Les sources non bibliques attestant la vie de Jésus
Les sources non bibliques attestant la vie de Jésus
-
Les documents juifs
a. Le Talmud
b. Flavius Josèphe -
Les documents païens
a. Pline le Jeune
b. Tacite
c. Suétone
d. Les Acta Pilati
e. Thallus le Samaritain
f. Les Évangiles apocryphes
1. Les documents juifs⤒🔗
a. Le Talmud←↰⤒🔗
Le Talmud comprend la Mishna, tradition des rabbins codifiée par Hillel au premier siècle et rédigée au cours du 2e siècle, et la Guémara, commentaire sur la Mishna. On distingue le Talmud babylonien et celui de Jérusalem (en tout 72 volumes in-8). Nous y trouvons quelque vingt mentions de Jésus, toujours dans une atmosphère de haine. Il est appelé cet homme, celui qu’il ne faut pas nommer, le Nazaréen, le fou, le pendu, Absalom, Ben Pandera. Il a eu cinq disciples : Matthieu, Thadée, Nazaréen, Booni et Niki. Il a suivi l’enseignement de Josué Ben Pérachia, l’a accompagné en Égypte, où il a appris la magie. Il a été lapidé, puis pendu comme blasphémateur après quarante jours de jugement, pendant lesquels personne n’a parlé en sa faveur.
Un paragraphe du sanhédrin du Talmud babylonien dit qu’à la veille de la Pâque on pendit Jésus de Nazareth. Pendant quarante jours, un hérault a marché devant lui en criant : il doit être lapidé parce qu’il exerça la magie, séduisit Israël et l’entraîna à la rébellion. Que celui qui a quelque chose à dire pour le justifier vienne le faire valoir. Mais il ne se trouva personne pour le justifier et on le pendit la veille de Pâques.
Inutile de relever la contradiction entre la crucifixion dont parlent les quatre Évangiles et la lapidation dont il est question dans ce texte. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir que le Talmud cherche à justifier les juges, mais ne nie pas l’événement historique; il ne nie même pas le fait que Jésus ait accompli des miracles. Il le tient pour un sorcier. Il le dit fils d’un soldat romain et assimile Marie, en faisant preuve d’un anachronisme extravagant, à une certaine Myriam Bath Bylia, fille d’un prêtre épousant un soldat de l’armée séleucide. Le but polémique des références à Jésus est net. Le Talmud veut combattre la descendance davidique de Jésus et surtout sa naissance miraculeuse.
Il y a aussi les Toledoth Jésus, une compilation tardive rejetée par les juifs eux-mêmes; cependant, selon le savant spécialiste du Nouveau Testament, Eissler, ils contiendraient des données solides indépendantes de la tradition chrétienne.
b. Flavius Josèphe←↰⤒🔗
De l’avis unanime, Josèphe porte « le témoignage non chrétien le plus amical sur Jésus ». Josèphe vivait en Palestine à l’époque de Jésus. C’est un témoignage d’incontestable valeur que nous avons dans les écrits de l’historien juif. Sans le mettre au même rang que d’autres écrivains de son époque, on peut dire à son sujet que ses écrits sont dignes de foi; il n’est pas étonnant que très tôt des écrivains chrétiens s’y soient intéressés. Outre sa référence explicite à Jésus, qu’il considère comme un personnage historique, Josèphe nous fournit des renseignements inappréciables sur le cadre de la vie en Palestine au premier siècle de notre ère. Ainsi, viennent sous sa plume les noms d’Hérode, de Pilate, et il mentionne jusqu’à la mort du Baptiste, de même que celle de Jacques, frère de Jésus, surnommé Christ…
Le texte le plus important relatif à Jésus est le suivant :
« Il y eut à cette époque Jésus, un homme sage, si tant est qu’on puisse l’appeler un homme, car il accomplit des œuvres merveilleuses. Il fut un tel maître que les hommes recevaient de lui la vérité avec plaisir. Il attira à lui et beaucoup de juifs et beaucoup de gentils. Il était le Christ. Et quand Pilate, à l’instigation des principaux de notre nation, l’eut condamné à la croix, ceux qui l’avaient aimé au début ne l’oublièrent pas, car il leur apparut vivant, le troisième jour, comme les prophètes de Dieu l’avaient annoncé, ainsi que mille autres choses merveilleuses le concernant. Et la secte des chrétiens qui tire de lui son nom n’est pas éteinte à ce jour » (Antiquités juives 18.3-3).
On a beaucoup posé de questions à propos de l’authenticité de ce texte, dans lequel Josèphe, le juif, parle d’une manière aussi étrange de Jésus.
On relève qu’il est en contraste, sur nombre de points, avec l’ensemble du livre. S’il était l’auteur de ce passage, il aurait été chrétien et, étant chrétien, on conçoit mal qu’il se soit contenté de parler de Jésus dans ce seul petit paragraphe.
Très tôt, des éditions chrétiennes de Josèphe apparurent, et ce passage peut avoir été introduit dans le texte pour renforcer une allusion qui ne paraissait peut-être pas assez explicite au gré des éditeurs. Nous pensons qu’en effet ce passage semble suspect pour être d’une utilité quelconque pour connaître la personne historique de Jésus. Un autre texte dû également à Josèphe est plus sobre : « Ananias ayant réuni le sanhédrin, traduisit devant lui Jacques, frère de Jésus, appelé Christ, ainsi que certains autres, et le fit lapider » (20.9). Origène et Eusèbe citent ce texte, mais Origène semble ignorer le premier. Selon Eissler, il existerait une version slave de la Guerre des juifs du même auteur, contenant de nombreuses allusions et des détails sur la vie de Jésus. Mais d’autres n’y voient encore qu’une nouvelle tradition chrétienne, plus ou moins déformée.
Pourquoi le silence de Josèphe sur la vie de Jésus? Certains penchent vers l’explication qui veut que Josèphe, qui n’est pas un pur historien, ait écrit surtout pour défendre sa conduite personnelle lors du soulèvement des juifs contre Rome en 66 et, d’autre part, une présentation de sa nation destinée aux Romains. Son effort pour présenter la haine des Romains comme étant le fait d’une fraction limitée de sa nation, pour louable qu’il soit, ne peut vraiment pas convaincre. Le personnage de Jésus pouvait aisément entrer dans le cadre de sa démonstration. Son silence, surprenant à vrai dire, est peut-être dû à sa perplexité. En outre, à cette même époque, le christianisme était un élément qui pouvait fortement troubler les relations entre les juifs et Rome; il n’était donc pas dans l’intérêt de Josèphe, qui voulait avant tout les réconcilier, de citer le nom et l’histoire de Jésus.
2. Les documents païens←⤒🔗
Les historiens classiques de la Rome du premier siècle et du début du 2e ne mentionnent que rarement, et jamais directement, le personnage historique de Jésus. C’est à propos des persécutions, dont les chrétiens sont l’objet, que le nom de Jésus est mentionné.
a. Pline le Jeune←↰⤒🔗
Gouverneur de la Bithynie vers 110 après J.-C., Pline n’est pas à proprement parler un historien de métier. De son abondante correspondance, nous recueillons de nombreux renseignements sur l’histoire de son époque. Haut placé dans le gouvernement de l’empire, il peut connaître certains faits et juger des situations. C’est donc dans la province de l’Asie Mineure, où il se trouve, qu’il fait connaissance avec une assez forte minorité chrétienne. Aussi écrit-il à l’empereur Trajan (112), pour lui exposer la situation et lui demander conseil sur l’attitude à tenir vis-à-vis des chrétiens. Plusieurs personnes dénoncées comme étant chrétiennes ont été arrêtées et interrogées par ses soins. Ces interrogatoires lui ont permis de se faire une idée de ces personnes et de leurs pratiques. Ils chantent des hymnes au Christ, le considèrent comme Dieu, s’engagent par serment à n’être ni voleurs, ni menteurs, ni adultères. Pline n’y voit aucun inconvénient; cependant, les prêtres païens se plaignent parce que leurs temples sont désertés et les marchands de viandes pour les sacrifices ne font plus des affaires. Que faire? (Épître; Livre X, ch. 96).
b. Tacite←↰⤒🔗
Tacite, le grand historien de l’époque, fait allusion à un fait récent : l’incendie de Rome sous Néron en 64 (voir Annales XV.44). Il s’agit là d’un grand texte, souvent étudié et dont l’authenticité est admise par tous les philologues. La voici dans la traduction de Coeltzer :
« Ni le réel amour qu’il pouvait inspirer, ni les dépenses et les installations premières qu’il fit pour s’attirer la faveur des dieux, n’ont pu laver Néron de l’ignominieux soupçon d’avoir incendié la ville. Pour éteindre ce bruit dans le monde, il créa des coupables et infligea les peines les plus cruelles à ceux que le peuple haïssait pour leurs turpitudes : les chrétiens (leur nom vient d’un certain “Christus”, qui, sous le règne de Tibère, a été mis à mort par le gouverneur Ponce Pilate). Pour un moment, cette dangereuse superstition avait été refoulée. Mais elle reparut non seulement en Judée, point de départ de ce fléau, mais encore dans la capitale, où toutes les choses les plus détestables et les plus honteuses se rassemblent de tous les points du monde et trouvent des partisans. Tous ceux qui publiquement se réclamaient du christianisme furent d’abord arrêtés, puis, sur dénonciation, une foule d’autres hommes. On fit un divertissement de la mort de ces condamnés, en les enveloppant de peaux de bêtes et en les abandonnant aux chiens. Quand le jour baissait, ils servaient de flambeaux. Néron donna son jardin pour ce spectacle et installa des jeux de cirque : il se mêlait à ces jeux, habillé en cocher dans les rangs du peuple, ou debout sur son char. Sans doute, les condamnés étaient coupables et méritaient le plus sévère châtiment. Mais ils excitaient cependant la piété, car on se disait qu’ils étaient sacrifiés non pas à l’État, mais à la cruauté d’un seul homme. »
c. Suétone←↰⤒🔗
Suétone est contemporain de Tacite et il mentionne les chrétiens à propos de Néron (Vie des douze Césars, Néron, ch. 16). Il mentionne surtout la persécution sous Claude, empereur de 41 à 54 : « Il expulsa de Rome les juifs, devenus, sous l’impulsion de Chrestus une cause permanente de désordres. »
d. Les Acta Pilati←↰⤒🔗
Des documents officiels romains ont-ils gardé la trace de Jésus? Certains auteurs chrétiens parlent de ce document dans lequel Pilate aurait envoyé un rapport au Sénat. Philon (vers 150) rappelle que Pilate fut accusé d’avoir condamné et mis à mort des gens de manière ininterrompue. La crucifixion du Christ ne serait qu’un crime parmi d’autres. Sans doute des rapports ont existé, mais hélas! ils ont aussi été perdus.
e. Thallus le Samaritain←↰⤒🔗
Des écrits de Thallus, il n’existe plus que des fragments qui se trouvent chez d’autres écrivains postérieurs. Il a écrit de Rome vers le milieu du premier siècle. Selon Eusèbe, il aurait été historien. Julien l’Africain utilise son œuvre sur un point spécial de l’histoire évangélique.
« Ces ténèbres, Thallus les appelle une éclipse du soleil, mais sans raison à son avis. Il devait par conséquent connaître la tradition chrétienne, qu’il a interprétée comme un phénomène naturel. On peut en tirer l’argument que, vers le milieu du premier siècle, on connaissait à Rome la tradition chrétienne, d’où ce témoignage de Thallus, important à nos yeux. »
f. Les Évangiles apocryphes←↰⤒🔗
Après l’ascension de Jésus, les écrits se sont multipliés, portant comme titre « Évangile ». La plupart d’entre eux ne nous sont connus que sous forme de fragments, ou de citations que l’on trouve dans d’autres écrits.
Parmi les plus anciens se trouvent « l’Évangile des Hébreux, l’Évangile selon Pierre et le proto-Évangile de Jacques ». Leur intérêt pour la connaissance historique de Jésus est pratiquement nul. Ils prennent des textes évangéliques et les déforment, ils ont un penchant pour le merveilleux et même pour les descriptions grotesques. L’hérésie n’y manque pas non plus.
Concluons : On voudrait nous faire croire que les Évangiles sont moins attestés que les autres livres de l’antiquité. C’est le contraire qui est vrai. Il y a 13 siècles entre Platon et ses plus anciens manuscrits, 16 pour Euripide. Pour les Évangiles, nous avons plus de 80 fragments de papyrus, du 2e au 4e siècle, 270 manuscrits grecs en majuscules à partir du 4e siècle, et quantité de citations, versions, utilisations plus anciennes. Rarement, l’historien aura été aussi comblé… et débordé. La multiplicité des manuscrits devient même un fardeau pour réaliser l’édition critique des Évangiles.
« On ne connaît le Christ que par des témoignages chrétiens », objecte-t-on. Nous venons de voir que d’autres sources non chrétiennes jettent une certaine lumière sur le personnage historique. Mais, pour reprendre les termes de R. Laurentin, chroniqueur du Figaro (8 avril 1980) :
« Souvent, l’histoire n’est connue que par ses acteurs et leurs partisans. Nous ne connaissons la Guerre des Gaules que par le récit de Jules César, général victorieux, et nous ne le récusons pas, sous prétexte qu’il n’y a pas d’histoire gauloise pour le confirmer. Que la littérature païenne sur Jésus soit clairsemée, cela n’a rien d’étonnant, car, à la différence de Jules César, Jésus est un personnage obscur. Il a vécu dans une région marginale, dont les autres habitants n’ont laissé aucun souvenir. […] Les autres crucifiés de cette époque sont nombreux. Ils n’ont généralement pas laissé de trace. […] Bref, le problème n’est pas de prouver l’existence de Jésus, mais d’expliquer comment cinquante pour cent des Français en sont venus à considérer son existence comme douteuse. La véritable explication est sans doute plus profonde. Jules César, Alexandre, Socrate ou Platon sont attestés par un réseau documentaire de bien moindre densité, ancienneté, qualité que celui qui atteste Jésus; mais un facteur tend à renverser l’adhésion. Jésus, depuis qu’il existe, dérange les hommes. Il incommode la raison ou les opinions morales d’un chacun. D’où le réflexe bien compréhensible qu’on pourrait résumer dans le titre significatif de Ionesco : Comment s’en débarrasser. Le doute sur l’existence de Jésus, c’est la rançon de l’attrait qu’il exerce sur la vie des hommes. C’est un phénomène de défense et de rejet, actuellement amplifié par des phénomènes collectifs et par la puissance des médias. »