messe romaine.

À la première partie de la messe, qui se termine par le sursum corda, correspond très exactement le service réformé du dimanche matin, les jours de communion, tel qu’on le célébrait à Genève en 1542. Il comporte, avec de légères différences dans l’ordre, les mêmes éléments essentiels : invocation, chant de psaume, confession des péchés1, prière d’illumination, lecture et explication des textes sacrés, grande prière d’intercession après le sermon, avec, chez les réformés de 1542, des additions spéciales les jours ou l’on célébrait la Cène et qui correspond aux prières du prône, lecture du symbole, récit de l’institution, le sancta sanctis et sursum corda : tout y est, et tout y est quelquefois dans les mêmes termes ou à la lettre des termes près.

L’invocation (« Notre aide soit au nom de Dieu, etc. ») est sans doute un texte biblique, mais il nous vient par l’intermédiaire du missel (adjutorium nostrum in nomine, etc.).

Après la récitation du symbole de la foi, les anciennes liturgies contenaient le sancta sanctis, les choses saintes aux saints, prononcé par l’officiant, et le peuple répondait : « Un seul est Saint, etc. »

Or, ce sancta sanctis a pour pendant, dans la liturgie de Genève, non pas la formule, mais la chose.

Le ministre, en effet, prononce les paroles destinées à protéger la table sainte contre la profanation, en en interdisant l’accès aux « étrangers, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas de la compagnie des fidèles ». Et au répons : « Nul n’est saint, etc. », fait écho la déclaration du ministre : « Nous ne venons point pour protester que nous soyons parfaits ni justes en nous-mêmes, mais au contraire, en cherchant notre vie en Jésus-Christ, nous confessons que nous sommes en la mort. »

Enfin, le ministre dit, vers la conclusion de l’instruction qui précède ce qui correspond au canon de la messe : « Élevons nos esprits et nos cœurs en haut, où Jésus-Christ est en la gloire de son Père… » Il s’agit de prémunir les fidèles contre la tentation de s’arrêter aux « éléments terrestres et corruptibles » comme si le Christ « était renfermé dans le pain ou dans le vin ». Dans la même pensée, l’ancienne Église disait « Sursum corda », et Rome répète les paroles sans plus comprendre le sens primitif. Sursum corda! disent les antiques liturgies. « Élevons nos esprits et nos cœurs en haut », dit Calvin. Ici, il y a presque identité dans les termes.

L’ordre seul diffère quelque peu. Dans l’ancienne Église, le sancta sanctis suivait le sursum corda. Notons que chez Calvin, encore, le récit de l’institution de la Cène est lu avant les deux éléments que nous venons d’indiquer.

L’identité du schéma de la postcommunion, dans Calvin et dans les anciennes liturgies, va pour ainsi dire de soi.

Reste la deuxième partie, le canon. Là, Calvin a innové, en ce sens qu’il veut remonter aux origines de l’institution de la Cène et rétablir la célébration dans toute sa pureté primitive. Cela se voit par le récit de l’institution qui est emprunté à saint Paul, tandis qu’il contient, dans la messe catholique, des traits empruntés à des traditions pour le moins douteuses.

Ce qui frappe le plus l’observateur attentif, c’est l’absence de formules sacramentelles dans la liturgie de 1542. Calvin a compris que Jésus, et après lui saint Paul, n’ont pas voulu nous enseigner ce qu’il fallait dire, mais ce qu’il fallait faire. Il n’y a pas, dans la Cène, des formules douées d’une vertu mystique. Aussi la liturgie de Genève, dans sa première édition, ne nous dit-elle pas les paroles prononcées par le ministre. Dans l’esprit de Calvin, la consécration est faite par le rappel des paroles du texte paulinien. La liturgie porte simplement cette indication : « On chante quelques psaumes ou on lit quelque chose de l’Écriture convenable à ce qui est signifié par le sacrement. » À la vérité, l’édition de 1545 nous apprend que le ministre dit, en distribuant le pain : « Prenez, mangez le corps de Jésus qui a été rompu pour vous », et que le diacre dit en distribuant la coupe aux fidèles : « C’est le calice du Nouveau Testament au sang de Jésus qui a été répandu pour vous. » Mais ces formules, dont la seconde est prononcée par un laïc, n’ont pas la signification mystique de paroles sacramentelles au sens romain.

Nous avons montré que le service réformé et la messe paroissiale sont presque identiques dans leur structure essentielle, et que cette identité se vérifiait parfois dans le détail.

Mais il y a des différences qui sautent aux yeux et qui sont si évidentes que, trop souvent, elles sont seules remarquées.

Parmi ces différences, il en est qui sont probablement accidentelles et qui ne tiennent, pensons-nous, qu’à des circonstances locales. Ainsi, les répons de l’assemblée sont absents de la liturgie de 1542. Mais Calvin en avait fait antérieurement usage à Strasbourg. Il ne s’agit donc pas là d’une question de principe chez le réformateur. Nous en dirons autant des paroles d’absolution qui suivent la confession des péchés à Strasbourg et qu’on ne trouve plus dans la liturgie de Genève.

Nous supposons que Calvin a dû tenir compte, pour les répons, de difficultés pratiques, pour les paroles d’absolution, de certaines résistances d’esprits plus radicaux que lui; pour le tout enfin, des considérations de prudence pastorale qui obligent à ne pas trop faire de changements dans les usages établis et généralement acceptés. Calvin n’avait pas, quoi qu’on en pense, ses coudées absolument libres à Genève.

D’ailleurs, l’introduction du chant des psaumes dans le culte réformé donnait à l’assemblée l’occasion de prendre une part directe et active à la célébration du culte, et il ne faut pas oublier que, dans la théologie calviniste, la Cène est une véritable absolution en acte, et très solennelle, pour ceux qui s’en approchent avec foi et repentance.

Mais à côté de ces différences accidentelles, à propos desquelles les appréciations sont parfaitement libres, il en est de principielles et qui engagent le jugement de la foi. D’autres encore, sans avoir cette gravité, supposent une prise de position dans la théorie du culte.

Parmi les premières, il faut signaler deux traits qui sont communs à toutes les liturgies et à tous les cultes protestants : les prières et les chants sont en langue vulgaire2 et s’adressent à Dieu exclusivement. Sur ces deux points, Calvin n’a fait que revenir à « la coutume de l’Église ancienne » et s’est montré respectueux des prescriptions impératives de l’Écriture sainte.

Parmi les secondes, notons qu’une part beaucoup plus grande que dans les anciennes liturgies est faite à ce que nous appellerons l’élément prophétique. Non seulement le choix des psaumes qui seront chantés durant le service est libre et peut être adapté ainsi aux besoins spirituels particuliers de l’assemblée3, mais la forme de la prière d’illumination qui précède le sermon « est à la discrétion du ministre ».

Par là, Calvin se tient à égale distance des liturgies du type rigide, où tout est réglé à l’avance et où l’élément prophétique est strictement limité au prône, et du type exclusivement prophétique, qui proscrit la lecture de tout formulaire de prières, et où tout repose sur l’inspiration de l’officiant, comme chez les puritains, par exemple.

Notre réformateur se souvient que si, dans l’Église apostolique, une large part était faite à la prière spontanée des prophètes, le Christ lui-même a été le premier liturgiste de son Église, à laquelle il a légué ce magnifique joyau que nous appelons l’oraison dominicale. La « forme des prières ecclésiastiques » comprendra donc « des choses anciennes et des choses nouvelles »; la prière spontanée aura sa place à côté de la prière lue ou récitée.

Nous relèverons un autre trait qui distingue la liturgie calvinienne de la plupart des autres, même protestantes. Calvin donne une large place à l’enseignement dans son rituel. Il suffirait, à la rigueur, de l’exhortation qui précède la communion pour reconstituer la doctrine spécifiquement calviniste de la Cène. Le credo qui est lu ou chanté est le Symbole des apôtres au lieu du Symbole de Nicée-Constantinople. Les fidèles sont censés comprendre parfaitement les termes du premier, grâce à l’explication qu’ils trouvent dans le catéchisme. Le second risquerait de demeurer incompris dans telle de ses parties. On sait, par contre, que dans la messe l’élément instruction est réduit au minimum. D’ailleurs, tout s’y dit en latin, sauf le prône, et celui-ci est absent de la grande majorité des messes qui sont dites en plus de la grand-messe paroissiale.

Et maintenant, voici les conclusions qui nous paraissent ressortir du parallèle que nous avons esquissé. Les ressemblances de structure entre la messe romaine et la Cène genevoise s’expliquent par le fait que Calvin avait réellement dessein de revenir à l’usage, dans ses grandes lignes, de l’Église ancienne.

La langue vivante et populaire, l’importance de l’élément prophétique, le caractère didactique nettement accentué, bref, ce qui est spécifiquement réformé dans la liturgie de Calvin, tout cela révèle chez lui la présence d’une conception du culte et de tendances religieuses profondément différentes de celles qui inspirent le catholicisme romain.

Pour celui-ci, le sacrifice de la messe est le point culminant du culte public. Et ce sacrifice se consomme grâce à un miracle physique : la transsubstantiation au corps et au sang du Christ des éléments eucharistiques. Celui qui est chargé d’accomplir ce miracle est un prêtre au sens du latin sacerdos, un homme doué, en vertu de certains rites, du pouvoir physiquement surnaturel, d’opérer ce changement prodigieux, en prononçant une formule sacramentelle. Il n’est pas nécessaire qu’il comprenne la langue dans laquelle il prononce cette formule, ni qu’il croie à son propre pouvoir, il suffit qu’il articule les paroles prescrites avec l’intention générale de faire ce que I’Église veut faire. Si cet homme est valablement ordonné, le miracle s’opère et le sacrifice s’accomplit.

Ce miracle physique n’a pas pour condition non plus la participation spirituelle, ni même la présence effective des fidèles; encore moins est-il nécessaire que ceux-ci comprennent le sens des prières et des autres paroles prononcées. Pourvu qu’ils assistent dévotement au sacrifice, même sans communier, ils participent aux bienfaits spirituels que celui-ci assure.

Dès lors, on comprend qu’on ne tienne pas beaucoup à ce que le peuple entende ce qui se dit. Une langue sacrée, incomprise du vulgaire, rehaussera même bien mieux le prestige du mystère qui doit environner le miracle. Il semble qu’on attende beaucoup de l’emploi de ce moyen physique pour déclencher une émotion vague, mystique, mais sans objet bien défini, que certains théoriciens du culte catholique prennent pour l’esprit de prière.

Qu’on se souvienne de la polémique soulevée à propos de la lecture du bréviaire, polémique rapportée par l’abbé Brémond. L’un des partis soutenait qu’il est préférable que le prêtre qui lit se laisse aller au bercement mystique provoqué par les syllabes, sans s’arrêter au sens des paroles qu’il doit articuler. Et, si notre mémoire est fidèle, c’est vers ce sentiment que penche l’historien catholique.

Ce sont des moyens sensuels qui doivent faire naître l’émotion de ce mysticisme sensuel.

Il est aisé de voir aussi qu’il ne peut guère y avoir de place pour la prière spontanée dans la messe. En effet, ce qui importe dans un sacrifice, pour que la dignité en soit sauvegardée, c’est que tout, gestes et paroles, soit minutieusement réglé par des prescriptions entourées du prestige de la tradition et de l’autorité religieuses. Une prière libre, dite par l’officiant, introduirait une note discordante dans un ensemble où les formules ont, auprès de Dieu, un crédit qui leur est propre. C’est déjà bien assez qu’il faille s’accommoder du sermon!

Comme il s’agit d’agir avant tout sur la sensibilité des assistants, on conçoit aussi que l’élément didactique ait une place si modeste dans la liturgie de la messe. La communion elle-même est un miracle physique. Pourvu qu’ils consomment l’hostie, bons et mauvais, croyants et hypocrites communient au corps du Christ, puisqu’ils le reçoivent oralement. Seules les conséquences diffèrent. Ici encore, il s’agit d’un miracle physique. L’instruction ne jouera qu’un rôle de second plan.

Or, Calvin, lui aussi, attend de la participation de la Cène du Seigneur un miracle, mais un miracle spirituel. Et qu’on ne s’y trompe pas : l’épithète spirituel n’équivaut pas à subjectif. Preuve en soit l’article 36 de la Confession de La Rochelle :

« Nous tenons bien que cela se fait spirituellement, non pas pour mettre au lieu de l’effet et de la vérité, imagination ni pensée; mais d’autant que ce mystère surmonte en sa hautesse la mesure de notre sens et tout ordre de nature. Bref, parce qu’il est céleste, il ne peut être appréhendé que par la foi. »

Précisément parce qu’il ne peut être appréhendé que par la foi et qu’il n’est promis qu’à la foi, le miracle en question est d’ordre spirituel, car la foi est un fait spirituel.

En quoi consiste ce miracle?

L’exhortation que Calvin met dans la bouche du ministre va nous le dire. Le Christ :

« nous veut vraiment faire participants de son corps et de son sang, afin que nous le possédions entièrement, en telle sorte qu’il vive en nous et nous en lui. Et, bien que nous ne voyons que du pain et du vin, toutefois ne doutons point qu’il accomplit spirituellement en nos âmes tout ce qu’il nous montre extérieurement par ces signes visibles. C’est-à-dire qu’il est le pain céleste pour nous repaître et nourrir à vie éternelle. »

« Nos âmes », est-il dit plus loin, « doivent s’élever par-dessus toutes choses terrestres pour être disposées à être nourries et vivifiées de sa substance. »

En bref, le miracle consiste en ceci : le Christ n’est pas « enclos au pain et au vin »; il est au ciel, « en la gloire de son Père », et pourtant, il veut nourrir « de sa substance » celui qui croit.

Celui qui croit… : encore une fois, croire, c’est faire un acte spirituel et c’est pour la foi seule que s’accomplit le miracle.

Mais pour croire, il faut connaître. La foi vient de ce qu’on entend, dit l’Écriture. La liturgie sera donc rédigée dans la langue que nous avons apprise sur les genoux de nos mères, et elle comportera une explication des actes rituels de l’officiant. Car il faut que le fidèle, même le plus simple, saisisse le sens des promesses que Dieu lui fait dans le sacrement.

Oh! Calvin ne méconnaît pas la valeur de l’émotion religieuse dans le culte. La prière libre permet au ministre d’exprimer la sienne et le chant des magnifiques psaumes de Marot est très propre à nourrir celle de l’assemblée.

Mais Calvin veut que cette émotion soit toujours intimement associée à l’intelligence. Il se défie de l’émotion purement sentimentale, sans objet précis. Dans l’Épître au lecteur qu’il met en tête de sa liturgie, il écrit ces paroles remarquables :

« Ce n’est pas une chose morte ni brutive que bonne affection envers Dieu, mais (c’) est un mouvement vif, procédant du Saint-Esprit, quand le cœur est droitement touché et l’entendement illuminé. »

L’expérience a confirmé, maintes fois, ce jugement de Calvin, et nous a appris que, selon la parole de Pascal, celui qui veut faire l’ange peut finir par faire la bête.

Et maintenant, disons, pour terminer, que Calvin n’a pas voulu faire une œuvre intangible, en publiant sa liturgie. Il dit d’ailleurs qu’en abolissant la plupart des cérémonies qu’il a trouvées en usage dans le rite romain, il a voulu répondre aux besoins du temps où il vivait. Une restauration de la foi calviniste n’implique donc pas nécessairement un retour à la liturgie de 1542.

La théologie calviniste, tout au contraire, est assez riche pour inspirer d’autres formes liturgiques que celles que nous devons à Calvin.

Mais nous estimons que toute réforme de la liturgie devra toujours s’inspirer de l’idéal qui guida le réformateur : fidélité à l’Écriture, respect de la structure des liturgies antiques, coordination de la sensibilité et de l’intelligence; recherche de la spiritualité véritable. Dieu est Esprit, a dit le Christ. Il veut que ceux qui l’adorent l’adorent en esprit et en vérité. C’est la seule chose nécessaire.

La prière spontanée n’est pas forcément une garantie contre l’automatisme et l’on peut mettre toute son âme dans la récitation ou la lecture d’une prière familière.

Seigneur, apprends-nous à prier…

Notes

1. Il est digne de remarque que le Décalogue est absent de la liturgie calvinienne de 1542, comme de toutes les liturgies de la messe. Il se trouvait pourtant dans la liturgie réformée de Strasbourg.

2. C’est seulement dix ans après la publication de la « forme des prières et chants ecclésiastiques » que parut une traduction latine, due à une autre plume que celle de Calvin, et qui fut imprimée à Genève chez Jean Crespin. Il fallait que les savants étrangers pussent connaître le rite de Genève.

3. La répétition quasi rituelle du cantique de Siméon avant la bénédiction de postcommunion paraît encore inconnue en 1542.