Par quelle puissance?
Par quelle puissance?
La recherche du pouvoir ou du maintien au pouvoir est un des motifs qui gouvernent l’humanité depuis toujours. Un pouvoir dominateur, souvent oppressif, qui témoigne d’une volonté de contrôle sur les autres et qui s’exprime de différentes manières : par la force brutale, par l’argent, par l’intimidation et la menace, par la manipulation émotionnelle, par un verbe puissant qui fascine les autres et les amène à l’obéissance… Beaucoup aussi cherchent à se laisser dominer par quelqu’un qui semble fort, puissant et donc capable de les protéger ou de favoriser leurs intérêts.
Certaines cultures exaltent le pouvoir tel que je viens de le décrire, alors qu’en fait celui-ci prouve toujours être destructeur à plus au moins long terme. Il détruit non seulement ceux qui y sont soumis malgré eux, mais aussi ceux qui s’y soumettent volontairement; en fin de compte, un tel pouvoir finit aussi par détruire ceux-là mêmes qui l’exercent. Car l’oppression engendre la révolte et celle-ci mène à un contre-pouvoir qui finit lui-même par ressembler à celui qu’il a détrôné. Cercle vicieux caractéristique de l’histoire de bien des communautés humaines, livrées aux pouvoirs destructeurs successifs qui n’engendrent que malheur et souffrance.
Mais ce cercle vicieux est-il une fatalité? Non, il ne l’est pas dans l’optique de la Bible, pourvu que l’on reconnaisse et s’abaisse devant celui à qui tout pouvoir a été remis par Dieu lui-même : son Fils Jésus-Christ, l’homme parfait qui s’est volontairement abaissé pour servir ceux vers qui il a été envoyé.
Jésus-Christ nous fournit la clé à la question du pouvoir, de sa nature, de son origine et de son but. Il nous montre aussi comment et à quelle fin utiliser le pouvoir qui peut nous être confié dans telle ou telle circonstance. Apparaissant devant le procurateur romain Ponce Pilate, qui s’étonne de ce qu’il ne répond pas à ses questions, et lui dit : « Tu ne sais donc pas que j’ai le pouvoir de te relâcher et celui te de crucifier? », Jésus répond : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, s’il ne t’avait été donné d’en haut. Voilà pourquoi celui qui me livre entre tes mains est plus coupable que toi » (Jn 19.10-11). L’origine de tout pouvoir vient d’en haut, de Dieu lui-même. Jésus reconnaît devant Pilate que même le gouvernement romain sur les Juifs vient de Dieu; or, ce gouvernement, les Juifs le haïssaient, car il les privait de leur indépendance, ce que leur fierté nationaliste ne pouvait supporter. Dans sa providence éternelle, Dieu a cependant établi que les Romains gouverneraient aussi cette partie du monde à un moment donné.
Mais tout pouvoir est en même temps lié à l’obligation de l’exercer en conformité avec les normes divines : les autorités sont redevables devant Dieu de la manière dont elles exercent ce pouvoir. Leur légitimité en tant qu’autorités devant Dieu est soumise à ce test. Jésus déclare au procurateur romain sa propre culpabilité à cet égard, puisqu’il est prêt à livrer un homme qu’il sait innocent à une foule déchaînée. Cela signifie-t-il qu’il est légitime aux hommes de renverser un pouvoir parce qu’il ne se soumet pas aux normes divines? Certes non, car ceux qui entreprendraient une telle action se situeraient d’emblée dans le même sillage, usurpant le pouvoir et une légitimité qu’ils s’attribueraient à eux-mêmes.
La plus importante déclaration de Jésus-Christ concernant le pouvoir est certainement celle qu’il a faite à ses disciples après sa résurrection et avant son ascension au ciel. Elle nous est rapportée juste à la fin de l’Évangile selon Matthieu, et sert de fondement à l’entreprise missionnaire qu’il leur confie :
« J’ai reçu tout pouvoir dans le ciel et sur la terre. Allez donc dans le monde entier, faites des disciples parmi tous les peuples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et apprenez-leur à obéir à tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis moi-même avec vous chaque jour, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28.18-20).
Cette déclaration par laquelle Jésus déclare que tout pouvoir lui a été remis peut certainement être considérée comme politique, à condition que l’on comprenne bien qu’il ne s’agit pas d’une politique humaine cherchant à bâtir un royaume, un empire ou une république temporels. Il s’agit de la politique du Royaume de Dieu, qui dépasse toutes les autres et à laquelle toutes les autres devraient se soumettre. « Mon royaume n’est pas de ce monde », avait-il déclaré au même procurateur romain Ponce Pilate (Jn 18.36). Par là il voulait dire que ce ne sont pas des hommes qui pouvaient le nommer roi, cherchant à l’introniser comme tel en vue de leurs desseins purement humains; afin surtout d’utiliser à leur profit le pouvoir qu’ils le voyaient exercer sur les démons, les forces de la nature ou les maladies.
Non, ce pouvoir universel qu’il a reçu ne lui a pas été remis par des hommes, mais par son Père céleste. En enjoignant à ses disciples d’aller vers toutes les nations et de leur enseigner à obéir à tout ce qu’il leur a commandé, Jésus-Christ affirme clairement que cet enseignement commence avec la proclamation de sa royauté universelle. Autrement, au nom de quoi pourrait-on enseigner aux hommes et femmes du monde entier à obéir à tout ce qu’il a prescrit? Cette déclaration met donc en soi un frein à toute velléité de pouvoir absolu ou abusif de la part d’autorités humaines. Car elle ne s’adresse pas qu’aux petits, aux humbles ou à ceux qui n’ont apparemment aucun pouvoir, elle s’adresse tout autant aux grands de ce monde, à ceux qui sont responsables des affaires publiques ou qui exercent des responsabilités importantes. Tout pouvoir trouve son origine en Dieu et est appelé à se soumettre à la politique du Royaume universel de Jésus-Christ, puisant de celui-ci les normes qui guident son exercice.
Mais quelles sont ces normes? Tournons-nous à nouveau vers Jésus-Christ, qui nous éclaire là-dessus.
« Les disciples eurent une vive discussion : il s’agissait de savoir lequel d’entre eux devait être considéré comme le plus grand. Jésus intervint : Les rois des nations, dit-il, dominent leurs peuples, et ceux qui exercent l’autorité sur elles se font appeler leurs “bienfaiteurs”. Il ne faut pas que vous agissiez ainsi. Au contraire, que le plus grand parmi vous soit comme le plus jeune, et que celui qui gouverne soit comme le serviteur. À votre avis, qui est le plus grand? Celui qui est assis à table, ou celui qui sert? N’est-ce pas celui qui est assis à table? Eh bien, moi, au milieu de vous, je suis comme le serviteur… » (Lc 22.24-27).
Jésus explique à ses disciples, emportés dans un débat futile, quelle est la nature de l’autorité : elle est avant tout service, et Jésus lui-même en montre l’exemple le plus parfait. Il s’abaisse volontairement pour le salut des hommes, par amour pour eux. Son pouvoir et son autorité universels ne sont pas en contradiction avec cet amour, en fait ils expriment cet amour. Son exemple doit servir de modèle aux disciples dans leur relation mutuelle. Or, lorsque ceux-ci sont appelés à enseigner toutes les nations à garder ce que leur maître leur a prescrit, il est évident que cet enseignement particulier en fait partie. Ceux à qui un pouvoir ou une autorité a été confié sont là pour servir. Servir avec autorité, cela est-il contradictoire? Non, si l’autorité et le pouvoir dont on est revêtu ont en vue un bien général, l’intérêt commun qui dépasse les intérêts particuliers ou ceux de la personne qui détient un tel pouvoir. Pour cela, il faut savoir s’abaisser, regarder plus haut que soi-même, être habité par une vision large et surtout savoir qu’en toutes choses l’on doit se soumettre à l’autorité universelle de Jésus-Christ qui s’est lui-même abaissé pour le salut des hommes.
Au fond, il existe deux modèles du pouvoir : celui de Jésus-Christ, qui l’a reçu légitimement de Dieu le Père et qui l’a exercé conformément à la volonté du Père, c’est-à-dire en s’abaissant volontairement et en servant avec un amour parfait. Et celui de Satan, qui l’usurpe et cherche à l’exercer en violation constante avec les normes divines. Ce modèle de l’exercice du pouvoir est hélas! celui que les hommes suivent le plus souvent, provoquant ainsi destruction et malheur. La Parole de Dieu les enjoint, quels qu’ils soient, à reconsidérer l’exercice du pouvoir tel qu’ils le pratiquent et à le réformer dans le sens de l’exemple donné par Jésus-Christ à ses disciples. D’une telle réformation, on ne peut attendre que des fruits bénéfiques. Certains diront : mais ce que vous enseignez signifie en fait qu’il faut devenir faible pour exercer le pouvoir. Non, il ne s’agit pas de faire preuve de faiblesse, mais plutôt d’une véritable force, celle qui sait se contrôler et se mettre au service des autres, assurant une base durable pour l’autorité fondée non pas sur l’oppression, mais sur la recherche du bien commun à travers le service.
Je citerai, pour confirmer cet enseignement, comment Paul parle de l’abaissement volontaire de Jésus-Christ au second chapitre de sa lettre aux Philippiens, afin que les disciples du Christ vivent de manière similaire et donnent ainsi au monde, un exemple à suivre :
« Ne faites donc rien par esprit de rivalité, ou par un vain désir de vous mettre en avant; au contraire, par humilité, considérez les autres comme plus importants que vous-mêmes; et que chacun regarde, non ses propres qualités, mais celles des autres. Tendez à vivre ainsi entre vous, car c’est ce qui convient quand on est uni à Jésus-Christ. Lui qui, dès l’origine, était de condition divine, ne chercha pas à profiter de l’égalité avec Dieu, mais il s’est dépouillé lui-même, et il a pris la condition du serviteur. Il se rendit semblable aux hommes en tous points, et tout en lui montrait qu’il était bien un homme. Il s’abaissa lui-même en devenant obéissant, jusqu’à subir la mort, oui, la mort sur la croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé à la plus haute place et il lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, pour qu’au nom de Jésus tout être s’agenouille dans les cieux, sur la terre et jusque sous la terre, et que chacun déclare : Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2.3-11).