La Réforme et l'autorité de la Parole de Dieu
La Réforme et l'autorité de la Parole de Dieu
Plus de quatre siècles se sont écoulés depuis que le grand mouvement religieux et ecclésiastique appelé la Réforme éclata et qu’un puissant incendie embrassa le monde. Il produisit un bouleversement spirituel, social et culturel — voire politique — si radical qu’aujourd’hui encore le monde occidental reste profondément marqué par la Réforme du 16e siècle.
Il n’est pas d’historien, de sociologue ou même de simple homme cultivé qui n’en saisisse la portée. Dans un livre passionnant intitulé Le Mal français, Alain Peyrefitte, membre de l’Académie française, y explique que l’une des causes principales de ce mal est certainement le fait que la France n’a pas embrassé la Réforme, et que, pour l’avoir combattue et étouffée et pour avoir chassé les réformés, elle connaît actuellement l’une des périodes les plus dangereuses de son histoire.
Alain Peyrefitte n’est pas réformé, mais catholique romain; cependant, en chrétien convaincu, lucide et courageux, il a parfaitement saisi ce que la Réforme protestante signifie pour une société qui se veut à la fois stable et en progrès.
Mais qu’est-ce que la Réforme, au-delà de ses incidences politiques, sociales et culturelles? Les mots, comme vous le savez, se chargent de sens par l’usage, et quatre siècles d’usage ont abouti à ce qu’aujourd’hui le mot réformé ne signifie guère plus que tout ce qui est opposé à ce qui n’est pas protestant, et souvent, on en reste là. On y ajoute parfois un goût de protestation, d’opposition, de contestation, parfois une nuance de liberté, voire d’anarchie…
La Réforme protestante apparaît alors comme une collection d’Églises hétéroclites, aux aspects et coutumes variées, haut lieu de l’individualisme et terrain de choix de toutes les confusions.
Pourtant, la Réforme protestante est toute autre chose que cela. Elle est, avant tout, la redécouverte de la Parole de Dieu, la Bible, et à travers elle, la soumission au Dieu transcendant, Créateur et Rédempteur. Elle veut être — et elle est, lorsqu’elle est bien comprise — la juste et correcte compréhension des rapports de Dieu avec l’homme pécheur. Elle se veut fidèle Évangile en y conformant non seulement ses doctrines spirituelles, mais aussi la pratique de sa vie quotidienne. Ceci nous amène donc à considérer l’article premier de toute affirmation réformée : celle du fondement biblique de la foi et de la vie de l’homme croyant.
La Bible, Ancien et Nouveau Testament, est ce fondement. La foi s’enracine déjà dans les livres de l’Ancienne Alliance, livres des promesses de Dieu. Mais c’est dans le Nouveau Testament, livre des réalisations et de l’accomplissement des œuvres de Dieu, qu’elle reçoit toute sa plénitude. On a souvent dit en caricaturant que tout protestant est un pape Bible en main! Ceci supposerait que les chrétiens et que les Églises issues de la Réforme méconnaissent et ignorent la valeur de la tradition de l’Église, ce qui, bien évidemment, est loin d’être le cas! Tout chrétien réformé sait qu’il ne peut pas se situer en dehors de la grande tradition ecclésiastique qui jalonne vingt siècles d’histoire chrétienne. Il la connaît et il la respecte, parfois il s’en inspire et cherche dans le passé des lignes directrices sûres et éprouvées…
Pourtant, le fondement de la foi réformée reste la Parole inspirée de Dieu, le Livre de l’Église autant que celui de la vie du croyant et de sa famille. C’est donc cette Parole, cet Évangile qui possède l’autorité ultime et normative. C’est à sa lumière que doivent être vérifiées les doctrines du passé comme la conduite du présent. L’autorité de la Bible en matière de foi et de vie est le principe numéro 1 de la Réforme.
Dès lors, on voit que la Réforme n’est pas ce que l’on accuse souvent d’être : une école de critique, une affirmation du libre examen individualiste et peut-être même anarchiste… La Réforme n’a pas affirmé « les droits de l’homme » en tant que tels, mais elle a proclamé l’absolue souveraineté de Dieu sur toute instance humaine, fut-elle ecclésiastique. Tout homme et toute instance sont responsables vis-à-vis de lui.
En face de tout ce et de tous ceux qui, dans le passé comme de nos jours, magnifient la liberté totale de l’homme, sa suffisance et son arrogance, le chrétien réformé annonce à la manière des prophètes : « Ainsi parle le Seigneur. » C’est en cela qu’il s’oppose à ce qui est tradition humaine, ecclésiastique ou culturelle sans référence à Dieu. « Il combat la variabilité des pensées humaines par l’affirmation de l’invariabilité de la révélation de Dieu. » Il se souvient sans cesse de la déclaration du Seigneur Jésus-Christ : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas » (Mt 24.35). Pour la Réforme, cette Parole divine est adressée à l’homme en vue de son salut.
Selon le chrétien réformé, le salut est le don de Dieu. C’est la grâce du Dieu Créateur et Sauveur qui restaure la créature déchue et pécheresse. Ceci appelle tout homme à une extrême humilité. Personne n’est maître de son bonheur. Il ne peut pas accomplir le bien par ses propres efforts. Il est pécheur. Il prend à son compte ces affirmations centrales de l’Écriture sainte. Il sait qu’il est par lui-même incapable de faire le bien et que « tous les jours et de plusieurs manières il fait le mal ». Il ne peut pas s’approcher de Dieu lui-même pour restaurer la relation rompue, mais il se sait pardonné, réhabilité, gracié, par et à cause de la pure bonté de Dieu manifestée en Jésus-Christ, le Sauveur des hommes. Dieu, lui, n’a pas contracté de dette envers l’homme; il n’est pas notre obligé… Pourtant, dans sa liberté totale, il décide de devenir la source du salut de l’homme. Que reste-t-il à faire? N’y aurait-il aucune place dans sa vie pour les bonnes œuvres? Oui, certes, mais une bonne œuvre est toujours la conséquence du salut, et non pas sa cause. « Un mauvais arbre ne peut porter de bons fruits », déclarait Jésus (Mt 7.18). Pour ce faire, il faut une greffe sur le Christ, le tronc et la racine qui irriguera les branches mortes et leur redonnera la vie afin qu’elles puissent porter de bons fruits…
Nous comprenons alors, éclairés par la Bible et à la suite de la Réforme, que notre vie tout entière est un don de Dieu. Nous lui resterons donc redevables pour toutes choses. C’est la grâce de Dieu qui nous engage vis-à-vis de lui, auteur de la vie et du salut.
C’est là une vérité fondamentale qui touche notre vie tout entière, spirituelle et temporelle, car notre vie doit être un ensemble cohérent et harmonieux. Elle le sera effectivement si nous la plaçons dans l’orbite divine et si elle est régénérée par l’Esprit Saint. Certes, les réformés reconnaissaient combien le rôle de la foi est grand pour l’acquisition du salut. Mais la foi n’est pas la cause de la régénération chez l’homme, elle n’est que l’acquiescement, l’acceptation humble et reconnaissante de la grâce. La foi est la certitude que le Fils de Dieu a opéré ce changement par sa mort expiatoire et par sa résurrection triomphante.
C’est pourquoi la prédication de l’Évangile n’est pas une simple morale, ni la transmission d’idées culturelles ou encore un enseignement philosophico-religieux. Elle est déclaration de pardon, annonce de réconciliation, description de ce que Dieu, en son Fils et dans la communion de son Esprit, a accompli une fois pour toutes en faveur de l’homme. Sa bonté n’est pas une idée abstraite; elle a pris un visage et s’est montrée sous une forme concrète; elle a porté un nom… Elle s’appelle Jésus-Christ.
On se rappellera que la Réforme éclata le jour où un certain moine allemand, frère Martin Luther, saisit le sens de ce texte biblique : « Le juste vivra par la foi » (Rm 1.17). La foi est donc l’attitude de l’homme qui, de toutes ses forces, de toute sa pensée et de tout son cœur, prend au sérieux le fait qu’il est pécheur, le fait que la Bible lui révèle ce Dieu en Jésus-Christ le Médiateur. « Si le salaire du péché est la mort, le don gratuit de Dieu en Jésus-Christ c’est la vie » (Rm 6.23). La foi est donc toute la connaissance du cœur du croyant en son Dieu et Sauveur. Dès lors, l’homme vit par la foi devant Dieu, coram Deo selon l’expression de Martin Luther.
Enfin, n’oublions pas un autre aspect de la foi biblique et réformée. Il s’agit du témoignage intérieur du Saint-Esprit. Libéré de la contrainte du péché et de l’aliénation des hommes, et surtout de lui-même, le chrétien réformé se soumet à la seule autorité de Dieu. Celle-ci se fait connaître aussi bien dans la lettre et les mots de l’Écriture que dans l’inspiration et le témoignage que l’Esprit Saint engendre en nous. À un moment où les extases et les illuminations nous sont présentées comme les manifestations de l’Esprit, il nous faut une très grande prudence pour ne pas les identifier avec le vrai témoignage intérieur du Saint-Esprit.
Nous devons toujours nous rappeler que le témoignage intérieur de l’Esprit n’est jamais indépendant de la Parole. C’est pourquoi il ne laisse jamais de place aux fantaisies et aux émotions purement subjectives. Bien au contraire, il garantit au chrétien qu’avec l’Église fidèle de tous les siècles, il fait partie du peuple de Dieu, et ceci est une certitude qui doit vaincre cet individualisme qui, de nos jours surtout, nuit tellement à l’édification d’une Église une et sainte pour la gloire de son Seigneur.
Je voudrais terminer en précisant que, malheureusement, beaucoup de ceux qui de nos jours se réclament de la Réforme du 16e siècle n’en ont gardé que la réputation ou quelques formes extérieures. Bien souvent, c’est au sein d’Églises se disant réformées que surgit le rejet ou la négation de la souveraineté divine! Ces Églises jouent alors le triste rôle consistant à introduire dans le christianisme de tradition réformée le vieux paganisme qui, sous de nouvelles défroques, proclame l’homme maître absolu de toutes choses…
Cependant, là où la Parole est entendue et l’Esprit Saint agissant, là le chrétien et les Églises pourront se réformer d’âge en âge pour la seule gloire et le service exclusif du Dieu Père Fils et Saint-Esprit.