Oecolampade, le réformateur oublié Une lumière pour l’Église en un temps d’obscurité
Oecolampade, le réformateur oublié Une lumière pour l’Église en un temps d’obscurité
C’était en l’an 1531. Alors que l’automne faisait place à l’hiver, les perspectives de la Réforme en Suisse étaient sombres. En l’espace d’un mois, deux de ses dirigeants décédèrent : le robuste et charismatique Huldrych Zwingli, réformateur de Zürich, tué sur le champ de bataille à l’âge de 47 ans; et le plus doux et plus érudit Johannes Oecolampade, principal pasteur de la ville de Bâle, tombé malade et mort à 49 ans. Avec la défaite de Zürich et la mort de ces hommes, les évangéliques battirent en retraite.
Pourtant, la cause allait survivre et prospérer sous l’impulsion de nouveaux leaders tels que Heinrich Bullinger et Jean Calvin. L’héritage de Zwingli allait être préservé, son héritage refondu dans un moule héroïque. Mais qu’en est-il d’Oecolampade? L’un des plus grands spécialistes de l’hébreu de son époque, commentateur biblique exceptionnel et réformateur d’une ville éminente, son nom est pourtant largement inconnu en dehors des cercles de spécialistes, et la majeure partie de son œuvre n’a jamais été traduite en anglais ou en français. Qui était ce réformateur oublié?
Son nom y est peut-être pour quelque chose! Il s’agit d’une traduction grecque de son nom de famille allemand, Huszgen, qui signifie « lampe de maison ». Johannes a suivi la mode de l’époque qui consistait pour les érudits à se renommer dans les langues des gens de grande éducation. La « lumière » du savoir a certainement été l’étoile qui l’a guidé pendant une grande partie de sa carrière.
Né en 1482 (un an avant Luther) dans le sud de l’Allemagne, il poursuivit des études universitaires à Heidelberg et à Tübingen. Il partage avec Luther la distinction d’avoir été l’un des rares premiers réformateurs à avoir reçu une formation générale en théologie. Il s’intéressait avant tout aux langues et aux œuvres de l’Antiquité. Il surpassa la plupart des gens de sa génération en obtenant la rare distinction d’être un expert dans les trois langues sacrées : le grec, le latin et l’hébreu. Son nom en dit long sur l’homme.
Sa soif d’apprendre n’était pas seulement académique. Il s’est rendu à Bâle pour la première fois en 1515 en tant qu’assistant hébraïque du grand Érasme, travaillant à son édition du Nouveau Testament grec. Il partageait la passion d’Érasme pour la réforme de l’Église par un retour à la simple « philosophie du Christ ». Bâle possédait la plus grande université de Suisse et les meilleures imprimeries au nord des Alpes. Oecolampade pouvait partager les intérêts d’un cercle plus large d’érudits de l’interprétation de l’Écriture, en particulier en ce qui concerne l’Ancien Testament et son application à la purification de l’Église et de l’État.
Cependant, le mélange d’érudition cosmopolite et de moralisme urbain qu’offrait Érasme ne put satisfaire Oecolampade très longtemps, car ses sympathies devenaient davantage évangéliques. Dès 1510, il se mit à prêcher la justification par la foi seule et, alors même que les premières œuvres de Luther se répandaient en Europe, il exerça un ministère évangélique à Augsbourg de 1518 à 1520. Contrairement à Luther, l’approfondissement de ses convictions le poussa en 1520 à entrer dans un monastère, où il pouvait réfléchir et étudier sans être dérangé.
Il ne fut jamais un simple acolyte de Luther. Grâce à sa propre érudition et avec les pères de l’Église primitive tels que Chrysostome comme guides, il fut l’un des premiers à tirer les conclusions qui allaient caractériser le courant réformé de la Réforme. Luther et Érasme le considéraient tous deux comme un adversaire.
Prenons, par exemple, sa conception du culte, en particulier de la cène. En 1523, alors que Luther proposait ses propres modifications liturgiques prudentes, Oecolampade rédigeait une nouvelle liturgie révolutionnaire, peut-être la première tentative de transformer la messe romaine en un culte évangélique. Plus tard, en 1525, il publia son traité le plus controversé, Sur la signification authentique des paroles du Seigneur : Ceci est mon corps, une critique érudite de la notion selon laquelle le corps et le sang du Christ étaient physiquement présents dans le sacrement.
Bien que ce point de vue soit considéré comme « zwinglien », à bien des égards, c’est Oecolampade qui fit le gros du travail théologique, s’appuyant sur son travail considérable d’exégèse et d’étude des Pères. En fait, ses vues préfigurent celles de Calvin, avec l’accent qu’il mettait sur la présence physique du Christ au ciel après l’ascension, et sur notre communion spirituelle avec lui à travers la cène.
Entretemps, Oecolampade était de retour à Bâle, où il donnait des conférences, prêchait et soutenait des débats. Des centaines de personnes se réunissaient pour assister à ses conférences, des citadins ordinaires, des membres du clergé et des étudiants. Dans ses commentaires, qui sont clairs et succincts, il fait preuve d’un grand savoir. En 1523, il publia une série d’ouvrages sur Ésaïe qui constituerait un moment décisif. Encore une fois pionnière, cette série exposait la théologie de l’alliance qui serait plus tard si caractéristique de la foi réformée. Il trouvait dans le testament du Christ — son œuvre achevée sur la croix — le fondement unificateur de toutes les alliances bibliques, de l’alliance avec Moïse comme de celle avec Abraham. Il ne pouvait accepter la division nette de Luther entre la loi et l’Évangile, car la loi ne pouvait jamais être accomplie autrement que par l’Évangile, et le but final de l’Évangile n’était pas simplement la justification, mais aussi l’inscription de la loi dans le cœur du peuple de Dieu.
Pour Oecolampade, cette loi était donc la loi de l’Esprit. Ici, il nota bien une distinction entre Moïse et le testament du Christ, mais seulement lorsque considéré extérieurement. Commentant Hébreux 7.18-19, il dit :
« Ceux qui ne connaissent que la loi, négligeant la loi de la foi et de l’Esprit, n’ont pas été rendus parfaits. […] Voyez-vous ici le rejet de la loi? Oui, mais seulement des cérémonies extérieures. […] Si beau que soit le corps, c’est un cadavre si l’Esprit fait défaut; ainsi, toutes les œuvres, si louables qu’elles puissent paraître, périssent si l’Esprit vivifiant n’est pas en elles. »
Oecolampade s’intéressait tout particulièrement à l’Esprit Saint : dans la cène, dans le culte et surtout dans la vie nouvelle de l’Église du Christ. En cela, il préfigurait une fois de plus Calvin.
Oecolampade était un homme plus doux qu’un Luther ou un Zwingli. Il n’était pas porté à abuser de quelque supériorité. Bien que scandalisé par la messe romaine, il pouvait se résoudre à prier pour ses défenseurs, « afin que le Seigneur juge bon de leur ouvrir les yeux et de disperser le brouillard de l’erreur ». Il était avant tout un enseignant et un prédicateur.
Cependant, des événements tumultueux abondaient autour de lui. L’agitation et les émeutes de rue poussèrent le conseil municipal à ouvrir plusieurs Églises de la ville au culte évangélique en 1527. La même année, il prit la décision radicale d’épouser Wibrandis Rosenblatt, avec qui il eut trois enfants (elle épousa deux autres réformateurs après la mort d’Oecolampade : son ami Wolfgang Capito, puis le célèbre réformateur de Strasbourg, Martin Bucer). Sa ferme alliance avec Zwingli le conduisit à une dispute à Berne, à la suite de laquelle la Réforme fut établie dans cette ville, et, plus fatalement, au grand colloque de Marbourg entre les luthériens et les réformateurs suisses en 1529. Ainsi, Oecolampade, tout comme Zwingli, fut l’objet des attaques de Luther contre l’enseignement suisse selon lequel le Christ n’était pas physiquement présent dans la cène.
Ce n’est qu’alors que la Réforme fut officiellement établie à Bâle, et Oecolampade ne vit sa progression que pendant quelques années. Les presses de la ville produisaient en série ses commentaires et son catéchisme, ses propositions de réforme du gouvernement de l’Église et du culte public. Toutefois, le spectre de la division et de la menace militaire planait sur ces années. Même la nouvelle de sa mort, en 1531, fut empoisonnée par des rumeurs de suicide, et Luther y vit un jugement de Dieu — une attaque du diable pour lui arracher la vie. Pourtant, nous devons beaucoup aux travaux de Johannes Oecolampade, dont l’œuvre est si vaste et pourtant bien trop peu reconnue. Sous le regard de Dieu, c’est à des hommes comme lui, et pas seulement aux grands noms tels que Calvin ou Luther, que nous devons les fondements de notre héritage réformé et évangélique.