2 Corinthiens 5 - Être en Christ
2 Corinthiens 5 - Être en Christ
« Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle création. »
2 Corinthiens 5.17
Quelque chose de ces imprécisions perce dans un certain nombre d’expressions par lesquelles on décrit le rapport du croyant avec le Christ. Par exemple : « Jésus est entré dans mon cœur »; ou « je l’ai reçu comme mon Sauveur personnel »; ou encore, « j’ai été sauvé durant mon séjour dans un camp de jeunes ». « Je suis devenu chrétien à l’âge de sept ans, mais à présent je suis un chrétien nouveau-né », etc. Ce langage fort répandu est, à mon avis, incompatible avec ce que le Nouveau Testament désigne par l’expression biblique « être en Christ ».
Certes, de telles déclarations se font avec une conviction rare et une chaleur qui réchauffe nos cœurs. Leur intensité est telle que d’entendre dire « Jésus est mon Sauveur personnel » nous change d’une vague et imprécise déclaration, telle que : « Jésus est le Sauveur du monde ». Elle décèle une expérience authentique, reflète le tempérament du fidèle, souligne l’accent sur le sentiment éprouvé par un tel rapport.
La foi chrétienne se veut de nos jours, plus que jadis, empirique, expérimentale. Cela n’a rien de répréhensible en soi, à condition, bien entendu, que l’expérience chrétienne se fonde sur la réconciliation opérée par le Christ. Autrement, un grand danger guette le croyant : celui d’un subjectivisme dénué de tout fondement réel qui, à vrai dire, n’est plus en rapport avec la réalité qu’exprime l’« être en Christ ». Le subjectivisme religieux et le sentimentalisme le plus fervent, le plus intense, peuvent sonner le glas de la foi, la foi en l’Évangile du salut. Ce subjectivisme se présente sous des formes diverses. On découvre immanquablement à son sommet le mysticisme, à sa base l’émotion, parfois à tel point que le sujet va jusqu’à déclarer qu’il est « amoureux du Christ », ou qu’il se sent totalement identifié et mêlé à Dieu. Jésus devient l’ami extraordinaire, « le copain du ciel », et que sais-je encore…
Certains éprouveront la même intensité dans leur rapport subjectif avec le Christ que celle produite par des drogues hallucinogènes. On s’imagine ainsi que le zèle dont on fait preuve peut se substituer à l’Évangile. Mais lorsque le zèle s’estompe, que reste-t-il de l’Évangile? La foi s’affadit, s’affaiblit et disparaît, puisque le sujet croyant n’avait bâti sa vie chrétienne que sur le sable mouvant de ses sentiments. Une émotivité excessive, parfois maladive, dépouille le cœur chrétien de toute vitalité, de toute possibilité de croître normalement et obscurcit la bonne compréhension de l’Évangile. Ainsi, nous aurons à veiller à ce que le fondement de la foi reste l’œuvre du Christ opérée en dehors de nous, et non pas l’intensité de nos émotions. C’est ce rapport-là qui est exprimé par l’admirable expression de Paul : « être en Christ ».
L’Évangile est essentiellement affaire de réconciliation. « Celui qui n’a pas connu le péché, il l’a fait devenir péché pour nous » (2 Co 5.21). Saint Paul fait état d’un fait historique et objectif. Christ est devenu notre substitut. Nous devenons en lui des hommes de Dieu. Grâce à lui, nous entrons dans le grand dessein divin pour participer à son projet d’établir ici-bas son règne, de faire triompher la vérité par lui et de détruire, grâce à sa force, celle du mensonge et du mal.
Par sa mort, le Christ a rétabli la paix entre Dieu et l’homme et lors de cette mort Dieu a déclaré accepter la remise de dette. Dieu le Père a envoyé Dieu le Fils afin de proclamer la paix et d’appeler tout homme à se réconcilier avec lui. Notre relation avec Dieu n’est possible et réalisée que par l’intermédiaire du Fils, grâce à l’œuvre rédemptrice achevée sur la croix. L’Évangile est Bonne Nouvelle; celle de Dieu, présent en Christ, réconciliant les hommes avec lui-même. « Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même, sans tenir compte aux hommes de leurs fautes, et il a mis en nous la parole de la réconciliation » (2 Co 5.19).
La foi n’est rien d’autre que cette humble et reconnaissante acceptation des rôles inversés. Le Christ subit le courroux de Dieu; l’homme, quant à lui, est libéré du jugement. La foi est la confiance en la divine déclaration : « Mon enfant, tes péchés te sont pardonnés » (Mc 2.5). Croire donc en Jésus-Christ est saisir notre justification. C’est un acte juridique qui nous met au bénéfice de l’acquittement. Il n’y a plus de condamnation pour ceux qui sont en Christ. « Il n’y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, qui marchent, non selon la chair, mais selon l’Esprit » (Rm 8.1).
Ainsi, le contenu de la foi évangélique, la réconciliation, indique à présent que nous sommes en Christ. Il n’y a point d’autre fondement que celui-ci, nul doute à ce sujet. C’est là le témoignage unanime de toute la Bible; c’est le fondement et la confession de l’Église fidèle. Nos émotions et nos états d’âme ne nous offrent aucune assurance. Au risque de me répéter, je dirai encore : La foi chrétienne est l’acceptation de l’œuvre objective du Christ accomplie sur la croix et rendue parfaite par sa résurrection. Aussi, il ne nous sera jamais demandé d’avoir un tempérament chaleureux ou explosif pour faire preuve de notre foi. Il suffit de croire.
Mais « être en Christ » nous engage à un mode de vie nouveau. « Je suis le chemin, la vérité et la vie », affirmait Jésus (Jn 14.6). Curieusement, les premiers chrétiens ont été appelés « la voie », ce qui annonçait la manière de vivre nouvelle. Dans une page admirable, saint Paul exhortait les membres de l’Église « à offrir leurs corps en sacrifice vivant » (Rm 12.1), ce qui laissait entendre un changement radical dans leur comportement éthique. Le Christ en personne rendait évidente cette nécessité.
Ceux qui croient en lui ont déjà, dès ici-bas, la vie éternelle. Une qualité de vie nouvelle. Dans un de ses discours, l’apôtre Pierre invitait à se repentir et à se convertir (Ac 2:37-38), ce qui signifie qu’être en Christ constitue la condition d’une vie totalement renouvelée.
Précisons encore la notion de la nouvelle création. On s’imagine parfois qu’une réalité empirique, qu’une expérience radicalement différente du passé doit se faire sentir à tel point que le croyant cesse presque d’être une personne ordinaire. Il est bien évident que certaines idées ou certains comportements sont incompatibles avec la nouveauté dans la foi. Mais aller jusqu’à considérer comme péché le fait de participer à la vie publique ou culturelle de son époque est toute autre chose. Il est inutile d’énumérer la liste de ce qu’il convient de faire ou de s’abstenir de faire. Qu’il suffise ici de dire que la nouvelle création est essentiellement la restauration de notre nature, jamais son abrogation.
L’homme réconcilié redevient l’homme des origines. Il retrouve sa véritable humanité. Autrefois incapable de répondre à Dieu, il est à présent régénéré, tant dans sa pensée que dans sa volonté et ses sentiments. Il devient sensible à la présence de Dieu et à sa grâce. La connaissance de Dieu remplit son intelligence et son esprit. Sa volonté acquiesce à celle de Dieu. C’est la Parole de vérité qui le conduit et non plus le Malin et le mensonge de son propre cœur. Alors apparaît au grand jour la différence entre la vie et la mort. Naître de nouveau, c’est inaugurer une vie nouvelle, s’abstenir du mal, résister à la convoitise et à l’orgueil.
Il s’agit, ainsi qu’on le voit, d’une transformation réelle, même si des vestiges du passé apparaissent ici et là. Ce nouveau mode de vie annonce la conversion, le détour à 180 degrés du péché et la marche vers Dieu. Être en Christ dénote une conversion de vie radicale.
Conversion. Voilà le grand mot lâché. Mais combien il est étonnant de constater que ce terme biblique si clair, et que la plupart des confessions de foi chrétiennes ont intégré à l’expérience authentique de la foi, se prête à tant de malentendus. Dans certains milieux, il est à peine mentionné. Ou il n’est réservé qu’aux pécheurs notoires ou à celui qui, venant d’une autre religion, embrasse la foi chrétienne. Il ne vient pas à l’esprit que les membres de l’Église, eux aussi, ont besoin de conversion. Si nous demandions directement à des chrétiens élevés dans des foyers chrétiens et dans des Églises s’ils sont bien convertis, il est fort probable qu’ils seraient très embarrassés. Peut-être répondraient-ils par la négative?
Je ne tiens pas à troubler inutilement les consciences sensibles qui en fait sont converties sans le savoir. Je tenais simplement à expliquer la nécessité de la conversion pour tout homme, car elle n’est pas réservée exclusivement aux grands criminels ou aux incroyants notoires. De nombreux chrétiens ont connu sans doute une conversion progressive et ils ne sont pas, par conséquent, en mesure de raconter avec force détails leurs expériences. Ils peuvent cependant confesser humblement que, dans sa miséricorde, Dieu les a aussi convertis à lui. Il le fait graduellement, dans des circonstances ou à des moments dont on ne se souvient pas, par la lecture de la Bible, durant la prière ou une prédication, dans un entretien avec un autre chrétien.
Je tiens néanmoins à souligner que la conversion personnelle, quel que soit le mode d’expérience, est indispensable. Elle est la condition subjective de notre appartenance au Christ, elle est aussi importante que la formule, si souvent déformée, de la « nouvelle naissance ».
Après tout, le lecteur de la Bible sait qu’il ne peut absolument rien faire pour naître de nouveau. Notre régénération est entièrement du ressort de l’Esprit. Nous ne décidons pas de naître de nouveau, car ce serait non seulement prétentieux, mais irréel. La conversion, elle, est l’affaire de notre personne. C’est nous qui prenons la décision de nous tourner vers Dieu. Le doute assaille si souvent le chrétien converti! Est-il vraiment en Christ ou ne l’est-il pas? Rappelons-nous cependant que ce doute naît d’une foi bâtie exclusivement sur nos propres émotions. Mais si nous avons saisi la réalité de la vie en Christ telle que j’ai tenté de l’expliquer, il n’y aura aucun doute, car nous aurons une assurance inébranlable d’être en Christ et de vivre de sa plénitude divine.