Cet article sur Marc 15.22 a pour sujet le Calvaire ou Golgotha impossible à localiser avec précision. Dieu n'a pas permis qu'il reste de trace matérielle de la crucifixion de son Fils. Il nous a laissé sa Parole qui nous déclare que Jésus s'est offert pour le pardon de nos péchés.

Source: Celui qui devait venir. 4 pages.

Marc 15 - Le Calvaire

« Ils conduisirent Jésus au lieu nommé Golgotha, ce qui se traduit : lieu du Crâne. »

Marc 15.22

Le Calvaire, le lieu le plus célèbre de la foi chrétienne, est également l’endroit qui actuellement, au point de vue topographique, sera le moins reconnaissable. Il est impossible de le localiser avec précision. Les vents de l’histoire en ont soulevé et balayé la poussière et la nature l’a enseveli sous une nouvelle couche d’herbes sauvages. Nous ne pourrions plus en rencontrer de trace.

Pourtant, la légende s’en est emparée et la fantaisie populaire a tissé de grossières superstitions autour du Calvaire. L’une d’elles veut qu’Abraham y ait sacrifié Isaac; une autre qu’Adam y ait été enseveli. Ailleurs, on prétend que des gouttes du sang même du Christ, glacées, seraient toujours visibles au regard du pèlerin… L’explication de son étymologie a donné également lieu à d’autres invraisemblances. Calvaire signifierait rondeur, ou rotondité, et serait le point où jadis le soleil se serait arrêté.

Laissons de côté l’énumération des superstitions pour ne pas alourdir notre mémoire d’éléments parasitaires, toujours prêts à s’incruster sur le corps de l’Évangile afin de mieux en étouffer le message salvifique. Ce ne sont même pas les interprétations symboliques, voire historiques, que nous retiendrons à cet endroit. Les créations poétiques pour embellir le tombeau du Christ ou la scène de la crucifixion relèvent de la fantaisie inutile. Écoutons plutôt un auteur suisse nous le dire à sa manière :

« Nous sommes habitués à voir la passion et la mort de Jésus à la lumière d’une certaine transfiguration artistique. Nous l’accompagnons à Golgotha avec Raphaël ou Holbein, nous regardons l’homme pendu à la croix avec les yeux de Dürer, de Rembrandt, de Rubens… Aussi quelque émouvant que demeure ce spectacle, il devient une sorte de jouissance esthétique. »

Le même auteur fait également remarquer que nous supportons d’écouter une œuvre musicale sur la passion dans une salle pompeusement illuminée, où un chanteur en habit et en plastron empesé reproduit pour nous, par des sons bien modulés, les cris de souffrance d’un homme supplicié qui se tord de douleur. La passion, nous la voyons ainsi :

« Jésus est devant nous comme Prince de la gloire… Il est environné de la lumière de la transfiguration, qu’il a conquise par ses souffrances; entouré de l’amour, de la dévotion d’innombrables âmes, qui ne connaissent rien de plus sublime que lui. Et lorsque nous considérons sa passion, il nous semble que déjà autrefois, lorsqu’il la vivait, toutes les générations chrétiennes le regardaient de loin, pleurant, priant, rendant grâces, et que lui-même en avait conscience.1 »

Ainsi, n’en déplaise à notre sentimentalisme à fleur de peau, Dieu n’a pas permis qu’il subsiste des traces matérielles de la crucifixion de son Fils, pour nous empêcher de nous y rendre et de nous y livrer à des lamentations; de même qu’il n’a pas eu l’intention de laisser debout, à Jérusalem, un pan de mur pour d’autres lamentations… Car de telles lamentations, chrétiennes ou autres, sont des tentatives à peine déguisées de nous plaindre de lui et de gémir de ce que nos rêves n’ont pas été réalisés selon nos désirs, au lieu d’accueillir ce qu’il nous accorde dans sa divine bonté. Le Calvaire et le mur de lamentations fixent le regard sur soi-même plutôt que de le diriger vers le Seigneur Dieu, notre Sauveur.

En vain chercherions-nous donc l’emplacement du Calvaire. Sans doute le Psaume 77 l’annonçait de manière prophétique : « Et tes traces ne furent plus reconnues » (Ps 77.20). De même que les flots de la mer Rouge ne laissèrent aucun vestige après le passage salutaire du Libérateur, de même la providence n’a pas voulu préserver de signes tangibles du lieu où s’est achevée notre rédemption. Contentons-nous donc de ça, afin de ne pas nourrir notre foi d’éléments superstitieux ou d’abreuver notre piété à des sources troubles. Du point de vue de sa topographie, un point est clair : le Calvaire n’était pas une colline telle que nous nous la représentons; pas le lieu où on entasserait des crânes de suppliciés; tout au plus un monticule légèrement surélevé, offrant une très légère pente et ayant une certaine ressemblance avec un crâne; à peine surélevé et pourtant suffisamment surélevé pour que les exécutions capitales ne passent pas inaperçues des passants.

« Ils se sont arrêtés au sommet d’une butte calcaire et chauve qui rappelle un crâne. Cette similitude semble prédestiner ce lieu aux exécutions capitales, mais le vrai motif du choix est que là, tout près, se croisent les routes de Jaffa et de Damas, toujours peuplées de pèlerins, de marchands, de courriers, de provinciaux et qu’il est bon que la croix, terrifiant exemple, soit dressée là où beaucoup peuvent la voir.2 »

Cherchons-y cependant l’interprétation théologique, celle qui est décisive pour notre salut et non pas de symbolisme esthétique stérile de sens. L’Évangile lui-même nous offre la première interprétation. Le Calvaire, lieu d’exécution publique hors les murs de Jérusalem, répondait parfaitement au dessein divin du sacrifice que le Fils éternel devait offrir. Léger monticule, il nous rappelle la prédiction du Christ : « Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12.32). La crucifixion devait être une élévation. Un acte visible, car l’holocauste qui a lieu ici ne s’accomplit pas à l’intérieur d’une demeure, dans le secret d’une chambre ou au désert, mais à un carrefour, au su et au vu de tout le monde.

L’offrande de l’Agneau ne sera pas un geste ésotérique, semblable à ces mystères d’Éleusis ou d’ailleurs, destiné exclusivement à l’intelligence des seuls initiés. Le Calvaire sera un lieu aussi ordinaire que la figure de celui qui y meurt. Il n’a rien du prestige d’un Parthénon athénien, ni de la gloire du forum de Rome, même pas l’aura des monts Ebal ou Garizim qui ont marqué l’histoire religieuse d’Israël.

Tout donc dans la vie du Sauveur aura été ordinaire, depuis sa naissance dans la crèche jusque sur la croix dressée sur cette butte sans prestige; son prénom, ses gestes, son exécution. Avec raison, quelqu’un disait : « La crèche et la croix sont faites du même bois ». Pourtant, les sommets autrement prestigieux des monts Horeb ou Morija, du Carmel ou de Sion, s’éclipsent en comparaison avec cette butte effacée. Car dans l’histoire de notre salut, tout ce qui attire le regard et touche et provoque les sens n’aura pas de place. Dieu décide de l’écrire sur nos cœurs croyants et de l’expliquer à notre esprit repentant.

Le Calvaire est un événement qui s’est déroulé vite, précipitamment, occupant à peine quelques heures. L’inscription de l’épitaphe sera laissée aux soins de l’Esprit; elle ne ressemble pas à celles que nous voyons inscrites sur les frontons des panthéons humains glorifiant l’existence des grands et célébrant leurs gestes illustres. L’unique bannière qui flottera sur le sanctuaire effacé sera celle de la Parole écrite et de l’Évangile proclamé.

Les grands de ce monde, dont la gloire est pourtant si éphémère, possèdent leurs mausolées. D’impressionnantes pyramides et des sarcophages conservent leurs dépouilles mortelles. Le Christ ne laisse derrière lui qu’un Évangile qui devra être raconté de bouche à oreille, jusqu’à la fin des siècles. Aussi, notre foi, pour se nourrir, n’a besoin ni d’un crucifix ni même d’une croix symbolique, mais uniquement de la prédication du Christ crucifié. Pour se conforter, elle peut se passer d’un suaire de Turin, mais jusqu’à la fin elle se fortifiera dans la communion au corps et au sang que représentent réellement et spirituellement les éléments ordinaires du pain et du vin de la coupe partagée. C’est un tel Christ que nous annonçons, le Christ crucifié, folie pour les Grecs et scandale pour les Juifs, mais puissance de Dieu pour quiconque croit.

Permettez-moi donc aussi d’insister : Parce que le Calvaire, le lieu le plus célèbre de notre foi, est à jamais effacé de nos cartes géographiques, nous n’avons nul besoin d’y effectuer de pèlerinages. Ceux-ci ne sont-ils pas davantage des visites touristiques qu’une précieuse occasion de ressourcer notre foi? Le Calvaire n’existe plus et il n’existe pas davantage de « Terre sainte ». Il n’existe que le saint Évangile qui nous déclare que le Christ s’est offert une fois pour toutes pour la rémission de nos péchés.

Le Calvaire, écrit un commentateur, est situé entre le mont Sion et la vallée de la Géhenne. Sion a été le lieu de rencontre avec Dieu, le sommet sur lequel il descendit dans ses éblouissantes manifestations, afin de communier avec son peuple. La Géhenne, elle, se trouve à l’opposé de Sion; elle est le lieu où sont destinés les maudits, dépotoir nauséabond et terrifiant, symbole de l’enfer, représentation parfaite des ténèbres extérieures. Sion est l’autel où se célèbre la communion entre le Dieu de l’alliance et ses rachetés. La Géhenne, l’espace qui accueillera les réprouvés. L’une annonce l’élection éternelle, l’autre déclare la séparation à jamais de celui qui, avec le Malin et ses acolytes, a déjà, ici et maintenant, rompu les liens avec le Dieu vivant. Entre les deux se trouve le Calvaire. Le « entre » devra s’entendre au sens spirituel, non topographique.

Désormais, les fidèles peuvent y adorer Dieu en Esprit et en vérité. Le crucifié, et non la croix, fera l’objet de leur vénération. Le sacrifice sanglant de l’Agneau sans tache sera célébré, non entretenue une légende superstitieuse. Le Calvaire est situé dans les pages de l’Évangile et nulle part ailleurs. La butte en dehors de Jérusalem peut être effacée, ceci n’affectera pas notre foi, car elle ne recèle point de mystère en soi. Seuls désormais nous contemplerons, avec émerveillement et dans l’action de grâces, l’amour révélé et la sainteté déployée de Dieu qui nous a aimés au point d’offrir son Fils unique. Comment ne nous donnerait-il pas aussi avec lui toutes choses?

Notes

1. Léonard Ragaz, cité dans Günther Dehn, Le Fils de l’homme, p. 221.

2. Giovanni Papini, Histoire du Christ, p. 382.