Xénophobie et harmonie raciale
Xénophobie et harmonie raciale
Parmi les innombrables conflits qui agitent nos sociétés modernes, ceux causés par la xénophobie et par le racisme sont à coup sûr parmi les plus aigus, pour ne pas dire parmi les plus violents. Ce n’est pas à une analyse sociale de ce triste phénomène que vous invite notre exposé d’aujourd’hui. Je vous propose plutôt un aperçu du point de vue biblique, et plus spécialement de celui du Nouveau Testament. Quelle a été l’attitude de Jésus, et aussi celle de l’Église primitive, face à un problème que, sous des formes différentes, ils ont dû aussi affronter à leur époque? Ce faisant, ce n’est pas vers un simple modèle que je veux attirer votre attention, mais plutôt vers les principes mêmes d’une éthique chrétienne valable pour les inextricables problèmes qui agitent pays et continents sous le choc de la violence raciale ou encore de la haine de l’étranger, qui aveugle tant de nos contemporains.
Les relations entre groupes ethniques et raciaux au premier siècle de notre ère étaient souvent marquées par de très fortes tensions. Cependant, c’était moins la race qui était visée que le groupe ethnique. À partir d’une perspective ethnocentrique, les Grecs et les Juifs de l’époque appelaient tous les étrangers des « barbares ». Si on n’était pas grec, on était barbare; si on n’était pas juif, on était païen. Le terme barbare désigna bientôt tous les peuples restés en dehors des frontières de l’Empire romain. Les anciens établirent encore d’autres distinctions ethniques. Les Celtes, les Éthiopiens, etc.; les Juifs à leur tour classaient les peuples païens en des catégories différentes. On rapporte que Thales, un Grec du 3e siècle de notre ère, adressait une prière à la bonne fortune en remerciant celle-ci de ne l’avoir pas fait naître ni bête ni barbare, mais grec; homme et non pas femme! On rapporte également la célèbre prière du rabbi Meir qui, trois fois par jour, rendait des actions de grâce à Dieu de ce qu’il n’était pas né païen, ni homme brutal, ni même femme!
L’antipathie contre les Éthiopiens était due moins à la couleur de leur peau qu’à leurs mœurs grossières. Les Juifs, forts et fiers de leur supériorité de race élue, exprimaient une répulsion quasi viscérale envers tout ce qui sentait le paganisme idolâtre. Ce fut dans ce climat d’animosité religieuse et ethnique, ayant élevé des barrières culturelles et linguistiques quasi infranchissables, qu’apparut le christianisme appelé à démolir toutes les distinctions de cet ordre.
L’Évangile était universel. Il s’adressait à tous les peuples sans distinction. Le Christ donnait personnellement l’exemple de la nouvelle religion et refusait toute discrimination. Il était le Sauveur du monde; il ne faisait pas d’acception de personnes, et il ne favorisait pas une ethnie par rapport à une autre. De même, il recevait dans le cercle de ses amitiés aussi bien les hommes que les femmes (Lc 7.36,50; 15.1-2; voir Jn 4, une femme samaritaine; Lc 19.1-10, un percepteur des impôts appartenant à la classe honnie des collaborateurs avec l’occupant romain). Certes, durant sa carrière terrestre, il dut restreindre sa mission au territoire habité par les Juifs (Mt 15.24; 10.5-10). Toutefois, il ne refusa jamais d’accéder à la demande de secours formulée par des païens (la femme syro-phénicienne, Mt 15.21-28; l’officier romain, Mt 8.14-13; des Grecs venus lui rendre visite, Jn 12.20-25).
Durant sa dernière visite à Jérusalem, peu avant son arrestation et sa crucifixion, il purifia, il balaya littéralement la cour extérieure dite « des Gentils », afin que le Temple israélite, la maison de son Père céleste, puisse accomplir sa véritable mission et devenir une maison de prière pour toutes les nations (Mc 11.17). Même ses adversaires reconnaissaient sa largeur de vues et son absence totale de discrimination. Chez lui, il n’y avait qu’une seule discrimination : celle du mal aveugle et volontaire. Tu n’es pas partial, lui disaient-ils, car tu enseignes la voie de Dieu dans toute sa vérité (Lc 20.21). En effet, son enseignement brisait toute barrière socioculturelle; il était le Messie venu régner avec justice (voir Lc 1.51-53).
Selon les prédications de l’Ancien Testament, c’était cette justice parfaite de Dieu qui éclairerait tous les hommes et mettrait fin à tout préjudice racial et à toute discrimination ethnique. En lisant les Évangiles, nous nous rendons compte qu’aux yeux de Jésus tous les hommes ont une seule identité… et elle est négative. Ils sont tous des pécheurs et, quelles que soient la couleur de leur peau et la langue qu’ils parlent, ils ont tous besoin de la grâce divine. Il est venu leur apporter le salut, à tous sans distinction (Mc 1.15; 2.17; Mt 9.1-13; Jn 9.39-41).
La division fondamentale entre les hommes n’est donc point ethnique, mais religieuse. Ils participent tous à la condition fondamentale de tout homme : celle du péché, conséquence de la chute originelle. Si dans la foi et la repentance on accueille l’offre de la grâce divine, les barrières que nous venons de mentionner s’estomperont automatiquement. Les croyants sont des enfants de Dieu (Jn 1.11-13; 4.9-11); ils sont déclarés les frères et les sœurs de Jésus (Mt 23.8). Ainsi, l’enseignement de l’Évangile s’attaquait à la racine même de tout préjudice racial; cette racine d’orgueil, d’arrogance, de haine, de volonté de dominer et d’écraser le prochain. Jésus a dénoncé le mépris vis-à-vis d’autrui (Mt 7.1-6; Lc 15.1-32; Mt 23.8-12).
Aux sentiments de haine et de colère qu’il qualifie de « pensées meurtrières », Jésus demande qu’on substitue celui de l’amour (Mt 18.35; Jn 13.34-35; 15.11-17; 17.20-26). L’amour est donc le signe distinctif de son disciple. Et il exhorte ses disciples à renoncer à exercer un pouvoir sur autrui ayant pour but de dominer. Au contraire, il les invite à les servir de manière désintéressée; l’humilité, l’amour et le service rétabliront l’harmonie rompue entre peuples et races.
L’Église apostolique a mis en pratique cette grande leçon. Le livre des Actes des apôtres nous offre maints exemples de communion entre les membres de l’Église naissante, quelle que fût leur origine ethnique. Le Juif pieux, qui jusque-là tenait l’étranger pour un païen, l’accueille à présent comme le récipiendaire de la même grâce offerte à tous ceux « qui se repentent et qui croient ». Dans son célèbre discours sur le Champ de Mars à Athènes, l’apôtre Paul expliquait à l’intelligentsia grecque que tous les hommes ont la même origine ainsi que le même ancêtre (Ac 17).
Si tous les hommes ont un même ancêtre, il n’y a donc aucune raison pour cultiver, sur une base ethnique, des sentiments d’orgueil et de supériorité. Saint Paul ajoutait à cette unité fondamentale de l’humanité un autre élément, de nature eschatologique celui-là. Il annonçait que tous comparaîtraient un jour devant le tribunal de Dieu.
Cette harmonie rétablie entre différents groupes humains apparaissait notamment dans le partage de biens entre chrétiens, inouï pour l’époque. Ils mangeaient ensemble, et des Juifs palestiniens et des Juifs hellénistiques s’accueillaient mutuellement (Ac 6.1-6).
Au début, les Juifs ne voulaient pas communier avec des chrétiens d’origine païenne et avec des incirconcis. Un incident exceptionnel permit à l’apôtre Pierre de comprendre le sens de l’universalité de l’Évangile. Dans une vision diurne, il se vit offrir, dans un panier descendu du ciel, tous les animaux impurs, interdits par la loi juive, et il fut invité à en manger! C’était là le comble du scandale pour un Juif pieux. Mais la vision concernait moins la question d’aliments impurs que celle de sa communion avec des païens auxquels le saint apôtre allait être envoyé (voir Ac 10).
Les épîtres apostoliques enseignèrent la même vérité; le salut est offert à tous, sans distinction aucune. Si tous sont passibles du jugement, tous peuvent également redevenir en Christ une nouvelle création.
Selon le passage de Galates 3.26-29, notre identité nouvelle en Christ élimine les distinctions socio-économiques, ethniques et même de genre. En Christ, et au point de vue du salut éternel, il n’existe ni Juif, ni Grec, ni homme, ni femme. Aucun facteur historique ne disqualifie qui que ce soit d’avoir accès à la grâce offerte en Jésus-Christ. Dans Colossiens 3.8-11, l’apôtre Paul exhorte à renoncer à la colère, à la malice, au langage abusif. Il invite les fidèles à se revêtir de « l’homme nouveau »; le Christ est tout en tous. Il est devenu notre identité principale.
Éphésiens 2.11-22 traite la question plus profondément encore; bien qu’il s’adresse plus directement à la distinction religio-ethnique entre Juifs et Grecs, ce passage contient des vérités permanentes et applicables à d’autres domaines d’où doivent être bannies les discriminations. La croix du Christ a démoli le mur de séparation érigé entre le peuple saint, Israël, et le peuple païen, c’est-à-dire les nouveaux convertis. Or, précise l’apôtre, ces barrières avaient été élevées par Dieu lui-même. À présent, elles sont ôtées, brisées, inutiles. À combien plus forte raison on devrait donc faire disparaître les barrières dressées par les hommes! À son tour, le païen participe au salut au même titre que le Juif et ayant les mêmes droits à l’unité organique réalisée en Christ. Quiconque a connu le Christ comme l’unique chemin vers le Père ne peut plus tolérer la discrimination raciale; il ne devrait même pas nourrir un quelconque sentiment de xénophobie.
Dans un passage de l’épître de Jacques où l’auteur traite des questions socio-économiques, on discerne également ce nouvel esprit qui désormais devra présider toutes les relations humaines (Jc 2.1-13). La foi ne devra pas servir à encourager des favoritismes excluant des êtres humains appartenant à d’autres ethnies ou groupes sociaux. Ce serait s’opposer à la volonté même de Dieu. Jacques donne ses raisons. Toute discrimination basée sur des questions de race, de fortune, d’appartenance à un groupe social, etc., contredit la conduite chrétienne. Il juge des personnes sur de mauvais motifs et il contredit surtout le caractère et l’exemple même de Dieu. Dieu ne tient pas compte des facteurs extérieurs et il choisit des personnes d’humble condition comme des personnes appartenant aux élites, car il s’est choisi un peuple appartenant à « toute tribu, race et langue ».
Enfin, s’élever avec arrogance pour juger autrui sur des lignes de race, de genre, de nationalité ou de position sociale, c’est usurper le rôle même de Dieu. Il faut garder à l’esprit — et le Nouveau Testament est unanime sur ce point — que la mesure avec laquelle nous aurons traité notre prochain nous sera appliquée. Si c’est avec amour, nous recevrons l’amour; si nous avons usé de la haine, il ne nous sera pas fait miséricorde.
Par leur enseignement et par leur exemple, Jésus et les apôtres ont parfaitement démontré la racine de toute haine raciale; elle s’appelle le péché. Mais ils nous annoncent de manière positive que seules la grâce divine et l’offre du pardon aboliront ces barrières de haine et de meurtre. Et ces admirables vertus chrétiennes que sont l’humilité, l’amour, le respect du prochain, ainsi que le service rendu « aux plus petits » sont les fruits d’une telle grâce. Puissent-elles agir, tels des antidotes efficaces, dans un monde déchiré par la haine, dont la haine raciale est, aujourd’hui encore, parmi les plus meurtrières.